CEDH, Commission (plénière), VANDAM ET LACROIX c. la BELGIQUE, 28 juin 1993, 19038/91;19039/91

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 28 juin 1993, n° 19038/91;19039/91
Numéro(s) : 19038/91, 19039/91
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 octobre 1991
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, série A n° 33, par. 39 et 45
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-25336
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1993:0628DEC001903891
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITE

      de la requête No 19038/91        et la requête No 19039/91

      présentée par Marc VANDAM        présentée par Philippe LACROIX

      contre la Belgique               contre la Belgique

                              __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 28 juin 1993  en présence de

      MM. C.A. NØRGAARD, Président

          S. TRECHSEL

          A.S. GÖZÜBÜYÜK

          J.-C. SOYER

          H.G. SCHERMERS

          H. DANELIUS

      Sir Basil HALL

      M.  F. MARTINEZ

      Mme J. LIDDY

      MM. L. LOUCAIDES

          J.-C. GEUS

          M.P. PELLONPÄÄ

          B. MARXER

          G.B. REFFI

          M.A. NOWICKI

          I. CABRAL BARRETO

          B. CONFORTI

      M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 22 octobre 1991 par Marc VANDAM

contre la Belgique et enregistrée le 5 novembre 1991 sous le No de

dossier 19038/91 et la requête introduite le 16 octobre 1991 par

Philippe LACROIX contre la Belgique et enregistrée le 5 novembre 1991

sous le No de dossier 19039/91 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :EN FAIT

      Le premier requérant est un ressortissant belge, né en 1960. Au

moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la prison de

Saint-Gilles. Devant la Commission, il est représenté par Maître J.

Saels, avocat au barreau de Bruxelles.

      Le second requérant est un ressortissant belge, né en 1960. Au

moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la prison de

Forest. Devant la Commission, il est représenté par Maître F. Roggen,

avocat au barreau de Bruxelles.

      Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les

requérants, peuvent se résumer comme suit.

      En mai 1989, le premier requérant fit l'objet d'un mandat d'arrêt

international émis par les autorités judiciaires belges. En novembre

1990, le second requérant fit également l'objet d'un mandat d'arrêt

international émis par les autorités judiciaires belges.

      Le 15 mars 1991, les requérants furent arrêtés en Colombie.

      Le 18 mars 1991, l'ambassadeur de Belgique à Bogota signala, par

téléfax, au parquet de Bruxelles qu'il venait d'avoir un entretien avec

les dirigeants du Département administratif de Sécurité de la

République de Colombie, entretien dont il ressortait que les autorités

colombiennes avaient pris la résolution d'expulser les requérants du

pays pour des motifs de sécurité intérieure.

      Par lettre du 19 mars 1991, ledit Département administratif

informa l'ambassade de Belgique à Bogota de l'arrestation des

requérants et signala qu'il procéderait à leur expulsion car il

considérait qu'ils ne remplissaient pas les conditions exigées par la

loi pour le séjour dans le pays. Il demandait en outre à la Belgique

d'accorder "toute la collaboration nécessaire afin d'obtenir la

sécurité maximum pour [leur] transfert à [leur] pays d'origine".

      Par une note de l'ambassade à Bogota adressée par porteur au

ministre de la Justice de Colombie le 21 mars 1991, les autorités

belges tentèrent de convaincre le Gouvernement colombien d'entamer une

procédure d'extradition.

      Le 22 mars 1991, le ministre des Relations extérieures de

Colombie fit savoir à l'ambassadeur belge à Bogota que le "Département

administratif de Sécurité, avec les résolutions n° 2630 et 2639 du 20

mars 1991, <avait> ordonné l'expulsion du territoire national" des

requérants.

      Le 22 mars 1991, les requérants furent conduits à l'aéroport de

Bogota et placés par les autorités colombiennes à bord d'un avion de

la force aérienne belge. A bord de l'avion commandé par V., lieutenant-

colonel de l'armée belge, se trouvait, entre autres, le procureur du

Roi de Bruxelles V.L. et des gendarmes.

      Selon le procès-verbal établi par le procureur du Roi V.L. à son

retour en Belgique, les requérants avaient été remis "manu militari"

par les autorités colombiennes au commandant de bord V. le 22 mars 1991

à 14 h 15 heure colombienne, soit 20 h 15 heure belge. L'avion fit

ensuite route vers la Belgique.

