CEDH, Commission, ARTIAGA c. la FRANCE, 2 septembre 1992, 17853/91
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 2 sept. 1992, n° 17853/91 |
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Numéro(s) : | 17853/91 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 15 janvier 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24969 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:0902DEC001785391 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17853/91
présentée par Luis Fernand ARTIAGA
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 septembre 1992 en
présence de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 15 janvier 1991 par Luis Fernand
ARTIAGA contre la France et enregistrée le 27 février 1991 sous le No
de dossier 17853/91 ;
Vu la décision de la Commission, en date du 4 juillet 1991 de
porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et
d'inviter celui-ci à présenter ses observations sur la recevabilité et
le bien-fondé des griefs présentés au titre des articles 5 par. 3 et
6 par. 1 de la Convention concernant la durée de la détention
provisoire et la longueur de la procédure pénale ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
20 décembre 1991 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 5 mai 1992 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer de la manière suivante.
Le requérant, né en 1951 à Saragosse, est titulaire de la double
nationalité française et espagnole. Lors de l'introduction de sa
requête devant la Commission, il était détenu au centre pénitentiaire
de Sainte Geneviève des Bois.
Le 19 novembre 1986, au cours d'un vol à main armée contre le
Crédit Agricole de Longpré-les-Corps-Saints (Somme), un officier de
gendarmerie fut sérieusement blessé. Les auteurs du vol furent arrêtés
et l'un d'eux accusa le requérant de leur avoir fourni les munitions
et armes utilisées pour perpétrer le délit. Le requérant était
interpellé le 18 mars 1987. Inculpé d'association de malfaiteurs et
de complicité de vol avec port d'arme, le requérant fut placé en
détention provisoire selon mandat de dépôt du juge d'instruction
d'Abbeville daté du 20 mars 1987.
Le requérant déposa près du juge d'instruction d'Abbeville de
nombreuses demandes de mise en liberté s'étalant sur une période allant
du mois de mars 1987 à mai 1990 (voir en annexe II le tableau
récapitulatif de ces demandes). Elles furent toutes rejetées tant par
le juge d'instruction que par la chambre d'accusation de la cour
d'appel d'Amiens en raison des risques de pression sur les témoins, de
l'insuffisance des garanties de représentation, de la gravité des
charges pesant contre le requérant et pour préserver l'ordre public.
A plusieurs reprises pendant cette période, le requérant se pourvut
sans succès en cassation contre des arrêts de la chambre d'accusation
(voir annexe II).
Le 12 février 1990, le requérant se vit notifier une ordonnance
de prolongation de la détention provisoire d'une année. Il en
interjeta appel auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel
d'Amiens qui, par arrêt du 27 février 1990, confirma l'ordonnance
attaquée. Dans cet arrêt, la cour notait que "fort curieusement lors
d'un interrogatoire du 12 février 1990 ... [le requérant] a déclaré se
souvenir à présent de son emploi du temps trois ans plus tôt pendant
les journées des 17 et 18 novembre 1986, d'où résulterait selon lui un
alibi et sa mise hors de cause ...". La cour ajoutait que "cet élément
nouveau va entraîner des vérifications qui rendent indispensable le
maintien en détention [du requérant] puisqu'il s'agit de l'unique moyen
d'empêcher des pressions". Le pourvoi en cassation fut rejeté par
arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 1990.
Le requérant présenta le 28 mai 1990 une nouvelle demande de mise
en liberté qui fut rejetée par ordonnance du juge d'instruction du 30
mai 1990. Le requérant en releva appel auprès de la chambre
d'accusation sur le fondement de l'article 5 par. 3 de la Convention.
Après avoir constaté que l'alibi invoqué par l'inculpé le 12 février
1990 n'avait pas pu être confirmé au vu des vérifications effectuées,
la chambre d'accusation rejetait l'appel par arrêt du 19 juin 1990 et
justifiait la durée de la procédure et de la détention provisoire aux
motifs suivants :
"... la durée de l'information - qui est à présent terminée et en
voie de règlement - s'explique par le nombre de prévenus et des
faits sur lesquels elle porte, même si [le requérnat] n'est mêlé
qu'à l'un d'eux, et par la multiplicité des actes d'instruction
nécessaires, compte tenu notamment des systèmes de défense des
uns et des autres.
