CEDH, Commission, ARTIAGA c. la FRANCE, 2 septembre 1992, 17853/91

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 2 sept. 1992, n° 17853/91
Numéro(s) : 17853/91
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 15 janvier 1991
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 19, par. 39
Arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 33, par. 60
Arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35, par. 80
Arrêt Matznetter du 10 November 1969, série A n° 10, p. 34, par. 12
Arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37, par. 5
Cour Eur. D.H. Arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A n° 7, pp. 22, 25 et 26, paras. 5 et 16
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-24969
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1992:0902DEC001785391
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Texte intégral

                      SUR LA RECEVABILITE

                      de la requête No 17853/91

                      présentée par Luis Fernand ARTIAGA

                      contre la France

                            __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 septembre 1992 en

présence de

             MM.  S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre

                  G. JÖRUNDSSON

                  A. WEITZEL

                  J.-C. SOYER

                  H. G. SCHERMERS

                  H. DANELIUS

             Mme  G. H. THUNE

             MM.  F. MARTINEZ

                  L. LOUCAIDES

                  J.-C. GEUS

             M.   K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 15 janvier 1991 par Luis Fernand

ARTIAGA contre la France et enregistrée le 27 février 1991 sous le No

de dossier 17853/91 ;

      Vu la décision de la Commission, en date du 4 juillet 1991 de

porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et

d'inviter celui-ci à présenter ses observations sur la recevabilité et

le bien-fondé des griefs présentés au titre des articles 5 par. 3 et

6 par. 1 de la Convention concernant la durée de la détention

provisoire et la longueur de la procédure pénale ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

20 décembre 1991  et les observations en réponse présentées par le

requérant le 5 mai 1992 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

      Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent

se résumer de la manière suivante.

      Le requérant, né en 1951 à Saragosse, est titulaire de la double

nationalité française et espagnole.  Lors de l'introduction de sa

requête devant la Commission, il était détenu au centre pénitentiaire

de Sainte Geneviève des Bois.

      Le 19 novembre 1986, au cours d'un vol à main armée contre le

Crédit Agricole de Longpré-les-Corps-Saints (Somme), un officier de

gendarmerie fut sérieusement blessé.  Les auteurs du vol furent arrêtés

et l'un d'eux accusa le requérant de leur avoir fourni les munitions

et armes utilisées pour perpétrer le délit.  Le requérant était

interpellé le 18 mars 1987.  Inculpé d'association de malfaiteurs et

de complicité de vol avec port d'arme, le requérant fut placé en

détention provisoire selon mandat de dépôt du juge d'instruction

d'Abbeville daté du 20 mars 1987.

      Le requérant déposa près du juge d'instruction d'Abbeville de

nombreuses demandes de mise en liberté s'étalant sur une période allant

du mois de mars 1987 à mai 1990 (voir en annexe II le tableau

récapitulatif de ces demandes). Elles furent toutes rejetées tant par

le juge d'instruction que par la chambre d'accusation de la cour

d'appel d'Amiens en raison des risques de pression sur les témoins, de

l'insuffisance des garanties de représentation, de la gravité des

charges pesant contre le requérant et pour préserver l'ordre public.

A plusieurs reprises pendant cette période, le requérant se pourvut

sans succès en cassation contre des arrêts de la chambre d'accusation

(voir annexe II).

      Le 12 février 1990, le requérant se vit notifier une ordonnance

de prolongation de la détention provisoire d'une année.  Il en

interjeta appel auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel

d'Amiens qui, par arrêt du 27 février 1990, confirma l'ordonnance

attaquée.  Dans cet arrêt, la cour notait que "fort curieusement lors

d'un interrogatoire du 12 février 1990 ... [le requérant] a déclaré se

souvenir à présent de son emploi du temps trois ans plus tôt pendant

les journées des 17 et 18 novembre 1986, d'où résulterait selon lui un

alibi et sa mise hors de cause ...". La cour ajoutait que "cet élément

nouveau va entraîner des vérifications qui rendent indispensable le

maintien en détention [du requérant] puisqu'il s'agit de l'unique moyen

d'empêcher des pressions".  Le pourvoi en cassation fut rejeté par

arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 1990.

