CEDH, Commission, J.V. c. la FRANCE, 31 mars 1993, 18847/91
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 31 mars 1993, n° 18847/91 |
---|---|
Numéro(s) : | 18847/91 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 19 juin 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | partiellement recevable ; partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25231 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0331DEC001884791 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 18847/91
présentée par J.V.
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
J.-C. GEUS
M. NOWICKI
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 19 juin 1991 par J.V. contre la
France et enregistrée le 24 septembre 1991 sous le No de dossier
18847/91 ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
22 septembre 1992 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 24 novembre 1992 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant français, né en 1940 à
Tourcoing. Au moment de l'introduction de la requête, il était détenu
à la maison d'arrêt de Nantes.
Devant la Commission, le requérant est représenté par Maître
François Xavier Gosselin, avocat au barreau de Rennes.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit (1).
Un vol à main armée fut perpétré le 10 décembre 1987 contre L.,
convoyeur de fonds. Le 21 décembre 1987, le procureur de la République
requit l'ouverture d'une instruction contre X.
Le 4 mars 1988, le juge d'instruction délivra une commission
rogatoire aux fins de surveillance de lignes téléphoniques. La ligne
d'un bar que fréquentait le requérant fut mise sur table d'écoutes à
17 heures et 12 minutes alors que la personne qualifiée pour procéder
à cette mise sous surveillance ne fut requise par l'officier de police
judiciaire compétent qu'à 18 heures. Les écoutes permirent de découvrir
qu'un nouveau vol était projeté, sans qu'il soit possible d'en
déterminer la date et le lieu.
Un autre cambriolage eut lieu au domicile de LA., soit dans
l'après-midi du 18 mars 1988, soit dans la nuit du 18 au 19 mars, les
faits ainsi que les horaires étant contestés par les accusés, et
notamment le requérant. Une voiture avait également été volée dans ce
but. Une nouvelle instruction fut ouverte le 24 mars 1988.
Arrêté et placé en garde à vue le 22 mars 1988, le requérant fut
inculpé, le 24 mars, de vol avec port d'armes, de vol qualifié, de vol
simple et de recel de vols et placé ce même jour en détention
provisoire à la maison d'arrêt de Rennes.
Le 24 juin 1988, le requérant fit l'objet d'un premier
interrogatoire.
Par ordonnance du 4 juillet 1988, fut ordonnée la jonction des
procédures concernant le vol du 10 décembre 1987 et celui du 18 ou 19
mars 1988. Ainsi, un même juge d'instruction se trouvait en charge de
ces affaires, ainsi que d'une autre affaire de vol à laquelle un
coïnculpé du requérant était soupçonné d'avoir participé. Outre le
requérant, cinq autres personnes étaient inculpées.
Le 23 décembre 1988, le magistrat instructeur fut remplacé par
un autre magistrat.
Le 19 juin, le 22 juin et le 23 novembre 1989 eurent lieu de
nouvelles confrontations entre les co-inculpés et des témoins.
___________
(1) Annexe : chronologie des actes de procédure.
---------------------- Le 26 juillet 1989, le juge d'instruction délivra une commission
rogatoire aux fins de vérifier les dires du requérant lors de son
premier interrogatoire du 24 juin 1988. Cette commission rogatoire, qui
aurait dû être exécutée pour le 1er octobre 1989, ne fut retournée que
fin avril de cette année.
Le 30 janvier et le 27 mars 1990 eurent lieu de nouvelles
confrontations.
Par ordonnance du 13 mars 1990, le juge d'instruction prolongea
la détention provisoire.
Le 12 septembre 1990 eut lieu la dernière confrontation entre les
coïnculpés et des témoins.
Le 28 septembre 1990, le procureur de la République rendit un
réquisitoire supplétif aux fins de nouvelles vérifications.
Le 7 novembre 1990, le parquet rendit son réquisitoire définitif.
L'affaire fut ensuite transmise à la chambre d'accusation de la cour
d'appel de Rennes. Par un arrêt du 10 janvier 1991, celle-ci renvoya
l'affaire devant la cour d'assises d'Ille et Vilaine.
Le requérant forma un pourvoi en invoquant la violation de
l'article 8 de la Convention. Par arrêt du 23 avril 1991, la Cour de
cassation le déclara déchu de son pourvoi car il n'avait pas déposé de
mémoire en temps utile.
