CEDH, Commission, VAN WIJCK c. la BELGIQUE, 2 décembre 1992, 17123/90
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 2 déc. 1992, n° 17123/90 |
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Numéro(s) : | 17123/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 31 août 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25073 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:1202DEC001712390 |
Texte intégral
PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17123/90
présentée par Richard VAN WIJCK
contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 décembre 1992 en présence
de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 31 août 1991 par Richard VAN WIJCK
contre la Belgique et enregistrée le 5 septembre 1990 sous le No de
dossier 17123/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant belge, né en 1938. Devant la
Commission, il est représenté par Me X. Magnée, avocat au barreau de
Bruxelles.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le
requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 25 novembre 1982, des poursuites furent intentées contre
diverses personnes dont le requérant, suite à la faillite de la société
C. dont le requérant était président.
Par ordonnance du 28 octobre 1988, la chambre du conseil du
tribunal de première instance de Bruxelles renvoya le requérant devant
le tribunal correctionnel de Bruxelles pour, entre autres, banqueroute
simple, banqueroute frauduleuse, faux et usage de faux. Cette
ordonnance fut ultérieurement confirmée par la chambre des mises en
accusation de la cour d'appel de Bruxelles en date du 19 janvier 1989
et la Cour de cassation rejeta un pourvoi en cassation introduit contre
l'arrêt de la chambre des mises en accusation en date du 31 mai 1989.
Le tribunal correctionnel de Bruxelles commença l'examen de
l'affaire le 5 mai 1989. A l'audience du 12 mai 1989, l'avocat du
requérant déposa devant le tribunal un document émanant de la Sûreté
de l'Etat (service dépendant du ministre de la Justice et chargé de la
défense de la sûreté intérieure et extérieure du pays). Ce document
aurait été déposé dans la boîte aux lettres de l'avocat du requérant.
Il apparaît qu'un autre avocat aurait également reçu un exemplaire de
ce document dans sa boîte aux lettres. Ce dernier avocat expliqua
ultérieurement qu'il ignorait totalement la provenance du document et
qu'il avait aussitôt pris contact avec le substitut du procureur du Roi
G. avec lequel il était en contact dans le cadre d'une autre affaire
pénale, précisant qu'il n'ignorait pas que si cette pièce était
authentique, sa soustraction d'un service de l'Etat ne pouvait avoir
comme origine qu'un délit de violation du secret professionnel.
Ce document, daté du 14 avril 1983, avait été rédigé par un
fonctionnaire non identifié qui relatait avoir agi suite à des
instructions verbales de l'administrateur-adjoint de la Sûreté. Une
partie de ce document de quatre pages était consacrée à la faillite de
la société C. Un paragraphe était ainsi rédigé :
"Pour ce qui concerne les aspects purement judiciaires de
l'affaire, nous n'avons pas eu accès au dossier proprement dit,
l'instruction se poursuivant ; néanmoins, les pièces que la
P.J.P. <police judiciaire> nous a officieusement permis de
consulter suffisent à fonder une opinion. A toutes fins utiles,
nous avons sélectionné un pro justicia d'audition où le témoin
relate avec assez de précisions les pratiques utilisées par Van
Wijck et consorts ; y apparaît également comment Van Wijck et D.
se rejettent mutuellement les responsabilités, ce qu'ils n'ont
cessé de faire depuis lors par media interposés."
Une autre partie de la note concernait trois associations sans
but lucratif dont faisait partie le requérant ou certaines de ses
relations. Le rédacteur de la note signalait qu'il joignait en annexe
un rapport de la police judiciaire de 1971 montrant les relations entre
les trois associations.
Lorsque l'avocat du requérant déposa ce document le 12 mai 1989,
le Procureur du Roi G., représentant du ministère public dans
l'affaire, signala qu'il avait pris connaissance de cette note depuis
quelques jours et qu'aucune information judiciaire distincte n'avait
été ouverte à cet égard.
Le 17 mai 1989, le requérant déposa plainte avec constitution de
partie civile contre personne inconnue pour violation du secret de
l'instruction, vol de document et recel.