      Dès leur arrivée dans l'avion, les requérants firent l'objet de

mesures de sécurité prises par le commandant de bord : les deux

requérants furent placés dans une cage métallique fixée au centre de

l'avion, le premier requérant aurait en outre été entravé.

      Au cours du voyage de rapatriement, l'avion fit une escale

technique aux Bermudes durant laquelle les requérants restèrent à bord.

      Le 22 mars 1991, le ministre belge des Affaires étrangères

avertit le Commissariat général aux délégations judiciaires de

l'imminence du rapatriement des requérants, eu égard au fait qu'ils

étaient signalés "à rechercher" en Belgique.

      Informé par le Commissariat général, le juge d'instruction donna,

le 23 mars 1991, ordre à la gendarmerie de priver les requérants de

liberté dès leur arrivée sur le sol belge et de les mettre à sa

disposition. La gendarmerie appréhenda donc les requérants

immédiatement après l'atterrissage de l'avion à l'aéroport militaire

de Melsbroek, le 23 mars 1991 à 15 heures. La décision de privation de

liberté prise par le juge d'instruction fut notifiée verbalement aux

requérants par la gendarmerie le 23 mars 1991 à 15 h 05.

      Le 23 mars 1991 à 19 h 30, le premier requérant reçut

notification d'un mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction de

Bruxelles pour prise d'otage, extorsion et association de malfaiteurs.

A 22 h 55, il reçut notification d'un second mandat d'arrêt décerné par

le juge d'instruction de Bruxelles pour tentative de destruction par

explosif de voitures, alors que les auteurs devaient présumer qu'il s'y

trouvait une ou plusieurs personnes au moment de l'explosion, ainsi que

pour tentative de vol à l'aide de violences et de menaces et

association de malfaiteurs.

      Le même jour, le second requérant reçut notification, à 18 h 15,

de deux mandats d'arrêt concernant les mêmes faits que ceux reprochés

au premier requérant. Le même jour, à 23 h 25, il reçut notification

d'un troisième mandat d'arrêt pour vol avec violences et association

de malfaiteurs.

      Le 24 mars 1991 à 11 h 55, le second requérant reçut notification

d'un quatrième mandat d'arrêt pour meurtre et tentative de vol, ainsi

que destruction et tentative de destruction par explosif de voitures

alors que les auteurs devaient présumer que s'y trouvaient une ou

plusieurs personnes au moment de l'explosion. Le même jour à 14 h 10,

le second requérant reçut notification d'un cinquième mandat d'arrêt

pour meurtre, vol avec violences ou menaces et association de

malfaiteurs, ainsi que destruction par explosif de voitures, alors que

les auteurs devaient présumer que s'y trouvaient une ou plusieurs

personnes au moment des faits, avec la circonstance que l'explosion a

entraîné la mort et/ou des blessures.

      Par ordonnances du 28 mars 1991, la chambre du conseil du

tribunal de première instance de Bruxelles confirma les mandats d'arrêt

décernés à l'encontre des requérants. Elle releva que les requérants

avaient été mis à la disposition des autorités belges à la suite d'une

procédure d'expulsion prise à leur égard par les autorités colombiennes

et que suite à cette procédure administrative, ils avaient été

rapatriés en Belgique par un avion de la force aérienne. Répondant à

un argument des requérants qui alléguaient que les mandats d'arrêt

n'avaient pas été délivrés dans le délai légal de 24 heures prévu à

l'article 2, alinéa 5 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la

détention préventive, la chambre du conseil déclara que la privation

de liberté au sens de la loi précitée du 20 juillet 1990 avait pris

cours le 23 mars 1991 à 15 heures. Elle observa en outre que, même à

supposer que la privation de liberté ait eu lieu le 22 mars à 20 h 15heure belge, un premier mandat d'arrêt avait été notifié à cha

dans le délai légal de 24 heures, c'est-à-dire respectivement à 19 h

30 pour le premier requérant et à 18 h 15 pour le second.

      Les requérants firent appel de ces ordonnances.