"... qu'il subsiste des charges sérieuses contre l'intéressé et que
le moyen pris du dépassement du délai raisonnable doit être
écarté ;
"... que s'agissant d'une participation déterminante, par fourniture
d'armes de guerre, à des faits qui ont gravement troublé l'ordre
public et qui ont été suivis d'un échange de coups de feu au
cours duquel un officier de la gendarmerie a été sérieusement
blessé, le maintien en détention de l'intéressé continue à
s'imposer pour préserver l'ordre public de ce trouble ; ...."
Le requérant soumit l'arrêt de rejet à la censure de la Cour de
cassation en se fondant sur l'article 5 par. 3 de la Convention.
Celle-ci rejeta le pourvoi le 3 octobre 1990 en estimant
"... qu'après avoir analysé les indices et présomptions motivant
l'incuplation [du requérant] des chefs d'association de
malfaiteurs, de complicité de vol avec port d'armes en raison du
rôle qui lui est imputé dans un vol commis le 19 novembre 1986,
la chambre d'accusation énonce que la durée de l'information
maintenant terminée et en voie de règlement, s'explique par la
complexité du dossier tenant à la multiplicité des faits, au
nombre des inculpés qui a necessité de nombreux actes
d'instruction compte tenu de leur système respectif de
défense ; qu'au vu de ces éléments elle estime qu'il n'y a pas
eu dépassement du délai raisonnable prévu par la Convention
susvisée ; ..."
L'arrêt de la Cour de cassation considéra de surcroît que la
décision de la cour d'appel était régulière au regard des articles 144
et 145 du Code de procédure pénale (voir annexe I).
Par ordonnance du 25 juin 1990, le juge d'instruction transmit
le dossier à la chambre d'accusation.
Par arrêt daté du 10 août 1990, la chambre d'accusation de la
cour d'appel d'Amiens renvoya le requérant devant la cour d'assises du
département de la Somme sous l'accusation de complicité de vols avec
port d'arme.
Considérant en particulier que les éléments constitutifs de
l'infraction susceptibles d'être qualifiés de crime n'étaient pas
réunis, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. La Cour
de cassation, par arrêt motivé, rejeta le pourvoi le 18 décembre 1990.
Par ailleurs, le requérant introduisit devant la chambre
d'accusation une nouvelle demande de mise en liberté le 15 octobre 1990
en invoquant à nouveau l'article 5 par. 3 de la Convention qui fut
rejetée le 30 octobre 1990 pour les mêmes motifs que ceux invoqués ci-
dessus.
Par arrêt du 19 avril 1991, la cour d'assises d'Amiens condamna
le requérant à cinq années de réclusion criminelle. Le requérant a été
libéré le 21 avril 1991.
S'agissant de l'instruction de l'affaire, un état récapitulatif
des actes de procédure produit par le Gouvernement figure en annexe III
à la présente décision.
GRIEFS
Le requérant se plaint de la longueur de sa détention provisoire
et de la durée de la procédure pénale diligentée contre lui depuis son
inculpation le 20 mars 1987. Il invoque les articles 5 par. 3 et 6 par.
1 de la Convention. Il estime également que le droit au respect de la
présomption d'innocence est violé du fait de la durée de la détention
provisoire et invoque l'article 6 par. 2 de la Convention. Le
requérant se plaint de ne pas avoir obtenu du juge d'instruction une
confrontation générale avec tous les témoins et invoque l'article 6
par. 3 d) de la Convention. Il se plaint enfin de la violation de
l'article 5 par. 4 de la Convention sans étayer son grief.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 15 janvier 1991 et enregistrée le
27 février 1991.