      Le requérant présenta le 28 mai 1990 une nouvelle demande de mise

en liberté qui fut rejetée par ordonnance du juge d'instruction du 30

mai 1990.  Le requérant en releva appel auprès de la chambre

d'accusation sur le fondement de l'article 5 par. 3 de la Convention.

Après avoir constaté que l'alibi invoqué par l'inculpé le 12 février

1990 n'avait pas pu être confirmé au vu des vérifications effectuées,

la chambre d'accusation rejetait l'appel par arrêt du 19 juin 1990 et

justifiait la durée de la procédure et de la détention provisoire aux

motifs suivants :

"... la durée de l'information - qui est à présent terminée et en

      voie de règlement - s'explique par le nombre de prévenus et des

      faits sur lesquels elle porte, même si [le requérnat] n'est mêlé

      qu'à l'un d'eux, et par la multiplicité des actes d'instruction

      nécessaires, compte tenu notamment des systèmes de défense des

      uns et des autres.

"... qu'il subsiste des charges sérieuses contre l'intéressé et que

      le moyen pris du dépassement du délai raisonnable doit être

      écarté ;

"... que s'agissant d'une participation déterminante, par fourniture

      d'armes de guerre, à des faits qui ont gravement troublé l'ordre

      public et qui ont été suivis d'un échange de coups de feu au

      cours duquel un officier de la gendarmerie a été sérieusement

      blessé, le maintien en détention de l'intéressé continue à

      s'imposer pour préserver l'ordre public de ce trouble ; ...."

      Le requérant soumit l'arrêt de rejet à la censure de la Cour de

cassation en se fondant sur l'article 5 par. 3 de la Convention.

Celle-ci rejeta le pourvoi le 3 octobre 1990 en estimant

"... qu'après avoir analysé les indices et présomptions motivant

      l'incuplation [du requérant] des chefs d'association de

      malfaiteurs, de complicité de vol avec port d'armes en raison du

      rôle qui lui est imputé dans un vol commis le 19 novembre 1986,

      la chambre d'accusation énonce que la durée de l'information

      maintenant terminée et en voie de règlement, s'explique par la

      complexité du dossier tenant à la multiplicité des faits, au

      nombre des inculpés qui a necessité de nombreux actes

      d'instruction compte tenu de leur système respectif de

      défense ; qu'au vu de ces éléments elle estime qu'il n'y a pas

      eu dépassement du délai raisonnable prévu par la Convention

      susvisée ; ..."

      L'arrêt de la Cour de cassation considéra de surcroît que la

décision de la cour d'appel était régulière au regard des articles 144

et 145 du Code de procédure pénale (voir annexe I).

      Par ordonnance du 25 juin 1990, le juge d'instruction transmit

le dossier à la chambre d'accusation.

      Par arrêt daté du 10 août 1990, la chambre d'accusation de la

cour d'appel d'Amiens renvoya le requérant devant la cour d'assises du

département de la Somme sous l'accusation de complicité de vols avec

port d'arme.

      Considérant en particulier que les éléments constitutifs de

l'infraction susceptibles d'être qualifiés de crime n'étaient pas

réunis, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.  La Cour

de cassation, par arrêt motivé, rejeta le pourvoi le 18 décembre 1990.

      Par ailleurs, le requérant introduisit devant la chambre

d'accusation une nouvelle demande de mise en liberté le 15 octobre 1990

en invoquant à nouveau l'article 5 par. 3 de la Convention  qui fut

rejetée le 30 octobre 1990 pour les mêmes motifs que ceux invoqués ci-

dessus.

      Par arrêt du 19 avril 1991, la cour d'assises d'Amiens condamna

le requérant à cinq années de réclusion criminelle.  Le requérant a été

libéré le 21 avril 1991.

      S'agissant de l'instruction de l'affaire, un état récapitulatif

des actes de procédure produit par le Gouvernement figure en annexe III

à la présente décision.

GRIEFS

      Le requérant se plaint de la longueur de sa détention provisoire

et de la durée de la procédure pénale diligentée contre lui depuis son

inculpation le 20 mars 1987. Il invoque les articles 5 par. 3 et 6 par.