      Par des arrêts du 10 avril 1991, la chambre des mises en

accusation de la cour d'appel de Bruxelles confirma les ordonnances du

28 mars 1991. Répondant aux requérants qui faisaient valoir la nullité

des mandats d'arrêt, la chambre des mises en accusation estima qu'aucun

des motifs invoqués par les requérants ne pouvait entraîner la nullité

des mandats. Elle expliqua cette considération comme suit :

      "Qu'en effet, en regard de la loi relative à la détention

       préventive, le moment de la privation de liberté de l'inculpé

       se situe à 15.00 heures le 23 mars 1991 et nullement le 22 mars

       1991 (en Colombie) comme prétendu ;

       Que cette privation de liberté a eu lieu à Melsbroek au moment

       de l'atterrissage de l'avion sur le sol du territoire belge,

       ainsi que le prévoit l'article 34 par. 2 dernier alinéa de la

       loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ;

       Que cet article constitue une particularité de la règle prévue

       par les articles 1, 1° ou 2 alinéa 1 de la loi en ce qu'il forme

       une subdivision du chapitre IX de cette loi (de la prolongation

       des délais, de la mise en liberté, de l'arrestation immédiate

       et du mandat d'arrêt par défaut) et prévoit des règles

       spécifiques, dans les circonstances concernées, et qui, en

       l'espèce sont présentes ;

       Qu'il importe de constater à cet égard que l'inculpé fait

       l'objet d'un mandat d'arrêt rendu par défaut tel que visé par

       l'article 34 par. 1 en ce que, précédemment, un mandat d'arrêt

       dit "extraditionnel" avait été délivré à sa charge par le juge

       d'instruction (voir carton "pièces en forme") ;

       Qu'a également été respecté en l'occurrence le prescrit du

       paragraphe 2 de cet article 34 et ce par la délivrance d'un

       mandat d'arrêt qualifié de 'nouveau' ;

      L'article 34 de la loi sur la détention préventive du 20 juillet

1990 prévoit entre autres que lorsqu'un inculpé est fugitif ou

latitant, le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt par

défaut. Après que ce mandat a été mis à exécution, le juge

d'instruction, s'il estime que la détention doit se poursuivre, peut

délivrer un nouveau mandat d'arrêt. Celui-ci doit être signifié dans

les 24 heures de la signification du mandat d'arrêt par défaut qui doit

intervenir dans les 24 heures de l'arrivée ou de la privation de

liberté sur le sol belge.

      La cour d'appel poursuivit son raisonnement comme suit :

      "Attendu que la Cour, chambre des mises en accusation, devant cet

       état de choses, n'a pas à statuer en fonction de la procédure

       soumise sur les situations de fait ou de droit qui se sont

       produites avant le 23 mars 1991 à 15.00 heures et qui concernent

       donc le déroulement des événements qui seraient survenus en

       Colombie, aux Bahamas ou durant le trajet vers Melsbroek ;

       Attendu qu'il n'apparaît pas à la Cour, chambre des mises en

       accusation, que l'embarquement de l'inculpé en Colombie le 22

       mars 1991 à bord d'un appareil de la force aérienne belge serait

       illégal et pourrait constituer, le cas échéant, une extradition

       dite "déguisée" ;

       Qu'en effet, il apparaît de manière certaine en raison notamment

       de l'existence du mandat d'arrêt extraditionnel délivré "le 17

       mai 1989 (dossier 80/89, 338/86, 1/90 et 57/89)" et des autres

       pièces relatives à la remise de l'inculpé à l'autorité belge,

       que le gouvernement de la Belgique a voulu respecter le prescrit

       de la loi et des conventions des 21 août 1912 et 24 février 1959

       conclus avec la Colombie ainsi que souhaité par le juge

       d'instruction, mais s'est trouvé confronté, sans avoir renoncé

       à la demande d'extradition, à une situation de fait dans

       laquelle aucune responsabilité ne paraît pouvoir lui être

       imputée ;

       Que devant cette situation de fait des mesures ont été prises

       à l'initiative de la seule autorité responsable, c'est-à-dire

       le pouvoir exécutif, mesures dont la légalité ne paraît

       sérieusement pouvoir être mise en doute ou qui devraient être

       de nature à exclure la possibilité d'appliquer, dans le cas

       d'espèce, la loi relative à la détention préventive dès

       l'arrivée de l'inculpé sur le sol belge en raison d'une

       violation des droits de sa défense."