Le 4 juillet 1991, la Commission a décidé de donner connaissance
de la requête au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par
écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs
tirés de la durée excessive de sa détention provisoire (art. 5 par. 3)
et de la longueur de la procédure (art. 6 par. 1 de la Convention).
Le 21 octobre 1991, le Gouvernement a demandé une prorogation de
délai au 20 décembre 1991, prorogation qui lui a été accordée le 6
novembre 1991 par le Président de la Commission.
Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le
20 décembre 1991.
Après plusieurs lettres de rappel, le requérant a présenté ses
observations en réponse le 5 mai 1992.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de la longueur de sa détention provisoire
et invoque l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
Cette disposition prévoit que :
"Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues
au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt
traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi
à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée
dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La
mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la
comparution de l'intéressé à l'audience."
Selon le requérant, cette durée porte également atteinte à son
droit à la présomption d'innocence garanti par l'article 6 par. 2
(art. 6-2) de la Convention.
Le Gouvernement soulève d'emblée une exception d'irrecevabilité
tirée de ce que l'épuisement des voies de recours internes ne serait
pas réalisé en l'espèce. A cet égard, il fait valoir que le requérant
ne s'est pas pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'assises
d'Amiens du 19 avril 1991.
La Commission quant à elle rappelle que l'épuisement des voies
de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que
pour autant qu'elles sont efficaces et suffisantes, c'est-à-dire
susceptibles de remédier à la situation dénoncée (voir Cour Eur. D.H.,
arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, Série A n° 12, p. 33,
par. 60 et arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, Série
A n° 77, p. 19, par. 39).
S'agissant d'un grief relatif à la durée d'une détention
provisoire, un recours ne peut être considéré comme efficace que s'il
peut être intenté en cours d'instance (cf. mutatis mutandis N° 8990/80,
déc. 6.7.1982, D.R. 29 p. 129 ; N° 10103/82, déc. 6.7.1984, D.R. 39
p. 186). A cet égard, la Commission relève d'emblée que pendant sa
détention provisoire, le requérant a formulé de nombreuses demandes de
mise en liberté. Elle observe que le requérant, dans son recours
d'appel auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens
contre la décision du juge d'instruction en date du 30 mai 1990
refusant sa mise en liberté, s'est référé expressément à l'article 5
par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Suite à l'arrêt de rejet du 19 juin
1990, le requérant s'est pourvu en cassation contre cette décision en
invoquant à nouveau le moyen tiré de la violation de la disposition
précitée de la Convention. Ce faisant, la Commission estime que le
requérant a fait usage des recours qui, en l'espèce, peuvent être
considérés comme efficaces et suffisants au regard de la règle de
l'épuisement des voies de recours de l'article 26 (art. 26) de la
Convention. Au demeurant, la Commission constate que le Gouvernement
défendeur n'a pas démontré en quoi le recours que le requérant aurait
dû, selon lui, utiliser pour répondre aux exigences de la condition
d'épuisement de l'article 26 (art. 26) était dans le présent cas
susceptible de remédier efficacement à la situation dénoncée.
Dans ces conditions, la Commission est d'avis que le requérant
a satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours
internes, conformément à l'article 26 (art. 26) de la Convention. Elle
estime dès lors que l'exception soulevée par le Gouvernement ne saurait
être retenue.
Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement observe que le
requérant a été privé de liberté du 18 mars 1987 au 19 avril 1991. Sa
détention provisoire a donc duré quatre ans, un mois et un jour.
Le Gouvernement fait remarquer que, pendant cette période, le
requérant a formé toutes les demandes de mise en liberté qui figurent
sur le tableau en annexe I et qui ont toutes été rejetées.
Pour le Gouvernement, le maintien en détention du requérant était
nécessaire.
Le Gouvernement note tout d'abord que toutes les demandes de mise
en liberté furent rejetées tant par le juge d'instruction que par la
chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens selon les cas en vue
d'empêcher des concertations frauduleuses et pressions préjudiciables
à la manifestation de la vérité, ou encore en raison de l'insuffisance
des garanties de représentation, de la gravité des charges pesant
contre le requérant s'agissant de fournitures d'armes ayant servi à des
agressions à main armée selon les méthodes du grand banditisme, et
enfin pour préserver l'ordre public.