1 de la Convention. Il estime également que le droit au respect de la

présomption d'innocence est violé du fait de la durée de la détention

provisoire et invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.  Le

requérant se plaint de ne pas avoir obtenu du juge d'instruction une

confrontation générale avec tous les témoins et invoque l'article 6

par. 3  d) de la Convention.  Il se plaint enfin de la violation de

l'article 5 par. 4 de la Convention sans étayer son grief.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

      La requête a été introduite le 15 janvier 1991 et enregistrée le

27 février 1991.

      Le 4 juillet 1991, la Commission a décidé de donner connaissance

de la requête au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par

écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs

tirés de la durée excessive de sa détention provisoire (art. 5 par. 3)

et de la longueur de la procédure (art. 6 par. 1 de la Convention).

      Le 21 octobre 1991, le Gouvernement a demandé une prorogation de

délai au 20 décembre 1991, prorogation qui lui a été accordée le 6

novembre 1991 par le Président de la Commission.

      Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le

20 décembre 1991.

      Après plusieurs lettres de rappel, le requérant a présenté ses

observations en réponse le 5 mai 1992.

EN DROIT

1.    Le requérant se plaint de la longueur de sa détention provisoire

et invoque l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.

      Cette disposition prévoit que :

      "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues

      au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt

      traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi

      à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée

      dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure.  La

      mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la

      comparution de l'intéressé à l'audience."

      Selon le requérant, cette durée porte également atteinte à son

droit à la présomption d'innocence garanti par l'article 6 par. 2

(art. 6-2) de la Convention.

      Le Gouvernement soulève d'emblée une exception d'irrecevabilité

tirée de ce que l'épuisement des voies de recours internes ne serait

pas réalisé en l'espèce.  A cet égard, il fait valoir que le requérant

ne s'est pas pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'assises

d'Amiens du 19 avril 1991.

      La Commission quant à elle rappelle que l'épuisement des voies

de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que

pour autant qu'elles sont efficaces et suffisantes, c'est-à-dire

susceptibles de remédier à la situation dénoncée (voir Cour Eur. D.H.,

arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, Série A n° 12, p. 33,

par. 60 et arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, Série

A n° 77, p. 19, par. 39).

      S'agissant d'un grief relatif à la durée d'une détention

provisoire, un recours ne peut être considéré comme efficace que s'il

peut être intenté en cours d'instance (cf. mutatis mutandis N° 8990/80,

déc. 6.7.1982, D.R. 29 p. 129 ; N° 10103/82, déc. 6.7.1984, D.R. 39

p. 186).  A cet égard, la Commission relève d'emblée que pendant sa

détention provisoire, le requérant a formulé de nombreuses demandes de

mise en liberté.  Elle observe que le requérant, dans son recours

d'appel auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens

contre la décision du juge d'instruction en date du 30 mai 1990

refusant sa mise en liberté, s'est référé expressément à l'article 5

par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Suite à l'arrêt de rejet du 19 juin

1990, le requérant s'est pourvu en cassation contre cette décision en

invoquant à nouveau le moyen tiré de la violation de la disposition

précitée de la Convention.  Ce faisant, la Commission estime que le

requérant a fait usage des recours qui, en l'espèce, peuvent être

considérés comme  efficaces et suffisants au regard de la règle de

l'épuisement des voies de recours de l'article 26 (art. 26) de la

Convention.  Au demeurant, la Commission constate que le Gouvernement

défendeur n'a pas démontré en quoi le recours que le requérant aurait

dû, selon lui, utiliser pour répondre aux exigences de la condition

d'épuisement de l'article 26 (art. 26) était dans le présent cas

susceptible de remédier efficacement à la situation dénoncée.

      Dans ces conditions, la Commission est d'avis que le requérant

a satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours

internes, conformément à l'article 26 (art. 26) de la Convention.  Elle

estime dès lors que l'exception soulevée par le Gouvernement ne saurait

être retenue.

      Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement observe que le

requérant a été privé de liberté du 18 mars 1987 au 19 avril 1991.  Sa

détention provisoire a donc duré quatre ans, un mois et un jour.

      Le Gouvernement fait remarquer que, pendant cette période, le

requérant a formé toutes les demandes de mise en liberté qui figurent

sur le tableau en annexe I et qui ont toutes été rejetées.