L'un des coïnculpés du requérant forma également un pourvoi
contre l'arrêt de renvoi. Par arrêt du 23 avril 1991, la Cour de
cassation cassa l'arrêt et renvoya l'affaire devant la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Caen. Celle-ci rejeta l'ensemble des
moyens de procédure soulevés par le co-inculpé du requérant, qui forma
un nouveau pourvoi que la Cour de cassation rejeta par arrêt du 17
décembre 1991.
Le requérant présenta une première demande de mise en liberté
devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen, laquelle se
déclara incompétente par arrêt du 26 juin 1991.
Le 11 juillet 1991, le requérant présenta une nouvelle demande
de mise en liberté devant la chambre d'accusation de la cour d'appel
de Rennes, qui la rejeta par arrêt du 25 juillet 1991. Elle fit
référence au lourd passé judiciaire du requérant, au danger de fuite,
à la nécéssité d'éviter des pressions sur les témoins, ainsi qu'au
risque de trouble grave à l'ordre public qu'une libération
entrainerait.
Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt en
invoquant la violation de l'article 5 par. 3 de la Convention. Par
arrêt du 29 octobre 1991, la Cour de cassation cassa cet arrêt au motif
que la chambre d'accusation n'avait pas répondu aux articulations du
mémoire présenté par le requérant en ce qui concerne la durée de la
détention. Elle renvoya l'affaire devant la chambre d'accusation de la
cour d'appel de Caen.
Le 29 août 1991, la chambre d'accusation de la cour d'appel de
Rennes rejeta une nouvelle demande de mise en liberté. Le requérant
forma un pouvoi contre cette décision.
Le 16 janvier 1992, une autre demande de mise en liberté fut
rejetée par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes.
Le 22 janvier 1992, la chambre d'accusation de la cour d'appel
de Caen, saisie sur renvoi après cassation de l'arrêt de la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Rennes en date du 25 juillet 1991,
rejeta à son tour la demande de mise en liberté du requérant. Le
requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt, en invoquant
la violation des articles 3, 5 par. 3 et 6 par. 1 et 2 de la
Convention.
Par arrêt du 23 avril 1992, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi pour les motifs suivants:
"que, d'une part, (le requérant), qui n'a pas soutenu devant la
chambre d'accusation l'existence d'une prétendue violation de
l'article 3 de la Convention susvisée, moyen mélangé de fait et
de droit, ne saurait pour la première fois l'invoquer devant la
Cour de cassation; que, d'autre part, les juges se sont expliqués
comme ils le devaient sur la durée de la prolongation de la
détention; qu'enfin la Cour de cassation est en mesure de
s'assurer que le maintien de cette détention est justifié par une
décision motivée d'après des considérations de droit et de fait
par référence aux dispositions de l'article 144 du code de
procédure pénale".
Par un autre arrêt du 23 avril 1992, la Cour de cassation rejeta
le pourvoi formé contre l'arrêt du 16 janvier 1992 pour les mêmes
motifs.
Lors de l'audience de la cour d'assises, le requérant sollicita
l'audition d'un témoin à décharge qui n'avait pas été entendu par le
juge d'instruction mais seulement par la police. Les recherches
ordonnées par le président de la cour ne permirent pas de retrouver ce
témoin, de sorte que seule sa déposition fut lue à l'audience. D'autres
personnes furent entendues par la cour à la demande du requérant, mais
pas en qualité de témoins, car elles n'avaient pas été régulièrement
citées.
Par arrêt du 3 avril 1992, la cour d'assises d'Ille et Vilaine
condamna le requérant à dix ans de réclusion criminelle pour les vols
et recel dont elle avait été saisie. Le requérant n'a pas formé de
pourvoi à l'encontre de cette décision.
GRIEFS
Le requérant allègue la violation des articles 5 par. 1 a) et 3,
3, 8 et 6 par. 1 et 3 d) de la Convention.
1. Le requérant relève tout d'abord qu'il a été détenu du 22 mars
1988 au 3 avril 1992, soit pendant quatre ans et treize jours, en
violation des prescriptions de l'article 5 par. 1 a) et 3 de la
Convention.
2. Le requérant affirme ensuite que la durée de sa détention
provisoire constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de
l'article 3 de la Convention.
3. Le requérant soutient d'autre part qu'une partie des preuves
reposerait sur des écoutes téléphoniques irrégulières, en violation de
l'article 8 de la Convention, car le droit interne n'indiquerait pas
avec assez de précision les conditions et les limites de ces mises sous
écoute.