Dans ses conclusions déposées devant le tribunal correctionnel
chargé de se prononcer sur les poursuites engagées contre lui, le
requérant demanda, entre autres, au tribunal correctionnel de constater
la nullité et l'irrecevabilité des poursuites en raison de la violation
du secret de l'instruction par la police judiciaire puisque celle-ci
avait permis à un fonctionnaire de la Sûreté d'avoir accès à certaines
pièces du dossier répressif.
Par jugement du 28 juin 1989, le tribunal correctionnel de
Bruxelles rejeta la demande de nullité des poursuites, constatant entre
autres que la partie poursuivante n'avait tiré aucun argument de la
note litigieuse et rappelant qu'une violation du secret de
l'instruction, à la supposer établie, n'entraînait pas ipso facto la
nullité et l'irrecevabilité des poursuites. Il écarta également la note
des débats, estimant que celle-ci n'avait "aucun égard par rapport aux
faits dont il <était> saisi". Le tribunal déclara ensuite le requérant
coupable de faits de banqueroute simple et frauduleuse, faux et usage
de faux. Elle le condamna à une peine d'emprisonnement de 15 mois avec
sursis. Le requérant fit appel de ce jugement.
Par arrêt du 6 octobre 1989, la cour d'appel de Bruxelles rejeta
une demande d'irrecevabilité des poursuites pour violation du secret
de l'instruction. La Cour estima qu'à la supposer authentique, ladite
note était manifestement sans incidence sur le déclenchement des
poursuites et sur les preuves qui avaient été réunies. Elle constata
en outre qu'il n'était nullement établi que la Sûreté ait exercé une
influence quelconque sur les devoirs accomplis par la police
judiciaire. Elle rappela enfin qu'à la supposer établie, une violation
du secret de l'instruction n'entraînait pas ipso facto la nullité ou
l'irrecevabilité des poursuites, le juge du fond n'étant pas celui de
la régularité des poursuites. La Cour rejeta également une demande de
surseoir à l'examen de l'affaire jusqu'à la clôture de l'instruction
ouverte suite à sa plainte du 17 mai 1989. Elle confirma ensuite la
condamnation prononcée en première instance.
Le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre l'arrêt
du 6 octobre 1989. Dans un premier moyen, il allégua qu'il y avait
prescription pour certains faits retenus à sa charge par la cour
d'appel, à savoir un faux relatif à des prêts consentis aux époux P.,
faux commis par des actes des 16 juillet 1981, 16 septembre 1981 et 16
mars 1982. Il expliqua que le dernier acte faisant courir la
prescription remontait au 18 avril 1983, date à laquelle les époux P.
avaient été mis en demeure de payer. Dans un second moyen, il souleva,
d'une part, qu'en violation de l'article 97 de la Constitution, la cour
d'appel n'avait pas répondu à un moyen de défense dans lequel il
exposait que le dossier répressif n'était pas complet car il n'y
figurait pas le rapport de la police judiciaire de 1971 qui était joint
à la note du 14 avril 1983 et qui jetait un jour très défavorable sur
sa personne.
Il souleva, d'autre part, qu'en refusant d'écarter des débats la note
du 14 avril 1983 et d'accéder à sa demande de surséance, la cour
d'appel avait violé les droits de la défense ainsi que l'article 6 de
la Convention qui garantit les principes du procès équitable et de
l'indépendance et de l'impartialité des juges.