      La cour d'appel répondit également à un argument du second

requérant qui se plaignait de l'absence de mandat d'arrêt, de mandat

d'arrêt par défaut ou d'un mandat d'arrêt international décerné à sa

charge. Elle releva à cet égard que le requérant avait fait l'objet

d'un mandat judiciaire d'arrestation. Elle ajouta que "ledit mandat

d'arrêt international (reposait) au dossier et que par ailleurs aucune

disposition de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention

préventive et, en particulier l'article 49, suppose que depuis le 1er

décembre 1990 ce mandat (aurait dû) être considéré comme inexistant".

      Les requérants se pourvurent en cassation contre les arrêts du

10 avril 1991. Par arrêts du 24 avril 1991, la Cour de cassation rejeta

les pourvois. Répondant à l'un des moyens soulevés par le second

requérant, la Cour déclara :

      "Attendu que l'arrêt énonce que le demandeur, sous le coup d'une

       expulsion ordonnée par les autorités colombiennes, a été

       rapatrié à bord d'un avion de la force aérienne belge et a été

       l'objet de mesures de sécurité prescrites par le commandant de

       bord de cet appareil ;

       Qu'il n'apparaît pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir

       égard que le demandeur ait indiqué un pays d'accueil ;

       Attendu que, d'une part, les cours et tribunaux belges sont sans

       pouvoir pour examiner les irrégularités dont seraient entachés

       les actes d'un gouvernement étranger ;

       Que, d'autre part, les mesures de contrainte que le commandant

       de bord aurait prises pour assurer la sécurité de l'avion, des

       personnes ou des biens sous sa responsabilité ou la bonne fin

       de sa mission, sont étrangères aux circonstances régies par la

       loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ;

       qu'il en est de même des articles 10 et 36 de la loi du 27 juin

       1937, lesquels s'appliquent aux infractions commises à bord et

       aux rapports de droit qui s'y sont formés mais ne s'étendent pas

       aux autres infractions ni à la matière de la détention

       préventive ;

       Attendu que l'article 34 de la loi du 20 juillet 1990 prend pour

       point de départ des délais d'arrestation et de délivrance du

       mandat d'arrêt d'un inculpé fugitif ou latitant, l'heure de son

       arrivée sur le sol belge ;

       Que cette disposition règle certes plus spécialement l'hypothèse

       où un mandat par défaut a été décerné et a été suivi d'un

       nouveau mandat d'arrêt mais qu'il en résulte, comme de

       l'économie générale de ladite loi, que celle-ci ne s'applique,

       en règle, que sur le sol belge ;

       Attendu que l'arrêt constate que le juge d'instruction de

       Bruxelles, avisé par le ministre belge des Affaires étrangères,

       à l'intervention du Commissariat général aux délégations

       judiciaires, de l'imminence du rapatriement aérien du demandeur

       à l'égard duquel il était saisi de réquisitions de mandat

       d'arrêt, a ordonné à la gendarmerie de priver l'intéressé de sa

       liberté dès son arrivée sur le sol belge ;

       Que cette décision a été exécutée par un officier de police

       judiciaire, immédiatement après l'atterrissage et que le mandat

       d'arrêt décerné par le juge d'instruction a été signifié au

       demandeur dans les 24 heures à compter de cette privation de

       liberté."

      La Cour de cassation, répondant à un moyen du second requérant

relatif à la validité du mandat d'arrêt décerné contre lui par défaut

en 1989, estima que l'entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1990

n'avait pas privé de validité un mandat d'arrêt régulièrement décerné

avant cette entrée en vigueur.

      Répondant enfin à un moyen du second requérant relatif à

l'absence de signification du mandat d'arrêt par défaut de 1989, la

Cour de cassation estima que dans la mesure où le "nouveau" mandat

d'arrêt avait été décerné dans les 24 heures de l'arrivée du second

requérant sur le sol belge, la signification du mandat d'arrêt décerné

auparavant par défaut était superflue.

GRIEFS

1.    Les requérants se plaignent de la violation à leur détriment des

articles 5 par. 1 et 18 de la Convention, ainsi que de l'article 2 du

Protocole N° 4. En n'obtenant pas, dans la régularité du traité belgo-

colombien y relatif, l'extradition des requérants et en organisant,

sous le couvert d'une opération de rapatriement de ses nationaux, leur

retour en Belgique, les autorités belges auraient agi par subterfuge.

