CEDH, Commission (première chambre), D.N. c. la FRANCE, 30 juin 1993, 17557/90
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Première Chambre), 30 juin 1993, n° 17557/90 |
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Numéro(s) : | 17557/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 15 novembre 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Recevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25326 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0630DEC001755790 |
Texte intégral
FINALE
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17557/90
présentée par D.N.
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 30 juin 1993 en présence
de
MM. F. ERMACORA, Président en exercice
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
Sir Basil HALL
M. C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
B. CONFORTI
Mme. M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Première Chambre
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 15 novembre 1990 par D.N. contre la
France et enregistrée le 14 décembre 1990 sous le No de dossier
17557/90 ;
Vu la décision de la Commission, en date du 13 mai 1992,
de communiquer une partie de la requête et de la déclarer irrecevable
pour le surplus ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
6 octobre 1992 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 9 février 1993 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est né en 1948 à Pleiku, au Vietnam. Il est de
nationalité française. Il fut déclaré de sexe féminin à sa naissance
sous les prénoms de Dominique, Marie.
Devant la Commission, il est représenté par la société d'avocats
Urtin-Petit et Rousseau-van Troeyen, du barreau de Paris.
Les faits de la cause, tels qu'ils sont présentés par les
parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant expose que dès son plus jeune âge, il adopta un
comportement masculin, parce qu'il s'assimilait à un être de sexe
masculin, nonobstant son apparence féminine.
Les modifications morphologiques liées à la puberté, très mal
acceptées par le requérant, accentuèrent sa marginalisation, et le
conduisirent à rompre tout lien avec son milieu familial. En 1968, il
s'engagea dans des études de médecine.
A la suite de graves troubles dépressifs, le requérant entreprit,
en 1971, une psychothérapie lourde, qui aboutit à un échec, le
sentiment de sa masculinité prévalant toujours. Il lui fut alors
prescrit un traitement hormonal virilisant, en 1972. Une nouvelle
psychanalyse s'étant révélée infructueuse, le requérant se fit
pratiquer, en 1975, une mastectomie (ablation des seins), et, en 1979,
une hystérectomie avec ablation des gonades (ablation de l'utérus).
Il souhaitait ainsi conformer, au moins en partie, son apparence
extérieure avec sa conviction intérieure.
En 1982, il soutint sa thèse de médecine et obtint en 1984 son
Diplôme d'Etat de Docteur en médecine délivré au nom de Monsieur N.
Dominique. Il obtint un poste temporaire de chargé de recherches dans
un institut national, l'I.N.S.E.R.M. Le Conseil de l'Ordre des
médecins n'accepta pourtant de l'inscrire que sous son état civil
féminin.
Le 5 juillet 1983, le requérant assigna le procureur de la
République de Bordeaux pour faire juger qu'il était de sexe masculin
et obtenir une rectification ou modification des mentions de son acte
de naissance.
Trois experts furent commis par le tribunal de grande instance
de Bordeaux. L'un d'eux conclut que le requérant était un exemple de
transsexualisme pur, sans troubles psychiques surajoutés et que sa
requête en rectification de l'état civil trouvait sa justification pour
lui permettre une intégration harmonieuse dans la vie publique.
Les deux autres experts conclurent qu'il n'existait aucun remède
permettant d'atténuer ou de faire disparaître sa situation
conflictuelle hormis la reconnaissance juridique d'un sexe masculin
chez ce sujet génétiquement féminin.
Par jugement en date du 16 septembre 1985, le tribunal de grande
instance de Bordeaux débouta le requérant au motif que sa
transformation volontaire pouvait certes être constatée dans son
apparence, mais pas dans sa réalité génétique ; ainsi, sa demande ne
consistait pas, selon le tribunal, "à mettre l'état civil en conformité
avec la réalité, mais avec l'idée qu'il se faisait de son personnage
et de son identité, et de reconnaître pour vrais une idée, une
apparence, un artifice".
La cour d'appel de Bordeaux confirma, le 5 mars 1987, le jugement
entrepris.