      Pour le Gouvernement, le maintien en détention du requérant était

nécessaire.

      Le Gouvernement note tout d'abord que toutes les demandes de mise

en liberté furent rejetées tant par le juge d'instruction que par la

chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens selon les cas en vue

d'empêcher des concertations frauduleuses et pressions préjudiciables

à la manifestation de la vérité, ou encore en raison de l'insuffisance

des garanties de représentation, de la gravité des charges pesant

contre le requérant s'agissant de fournitures d'armes ayant servi à des

agressions à main armée selon les méthodes du grand banditisme, et

enfin pour préserver l'ordre public.

      Le Gouvernement fait observer que, dans son ordonnance du 25

septembre 1989, le juge d'instruction précise "qu'à la demande de

l'inculpé des vérifications sont en cours concernant des vérifications

d'emploi du temps", ce qui rend nécessaire le maintien en détention

puisque [le requérant] allègue "qu'un procès verbal a été faussement

établi" et qu'il est nécessaire de le maintenir en détention pour

éviter toute pression.  Il note également que, dans son arrêt du 27

février 1990, sur appel de la décision du 12 février 1990, la chambre

d'accusation de la cour d'appel d'Amiens indique que "fort curieusement

lors d'un interrogatoire du 12 février 1990 ... [le requérant] a

déclaré se souvenir à présent de son emploi du temps trois ans plus tôt

pendant les journées des 17 et 18 novembre 1986, d'où résulterait selon

lui un alibi et sa mise hors de cause ...".  Et la cour ajoute que "cet

élément nouveau va entraîner des vérifications qui rendent

indispensable le maintien en détention [du requérant] puisqu'il s'agit

de l'unique moyen d'empêcher des pressions".

      Le Gouvernement estime qu'au vu des différents arrêts, les

circonstances de l'espèce n'étaient pas de nature à permettre une mise

en liberté du requérant.

      Le Gouvernement précise que la lecture des décisions de refus de

mise en liberté fait apparaître des motivations analogues.

      Il considère cependant qu'on ne saurait pourtant en conclure que

les juridictions saisies ont examiné la necessité de prolonger la

détention de manière abstraite.  En effet, il faut tenir compte des

intervalles particulièrement rapprochés entre les différentes demandes

de mise en liberté et du fait que les raisons de s'opposer à la demande

ne pouvait varier d'un jour à l'autre.

      Il observe que les magistrats ont procédé à un examen très strict

des conditions posées par l'article 144 du Code de procédure pénale et

ce par référence expresse aux éléments de l'affaire et compte tenu de

l'évolution du dossier.

      Aussi, dans son ordonnance du 23 mai 1988, le juge d'instruction

vise-t-il la persistance de la mise en cause de l'inculpé au regard des

déclarations des co-inculpés.  Dans celle du 7 avril 1990, il souligne

que des charges nouvelles résultent de courriers provenant d'un co-

inculpé.  Enfin, dans son arrêt du 19 juin 1990, la chambre

d'accusation constate que l'alibi invoqué par l'inculpé n'a pu être

confirmé au vu des vérifications effectuées.

      Le Gouvernement estime que, de manière générale, les magistrats

se sont essentiellement appuyés sur le risque de pression sur les

témoins et les co-accusés pour refuser la mise en liberté.  A cet

égard, il précise que la mise en cause du requérant provenait des

accusations constantes portées à son encontre par M. H. et ce, tout au

long de l'information, lors des interrogatoires et des confrontations

pratiqués par le magistrat instructeur.  Il était donc nécessaire de

maintenir le requérant en détention pour l'empêcher d'exercer des

pressions sur ses accusateurs.

      Le Gouvernement observe, par ailleurs, comme cela résulte de

l'arrêt du 27 février 1990 précité, que l'inculpé devait, le 12 février

1990, invoquer pour la première fois un alibi (soit trois ans après sa

première déclaration) qui s'est avéré infondé mais qui justifiait le

maintien en détention pour en vérifier l'authenticité.

      Concernant le motif tiré du trouble à l'ordre public résultant

de la gravité du crime commis, le Gouvernement rappelle que la Cour

européenne des Droits de l'Homme a admis que "par leur gravité

particulière et par la réaction du public à leur accomplissement,

certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à

justifier une détention provisoire (arrêt Letellier du 26 juin 1991,

série A n° 207, p. 21, par. 51).