Par arrêt du 7 mars 1990, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
En ce qui concerne le premier moyen, elle releva
"Attendu que l'usage de faux se continue, même sans fait nouveau
de l'auteur du faux et sans intervention itérative de sa part,
tant que le but qu'il visait n'est pas entièrement atteint et
tant que l'acte initial qui lui est reproché achève d'engendrer
à son profit, sans qu'il s'y oppose, l'effet utile qu'il en
attendait ;
Attendu que l'arrêt énonce que le contrat de prêt visé à la
prévention A 3, "dont (le demandeur) ne conteste pas le caractère
de faux matériel, a manifestement été fait dans l'intention
notamment de dissimuler aux yeux des tiers, bailleurs de fonds,
créanciers et associés, un usage de fonds sociaux non conforme
aux fins de la société, dans l'intérêt direct du demandeur (...);
que ce faux porte préjudice auxdits tiers, à la société ainsi
qu'aux (époux) P. eux-mêmes qui s'exposaient à devoir rembourser
des fonds qu'ils n'avaient jamais empruntés" ; qu'il constate
aussi que "l'usage du faux s'est poursuivi tant qu'on a caché à
la curatelle et à la justice l'existence du prélèvement sur la
trésorerie de la société anonyme C. : que le faux (...) n'a cessé
de produire (les effets recherchés par ses auteurs) que le 7
novembre 1983 lorsque les curateurs l'ont dénoncé au juge
d'instruction" ;
Qu'ainsi la cour d'appel à légalement justifié sa décision que
l'usage de ce faux s'était prolongé jusqu'à cette date du 7
novembre 1983 et que la prescription de l'action publique avait
été régulièrement interrompue le 5 novembre 1986 par l'acte
qu'elle indique ;
La Cour se prononça ainsi sur le second moyen présenté par le
requérant :
"Sur les deux branches réunies :
Attendu que l'arrêt constate que le demandeur "produit la
photocopie d'une note destinée à l'administrateur-directeur
général de la Sûreté de l'Etat (...), texte auquel auraient été
annexées" d'autres photocopies de documents relatifs aux
"pratiques" du demandeur ;
Que l'arrêt énonce "qu'à supposer que le document (...) soit la
véritable photocopie d'une note, elle-même authentique, encore
les poursuites exercées contre (le demandeur) n'en seraient-elles
pas viciées pour autant ; que cette note datée du 14 avril 1983
est manifestement sans incidence sur le déclenchement des
poursuites en date du 25 novembre 1982 et sur les preuves
qu'elles ont réunies ; (...) qu'il n'est nullement établi que la
Sûreté aurait exercé une influence quelconque sur les devoirs
accomplis par la police judiciaire ; (...) qu'en l'espèce le
dossier ne contient aucune preuve obtenue illégalement" ;
Attendu qu'il s'en déduit que l'arrêt considère que ladite note
qu'elle soit authentique ou non, qu'elle révèle ou non la
violation du secret professionnel ou du secret de l'instruction,
est sans incidence tant sur la recevabilité des poursuites que
sur le déroulement régulier du procès ;
Qu'ainsi l'arrêt répond aux conclusions visées à la première
branche du moyen et décide, sans violer les dispositions légales
et les principes généraux du droit indiqués dans la seconde
branche du moyen, "qu'il n'y a dès lors pas lieu de rejeter cette
photocopie des débats ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que <le
requérant> ait eu communication du dossier ouvert sur la plainte
en violation du secret professionnel" ;
Que le moyen, en ces branches, ne peut être accueilli."
Le 14 octobre 1991, le requérant déposa plainte avec constitution
de partie civile contre inconnu pour faux et usage de faux. Cette
plainte était également fondée sur la note du 14 avril 1983. Dans sa
plainte, le requérant s'expliquait en ces termes :
"Le dossier répressif <de l'instruction ouverte suite à sa
plainte du 17 mai 1989> a permis d'établir que, le 9 décembre
1983, l'administrateur adjoint de la Sûreté, Monsieur D., avait
pris connaissance de la note du 14 avril 1983, sans avoir jamais
donné d'instructions verbales pour que cette note soit rédigée,
en telle manière qu'il est inexact de dire, dans le corps de
cette note, qu'elle aurait été établie, sous le couvert de
Monsieur l'administrateur-adjoint et rédigée suite à ses
instructions verbales.
Le dossier répressif révèle également que la note du 14 avril
1983 ne serait entrée dans le dossier de Richard van Wijck à la
Sûreté que le 2 janvier 1984.
Le dossier répressif permet également d'établir que les pièces
du dossier de l'instruction n'ont pas été communiquées à la
Sûreté avec la permission de la Police judiciaire, contrairement
à ce que dit la note qui affirme mensongèrement 'les pièces que
la P.J.P. nous a officieusement permis de consulter suffisent à
fonder une opinion'."