      Les requérants se plaignent en particulier du fait qu'en

violation de la loi du 20 juillet 1990, les autorités belges ne leur

ont pas notifié leur privation de liberté dès l'instant où ils se

trouvaient à bord de l'avion militaire belge mais seulement à leur

arrivée en Belgique, alors que durant tout le trajet ils étaient privés

de liberté et n'avaient pas eu la possibilité de quitter l'avion, que

ce soit à Bogota où lors de l'escale aux Bermudes. Ils se plaignent

aussi de ce que les autorités judiciaires ont acquiescé à cet état de

fait sous prétexte que les lois belges n'étaient pas applicables en

pareil cas. Ils se plaignent encore du fait que les juridictions belges

ont estimé qu'ils n'avaient pas à se prononcer sur les actes de

souveraineté des autorités colombiennes.

      Ils expliquent en outre qu'en agissant de la sorte, les autorités

belges ont méconnu l'article 36 de la loi du 27 juin 1937 relative à

la réglementation aérienne. Ils ajoutent que lors de l'escale aux

Bermudes, le maintien de leur privation de liberté était arbitraire et

ne correspondait pas aux règles de droit interne.

      Les requérants relèvent encore qu'à aucun moment, on ne leur a

demandé s'ils étaient ou non d'accord de monter à bord de l'avion

militaire belge, en violation de l'article 12 par. 2 et 4 du Pacte des

Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques et de

l'article 2 du Protocole N° 4. En effet, dès lors qu'une convention

internationale prévoit que toute personne est libre de quitter

n'importe quel pays y compris le sien et que nul ne peut être

arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays, il faut

considérer qu'elle "prescrit dans son essence même que nul ne peut être

contraint de retourner dans son pays hors les règles qui prescrivent

le droit à la privation de liberté et, par là même, imposent le respect

des règles de droit interne."

      Les requérants font encore valoir que les mandats d'arrêt

décernés en 1989 ne constituaient plus, en 1991, un titre permettant

aux autorités belges de les accueillir valablement à bord de l'avion

militaire. Ils avaient en effet été pris sous l'empire de la loi du

28 avril 1874 relative à la détention préventive et, dès lors qu'ils

n'ont jamais été exécutés, ils étaient sans valeur dès l'entrée en

vigueur de la nouvelle loi du 20 juillet 1990 sur la détention

préventive, à savoir le 1er décembre 1990. Celle-ci prévoit en effet,

en son article 34, un mandat d'arrêt particulier.

      En ce qui concerne plus particulièrement l'article 18 de la

Convention, les requérants précisent qu'ils sont, "suivant l'adage

latin 'male captus bene detenutus'. C'est sur ce plan qu'<ils estiment>

que l'article 18 a été violé à <leur> détriment, la Belgique s'étant

rendue coupable d'un véritable détournement de pouvoir en l'espèce".

      Le second requérant fait encore valoir que l'article 2 de la loi

du 20 juillet 1990 a été violé à son égard. Selon cette disposition,

"la décision d'arrestation est immédiatement notifiée à l'intéressé.

Cette notification consiste, à tout le moins, en une communication

verbale...". Il explique qu'à aucun moment, lorsqu'il était dans

l'avion militaire belge, il n'a fait l'objet de la moindre

communication, fût-elle verbale.

2.    Le second requérant se plaint en outre d'une violation de

l'article 5 par. 2 de la Convention. Il explique "qu'il ne lui a

toujours pas été possible d'avoir accès d'une part aux documents de

bord de l'avion C130 qui l'a rapatrié de force en Belgique ; d'autre

part, aux plans de vol ; enfin et de manière plus générale, aux

constatations qui ont dû être effectuées à l'occasion du rapatriement.

Dans cette mesure, le requérant n'a pas été à même de vérifier si les

autorités d'escale notamment avaient été averties de sa présence dans

l'avion C130 ainsi que des circonstances de celle-ci. Le requérant est,

en toute hypothèse, en droit de déduire de l'absence des documents de

vol ainsi que des pièces dressées à l'occasion de celui-ci, que soit

ceux-ci ont été retenus arbitrairement, soit ceux-ci n'ont pas été

dressés."