Le Gouvernement fait observer que, dans son ordonnance du 25
septembre 1989, le juge d'instruction précise "qu'à la demande de
l'inculpé des vérifications sont en cours concernant des vérifications
d'emploi du temps", ce qui rend nécessaire le maintien en détention
puisque [le requérant] allègue "qu'un procès verbal a été faussement
établi" et qu'il est nécessaire de le maintenir en détention pour
éviter toute pression. Il note également que, dans son arrêt du 27
février 1990, sur appel de la décision du 12 février 1990, la chambre
d'accusation de la cour d'appel d'Amiens indique que "fort curieusement
lors d'un interrogatoire du 12 février 1990 ... [le requérant] a
déclaré se souvenir à présent de son emploi du temps trois ans plus tôt
pendant les journées des 17 et 18 novembre 1986, d'où résulterait selon
lui un alibi et sa mise hors de cause ...". Et la cour ajoute que "cet
élément nouveau va entraîner des vérifications qui rendent
indispensable le maintien en détention [du requérant] puisqu'il s'agit
de l'unique moyen d'empêcher des pressions".
Le Gouvernement estime qu'au vu des différents arrêts, les
circonstances de l'espèce n'étaient pas de nature à permettre une mise
en liberté du requérant.
Le Gouvernement précise que la lecture des décisions de refus de
mise en liberté fait apparaître des motivations analogues.
Il considère cependant qu'on ne saurait pourtant en conclure que
les juridictions saisies ont examiné la necessité de prolonger la
détention de manière abstraite. En effet, il faut tenir compte des
intervalles particulièrement rapprochés entre les différentes demandes
de mise en liberté et du fait que les raisons de s'opposer à la demande
ne pouvait varier d'un jour à l'autre.
Il observe que les magistrats ont procédé à un examen très strict
des conditions posées par l'article 144 du Code de procédure pénale et
ce par référence expresse aux éléments de l'affaire et compte tenu de
l'évolution du dossier.
Aussi, dans son ordonnance du 23 mai 1988, le juge d'instruction
vise-t-il la persistance de la mise en cause de l'inculpé au regard des
déclarations des co-inculpés. Dans celle du 7 avril 1990, il souligne
que des charges nouvelles résultent de courriers provenant d'un co-
inculpé. Enfin, dans son arrêt du 19 juin 1990, la chambre
d'accusation constate que l'alibi invoqué par l'inculpé n'a pu être
confirmé au vu des vérifications effectuées.
Le Gouvernement estime que, de manière générale, les magistrats
se sont essentiellement appuyés sur le risque de pression sur les
témoins et les co-accusés pour refuser la mise en liberté. A cet
égard, il précise que la mise en cause du requérant provenait des
accusations constantes portées à son encontre par M. H. et ce, tout au
long de l'information, lors des interrogatoires et des confrontations
pratiqués par le magistrat instructeur. Il était donc nécessaire de
maintenir le requérant en détention pour l'empêcher d'exercer des
pressions sur ses accusateurs.
Le Gouvernement observe, par ailleurs, comme cela résulte de
l'arrêt du 27 février 1990 précité, que l'inculpé devait, le 12 février
1990, invoquer pour la première fois un alibi (soit trois ans après sa
première déclaration) qui s'est avéré infondé mais qui justifiait le
maintien en détention pour en vérifier l'authenticité.
Concernant le motif tiré du trouble à l'ordre public résultant
de la gravité du crime commis, le Gouvernement rappelle que la Cour
européenne des Droits de l'Homme a admis que "par leur gravité
particulière et par la réaction du public à leur accomplissement,
certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à
justifier une détention provisoire (arrêt Letellier du 26 juin 1991,
série A n° 207, p. 21, par. 51).