      Le Gouvernement estime que tel est le cas pour les attaques à

main armée et braquages de banque, faits de grand banditisme qui

troublent gravement l'ordre public et justifient la détention

provisoire des inculpés, notamment en raison du caractère prémédité et

organisé de cette délinquance.

      Concernant la nécessité de garantir le maintien de l'inculpé à

la disposition de la justice, le Gouvernement rappelle que, selon la

jurisprudence de la Cour dans l'affaire Neumeister, le danger de fuite

doit être apprécié en fonction "d'un ensemble d'éléments tels le

caractère de l'intéressé, sa nationalité, son domicile, sa profession,

ses ressources, ses liens familiaux, permettant soit de le confirmer,

soit de le faire apparaître à ce point réduit qu'il ne peut justifier

une détention provisoire" (arrêt du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 39,

par. 10).  En l'espèce, des considérations de fait rendaient le danger

de fuite particulièrement important : le requérant avait commis les

faits alors qu'il était sous contrôle judiciaire ; selon son casier

judiciaire, il avait été condamné à plusieurs reprises à des peines

sévères et ce pour des infractions du même type que celles qui lui sont

reprochées au cours de la présente procédure.  Sans attache familiale

solide, sans travail régulier, puisque le requérant, au moment des

faits, s'était séparé de sa concubine et avait vendu son garage, il ne

bénéficiait pas de réelles garanties de représentation.

      Pour le Gouvernement, il est clair que le requérant était en

relation avec le milieu du banditisme.  Il suffit de voir dans quelles

conditions les agressions ont été réalisées, et notamment l'attitude

des malfaiteurs qui n'ont pas hésité à faire usage des armes fournies

par le requérant, blessant grièvement le commandant de l'unité du GIGN

(Gendarmerie).

      Pour le Gouvernement, tous ces éléments rendaient le danger de

fuite particulièrement aigu et le maintien en détention était

nécessaire pour assurer les garanties de représentation du requérant

et ce d'autant qu'il encourait la réclusion criminelle à perpétuité.

La seule éventualité d'une condamnation était de nature à faire

craindre aux juridictions qui ont rendu ces décisions de voir le

requérant, en cas de remise en liberté, se soustraire par la fuite à

sa comparution ultérieure devant les juridictions d'instruction et de

jugement.

      Le Gouvernement ajoute que si la Cour européenne des droits de

l'homme a jugé (dans son arrêt Neumeister précité) que le danger de

fuite ne pouvait pas s'apprécier uniquement par référence à la gravité

plus grande de la sanction dans la mesure où ce danger décroît

nécessairement avec le temps passé en détention en raison de

l'imputation probable de la durée de la détention provisoire ou celle

de la condamnation définitive, cette jurisprudence ne s'applique à

l'évidence qu'à des poursuites du chef d'infractions faisant encourir

des peines privatives de liberté relativement courtes et ne saurait

donc être invoqué par le requérant.  Quant aux autres critères définis

par la Cour tels que la moralité ou le caractère de l'intéressé, ils

apparaissent comme particulièrement négatifs.

      Le Gouvernement souligne enfin que les risques de pression sur

les témoins étaient particulièrement importants.  En effet, les

présomptions qui pesaient sur le requérant résultaient essentiellement

du témoignage de K. et il était nécessaire de protéger ce témoin contre

d'éventuelles manoeuvres d'intimidation.

      Le Gouvernement en conclut que le grief tiré de la violation de

l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention est dépourvu de

fondement.

      Le requérant explique que, compte tenu de la condamnation à cinq

années de réclusion et eu égard au fait que la durée de sa détention

provisoire s'est prolongée pendant plus de quatre années, période

pendant laquelle il n'a pu bénéficier de réductions de peine, il a

purgé en réalité une peine privative de liberté supérieure à celle

qu'il aurait accomplie s'il avait été jugé avant.

      La Commission note que le requérant a été interpellé le 18 mars

1987.  Il a été maintenu en détention provisoire du 20 mars 1987

jusqu'à sa condamnation à cinq années de reclusion criminelle par la

cour d'assises d'Amiens le 19 avril 1991.