EN DROIT

1.    Les requérants se plaignent d'une atteinte aux dispositions des

articles 5 par. 1 et 18 (art. 5-1, 18) de la Convention ainsi que 2 du

Protocole N° 4 en raison de ce que les autorités belges n'ont pu

obtenir leur extradition dans le cadre du traité belgo-colombien y

relatif et de ce qu'elles ont été amenées à organiser, sous le couvert

d'une opération de recueil de ses nationaux, leur retour en Belgique.

      La partie pertinente de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la

Convention se lit ainsi :

      "Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut

      être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les

      voies légales :

      (...)

      c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant

      l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons

      plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction (...)".

      Pour sa part, l'article 18 (art. 18) de la Convention dispose

que :

      "Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont

      apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliqués

      que dans le but pour lequel elles ont été prévues."

      Enfin, l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) est ainsi libellé :

      "1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat

      a le droit d'y circuler librement et d'y choisir sa résidence.

      2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y

      compris le sien.

      3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres

      restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des

      mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité

      nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public,

      à la prévention des infractions pénales, à la protection de la

      santé et de la morale, ou à la protection des droits et libertés

      d'autrui.

      (...)".

      La question pourrait se poser de savoir si les requérants ont

valablement épuisé les voies de recours internes, c'est-à-dire s'ils

ont chacun formulé - ou articulé de façon suffisamment explicite - les

divers aspects du grief qu'ils font à présent valoir devant la

Commission.

      La Commission n'estime cependant pas nécessaire de se prononcer

sur ce point car la requête est irrecevable pour un autre motif.

a.    Quant au grief des requérants tiré de l'article 5 par. 1

(art. 5-1) de la Convention, la Commission observe d'abord que

l'arrestation des requérants a eu lieu en Colombie et que ce sont les

autorités colombiennes qui les ont arrêtés et détenus jusqu'à leur

remise à V., commandant de bord de l'avion de la force aérienne belge

sur l'aéroport de Bogota, le 22 mars 1991 à 14 h 15 heure colombienne,

soit 20 h 15 heure belge.

      En ce qui concerne les mesures antérieures prises à l'encontre

des requérants, à savoir leur arrestation en Colombie, leur détention

et leur remise "manu militari" au commandant de bord V., la Commission

observe qu'il s'agit de mesures prises par les autorités colombiennes,

qui en sont seules responsables en droit international.

      Reste cependant à examiner la question d'une éventuelle violation

de la Convention par la Belgique après que les requérants eurent été

placés dans l'avion militaire belge par les autorités colombiennes.

      A cet égard, la Commission rappelle que dans sa décision du 4

juillet 1984 (N° 10689/83, déc. 4.7.84, D.R. 37 pp. 225, 229-230)

concernant une affaire proche de la présente, elle s'était exprimée en

ces termes :

      "Sur ce point la Commission constate d'abord que la Convention

      ne contient de dispositions ni sur les conditions dans lesquelles

      une extradition peut être accordée ni sur la procédure qui sera

      appliquée avant que l'extradition puisse être accordée. Il

      s'ensuit que, même à supposer que l'expulsion puisse être

      qualifiée d'extradition déguisée, celle-ci ne saurait être, en

      tant que telle, contraire à la Convention.

      On pourrait néanmoins se demander si une concertation éventuelle

      entre les deux Gouvernements ou le fait de procéder à une

      expulsion au lieu d'une extradition pourrait être de nature à

      rendre illégale la détention subie par le requérant après sa

      remise aux autorités françaises. La Commission fait observer à

      cet égard que si la détention était illégale, elle pourrait être

      considérée de ce fait comme contraire à l'article 5 par. 1

      (art. 5-1) de la Convention, qui dispose qu'une détention n'est

      conforme à la Convention que si la privation de liberté a été

      effectuée "selon les voies légales". De plus, l'article 5 par.

      1 c) (art. 5-1-c), précise, dans sa version anglaise, qu'une

      détention effectuée dans les conditions de ce sous-paragraphe

      n'est conforme à la Convention qu'à condition d'être "lawful".

      Les mots "selon les voies légales" et "lawful" se réfèrent pour

      l'essentiel à la législation nationale. Ils consacrent la

      nécessité de suivre la procédure fixée par celle-ci et de

      respecter les règles de fond du droit international (cf. arrêt

      de la Cour eur. D.H. du 24.10.79 dans l'affaire Winterwerp, Série

      A, n° 33, par. 39 et 45).