Le Gouvernement estime que tel est le cas pour les attaques à
main armée et braquages de banque, faits de grand banditisme qui
troublent gravement l'ordre public et justifient la détention
provisoire des inculpés, notamment en raison du caractère prémédité et
organisé de cette délinquance.
Concernant la nécessité de garantir le maintien de l'inculpé à
la disposition de la justice, le Gouvernement rappelle que, selon la
jurisprudence de la Cour dans l'affaire Neumeister, le danger de fuite
doit être apprécié en fonction "d'un ensemble d'éléments tels le
caractère de l'intéressé, sa nationalité, son domicile, sa profession,
ses ressources, ses liens familiaux, permettant soit de le confirmer,
soit de le faire apparaître à ce point réduit qu'il ne peut justifier
une détention provisoire" (arrêt du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 39,
par. 10). En l'espèce, des considérations de fait rendaient le danger
de fuite particulièrement important : le requérant avait commis les
faits alors qu'il était sous contrôle judiciaire ; selon son casier
judiciaire, il avait été condamné à plusieurs reprises à des peines
sévères et ce pour des infractions du même type que celles qui lui sont
reprochées au cours de la présente procédure. Sans attache familiale
solide, sans travail régulier, puisque le requérant, au moment des
faits, s'était séparé de sa concubine et avait vendu son garage, il ne
bénéficiait pas de réelles garanties de représentation.
Pour le Gouvernement, il est clair que le requérant était en
relation avec le milieu du banditisme. Il suffit de voir dans quelles
conditions les agressions ont été réalisées, et notamment l'attitude
des malfaiteurs qui n'ont pas hésité à faire usage des armes fournies
par le requérant, blessant grièvement le commandant de l'unité du GIGN
(Gendarmerie).
Pour le Gouvernement, tous ces éléments rendaient le danger de
fuite particulièrement aigu et le maintien en détention était
nécessaire pour assurer les garanties de représentation du requérant
et ce d'autant qu'il encourait la réclusion criminelle à perpétuité.
La seule éventualité d'une condamnation était de nature à faire
craindre aux juridictions qui ont rendu ces décisions de voir le
requérant, en cas de remise en liberté, se soustraire par la fuite à
sa comparution ultérieure devant les juridictions d'instruction et de
jugement.
Le Gouvernement ajoute que si la Cour européenne des droits de
l'homme a jugé (dans son arrêt Neumeister précité) que le danger de
fuite ne pouvait pas s'apprécier uniquement par référence à la gravité
plus grande de la sanction dans la mesure où ce danger décroît
nécessairement avec le temps passé en détention en raison de
l'imputation probable de la durée de la détention provisoire ou celle
de la condamnation définitive, cette jurisprudence ne s'applique à
l'évidence qu'à des poursuites du chef d'infractions faisant encourir
des peines privatives de liberté relativement courtes et ne saurait
donc être invoqué par le requérant. Quant aux autres critères définis
par la Cour tels que la moralité ou le caractère de l'intéressé, ils
apparaissent comme particulièrement négatifs.
Le Gouvernement souligne enfin que les risques de pression sur
les témoins étaient particulièrement importants. En effet, les
présomptions qui pesaient sur le requérant résultaient essentiellement
du témoignage de K. et il était nécessaire de protéger ce témoin contre
d'éventuelles manoeuvres d'intimidation.
Le Gouvernement en conclut que le grief tiré de la violation de
l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention est dépourvu de
fondement.
Le requérant explique que, compte tenu de la condamnation à cinq
années de réclusion et eu égard au fait que la durée de sa détention
provisoire s'est prolongée pendant plus de quatre années, période
pendant laquelle il n'a pu bénéficier de réductions de peine, il a
purgé en réalité une peine privative de liberté supérieure à celle
qu'il aurait accomplie s'il avait été jugé avant.
La Commission note que le requérant a été interpellé le 18 mars
1987. Il a été maintenu en détention provisoire du 20 mars 1987
jusqu'à sa condamnation à cinq années de reclusion criminelle par la
cour d'assises d'Amiens le 19 avril 1991.