      Le requérant a dont été détenu à titre provisoire pendant quatre

ans, un mois et un jour.

      La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée

de la détention doit s'apprécier eu égard aux principes consacrés par

les organes de la Convention (voir notamment Cour Eur. D.H., arrêt

Wemhoff du 27 juin 1968, série A n° 7, pp. 22, 25 et 26, par. 5

et 16 ; arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37,

par. 5 ; arrêt Matznetter du 10 novembre 1969, série A n° 10, p. 34,

par. 12), et récemment encore dans les requêtes N° 12369/86, Letellier

c/ France (rapport Comm. du 15 mars 1990), N° 12325/86, Kemmache c/

France (rapport Comm. du 8 juin 1990), N° 13319/87, Birou c/ France

(rapport Comm. du 17 avril 1991).

      A présent la Commission est amenée à rechercher si, compte tenu

des circonstances de l'affaire en cause, le maintien du requérant en

détention provisoire pendant une durée de quatre ans, un mois et un

jour s'est prolongé au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article

5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.

      Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur

ce point à la lumière de sa propre jurisprudence et de la jurisprudence

de la Cour européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que

cet aspect de la requête pose de sérieuses questions de fait et de

droit concernant la durée de la détention du requérant, qui ne peuvent

être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent

un examen au fond.  Dès lors, cette partie de la requête ne saurait

être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.  La Commission constate en outre que

cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif

d'irrecevabilité.

2.    Le requérant se plaint de la durée de la procédure.  Il invoque

sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose

notamment que

      "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans

      un délai raisonnable par un tribunal ... qui décidera ... du

      bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre

      elle".

      Comme pour le premier grief ci-dessus examiné, le Gouvernement

soulève l'exception d'irrecevabilité tirée de ce que le requérant

n'ayant pas formé de pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour

d'assises du 19 avril 1991, il n'aurait pas rempli la condition de

l'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 26

(art. 26) de la Convention.

      Toutefois, la Commission, se référant en substance aux motifs

développés quant au premier grief, estime que la voie de droit suggérée

par le Gouvernement ne pouvait constituer en l'occurrence un recours

efficace au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention.  Il

s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours

internes soulevée par le Gouvernement français ne saurait être

accueillie favorablement.

      Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement considère qu'aucune

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne saurait être constatée.

S'appuyant sur la chronologie de la procédure (voir annexe III), il

ajoute qu'en raison du nombre d'inculpés et de l'existence de trois

agressions, l'affaire était complexe.

      Le Gouvernement fait observer que de très nombreuses

investigations devaient être effectuées tant en ce qui concernait les

infractions commises qu'eu égard à la personnalité des individus qui

durent tous faire l'objet d'expertises psychiatriques et médico-

psychologiques.  Par ailleurs, l'instruction était également relative

aux nombreux vols de véhicules automobiles perpétués pour faciliter la

commission de l'infraction.  Il note qu'en raison de la contestation

des faits par le requérant, le juge d'instruction a dû procéder à de

nombreuses investigations pour vérifier les dires de l'inculpé et

notamment le caractère plausible de ses allégations contradictoires.

      Le Gouvernement signale par ailleurs qu'un changement de juge

d'instruction est intervenu le 16 février 1988.  Les deux magistrats

qui se sont succédés ont dû prendre connaissance d'un dossier complexe.

Le Gouvernement admet que si l'inculpé n'a pas à pâtir des changements

de juge qui peuvent intervenir au cours de la procédure, de tels

changements ne témoignent pas d'un dysfonctionnement du service public

de la justice pourvu qu'ils n'interviennent pas à intervalles trop

brefs, ce qui ne fut pas le cas.

      Quant à l'attitude du requérant, le Gouvernement note que ce

dernier a maintenu tout au long de l'instruction ses dénégations,

malgré les accusations constantes portées à son encontre par M. K. tout

au long de l'information.  Face à ces accusations, le requérant a

adopté un système de défense basé sur la volonté prétendue des

enquêteurs et de M. K. de lui nuire.  C'est notamment ce qu'il

déclarait au juge d'instruction, les 16 février et 16 décembre 1988.