      Comme l'a déjà constaté la Cour européenne des Droits de l'Homme

      dans l'affaire Winterwerp (par. 46 de l'arrêt susmentionné), il

      incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux

      tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, même

      dans les domaines où la Convention s'en "approprie" les

      normes : par la force des choses, elles sont spécialement

      qualifiées pour trancher les questions surgissant à cet égard.

      Ceci n'empêche cependant pas les organes de la Convention de

      conserver, dans les cas où la Convention se réfère à la loi

      nationale, une certaine compétence afin de contrôler la manière

      dont les autorités nationales interprètent et appliquent le droit

      national. Il leur incombe notamment de vérifier qu'une base

      légale existait et que le droit national n'a pas été interprété

      ou appliqué d'une manière arbitraire, car, comme l'a également

      constaté la Cour dans l'affaire Winterwerp (par. 39 de l'arrêt

      susmentionné), dans une société démocratique adhérant au principe

      de la prééminence du droit, une détention arbitraire ne pourrait

      en aucun cas passer pour "régulière" ("lawful").

      La jurisprudence constante de la Commission va dans le même sens

      (voir, par exemple, le rapport concernant la requête No 7975/77,

      Bonazzi c/Italie, par. 64, D.R. 24 p. 42, les décisions sur la

      recevabilité des requêtes No 1169/61, Annuaire 6 p. 589-591, No

      2621/65, Annuaire 9 p. 481, No 3001/66, Recueil 26 p. 58, et No

      9997/82, D.R. 31, p. 245). En effet, la Commission a toujours

      estimé que, dans le cas où la Convention renvoie à la loi

      nationale, il incombe essentiellement aux autorités nationales

      d'interpréter et d'appliquer celle-ci, mais que parallèlement la

      Commission garde un pouvoir limité de contrôle sur la manière

      dont les autorités nationales ont accompli cette tâche."

      En l'espèce, la Commission relève que, selon les juridictions

belges, la privation de liberté des requérants n'a débuté que le 23

mars 1991 à 15 heures à l'aéroport de Melsbroek, et non le 22 mars 1991

en Colombie comme le soutiennent les requérants. Cette question

d'interprétation du droit belge a été tranchée en dernier ressort par

la Cour de cassation qui a estimé que la décision de privation de

liberté prise par le juge d'instruction avait été exécutée directement

après l'atterrissage en Belgique et que le mandat d'arrêt décerné par

le juge d'instruction avait donc été signifié au requérant dans les 24

heures à compter de cette privation de liberté.

      Les requérants ont également fait valoir que leur détention

n'était pas en conformité avec le droit interne, compte tenu des

circonstances dans lesquelles ils avaient été remis aux autorités

belges. Cette question d'interprétation du droit belge a aussi été

examinée et tranchée par la Cour de cassation qui a estimé que la

détention était conforme au droit belge et confirmé l'affirmation de

la chambre des mises en accusation selon laquelle les mandats

extraditionnels de 1989 constituaient toujours un titre permettant aux

autorités belges d'accueillir les requérants à bord de l'avion

militaire.

      Se référant aux considérations exposées dans sa décision du 4

juillet 1984 reproduites ci-avant, la Commission estime qu'il ne lui

appartient pas d'examiner si les juridictions belges ont, en l'espèce,

interprété correctement le droit interne. Il lui incombe cependant

d'examiner si celles-ci, et en particulier la Cour de cassation, n'ont

pas appliqué la loi d'une manière arbitraire. A cet égard, la

Commission rappelle que la responsabilité de l'Etat belge ne pourrait

être engagée qu'à partir du 22 mars 1991 à 20 h 15 heure belge, tout

événement antérieur relevant de la responsabilité de l'Etat colombien.

      A cet égard, les requérants ont fait valoir que les mandats

d'arrêt décernés en 1989 ne constituaient plus, en 1991, un titre

permettant aux autorités belges de les accueillir valablement à bord

de l'avion militaire. La Commission relève à cet égard que tant la

chambre des mises en accusation que la Cour de cassation ont estimé que

l'entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1990 n'avait pas privé de

validité un mandat d'arrêt régulièrement décerné avant son entrée en

vigueur. Pareille considération ne paraît pas en l'espèce arbitraire.