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant fait valoir
que "la note de la Sûreté trahit en l'espèce une violation délibérée
du secret de l'instruction par la police judiciaire, visée comme telle
dans son ensemble, laquelle est dès lors et à juste titre suspecte aux
yeux du requérant, comme est suspecte toute l'instruction, comme est
suspect l'ensemble du dossier, et comme est suspect dès lors le
tribunal <correctionnel> du manque d'équité" puisque le procès a "été
conduit sur base d'un dossier orienté. A tort également, le premier
juge a considéré pouvoir écarter purement et simplement cette note de
la Sûreté au motif qu'il n'aurait aucun égard pour elle par rapport aux
faits dont il était saisi", puisqu'il a, malgré tout, eu égard au
dossier répressif.
Le requérant soutient encore qu'en n'écartant pas des débats la
note du 14 avril 1983, "bien qu'elle [concerne] les faits reprochés au
requérant, et qu'elle [ait] pu, étant connue du parquet, exercer une
influence sur les réquisitions du ministère public devant le tribunal
correctionnel et la cour d'appel et sur l'instruction faite par ces
juridictions et les décisions prises par elles, l'arrêt <de la cour
d'appel> a statué sans avoir égard au doute légitime qui pouvait avoir
surgi dans l'esprit du requérant concernant le caractère équitable du
procès et l'impartialité des juges".
2. Le requérant se plaint en outre du fait que la cour d'appel ait
refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait connaissance du
dossier ouvert suite à sa plainte du 17 mai 1989 alors que ce dossier
était de nature à lui apporter des éléments de preuve relatifs à
l'authenticité de la note et au contenu des documents annexés. Il
semble invoquer à cet égard l'article 6 par. 1 de la Convention.
3. Le requérant se plaint également d'un défaut de motivation de
l'arrêt du 6 octobre 1989. Il explique que la cour d'appel n'a pas
répondu à son argument selon lequel le dossier répressif était
incomplet, en l'absence du rapport de la police judiciaire de 1971 qui
jetait un jour très défavorable sur sa personne.
4. Il soulève encore qu'en "utilisant des renseignements donnés par
la police judiciaire en violation du secret de l'instruction, la
Sûreté, qui relève du Premier ministre, a exprimé la culpabilité du
requérant avant une quelconque décision judiciaire", en violation de
l'article 6 par. 2 de la Convention qui garantit le droit à la
présomption d'innocence.
5. Le requérant se plaint en outre, sans apporter d'autres
précisions, "qu'avant qu'une décision définitive n'intervienne, le
substitut G. ayant requis devant le tribunal a déclaré par ailleurs à
la Chambre des représentants que le requérant faisait partie de
certaines associations de malfaiteurs, internationales, ayant pour but
criminel de piéger la justice et que son dossier aurait une corrélation
avec la banque Ambrosiano ou un sieur D., incivique notoire, toutes
corrélations inexistantes ; que cela a influencé les juges et faussé
le procès."
6. Le requérant semble également se plaindre du fait que les
juridictions belges aient fait une application incorrecte des règles
de la prescription en ce qui concerne les faux commis par actes des 16
juillet 1981, 16 septembre 1981 et 16 mars 1982.
7. Rappelant qu'à l'audience du 12 mai 1989 le procureur du Roi
avait reconnu avoir eu connaissance de cette note depuis quelques
jours, le requérant se plaint du fait qu'il ait omis de lui donner
connaissance de cette information. Il fait valoir qu'il n'a donc pas
disposé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et que
l'égalité des armes n'a pas été respectée. A cet égard, il invoque
l'article 6 par. 3 de la Convention et les droits de la défense.
8. Le requérant fait aussi valoir que la violation du secret de
l'instruction "est en fait, sur le terrain, une violation du secret des
communications entre l'accusé, le parquet de M. le procureur du Roi,
le juge d'instruction et les auxiliaires de police judiciaire
travaillant sous les directives de ce dernier". Invoquant l'article 8
de la Convention, il précise que l'ingérence de la Sûreté ne peut
satisfaire aux exigences du paragraphe 2 de cette disposition.