Le requérant a dont été détenu à titre provisoire pendant quatre
ans, un mois et un jour.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
de la détention doit s'apprécier eu égard aux principes consacrés par
les organes de la Convention (voir notamment Cour Eur. D.H., arrêt
Wemhoff du 27 juin 1968, série A n° 7, pp. 22, 25 et 26, par. 5
et 16 ; arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37,
par. 5 ; arrêt Matznetter du 10 novembre 1969, série A n° 10, p. 34,
par. 12), et récemment encore dans les requêtes N° 12369/86, Letellier
c/ France (rapport Comm. du 15 mars 1990), N° 12325/86, Kemmache c/
France (rapport Comm. du 8 juin 1990), N° 13319/87, Birou c/ France
(rapport Comm. du 17 avril 1991).
A présent la Commission est amenée à rechercher si, compte tenu
des circonstances de l'affaire en cause, le maintien du requérant en
détention provisoire pendant une durée de quatre ans, un mois et un
jour s'est prolongé au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article
5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur
ce point à la lumière de sa propre jurisprudence et de la jurisprudence
de la Cour européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que
cet aspect de la requête pose de sérieuses questions de fait et de
droit concernant la durée de la détention du requérant, qui ne peuvent
être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent
un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait
être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention. La Commission constate en outre que
cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif
d'irrecevabilité.
2. Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque
sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose
notamment que
"toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans
un délai raisonnable par un tribunal ... qui décidera ... du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle".
Comme pour le premier grief ci-dessus examiné, le Gouvernement
soulève l'exception d'irrecevabilité tirée de ce que le requérant
n'ayant pas formé de pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour
d'assises du 19 avril 1991, il n'aurait pas rempli la condition de
l'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 26
(art. 26) de la Convention.
Toutefois, la Commission, se référant en substance aux motifs
développés quant au premier grief, estime que la voie de droit suggérée
par le Gouvernement ne pouvait constituer en l'occurrence un recours
efficace au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il
s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours
internes soulevée par le Gouvernement français ne saurait être
accueillie favorablement.
Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement considère qu'aucune
violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne saurait être constatée.
S'appuyant sur la chronologie de la procédure (voir annexe III), il
ajoute qu'en raison du nombre d'inculpés et de l'existence de trois
agressions, l'affaire était complexe.
Le Gouvernement fait observer que de très nombreuses
investigations devaient être effectuées tant en ce qui concernait les
infractions commises qu'eu égard à la personnalité des individus qui
durent tous faire l'objet d'expertises psychiatriques et médico-
psychologiques. Par ailleurs, l'instruction était également relative
aux nombreux vols de véhicules automobiles perpétués pour faciliter la
commission de l'infraction. Il note qu'en raison de la contestation
des faits par le requérant, le juge d'instruction a dû procéder à de
nombreuses investigations pour vérifier les dires de l'inculpé et
notamment le caractère plausible de ses allégations contradictoires.
Le Gouvernement signale par ailleurs qu'un changement de juge
d'instruction est intervenu le 16 février 1988. Les deux magistrats
qui se sont succédés ont dû prendre connaissance d'un dossier complexe.
Le Gouvernement admet que si l'inculpé n'a pas à pâtir des changements
de juge qui peuvent intervenir au cours de la procédure, de tels
changements ne témoignent pas d'un dysfonctionnement du service public
de la justice pourvu qu'ils n'interviennent pas à intervalles trop
brefs, ce qui ne fut pas le cas.
Quant à l'attitude du requérant, le Gouvernement note que ce
dernier a maintenu tout au long de l'instruction ses dénégations,
malgré les accusations constantes portées à son encontre par M. K. tout
au long de l'information. Face à ces accusations, le requérant a
adopté un système de défense basé sur la volonté prétendue des
enquêteurs et de M. K. de lui nuire. C'est notamment ce qu'il
déclarait au juge d'instruction, les 16 février et 16 décembre 1988.
