CEDH, Commission (plénière), VANDAM ET LACROIX c. la BELGIQUE, 28 juin 1993, 19038/91;19039/91
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 28 juin 1993, n° 19038/91;19039/91 |
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Numéro(s) : | 19038/91, 19039/91 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 16 octobre 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25336 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0628DEC001903891 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 19038/91 et la requête No 19039/91
présentée par Marc VANDAM présentée par Philippe LACROIX
contre la Belgique contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 28 juin 1993 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Sir Basil HALL
M. F. MARTINEZ
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 22 octobre 1991 par Marc VANDAM
contre la Belgique et enregistrée le 5 novembre 1991 sous le No de
dossier 19038/91 et la requête introduite le 16 octobre 1991 par
Philippe LACROIX contre la Belgique et enregistrée le 5 novembre 1991
sous le No de dossier 19039/91 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :EN FAIT
Le premier requérant est un ressortissant belge, né en 1960. Au
moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la prison de
Saint-Gilles. Devant la Commission, il est représenté par Maître J.
Saels, avocat au barreau de Bruxelles.
Le second requérant est un ressortissant belge, né en 1960. Au
moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la prison de
Forest. Devant la Commission, il est représenté par Maître F. Roggen,
avocat au barreau de Bruxelles.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les
requérants, peuvent se résumer comme suit.
En mai 1989, le premier requérant fit l'objet d'un mandat d'arrêt
international émis par les autorités judiciaires belges. En novembre
1990, le second requérant fit également l'objet d'un mandat d'arrêt
international émis par les autorités judiciaires belges.
Le 15 mars 1991, les requérants furent arrêtés en Colombie.
Le 18 mars 1991, l'ambassadeur de Belgique à Bogota signala, par
téléfax, au parquet de Bruxelles qu'il venait d'avoir un entretien avec
les dirigeants du Département administratif de Sécurité de la
République de Colombie, entretien dont il ressortait que les autorités
colombiennes avaient pris la résolution d'expulser les requérants du
pays pour des motifs de sécurité intérieure.
Par lettre du 19 mars 1991, ledit Département administratif
informa l'ambassade de Belgique à Bogota de l'arrestation des
requérants et signala qu'il procéderait à leur expulsion car il
considérait qu'ils ne remplissaient pas les conditions exigées par la
loi pour le séjour dans le pays. Il demandait en outre à la Belgique
d'accorder "toute la collaboration nécessaire afin d'obtenir la
sécurité maximum pour [leur] transfert à [leur] pays d'origine".
Par une note de l'ambassade à Bogota adressée par porteur au
ministre de la Justice de Colombie le 21 mars 1991, les autorités
belges tentèrent de convaincre le Gouvernement colombien d'entamer une
procédure d'extradition.
Le 22 mars 1991, le ministre des Relations extérieures de
Colombie fit savoir à l'ambassadeur belge à Bogota que le "Département
administratif de Sécurité, avec les résolutions n° 2630 et 2639 du 20
mars 1991, <avait> ordonné l'expulsion du territoire national" des
requérants.
Le 22 mars 1991, les requérants furent conduits à l'aéroport de
Bogota et placés par les autorités colombiennes à bord d'un avion de
la force aérienne belge. A bord de l'avion commandé par V., lieutenant-
colonel de l'armée belge, se trouvait, entre autres, le procureur du
Roi de Bruxelles V.L. et des gendarmes.
Selon le procès-verbal établi par le procureur du Roi V.L. à son
retour en Belgique, les requérants avaient été remis "manu militari"
par les autorités colombiennes au commandant de bord V. le 22 mars 1991
à 14 h 15 heure colombienne, soit 20 h 15 heure belge. L'avion fit
ensuite route vers la Belgique.
Dès leur arrivée dans l'avion, les requérants firent l'objet de
mesures de sécurité prises par le commandant de bord : les deux
requérants furent placés dans une cage métallique fixée au centre de
l'avion, le premier requérant aurait en outre été entravé.
Au cours du voyage de rapatriement, l'avion fit une escale
technique aux Bermudes durant laquelle les requérants restèrent à bord.
Le 22 mars 1991, le ministre belge des Affaires étrangères
avertit le Commissariat général aux délégations judiciaires de
l'imminence du rapatriement des requérants, eu égard au fait qu'ils
étaient signalés "à rechercher" en Belgique.