9. Il soulève également qu'on lui a attribué "de façon tendancieuse
des opinions d'extrême-droite de nature à jeter sur lui le discrédit,
à mettre le lecteur en condition, les activités purement politiques
prêtées au requérant étant d'ailleurs présentées comme l'explication
globale des infractions qui lui sont reprochées et qui sont présentées
comme autant de préventions établies avant même que la justice se soit
prononcée". Il se plaint que l'Etat ait, de la sorte, marqué une
intolérance pour sa liberté d'opinion en violation de l'article 10 de
la Convention.
10. Il fait aussi valoir que le délai raisonnable n'a pas été
respecté, dans la mesure où il a été condamné du chef d'avoir commis
un faux par des actes des 16 juillet 1981, 16 septembre 1981 et 16 mars
1982. Il ajoute que, pendant l'instruction, il n'a jamais été interrogé
sur ces faits par le juge d'instruction, ni inculpé par lui de ces
faits.
11. Le requérant fait enfin valoir qu'un avocat général à la Cour de
cassation a assisté aux délibérations de cette Cour préalablement à
l'arrêt rendu le 7 mars 1990. Eu égard à ce fait, il allègue qu'il n'a
pas eu droit à un procès équitable en violation de l'article 6 par. 1
de la Convention.
EN DROIT
1. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le
requérant fait valoir que compte tenu de la violation du secret de
l'instruction que constitue la note de la Sûreté, il n'a pas eu droit
à un examen équitable de sa cause par un tribunal impartial, car cette
circonstance a rendu suspecte toute la procédure dirigée contre lui.
Il ajoute que la cour d'appel aurait dû, comme il l'avait demandé,
surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait eu connaissance du dossier
ouvert suite à sa plainte du 17 mai 1989.
L'article 6 (art. 6) de la Convention garantit à toute personne
le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal
impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière
pénale dirigée contre elle.
La question de savoir si un procès est conforme aux exigences de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) doit être tranchée sur la base d'une
appréciation du procès dans son ensemble et non sur la base d'un
élément isolé, d'un incident ou d'un aspect particulier de ce procès.
La Commission renvoie à cet égard à sa jurisprudence constante (cf par
exemple N° 5574/72, déc. 21.3.75, D.R.3 p. 10 ; N° 11058/84, déc.
13.5.86, D.R. 47 p. 230).
La Commission a, par conséquent, examiné l'ensemble du procès du
requérant sur la base des informations fournies par lui. Elle rappelle
notamment que la note de la Sûreté a été portée à l'attention du
tribunal correctionnel qui a entendu une argumentation complète sur le
point de savoir si l'existence de cette note et la violation alléguée
du secret de l'instruction devaient entraîner la nullité et
l'irrecevabilité des poursuites. Le point litigieux a ensuite fait
l'objet d'une argumentation complète devant la cour d'appel qui a
prononcé un arrêt complet et motivé son arrêt sur la question, ainsi
que sur le point de savoir si cette circonstance exigeait de surseoir
à l'examen de l'affaire.
La Commission relève encore que tant le tribunal correctionnel
que la cour d'appel ont constaté que ladite note n'avait eu aucune
influence sur le déclenchement des poursuites et sur les preuves qui
avaient été réunies, la partie poursuivante n'ayant tiré aucun argument
de celle-ci. La cour d'appel a en outre constaté qu'il n'était
nullement établi que la Sûreté ait exercé une influence quelconque sur
les devoirs accomplis par la police judiciaire. Pour sa part, le
tribunal correctionnel a écarté des débats la note déposée au nom du
requérant, au motif qu'elle n'avait aucun rapport avec les faits dont
il était saisi.
La Commission relève par ailleurs que la Convention ne garantit
nullement le droit au secret de l'instruction.
