CEDH, Commission, MOREL-A-L'HUISSIER c. la FRANCE, 8 janvier 1993, 16532/90
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 8 janv. 1993, n° 16532/90 |
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Numéro(s) : | 16532/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 29 janvier 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Partiellement recevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25134 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0108DEC001653290 |
Texte intégral
FINALE
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 16532/90
présentée par Adrien MOREL-A-L'HUISSIER
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 8 janvier 1993 en présence
de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
MM. L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 29 janvier 1990 par Adrien MOREL-A-
L'HUISSIER contre la France et enregistrée le 30 avril 1990 sous le No
de dossier 16532/90 ;
Vu la décision partielle de la Commission en date du
25 février 1991 ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
12 juillet 1991 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 10 octobre 1991 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, né en 1924, est de nationalité française et réside
à Millau (Aveyron). Il est retraité de la fonction publique.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
Le requérant se présenta en 1972 à un concours de conseiller
principal d'éducation.
Ayant réussi le concours, il se plaignit de ne pas être affecté
à un poste correspondant à ses qualifications.
Le 4 janvier 1980, il se vit infliger un blâme par
l'administration qui lui reprochait deux abandons de poste.
Il obtint, par jugement rendu le 10 avril 1981 par le tribunal
administratif de Toulouse, l'annulation de cette sanction en raison de
l'irrégularité de la procédure disciplinaire.
Le 10 juillet 1981, le requérant adressa au ministre de
l'Education Nationale une demande en réparation de préjudices qu'il
aurait subis tant dans le déroulement de sa carrière que dans ses
conditions d'existence, en raison notamment du mauvais vouloir de
l'administration qui n'aurait pas fait disparaître de son dossier
administratif toutes les traces de la sanction disciplinaire annulée
par le tribunal administratif.
Le 14 décembre 1981, il saisit le tribunal administratif de
Toulouse de la décision implicite de rejet du ministre et sollicita une
indemnité de 580 000 francs en réparation des préjudices invoqués.
Le 29 septembre 1982, le juge administratif fit usage de son
pouvoir de mise en demeure à l'égard de l'administration et l'invita
à déposer rapidement ses observations, ce qu'elle fit moins d'un mois
plus tard.
Le tribunal administratif de Toulouse statua le 6 octobre 1983.
Il considéra notamment que l'exécution tardive par l'administration du
jugement du 10 avril 1981 constituait une faute de nature à engager la
responsabilité de l'Etat. Il estima toutefois que le requérant ne
justifiait d'aucun préjudice résultant du maintien à son dossier des
mentions de la sanction annulée, mais lui alloua une indemnité de
1 000 francs en réparation du préjudice qu'il avait subi en exerçant,
pendant trois ans, des attributions qui ne correspondaient pas à son
statut.
Le 9 décembre 1983, le requérant interjeta appel de ce jugement
devant le Conseil d'Etat et à titre subsidiaire, sollicita, à l'appui
de sa demande en réparation du préjudice de carrière, la production par
l'administration de son dossier administratif et d'un rapport
d'inspection dont il avait fait l'objet en 1975.
Examinant le prétendu préjudice de carrière subi par le
requérant, le Conseil d'Etat considéra notamment qu'il n'était pas
établi que le retrait tardif du blâme lui ait causé un tel dommage. Par
arrêt rendu le 12 juillet 1989, le Conseil d'Etat rejeta l'appel du
requérant.
GRIEFS
Le requérant se plaint, sous l'angle de l'article 6 par. 1 de la
Convention, de la durée de la procédure devant les juridictions
administratives et particulièrement devant le Conseil d'Etat.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 29 janvier 1990 et enregistrée le
30 avril 1990.
Le 25 février 1991, la Commission a décidé de porter la requête
à la connaissance du Gouvernement défendeur et d'inviter les parties
à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le bien-
fondé du grief soulevé au titre de l'article 6 par. 1 de la Convention,
portant sur la durée excessive de la procédure. Par la même décision,
elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
Le Gouvernement a transmis ses observations le 12 juillet 1991
après avoir bénéficié de deux prolongations du délai. Le requérant a
adressé ses observations en réponse le 10 octobre 1991, après avoir
bénéficié d'une prolongation du délai.