Mais surtout, le 12 février 1990, le requérant devait, pour la première
fois, invoquer un alibi (en l'espèce, il soutenait se trouver au moment
des faits reprochés en compagnie d'un certain B. J.).
Le Gouvernement fait remarquer qu'il a fallu procéder à de
nouvelles investigations pour vérifier la réalité de cet alibi qui
retardèrent le règlement du dossier. Le Gouvernement précise que cet
alibi fut démonté à la suite de ces vérifications. Enfin, il convient
de souligner que les nombreux recours exercés par le requérant et qui
ont été relatés plus haut ont considérablement alourdi la procédure.
Pour ce qui est du comportement des autorités judiciaires, le
Gouvernement estime que celles-ci ont fait preuve pendant toute la
durée de la procédure, de la plus grande célérité consacrant toute
l'attention nécessaire à l'instruction de l'affaire.
Le Gouvernement note que de très nombreux interrogatoires ont eu
lieu et les juges d'instruction saisis du dossier ont organisé de
nombreuses confrontations et entendu des témoins. Il observe que
l'attitude de l'inculpé a, comme cela a déjà été dit, conduit le juge
à procéder à de nouveaux actes d'investigation. Se référant à
l'affaire B. c/ Autriche (Cour Eur. D.H., arrêt du 28 mars 1990, série
A n° 175), le Gouvernement considère qu'en l'espèce l'attitude des
autorités judiciaires a été dictée par la volonté de faire toute la
lumière sur l'affaire dans laquelle le requérant a été mis en cause.
Le requérant, pour sa part, se limite à renvoyer la Commission
au contenu de deux coupures de presse rendant compte de son procès.
La Commission note que le requérant a été inculpé le 20 mars
1987, qu'il a été renvoyé devant la cour d'assises du département de
la Somme le 10 août 1990 et que cette dernière a rendu son arrêt le 19
avril 1991. Le requérant ne s'étant pas pourvu en cassation, l'arrêt
de la cour d'assises constitue en l'espèce la décision définitive. La
procédure a donc duré quatre ans et 29 jours.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de
l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités
judiciaires (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série
A n° 51, p. 35, par. 80).
La Commission estime que cette partie de la requête pose de
sérieuses questions de fait et de droit concernant la durée de la
procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la
requête, mais nécessitent un examen au fond.
Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal
fondée sur ce point au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la
Convention.
La Commission constate en outre que cette partie de la requête
ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
3. Le requérant se plaint de ne pas avoir obtenu du juge
d'instruction une confrontation générale avec tous les témoins et
invoque la violation de l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la
Convention qui énonce que "tout accusé a droit notamment à : interroger
ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et
l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que
les témoins à charge".
Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la
question de savoir si les faits présentés par le requérant révèlent
l'apparence d'une violation de la Convention. Le requérant a, en
effet, omis de se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour
d'assises d'Amiens du 19 avril 1991 et n'a, dès lors, pas épuisé, comme
l'exige l'article 26 (art. 26) de la Convention, les voies de recours
internes qui lui étaient ouvertes en droit français. Il s'ensuit que
le grief doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 3
(art. 27-3) de la Convention.
4. Le requérant se plaint de la violation de l'article 5 par. 4
(art. 5-4) de la Convention qui dispose que
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention
a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il
statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne
sa libération si la détention est illégale."
Toutefois, la Commission constate tout d'abord que le requérant
n'étaye son grief d'aucun élément sérieux. Au demeurant, elle note que
les nombreuses demandes de mise en liberté présentées par le requérant
durant sa détention provisoire ont toutes été examinées par les
juridictions compétentes dans des délais qui peuvent être qualifiés de
brefs.
Il s'ensuit que, sous ce rapport, le grief doit être rejeté comme
étant manifestement dépourvu de fondement au sens de l'article 27 par.
2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité
DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du
requérant concernant la durée de la détention provisoire et la
longueur de la procédure,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE quant au surplus.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
Textes cités dans la décision