Dans ces circonstances, la Commission estime que le requérant n'a
pas établi qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable pour faire
décider des accusations portées contre lui. Un examen de l'ensemble du
procès ne révèle dès lors aucune apparence de violation de l'article
6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Il s'ensuit que la requête est, sur ce point, manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint également d'un défaut de motivation de
l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 6 octobre 1989. Il explique
que la cour d'appel n'a pas répondu à son argument selon lequel le
dossier répressif était incomplet, en l'absence du rapport de la police
judiciaire de 1971 qui jetait un jour très défavorable sur sa personne.
Quant à ce grief, il semble invoquer l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention.
La Commission rappelle à cet égard qu'elle a déjà estimé que,
dans certaines circonstances spéciales, l'absence de motivation d'une
décision peut mettre en jeu le droit à un procès équitable que garantit
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Toutefois, lorsqu'un
tribunal expose ses motifs, il y a présomption que les exigences de
l'article 6 (art. 6) soient respectées. En outre, il ne découle pas de
cette disposition que les motifs exposés par une juridiction doivent
traiter en particulier de tous les points qu'une partie peut estimer
fondamentaux pour son argumentation. Une partie n'a pas le droit absolu
d'exiger du tribunal qu'il expose les motifs qu'il a de rejeter chacun
de ses arguments (N° 10857/84, déc. 15.7.86, D.R. 48 p. 106).
En l'espèce, la Commission constate d'abord que la cour d'appel
a longuement motivé son arrêt. Elle relève ensuite que la cour d'appel
a estimé, comme l'a relevé la Cour de cassation, que cette note était
sans incidence sur le déclenchement des poursuites et les preuves
qu'elles ont réunies. Elle note enfin que tout en faisant valoir devant
la cour d'appel que le dossier répressif était incomplet au motif que
n'y figurait pas le rapport de 1971 qui était annexé à l'original de
la note du 14 avril 1983, le requérant avait également demandé, de
façon semble-t-il contradictoire, à la cour d'appel d'écarter des
débats la copie de la note du 14 avril 1983 déposée par son avocat de
première instance.
Eu égard à ces circonstances, la Commission ne décèle aucune
apparence de violation du droit à un procès équitable.
Il s'ensuit que le grief doit être rejeté comme manifestement mal
fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant soulève encore qu'en "utilisant des renseignements
donnés par la police judiciaire en violation du secret de
l'instruction, la Sûreté, qui relève du Premier ministre, a exprimé
<sa> culpabilité avant une quelconque décision judiciaire". Il invoque
l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention.
L'article 6 par. 2 (art. 6-2) dispose :
"Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie."
La Commission rappelle que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la
Convention s'adresse en premier lieu aux juridictions appelées à
statuer sur le bien-fondé d'une accusation. Néanmoins, cette
disposition ne se borne pas à énoncer une garantie à respecter par les
juridictions de jugement pendant le déroulement des instances
judiciaires (cf. Cour eur. D.H., arrêt Salabiaku du 7 octobre 1988,
série A n° 141-A, pp. 15-16, par. 28). Elle garantit également à tout
individu que les représentants de l'Etat ne pourront pas le traiter
comme coupable d'une infraction avant qu'un tribunal compétent n'ait
établi légalement sa culpabilité (cf. No 7986/77, déc. 3.10.78, D.R.
13 p. 73; No 9077/80, déc. 6.10.81, D.R. 26 p. 211; N° 10847/84, déc.
7.10.85, D.R. 44 p. 238). Ceci n'implique pas que les autorités doivent
s'abstenir d'informer le public des enquêtes pénales en cours mais
interdit une déclaration formelle de culpabilité (cf. No 8361/78, déc.
17.12.81, D.R. 27 p. 37).
A supposer que le requérant ait sur ce point épuisé les voies de
recours internes, la Commission estime que la seule circonstance que
la Sûreté ait pu avoir accès à certaines pièces du dossier répressif
ne révèle en soi aucune apparence de violation à la présomption
d'innocence garanti par l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention.
Par ailleurs, pour autant qu'il concerne les poursuites engagées
contre le requérant, le texte de la note du 14 avril 1983, document
interne à la Sûreté qui n'était pas destiné à être rendu public, ne
reflète aucune appréciation sur la culpabilité ou une vraisemblance de
culpabilité du requérant.