Par décision en date du 1er juillet 1991, la Commission a renvoyé
la requête à une Chambre.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la durée de la procédure administrative
en dommages-intérêts pour faute de l'administration, consistant en
l'exécution tardive d'un jugement annulant une sanction disciplinaire
prise à son égard. Il invoque les dispositions de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention qui garantit à toute personne le droit "à
ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un
tribunal ... qui décidera ... des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil...".
1. Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention. Il distingue la demande en réparation, de
caractère privé, de l'objet du litige devant les juridictions
administratives, qui porte sur une sanction disciplinaire infligée à
un fonctionnaire, et n'entraînerait pas, de ce fait, contestation sur
des droits de caractère civil.
Le requérant soutient au contraire que le droit en cause,
percevoir une indemnité pour faute de l'administration, consiste dans
la réparation pécuniaire d'un dommage patrimonial et revêt ainsi un
caractère civil.
La Commission rappelle que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention vaut pour les contestations relatives à des droits de
caractère civil que l'on peut dire, au moins de manière défendable,
reconnus en droit interne, qu'ils soient ou non protégés de surcroît
par la Convention (voir, entre autres, Cour eur. D.H., arrêt Neves e
Silva du 27 avril 1989, série A N° 153-A, p. 14, par. 37 ; arrêt
Editions Périscope du 26 mars 1992, série A N° 234-B, p. 11, par. 35).
Elle note qu'en l'espèce, la contestation entre l'administration
et le requérant n'avait plus trait à l'application du blâme, mais au
droit de percevoir une indemnité pour faute de l'Etat en raison de
l'exécution tardive par l'administration du jugement annulant le blâme.
Le droit revendiqué consistait ainsi, à la lumière de la jurisprudence
constante des organes de la Convention, dans la réparation pécuniaire
d'un dommage patrimonial ; il revêtait donc un "caractère civil",
nonobstant l'origine du litige et la compétence des juridictions
administratives (voir arrêt Neves e Silva précité, p. 14, par. 37).
Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par le
Gouvernement ne saurait être retenue.
2. Quant au fond, la Commission note que le requérant a formé le
10 juillet 1981 une demande en indemnisation auprès de son ministre de
tutelle. Suite au rejet implicite de cette demande, il a saisi, le
14 décembre 1981, le tribunal administratif de Toulouse qui a statué
le 6 octobre 1983. Le Conseil d'Etat, saisi le 9 décembre 1983, a
rejeté l'appel du requérant par arrêt rendu le 12 juillet 1989. La
procédure litigieuse a duré 7 ans et 7 mois devant les juridictions
administratives, dont 5 ans et 7 mois devant le Conseil d'Etat.
Le Gouvernement soutient que l'affaire s'est déroulée dans un
délai raisonnable au regard des critères dégagés par les organes de la
Convention. Il note en particulier que le tribunal administratif a fait
usage de son pouvoir de mise en demeure à l'égard de l'administration
et que la procédure devant cette juridiction a duré moins de deux ans.
Le Gouvernement ne fait aucune observation quant à la durée de la
procédure devant le Conseil d'Etat.
Le requérant fait observer que la durée de la procédure devant
le Conseil d'Etat révèle une carence inadmissible des autorités
judiciaires.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de
l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités
judiciaires (voir Cour eur. D.H., arrêt Vernillo du 20 février 1991,
série A N° 198, p. 12, par. 30 ; arrêt X c. France du 31 mars 1992, à
paraître dans série A N° 236).
Faisant application de ces critères et tenant compte des
circonstances propres à la présente affaire, la Commission estime que
la durée de la procédure litigieuse soulève des problèmes, qui
nécessitent un examen du fond de l'affaire.
En conséquence, elle ne saurait déclarer la requête manifestement
mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Elle constate d'autre part que la requête ne se heurte à aucun autre
motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond
réservés.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)