4. Le requérant estime encore que sa cause n'a pas été entendue dans
un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention
puisqu'une période de quatre années et onze jours s'est écoulée avant
jugement.
5. Le requérant se plaint enfin de ce que, en dépit de multiples
demandes, il n'a jamais pu obtenir que le magistrat instructeur procède
à une confrontation entre lui-même et un témoin. Il expose que lors
de son jugement devant la cour d'assises, ce même témoin à décharge
n'avait pas été entendu en personne. Il ajoute que certaines personnes
ont été entendues lors de son proçès sans avoir la qualité de témoin
ce qui serait contraire au droit à un procès équitable au sens de
l'article 6 par. 1 et 3 d) de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La présente requête a été introduite le 19 juin 1991 et
enregistrée le 24 septembre 1991.
Le 1er avril 1992, la Commission a décidé de porter la requête
à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter
ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs tirés
des articles 5 par. 3, 8 et 6 par. 1 de la Convention.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 22 septembre 1992
après deux prorogations du délai. Le requérant y a répondu le 10
novembre 1992.
EN DROIT
Le requérant rappelle tout d'abord qu'il a été détenu du 22 mars
1988 au 3 avril 1992, soit pendant quatre ans et treize jours, ce qui
ne serait pas conforme à l'exigence de délai raisonnable au sens de
l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
Le requérant affirme ensuite que la durée de sa détention
provisoire constitue un traitement inhumain et dégradant prohibé par
l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Le requérant soutient d'autre part qu'une partie des preuves
reposerait sur des écoutes téléphoniques irrégulières, en violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention.
Le requérant estime également que sa cause n'a pas été entendue
dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention puisqu'il a dû attendre quatre années et treize jours
avant d'être jugé.
Le requérant se plaint enfin de ce que, en dépit de multiples
demandes, il n'a jamais pu obtenir l'audition d'un témoin à décharge
et sa confrontation avec lui, ni que certaines personnes soient
entendues en qualité de témoin, ce qui serait contraire au droit à un
procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 et 3 d)
(art. 6-1, 6-3-d) de la Convention.
1. Quant au grief tiré de la durée de la détention provisoire au
sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, le Gouvernement
plaide le défaut manifeste de fondement.
Selon le Gouvernement, les circonstances de l'espèce ne
permettaient pas une remise en liberté du requérant car les faits, et
particulièrement ceux du vol commis avec armes, avaient ému l'opinion
publique. En outre, les magistrats étaient fondés à parer à tout
danger de fuite d'un accusé qui était sans profession et avait été
condamné depuis 1965 à un total de vingt-cinq années d'emprisonnement.
Le Gouvernement ajoute que les magistrats craignaient à juste titre que
le requérant, s'il était remis en liberté, ne tente de faire pression
sur ses coïnculpés remis en liberté.
Le requérant estime qu'il a été maintenu en détention provisoire
hors les voies légales, dans la mesure où l'ordonnance de prolongation
de la détention est intervenue le 13 mars 1990, soit près de deux ans
après sa mise en détention, alors qu'une nouvelle loi entrée en vigueur
le 6 juillet 1990 exigeait que le juge d'instruction se prononçât au
plus tard à l'issue de la première année de détention.
Le requérant conteste également la régularité de son
interpellation et de sa détention subséquente, dans la mesure où son
arrestation, le 22 mars 1988, a été effectuée dans le cadre de la
procédure de flagrance, alors qu'elle aurait dû se dérouler après
délivrance d'une nouvelle commission rogatoire par le juge
d'instruction déjà chargé de l'affaire du 10 décembre 1987. Il estime
également que le renouvellement de la garde à vue, effectué par le
procureur de la République, est contraire à l'article 5 (art. 5) de la
Convention, car il ne s'agit pas d'un juge indépendant.
Quant à la durée de la détention, le requérant rappelle qu'il
n'a en aucune manière entravé le travail du magistrat instructeur.
La Commission note que le requérant a été maintenu en détention
pendant quatre ans et treize jours.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
de la détention provisoire doit s'apprécier eu égard aux principes
consacrés par les organes de la Convention (voir notamment Cour eur.
D.H., arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p.37, par. 4-5
et plus récemment, arrêt W. c. Suisse du 26 janvier 1993, série A n°
254, p. 11, par. 30).
Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur
la question de savoir si la détention provisoire du requérant s'est
prolongée au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3
(art. 5-3) de la Convention, la Commission estime, à la lumière de sa
propre jurisprudence et de celle de la Cour européenne des Droits de
l'Homme, que cet aspect de la requête pose de sérieuses questions de
fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen
de la requête, mais nécessitent un examen au fond.
Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé
à cet égard.
2. Le requérant considère en outre que la durée de sa détention
provisoire constituerait un traitement inhumain et dégradant prohibé
par l'article 3 (art. 3) de la Convention.
La Commission constate que les faits sur lesquels repose le grief
tiré de l'article 3 (art. 3) sont les mêmes que ceux dont se plaint le
requérant au regard de l'article 5 par. 3 (art. 5-3). Il y a lieu dès
lors de retenir également le grief tiré de l'article 3 (art. 3).
3. Quant au grief tiré de ce qu'une partie des preuves reposerait
sur les résultats d'écoutes téléphoniques irrégulières au regard des
dispositions de l'article 8 (art. 8) de la Convention, le Gouvernement
soulève deux exceptions d'irrecevabilité.
Le Gouvernement observe tout d'abord que le requérant ne saurait
être considéré comme victime directe au sens de l'article 25 (art. 25)
dans la mesure où sa ligne téléphonique n'a pas été mise sur table
d'écoutes, mais seulement celle d'une coïnculpée, ni comme victime
indirecte puisqu'il a eu accès au dossier d'instruction et donc aux
proçès-verbaux de retranscription des écoutes.
Le requérant admet que sa propre ligne téléphonique n'a pas été
mise sur table d' écoutes, mais il observe que c'est sur la base de ses
propos captés grâce à la mise sur table d'écoutes de la ligne de la
coïnculpée qu'il a été arrêté. Il ajoute que cette ligne a été placée
sur table d'écoutes le 4 mars 1988 à 17 heures et 12 minutes, alors que
la personne qualifiée pour procéder à cette mise sous surveillance ne
fut requise par l'officier de police judiciaire compétent qu'à 18
heures, ce qui rendrait ces écoutes irrégulières et donc contraires à
l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il ajoute que le juge
d'instruction a en outre négligé de préciser l'étendue et la durée des
écoutes, le service compétent pour y procéder, ainsi que les conditions
d'effacement ultérieur des enregistrements.
La Commission relève qu'une première exception d'irrecevabilité
tirée du défaut de qualité de victime est soulevée par le Gouvernement.
Elle estime que, dans la mesure où les propos du requérant ont été
enregistrés puis annexés au dossier d'instruction, il a subi une
ingérence dans sa vie privée et peut donc se prévaloir de la qualité
de victime. La Commission estime dès lors que cette objection ne
saurait être retenue.
Le Gouvernement excipe en outre du non-épuisement des voies de
recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention.
Il estime que le requérant, qui n'a soulevé le moyen tiré de l'article
8 (art. 8) de la Convention ni devant la chambre d'accusation, ni
devant la Cour de cassation, n'a pas épuisé les voies de recours
internes.
Le requérant rappelle que, par arrêt du 23 avril 1991, la Cour
de cassation a rejeté son pourvoi fondé notamment sur une violation
alléguée de l'article 8 (art. 8) de la Convention, car il n'avait pas
déposé de mémoire en temps utile et ce parce qu'il n'a pas pu
bénéficier de l'aide judiciaire devant cette juridiction. Il fait aussi
observer que la Cour de cassation, par arrêt du 23 avril 1991, a rejeté
le pourvoi formé par son coïnculpé, en estimant que le droit français
des écoutes téléphoniques n'était pas contraire à l'article 8 (art. 8)
de la Convention.
La Commission note qu'à l'époque des faits, les juridictions
françaises considéraient que le droit français relatif aux écoutes
téléphoniques n'était pas contraire à l'article 8 (art. 8) de la
Convention. La Commission considère dès lors qu'on ne saurait imposer
au requérant, au titre de l'article 26 (art. 26) de la Convention,
l'obligation d'épuiser une voie de droit qui, au moment où elle aurait
dû être utilisée, ne présentait pas de chances de succès (cf. Req. N°
10103/82, déc. 6.7.84, D.R. 39 p. 186). La Commission estime dès lors
que cette seconde exception d'irrecevabilité ne saurait être retenue.