Informé par le Commissariat général, le juge d'instruction donna,
le 23 mars 1991, ordre à la gendarmerie de priver les requérants de
liberté dès leur arrivée sur le sol belge et de les mettre à sa
disposition. La gendarmerie appréhenda donc les requérants
immédiatement après l'atterrissage de l'avion à l'aéroport militaire
de Melsbroek, le 23 mars 1991 à 15 heures. La décision de privation de
liberté prise par le juge d'instruction fut notifiée verbalement aux
requérants par la gendarmerie le 23 mars 1991 à 15 h 05.
Le 23 mars 1991 à 19 h 30, le premier requérant reçut
notification d'un mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction de
Bruxelles pour prise d'otage, extorsion et association de malfaiteurs.
A 22 h 55, il reçut notification d'un second mandat d'arrêt décerné par
le juge d'instruction de Bruxelles pour tentative de destruction par
explosif de voitures, alors que les auteurs devaient présumer qu'il s'y
trouvait une ou plusieurs personnes au moment de l'explosion, ainsi que
pour tentative de vol à l'aide de violences et de menaces et
association de malfaiteurs.
Le même jour, le second requérant reçut notification, à 18 h 15,
de deux mandats d'arrêt concernant les mêmes faits que ceux reprochés
au premier requérant. Le même jour, à 23 h 25, il reçut notification
d'un troisième mandat d'arrêt pour vol avec violences et association
de malfaiteurs.
Le 24 mars 1991 à 11 h 55, le second requérant reçut notification
d'un quatrième mandat d'arrêt pour meurtre et tentative de vol, ainsi
que destruction et tentative de destruction par explosif de voitures
alors que les auteurs devaient présumer que s'y trouvaient une ou
plusieurs personnes au moment de l'explosion. Le même jour à 14 h 10,
le second requérant reçut notification d'un cinquième mandat d'arrêt
pour meurtre, vol avec violences ou menaces et association de
malfaiteurs, ainsi que destruction par explosif de voitures, alors que
les auteurs devaient présumer que s'y trouvaient une ou plusieurs
personnes au moment des faits, avec la circonstance que l'explosion a
entraîné la mort et/ou des blessures.
Par ordonnances du 28 mars 1991, la chambre du conseil du
tribunal de première instance de Bruxelles confirma les mandats d'arrêt
décernés à l'encontre des requérants. Elle releva que les requérants
avaient été mis à la disposition des autorités belges à la suite d'une
procédure d'expulsion prise à leur égard par les autorités colombiennes
et que suite à cette procédure administrative, ils avaient été
rapatriés en Belgique par un avion de la force aérienne. Répondant à
un argument des requérants qui alléguaient que les mandats d'arrêt
n'avaient pas été délivrés dans le délai légal de 24 heures prévu à
l'article 2, alinéa 5 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la
détention préventive, la chambre du conseil déclara que la privation
de liberté au sens de la loi précitée du 20 juillet 1990 avait pris
cours le 23 mars 1991 à 15 heures. Elle observa en outre que, même à
supposer que la privation de liberté ait eu lieu le 22 mars à 20 h 15heure belge, un premier mandat d'arrêt avait été notifié à cha
dans le délai légal de 24 heures, c'est-à-dire respectivement à 19 h
30 pour le premier requérant et à 18 h 15 pour le second.
Les requérants firent appel de ces ordonnances.