L'examen de ce grief ne permet donc de déceler aucune apparence
de violation de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint en outre, sans apporter d'autres
précisions, que le procès a été faussé par des déclarations qui
auraient été faites devant la chambre des représentants par un
représentant du ministère public quant à sa participation à certaines
associations de malfaiteurs.
A supposer que le requérant ait sur ce point épuisé les voies de
recours internes, la Commission constate qu'en l'absence d'autres
précisions, l'examen de ces allégations, non étayées du moindre
commencement de preuve, ne permet de déceler aucune apparence de
violation des droits garantis par la Convention, et en particulier par
son article 6 (art. 6).
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant semble également se plaindre du fait que les
juridictions belges aient fait une application incorrecte des règles
belges relatives à la prescription en ce qui concerne les faux commis
par actes des 16 juillet 1981, 16 septembre 1981 et 16 mars 1982.
Examinant le grief à la lumière de l'article 6 (art. 6) de la
Convention, la Commission rappelle qu'elle n'est pas compétente pour
examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit
prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la
mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une
atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. La
Commission se réfère sur ce point à sa jurisprudence constante (cf No
7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 34, 35). Par ailleurs,
l'application et l'interprétation du droit interne sont en principe une
question réservée à la compétence des juridictions nationales (cf No
10153/82, déc. 13.10.86, D.R. 49 pp. 67, 74).
En l'espèce, l'examen du grief n'a permis de déceler aucune
apparence de violation des droits et libertés garantis par la
Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
6. Invoquant l'article 6 par. 1 et 3 b) (art. 6-1, 6-3-b) de la
Convention, le requérant se plaint également d'une atteinte au principe
de l'égalité des armes et de n'avoir pas pu disposer des facilités
nécessaires à la préparation de la défense. Il explique que le
procureur du Roi aurait omis de lui donner connaissance de la note du
14 avril 1983 dont il avait eu connaissance avant l'audience du 12 mai
1989.
Il fait aussi valoir que le délai raisonnable n'a pas été
respecté dans la mesure où il a été condamné pour avoir commis un faux
par des actes des 16 juillet 1981, 16 septembre 1981 et 16 mars 1982.
Il ajoute qu'il n'a jamais été interrogé sur ces faits pendant
l'instruction par le juge d'instruction, ni inculpé par lui de ces
faits.
Il se plaint enfin de la violation des articles 8 et 10
(art. 8, 10) de la Convention eu égard à la violation du secret de
l'instruction intervenue lors de la procédure pénale dirigée contre
lui.
La Commission rappelle que la condition de l'épuisement des voies
de recours ne se trouve pas réalisée par le seul fait qu'un requérant
a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore
que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en
substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la
Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf par exemple No
10307/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 pp. 113, 127 ; No 12164/86, déc.
12.10.88, D.R. 58 pp. 63, 71 et, en ce qui concerne plus
particulièrement l'exigence du délai raisonnable garanti par l'article
6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, No 13411/87 et 15904/89, déc.
8.7.91, non publiée ; No 12192/86, déc. 6.3.91, non publiée).
En l'espèce, la Commission observe que le requérant n'a pas
formulé devant la Cour de cassation les griefs qu'il fait à présent
valoir devant la Commission. De plus, l'examen de l'affaire tel qu'elle
a été présentée, n'a permis de déceler aucune circonstance particulière
qui aurait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit
international généralement reconnus en la matière, de soulever ces
griefs dans la procédure susmentionnée.
Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ces
griefs, à la condition relative à l'épuisement des voies de recours
internes et que sa requête doit être rejetée, sur ce point,
conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
7. Le requérant fait enfin valoir qu'un avocat général à la Cour de
cassation a assisté aux délibérations de cette Cour préalablement à
l'arrêt rendu le 7 mars 1990. Eu égard à cette circonstance, il allègue
qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable en violation de l'article
6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
En l'état du dossier, la Commission estime ne pas être en mesure
de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de
porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement
belge par application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement
intérieur.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
AJOURNE l'examen du grief du requérant relatif à la participation
d'un membre du ministère public près la Cour de cassation au délibéré
de cette Cour,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire Le Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)