Quant au fond, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence
de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations
téléphoniques se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et
de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8). L'interception de
conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une
autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe
1 de l'article 8 (art. 8) (Cour. eur. D.H., arrêt Klass et autres du
6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 40, arrêt Malone du 2 août
1984, série A n° 82, p. 30, par. 64 et plus récemment, arrêts Kruslin
et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176, respectivement p. 20, par.
26 et p. 52, par. 25).
La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments
des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour
européenne des Droits de l'Homme. Elle estime que cet aspect de la
requête pose de sérieuses questions au regard du paragraphe 2 de
l'article 8 (art. 8), notamment la question de savoir si les normes
juridiques nationales qui constituent la base légale de la mesure en
question indiquent avec assez de clarté l'étendue et les modalités
d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine
considéré et offrent un degré minimal de protection voulu par la
prééminence du droit dans une société démocratique (voir arrêts Kruslin
et Huvig précités, respectivement par. 36 et 35).
Ces questions ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de
la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors cette partie
de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens
de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif
d'irreceva- bilité n'ayant été relevé à cet égard.
4. Quant au grief tiré de la durée de la procédure au sens de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le Gouvernement
soutient que l'examen de l'affaire ne fait apparaitre aucun manque de
diligence de la part des autorités judiciaires, qui ont procédé à de
nombreux interrogatoires, investigations, auditions et à six
confrontations. Il rappelle également que l'affaire était complexe en
raison du regroupe- ment de quatre vols, dans lesquels étaient
impliquées plusieurs personnes, en une seule procédure. Il explique que
la période de temps qui sépare l'ordonnance de transmission des pièces
du juge d'instruction en date du 13 novembre 1990 et l'arrêt de la cour
d'assises du 3 avril 1992 s'explique par les deux pourvois en cassation
formés par le coïnculpé du requérant, contre les arrêts de renvoi des
chambres d'accusation des cours d'appel de Rennes puis de Caen, ce qui
a nécessairement contribué à allonger la procédure pour le requérant.
Le requérant estime tout d'abord que les autorités judiciaires
ont fait preuve d'un manque de diligence caractérisé, en ordonnant
tardivement une commission rogatoire, en n'exigeant pas son retour
rapidement, et enfin en n'effectuant que tardivement une confrontation
entre des témoins et les co-inculpés. Quant à la complexité de
l'affaire, le requérant rappelle que les faits s'étaient déroulés dans
un territoire limité, et que les témoins de l'affaire résidaient tous
dans la même ville. Enfin, le requérant considère que l'on ne saurait
lui reprocher les deux pourvois en cassation formés par un coïnculpé
contre les arrêts de renvoi, dont l'un lui donnera gain de cause. Il
rappelle également qu'il n'a lui-même formé aucun recours dilatoire.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de
l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités
judiciaires (voir Cour eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série
A n° 51, p. 35, par. 80 et récemment, arrêt Kemmache du 27 novembre
1991, série A n° 218, p. 29, par. 60 ).
Quant à la complexité de l'affaire, la Commission considère
qu'elle est caractérisée dans la mesure où l'instruction concernait
quatre vols successifs, dont trois où était impliqué le requérant, et
qui mettaient en cause de nombreuses personnes.
Quant au comportement du requérant, la Commission note qu'il a
intenté toutes les actions mises à sa disposition, sans avoir formé
aucun recours ayant pour effet de prolonger indûment la procédure.
Quant au comportement des autorités judiciaires, la Commission
note que les magistrats instructeurs successivement en charge du
dossier ont procédé à de nombreux actes de recherche des preuves: en
effet, ils ont ordonné plusieurs commissions rogatoires et procédé à
un grand nombre d'interrogatoires, d'auditions et à six confrontations
entre les inculpés et les témoins. L'étude de la chronologie détaillée
des actes de procédure ne laisse apparaître aucune période d'inactivité
qui puisse être reprochée aux magistrats.
A la lumière de l'ensemble de la procédure, la Commission estime
que la durée de la procédure n'a pas été excessive. Certes, le
comportement du requérant n'a guère contribué à prolonger
l'instruction. Toutefois, l'affaire était relativement complexe et la
volonté des magistrats instructeurs de faire toute la lumière sur
l'affaire ne saurait leur être reprochée.