Mais surtout, le 12 février 1990, le requérant devait, pour la première

fois, invoquer un alibi (en l'espèce, il soutenait se trouver au moment

des faits reprochés en compagnie d'un certain B. J.).

      Le Gouvernement fait remarquer qu'il a fallu procéder à de

nouvelles investigations pour vérifier la réalité de cet alibi qui

retardèrent le règlement du dossier.  Le Gouvernement précise que cet

alibi fut démonté à la suite de ces vérifications.  Enfin, il convient

de souligner que les nombreux recours exercés par le requérant et qui

ont été relatés plus haut ont considérablement alourdi la procédure.

      Pour ce qui est du comportement des autorités judiciaires, le

Gouvernement estime que celles-ci ont fait preuve pendant toute la

durée de la procédure, de la plus grande célérité consacrant toute

l'attention nécessaire à l'instruction de l'affaire.

      Le Gouvernement note que de très nombreux interrogatoires ont eu

lieu et les juges d'instruction saisis du dossier ont organisé de

nombreuses confrontations et entendu des témoins.  Il observe que

l'attitude de l'inculpé a, comme cela a déjà été dit, conduit le juge

à procéder à de nouveaux actes d'investigation.  Se référant à

l'affaire B. c/ Autriche (Cour Eur. D.H., arrêt du 28 mars 1990, série

A n° 175), le Gouvernement considère qu'en l'espèce l'attitude des

autorités judiciaires a été dictée par la volonté de faire toute la

lumière sur l'affaire dans laquelle le requérant a été mis en cause.

      Le requérant, pour sa part, se limite à renvoyer la Commission

au contenu de deux coupures de presse rendant compte de son procès.

      La Commission note que le requérant a été inculpé le 20 mars

1987, qu'il a été renvoyé devant la cour d'assises du département de

la Somme le 10 août 1990 et que cette dernière a rendu son arrêt le 19

avril 1991.  Le requérant ne s'étant pas pourvu en cassation, l'arrêt

de la cour d'assises constitue en l'espèce la décision définitive.  La

procédure a donc duré quatre ans et 29 jours.

      La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée

de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de

l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités

judiciaires (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série

A n° 51, p. 35, par. 80).

      La Commission estime que cette partie de la requête pose de

sérieuses questions de fait et de droit concernant la durée de la

procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la

requête, mais nécessitent un examen au fond.

      Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal

fondée sur ce point au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

      La Commission constate en outre que cette partie de la requête

ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

3.    Le requérant se plaint de ne pas avoir obtenu du juge

d'instruction une confrontation générale avec tous les témoins et

invoque la violation de l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la

Convention qui énonce que "tout accusé a droit notamment à : interroger

ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et

l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que

les témoins à charge".

      Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la

question de savoir si les faits présentés par le requérant révèlent

l'apparence d'une violation de la Convention.  Le requérant a, en

effet, omis de se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour

d'assises d'Amiens du 19 avril 1991 et n'a, dès lors, pas épuisé, comme

l'exige l'article 26 (art. 26) de la Convention, les voies de recours

internes qui lui étaient ouvertes en droit français.  Il s'ensuit que

le grief doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 3

(art. 27-3) de la Convention.

4.    Le requérant se plaint de la violation de l'article 5 par. 4

(art. 5-4) de la Convention qui dispose que

      "Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention

      a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il

      statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne

      sa libération si la détention est illégale."

      Toutefois, la Commission constate tout d'abord que le requérant

n'étaye son grief d'aucun élément sérieux.  Au demeurant, elle note que

les nombreuses demandes de mise en liberté présentées par le requérant

durant sa détention provisoire ont toutes été examinées par les

juridictions compétentes dans des délais qui peuvent être qualifiés de

brefs.

      Il s'ensuit que, sous ce rapport, le grief doit être rejeté comme

étant manifestement dépourvu de fondement au sens de l'article 27 par.

2 (art. 27-2) de la Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité

      DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du

      requérant concernant la durée de la détention provisoire et la

      longueur de la procédure,

      DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE quant au surplus.

  Le Secrétaire de la                        Le Président de la

    Deuxième Chambre                           Deuxième Chambre

     (K. ROGGE)                                  (S. TRECHSEL)

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Commission, ARTIAGA c. la FRANCE, 2 septembre 1992, 17853/91