      Les requérants font aussi valoir qu'en violation de la loi du

20 juillet 1990, les autorités belges ne leur ont pas notifié leur

privation de liberté dès l'instant où ils se trouvaient à bord de

l'avion militaire, mais seulement à leur arrivée sur le sol belge. La

Commission relève à cet égard que, comme l'a relevé la chambre des

mises en accusation de Bruxelles, un mandat d'arrêt par défaut avait

été rendu à l'égard des requérants. Selon l'article 34 de la loi du

20 juillet 1990, un mandat d'arrêt par défaut doit être notifié dans

les 24 heures de l'arrivée ou de la privation de liberté sur le sol

belge. Dès lors, il n'apparaît pas non plus que les juridictions

belges, et en particulier à la Cour de cassation, aient appliqué ladite

loi de manière arbitraire, en estimant qu'il ressortait de l'article

34 précité, comme de l'économie générale de la loi du 30 juillet 1990,

que cette dernière ne s'appliquait, en règle générale, que sur le sol

belge.

      La Commission a enfin examiné l'argument des requérants selon

lequel ils n'ont pu quitter l'avion à Bogota ou lors de l'escale aux

Bermudes (selon les requérants) ou des Bahamas (si l'on se réfère à

l'arrêt de la chambre des mises en accusation). Il faut relever à cet

égard que les autorités colombiennes, qui avaient décidé de les

expulser, les auraient à nouveau placés de force dans l'avion s'ils

l'avaient quitté avant le décollage. Par ailleurs, les requérants n'ont

pas soutenu qu'ils avaient un quelconque titre pour entrer sur le

territoire des Bermudes ou aux Bahamas.

      Eu égard aux circonstances relevées ci-avant, la Commission

estime que les juridictions belges n'ont pas appliqué la loi de manière

arbitraire. Elle ne relève par ailleurs aucun élément permettant de

conclure que la détention n'avait pas été ordonnée "selon les voies

légales" ou qu'elle n'était pas "lawful" au sens de l'article 5 par.

1 c) (art. 5-1-c) de la Convention.

b.    Les requérants ont encore soutenu que leur rapatriement vers la

Belgique et leur détention dans ce pays constituerait également une

violation de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2), dans la mesure où,

selon eux, cette disposition prescrit aussi que nul ne peut être

contraint de retourner dans son pays hors les règles qui prescrivent

le droit à la liberté et, par là même, imposent le respect des règles

de droit interne.

      Toutefois, la Commission, se fondant sur les considérations

développées ci-avant à propos de l'article 5 (art. 5) de la Convention

et la conclusion à laquelle elle est parvenue à cet égard, estime qu'il

n'y a, en l'espèce, aucune apparence de violation de l'article 2 du

Protocole N° 4 (P4-2), tel qu'interprété par les requérants.

c.    Les requérants se plaignent enfin que leur rapatriement en

Belgique et leur détention dans ce pays constitueraient une violation

de l'article 18 (art. 18) de la Convention.

      Se référant aux considérations développées ci-avant, la

Commission estime qu'aucun détournement de pouvoir ne peut être établi

en l'espèce et aucune apparence de violation de l'article 18 (art. 18)

de la Convention ne saurait dès lors être décelée.

      Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal

fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

2.    Le second requérant se plaint en outre d'une atteinte aux

dispositions de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention,

considérant qu'il n'a eu accès ni aux documents de vol de l'avion

militaire l'ayant rapatrié vers la Belgique, ni aux procès-verbaux qui

ont sans aucun doute été dressés à l'occasion du rapatriement.

      L'examen de ce grief, tel qu'il a été soulevé, ne permet de

déceler aucune apparence de violation des droits et libertés garantis

par la Convention, et notamment par son article 5 par. 2 (art. 5-2).

      Il s'ensuit que cette partie de la requête doit également être

déclarée irrecevable conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de

la Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

      ORDONNE LA JONCTION DES REQUETES n° 19038/91 et 19039/91,

      DECLARE LES REQUETES IRRECEVABLES.

           Le Secrétaire                    Le Président

          de la Commission                de la Commission

           (H.C. KRÜGER)                   (C.A. NØRGAARD)

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n°90-669 du 30 juillet 1990
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CEDH, Commission (plénière), VANDAM ET LACROIX c. la BELGIQUE, 28 juin 1993, 19038/91;19039/91