Par des arrêts du 10 avril 1991, la chambre des mises en
accusation de la cour d'appel de Bruxelles confirma les ordonnances du
28 mars 1991. Répondant aux requérants qui faisaient valoir la nullité
des mandats d'arrêt, la chambre des mises en accusation estima qu'aucun
des motifs invoqués par les requérants ne pouvait entraîner la nullité
des mandats. Elle expliqua cette considération comme suit :
"Qu'en effet, en regard de la loi relative à la détention
préventive, le moment de la privation de liberté de l'inculpé
se situe à 15.00 heures le 23 mars 1991 et nullement le 22 mars
1991 (en Colombie) comme prétendu ;
Que cette privation de liberté a eu lieu à Melsbroek au moment
de l'atterrissage de l'avion sur le sol du territoire belge,
ainsi que le prévoit l'article 34 par. 2 dernier alinéa de la
loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ;
Que cet article constitue une particularité de la règle prévue
par les articles 1, 1° ou 2 alinéa 1 de la loi en ce qu'il forme
une subdivision du chapitre IX de cette loi (de la prolongation
des délais, de la mise en liberté, de l'arrestation immédiate
et du mandat d'arrêt par défaut) et prévoit des règles
spécifiques, dans les circonstances concernées, et qui, en
l'espèce sont présentes ;
Qu'il importe de constater à cet égard que l'inculpé fait
l'objet d'un mandat d'arrêt rendu par défaut tel que visé par
l'article 34 par. 1 en ce que, précédemment, un mandat d'arrêt
dit "extraditionnel" avait été délivré à sa charge par le juge
d'instruction (voir carton "pièces en forme") ;
Qu'a également été respecté en l'occurrence le prescrit du
paragraphe 2 de cet article 34 et ce par la délivrance d'un
mandat d'arrêt qualifié de 'nouveau' ;
L'article 34 de la loi sur la détention préventive du 20 juillet
1990 prévoit entre autres que lorsqu'un inculpé est fugitif ou
latitant, le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt par
défaut. Après que ce mandat a été mis à exécution, le juge
d'instruction, s'il estime que la détention doit se poursuivre, peut
délivrer un nouveau mandat d'arrêt. Celui-ci doit être signifié dans
les 24 heures de la signification du mandat d'arrêt par défaut qui doit
intervenir dans les 24 heures de l'arrivée ou de la privation de
liberté sur le sol belge.
La cour d'appel poursuivit son raisonnement comme suit :
"Attendu que la Cour, chambre des mises en accusation, devant cet
état de choses, n'a pas à statuer en fonction de la procédure
soumise sur les situations de fait ou de droit qui se sont
produites avant le 23 mars 1991 à 15.00 heures et qui concernent
donc le déroulement des événements qui seraient survenus en
Colombie, aux Bahamas ou durant le trajet vers Melsbroek ;
Attendu qu'il n'apparaît pas à la Cour, chambre des mises en
accusation, que l'embarquement de l'inculpé en Colombie le 22
mars 1991 à bord d'un appareil de la force aérienne belge serait
illégal et pourrait constituer, le cas échéant, une extradition
dite "déguisée" ;
Qu'en effet, il apparaît de manière certaine en raison notamment
de l'existence du mandat d'arrêt extraditionnel délivré "le 17
mai 1989 (dossier 80/89, 338/86, 1/90 et 57/89)" et des autres
pièces relatives à la remise de l'inculpé à l'autorité belge,
que le gouvernement de la Belgique a voulu respecter le prescrit
de la loi et des conventions des 21 août 1912 et 24 février 1959
conclus avec la Colombie ainsi que souhaité par le juge
d'instruction, mais s'est trouvé confronté, sans avoir renoncé
à la demande d'extradition, à une situation de fait dans
laquelle aucune responsabilité ne paraît pouvoir lui être
imputée ;
Que devant cette situation de fait des mesures ont été prises
à l'initiative de la seule autorité responsable, c'est-à-dire
le pouvoir exécutif, mesures dont la légalité ne paraît
sérieusement pouvoir être mise en doute ou qui devraient être
de nature à exclure la possibilité d'appliquer, dans le cas
d'espèce, la loi relative à la détention préventive dès
l'arrivée de l'inculpé sur le sol belge en raison d'une
violation des droits de sa défense."
La cour d'appel répondit également à un argument du second
requérant qui se plaignait de l'absence de mandat d'arrêt, de mandat
d'arrêt par défaut ou d'un mandat d'arrêt international décerné à sa
charge. Elle releva à cet égard que le requérant avait fait l'objet
d'un mandat judiciaire d'arrestation. Elle ajouta que "ledit mandat
d'arrêt international (reposait) au dossier et que par ailleurs aucune
disposition de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention
préventive et, en particulier l'article 49, suppose que depuis le 1er
décembre 1990 ce mandat (aurait dû) être considéré comme inexistant".