La Commission estime dès lors que cet aspect de la requête est
manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant se plaint enfin de ce que, en dépit de multiples
demandes, il n'a jamais obtenu que le magistrat instructeur procède à
sa confrontation avec un témoin à décharge. Il expose que lors des
débats devant la cour d'assises, ni ce même témoin, ni d'autres
personnes n'avaient été entendues en qualité de témoins. Cet ensemble
de faits serait contraire au droit à un proçès équitable au sens de
l'article 6 par. 1 et 3 d) (art. 6-1, 6-3-d) de la Convention.
La Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la question
de savoir si les faits présentés par le requérant révèlent l'apparence
d'une violation de la Convention. Le requérant a en effet omis de
saisir la Cour de cassation d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour
d'assises du 3 avril 1992, et n'a donc pas épuisé, conformément à
l'article 26 (art. 26) de la Convention, les voies de recours internes
qui lui étaient ouvertes en droit français.
La Commission estime dès lors que cet aspect de la requête doit
être rejeté en application des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3)
de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du
requérant relatifs à la durée de la détention provisoire et aux
écoutes téléphoniques dont il a fait l'objet ;
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
ANNEXE
Chronologie des actes de procédure fournie
par le Gouvernement défendeur
- 21 décembre 1987 : réquisitoire introductif contre X. après
enquête de flagrance sur le vol avec arme commis le 10 décembre
1987 à Bains de Bretagne,
- 21 décembre 1987 : commission rogatoire délivrée par le juge
d'instruction au Commandant de la Légion de Gendarmerie de
Bretagne,
- 14-19 janvier/4-10 mars 1988 : commission rogatoire aux fins de
surveillance de lignes téléphoniques,
- 23 mars 1988 : auditions de J.V.C., J.V., et de plusieurs
témoins, après diverses opérations de surveillance et de
vérification,
- 24 mars 1988 : ordonnance de soit communiqué, réquisitoire
supplétif contre J.V.C., J.V. et quatre autres personnes,
procès-verbaux de première comparution et placement en détention
provisoire de J.V.C. et J.V.,
- 6 avril 1988 : interrogatoire de C.S.,
- 7 avril 1988 : interrogatoire de M.M.,
- 7 avril 1988 : interrogatoire de C.G.,
- 8 avril 1988 : interrogatoire de M.C.
- 4 mai 1988 : ordonnance de commission d'experts aux fins
d'expertise psychiatrique de J.V.C.,
- 4 juin 1988 : dépôt du rapport d'expertise psychiatrique de
J.V.C.,
- 6 juin 1988 : interrogatoire de C.S.,
- 6 juin 1988 : interrogatoire de M.M. et C.G.,
- 8 juin 1988 : dépôt du rapport d'expertise psychiatrique de De
Vriendt,
- 10 juin 1988 : interrogatoire de M.C.,
- 24 juin 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V. (qui nie
les faits et se refuse à toute autre déclaration),
- 30 juin 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C.,
- 30 juin 1988 : notification du rapport d'expertise psychiatrique
à J.V.C.,- 4 juillet 1988 : ordonnance de jonction avec une autre procédure
également ouverte le 24 mars 1988, du chef de vol et recel
qualifié commis à Bains de Bretagne le 18 ou 19 mars 1988,
- 7 juillet 1988 : interrogatoire de M.C.,
- 8 juin/15 juillet 1988 : réalisation de clichés photographiques
détaillés par la Gendarmerie,
- 24 août 1988 : interrogatoire de C.G.,
- 7 septembre 1988 : audition de témoin par commission rogatoire,
- 28 mars/6 septembre 1988 : enquête complémentaire de Gendarmerie
par commission rogatoire,
- 22 septembre 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C.,
- 22 septembre 1988 : jonction de la copie d'un dossier de
personnalité antérieur de J.V.,
- 8 juillet/6 octobre 1988 : expertise d'armes,
- 11 octobre 1988 : interrogatoire de C.S.,
- 14 octobre 1988 : notification à J.V. du rapport d'expertise
psychiatrique,
- 14 octobre 1988 : interrogatoire de curriculum vitae de De
Vriendt,
- 25 octobre/29 novembre 1988 : exécution de commissions rogatoires
de C.V.,
- 26 octobre 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.,
- 2 novembre 1988 : interrogatoire de C.G.,
- 3 novembre 1988 : interrogatoire de M.M.,
- 21 novembre 1988 : jonction de la copie d'un dossier antérieur de
personnalité de J.V.C.,
- 29 novembre 1988 : ordonnance de refus de restitution de scellés,
- 23 décembre 1988 : ordonnance de changement de juge d'instruction
(M. Boiffin, nommé à Paris, étant remplacé par M. Lavielle),
- 3 février 1989 : interrogatoire de J.V. (C.V.)