Dans ses conclusions, le Ministère Public avait relevé qu'il
n'était pas contesté que Dominique N. était un cas de transsexualisme
authentique. Il notait qu'aucun principe juridique, aucune règle de
droit, ne s'opposait à la modification souhaitée et concluait à la
réformation du jugement entrepris sous réserve que soit ordonnée par
la cour non pas la rectification d'état civil mais la modification
d'état civil valable pour l'avenir.
La cour rappela toutefois que l'indisponibilité de l'état des
personnes était une règle traditionnellement admise comme régissant les
actions d'état en général. Certes, cette indisponibilité ne signifiait
pas immutabilité, et n'était donc pas absolue, ajoutait la cour ;
"toutefois les hypothèses de changement d'état sont toutes enserrées
par le législateur dans de multiples règles de forme ou de fond qui
marquent bien que la matière est toujours d'ordre public et que, si
la volonté humaine y a son rôle, la société entend en conserver la
direction". En l'espèce, la cour releva que le critère tiré de la
formule chromosomique était le meilleur pour déterminer le sexe d'un
individu. En conséquence, compte tenu du fait que cet état devait
refléter la réalité juridique, l'action en modification d'état du
requérant ne pouvait être accueillie puisque son sexe génétique était
toujours féminin.
Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt, en
invoquant notamment l'article 8 de la Convention, et la jurisprudence
de la Commission européenne des Droits de l'Homme concernant cet
article.
Par arrêt du 21 mai 1990, la Cour de cassation rejeta le pourvoi
au motif que :
"... le transsexualisme, même lorsqu'il est médicalement reconnu,
ne peut s'analyser en un véritable changement de sexe, le
transsexuel, bien qu'ayant perdu certains caractères de son sexe
d'origine, n'ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé ;
Et attendu que l'article 8, alinéa 1er, de la Convention
européenne des Droits de l'Homme, qui dispose que toute personne
a droit au respect de sa vie privée et familiale, n'impose pas
d'attribuer au transsexuel un sexe qui n'est pas en réalité le
sien".
GRIEF
Le requérant se plaint de ce qu'en lui refusant la possibilité
de corriger les mentions de son état civil relatives à son sexe tant
sur le registre d'état civil que sur les documents officiels
d'identité, le Gouvernement l'amène à devoir révéler à des tiers des
informations relatives à sa vie privée dans ce qu'elle a de plus
intime, ce qui constitue une violation de son droit au respect de la
vie privée au sens de l'article 8 par. 1 de la Convention.
Par ailleurs, se référant au rapport de la Commission dans
l'affaire Van Oosterwijck, le requérant estime que le refus des
autorités étatiques de reconnaître sa nouvelle identité sexuelle, porte
atteinte à l'essence même de son droit au respect de la vie privée.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 15 novembre 1990 et enregistrée
le 14 décembre 1990.
Le 13 mai 1992, la Commission a décidé, conformément à l'article
48 par. 2 b) de son Règlement intérieur de donner connaissance de la
requête au Gouvernement français et de l'inviter à présenter par écrit
des observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de
la violation de la vie privée du requérant au sens de l'article 8 de
la Convention.
Elle a déclaré la requête irrecevable pour ce qui est du grief
tiré de ce que le refus de reconnaître la véritable personnalité du
requérant aurait constitué un traitement inhumain et dégradant au sens
de l'article 3 de la Convention.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 6 octobre 1992.
Le 3 décembre 1992, le requérant a demandé une prorogation de
délai qui lui a été accordée le 9 décembre 1992 par le Président de la
Commission.
Le 5 janvier 1993, le requérant a demandé une nouvelle
prorogation de délai qui lui a été accordée le 11 janvier 1993 par le
Président de la Commission.
Les observations du requérant ont été présentées le 9 février
1993.
EN DROIT
Le requérant allègue une violation de l'article 8 par. 1
(art. 8-1) de la Convention du fait que le refus qui lui est opposé de
corriger les mentions de son état civil relatives à son sexe
l'amènerait à révéler à des tiers des informations relatives à sa vie
privée. Il estime par ailleurs que ce refus porte atteinte à l'essence
même de son droit au respect de sa vie privée.
Le Gouvernement soutient que la requête est manifestement mal
fondée.
Quant à l'état civil, il fait observer que la rectification
prévue à l'article 99 du Code civil concerne, en matière de sexe,
uniquement l'erreur manifeste et matérielle commise lors de la
déclaration de naissance.
Il ajoute que le refus opposé au requérant par les autorités
judiciaires françaises a pour but, conformément à l'article 8 par. 2
(art. 8-2) de la Convention, de protéger les droits et libertés
d'autrui. En effet, l'action en revendication d'état du requérant
aurait une incidence directe sur les droits des tiers dans les domaines
du mariage, des relations familiales patrimonales et
extrapatrimoniales. De plus, l'organisation de l'état civil en France
relève de l'ordre public car la publicité des actes de l'état civil
sert les droits de l'ensemble de la société.
Quant à l'intervention de tiers dans la vie privée du requérant,
le Gouvernement relève en premier lieu que le requérant ne précise pas
dans quelles circonstances il a été amené à révéler à des tiers des
informations relatives à sa vie privée.
Il note que le prénom du requérant est neutre, ce qui ne peut
entraîner, de ce fait, aucune intrusion de tiers dans sa vie privée.
Quant aux documents officiels, le Gouvernement rappelle que ni
la fiche d'état civil, ni le permis de conduire, ni la carte
d'électeur, ni même la carte nationale d'identité ne comportent de
mention relative au sexe.
Il ajoute sur ce point que le numéro national de sécurité
sociale, qui comporte un chiffre spécifiant le sexe du titulaire, est
essentiellement utilisé à l'occasion de correspondances administratives
et qu'en outre nombre de transsexuels ont pu obtenir une modification
de ce chiffre sans qu'il y ait eu modification judiciaire corrélative
des actes de l'état civil.
En ce qui concerne enfin les incidents que le requérant aurait
rencontrés au cours de sa vie professionnelle, le Gouvernement observe
qu'il n'a pas justifié du refus de l'Ordre des Médecins de l'inscrire
sous l'identité sexuelle désirée et, à supposer que ce refus soit
effectif, il ne constitue, selon lui, en rien une violation de la vie
privée du requérant. Il ajoute qu'à l'égard des tiers il est connu
comme le "Docteur Dominique N.", ce qui ne ressort ni du sexe masculin
ni du sexe féminin.
Le requérant expose que les cas dans lesquels une personne est
amenée à présenter un document mentionnant son sexe ne sont pas rares
et, qu'ainsi, le passeport mentionne le sexe de son titulaire.
En outre, pour obtenir une carte nationale d'identité, il faut
présenter un extrait de naissance qui, lui, mentionne le sexe, les
nouvelles cartes d'identité informatisées comportant elles aussi cette
mention.
Pour ce qui est du numéro national de sécurité sociale, le
requérant fait observer que sa modification par certaines caisses
d'assurance maladie n'est qu'une tolérance qui dépend du bon vouloir
d'un agent et impose au transsexuel une démarche qui constitue elle-
même une atteinte à la vie privée.
En ce qui concerne sa carrière professionnelle, le requérant
souligne que sa candidature à plusieurs postes hospitaliers a été
rejetée en raison de la distorsion existant entre son apparence et le
sexe mentionné sur son état civil. Il ajoute que, puisqu'il ne peut
obtenir son inscription à l'Ordre des Médecins sous une identité
masculine, ses confrères sont nécessairement informés de sa situation.
Le requérant ajoute enfin que la récente évolution de la
jurisprudence de la Cour de cassation n'est pas de nature à supprimer
le préjudice subi.
La Commission estime que la requête pose de sérieuses questions
de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen
de la requête, mais nécessitent un examen au fond.
Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate en outre que la requête ne se heurte à
aucun autre motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE.
Le Secrétaire Le Président en exercice
de la Première Chambre de la Première Chambre
(M.F. BUQUICCHIO) (F. ERMACORA)
Textes cités dans la décision