- 17 février 1989 : transport à la Maison d'arrêt aux fins
d'interrogatoire de curriculum vitae qui n'a pu avoir lieu,
- 28 février 1989 : interrogatoire de C.G.,
- 31 mai 1989 : ordonnance de restitution de scellés,
- 31 mai 1989 : interrogatoire de curriculum vitae de J.V.C.,
- 13 juin 1989 : notification d'expertise à J.V.,
- 19 juin 1989 : confrontation des inculpés Glet, Salzet, Marafon,
J.V.C. Monique avec les témoins F.S. et J.M.,
- 22 juin 1989 : confrontation des mêmes inculpés avec les témoins
F.S. et R.N.,
- 19 juillet 1989 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C.,
- 9 septembre 1989 : jonction de la copie d'une précédente expertise
psychiatrique de J.V.C.,
- 12 septembre 1989 : interrogatoire de C.S.,
- 3 octobre 1989 : ordonnance aux fins de bilan médical complet de
J.V.C.,
- 3 octobre/20 novembre 1989 : expertise médicale de J.V.C.
(bilan fonctionnel visuel complet),
- 10 octobre 1989 : interrogatoire de J.V.,
- 13 octobre 1989 : interrogatoire de J.V.C.,
- 18 octobre 1989 : interrogatoire de Glet,
- 23 novembre 1989 : confrontation de J.V.C., J.V., Glet,
- 30 janvier 1990 : transport sur les lieux à Messac, audition de
témoin, confrontation de J.V.C., J.V.,
- 26 juillet 1989/13 mars 1990 : exécution d'une commission
rogatoire avec notamment audition de dix témoins,
- 16 mars 1990 : rappel à l'expert chargé du bilan médical complet
de J.V.C.,
- 27 mars 1990 : confrontation J.V.C., J.V., Glet, Salzet,
- 28/29 mars 1990 : demandes d'audition émanant du conseil de
J.V.C.,
- 2/21 avril 1990 : exécution d'une commission rogatoire,
- 11 mai 1990 : dépôt du rapport de l'expert,
- 16 mai 1990 : interrogatoires de M.M., J.V., Glet, audition du
témoin M.G.,
- 20 juillet 1990 : ordonnance de soit communiqué au Parquet,
- 9 août 1990 : lettre du conseil de J.V.C. annonçant le dépôt
d'un mémoire,
- 20 août 1990 : réquisitions de qualification, jonction et
disjonction de certains faits,
- 4/9/11 septembre 1990 : lettres de J.V.C. et de J.V.,
- 12 septembre 1990 : confrontation entre J.V.C., J.V., G., Salzet,
- 12 septembre 1990 : mémoire de J.V.C.,
- 14 septembre 1990 : ordonnance de soit communiqué au Parquet,
- 28 septembre 1990 : réquisitoire supplétif aux fins de nouvelles
vérifications,
- 16 octobre 1990 : jonction des pièces concernant ces
vérifications,
- 17 octobre 1990 ; ordonnance de soit communiqué,
- 7 novembre 1990 : réquisitoire définitif,
- 13 novembre 1990 : ordonnance de transmission des pièces au
Procureur Général,
- 3 décembre 1990 : réquisitoire du Procureur Général,
- 20 décembre 1990 : audience de la Chambre d'accusation,
- 10 janvier 1991 : arrêt de renvoi devant la Cour d'assises,
- 23 avril 1991 : cassation de l'arrêt de mise en accusation en ce
qui concerne J.V.C. et renvoi devant la Chambre d'accusation
de la cour d'appel de Caen,
- 23 avril 1991 : arrêt de la chambre criminelle déclarant De
Vriendt déchu de son pourvoi contre l'arrêt du
10 janvier 1991,
- 3 juillet 1991 : arrêt de mise en accusation de la chambre
d'accusation de Caen,
- 17 décembre 1991 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de
cassation rejetant le pourvoi de J.V.C. formé contre l'arrêt
du 3 juillet 1991,
- 31 mars au 3 avril 1992 : débats devant la cour d'assises de
l'Ille-et-Vilaine et arrêt condamnant notamment J.V.C. et
J.V.,
- Pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'assises (date non
mentionnée).