Les requérants se pourvurent en cassation contre les arrêts du
10 avril 1991. Par arrêts du 24 avril 1991, la Cour de cassation rejeta
les pourvois. Répondant à l'un des moyens soulevés par le second
requérant, la Cour déclara :
"Attendu que l'arrêt énonce que le demandeur, sous le coup d'une
expulsion ordonnée par les autorités colombiennes, a été
rapatrié à bord d'un avion de la force aérienne belge et a été
l'objet de mesures de sécurité prescrites par le commandant de
bord de cet appareil ;
Qu'il n'apparaît pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir
égard que le demandeur ait indiqué un pays d'accueil ;
Attendu que, d'une part, les cours et tribunaux belges sont sans
pouvoir pour examiner les irrégularités dont seraient entachés
les actes d'un gouvernement étranger ;
Que, d'autre part, les mesures de contrainte que le commandant
de bord aurait prises pour assurer la sécurité de l'avion, des
personnes ou des biens sous sa responsabilité ou la bonne fin
de sa mission, sont étrangères aux circonstances régies par la
loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ;
qu'il en est de même des articles 10 et 36 de la loi du 27 juin
1937, lesquels s'appliquent aux infractions commises à bord et
aux rapports de droit qui s'y sont formés mais ne s'étendent pas
aux autres infractions ni à la matière de la détention
préventive ;
Attendu que l'article 34 de la loi du 20 juillet 1990 prend pour
point de départ des délais d'arrestation et de délivrance du
mandat d'arrêt d'un inculpé fugitif ou latitant, l'heure de son
arrivée sur le sol belge ;
Que cette disposition règle certes plus spécialement l'hypothèse
où un mandat par défaut a été décerné et a été suivi d'un
nouveau mandat d'arrêt mais qu'il en résulte, comme de
l'économie générale de ladite loi, que celle-ci ne s'applique,
en règle, que sur le sol belge ;
Attendu que l'arrêt constate que le juge d'instruction de
Bruxelles, avisé par le ministre belge des Affaires étrangères,
à l'intervention du Commissariat général aux délégations
judiciaires, de l'imminence du rapatriement aérien du demandeur
à l'égard duquel il était saisi de réquisitions de mandat
d'arrêt, a ordonné à la gendarmerie de priver l'intéressé de sa
liberté dès son arrivée sur le sol belge ;
Que cette décision a été exécutée par un officier de police
judiciaire, immédiatement après l'atterrissage et que le mandat
d'arrêt décerné par le juge d'instruction a été signifié au
demandeur dans les 24 heures à compter de cette privation de
liberté."
La Cour de cassation, répondant à un moyen du second requérant
relatif à la validité du mandat d'arrêt décerné contre lui par défaut
en 1989, estima que l'entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1990
n'avait pas privé de validité un mandat d'arrêt régulièrement décerné
avant cette entrée en vigueur.
Répondant enfin à un moyen du second requérant relatif à
l'absence de signification du mandat d'arrêt par défaut de 1989, la
Cour de cassation estima que dans la mesure où le "nouveau" mandat
d'arrêt avait été décerné dans les 24 heures de l'arrivée du second
requérant sur le sol belge, la signification du mandat d'arrêt décerné
auparavant par défaut était superflue.
GRIEFS
1. Les requérants se plaignent de la violation à leur détriment des
articles 5 par. 1 et 18 de la Convention, ainsi que de l'article 2 du
Protocole N° 4. En n'obtenant pas, dans la régularité du traité belgo-
colombien y relatif, l'extradition des requérants et en organisant,
sous le couvert d'une opération de rapatriement de ses nationaux, leur
retour en Belgique, les autorités belges auraient agi par subterfuge.
Les requérants se plaignent en particulier du fait qu'en
violation de la loi du 20 juillet 1990, les autorités belges ne leur
ont pas notifié leur privation de liberté dès l'instant où ils se
trouvaient à bord de l'avion militaire belge mais seulement à leur
arrivée en Belgique, alors que durant tout le trajet ils étaient privés
de liberté et n'avaient pas eu la possibilité de quitter l'avion, que
ce soit à Bogota où lors de l'escale aux Bermudes. Ils se plaignent
aussi de ce que les autorités judiciaires ont acquiescé à cet état de
fait sous prétexte que les lois belges n'étaient pas applicables en
pareil cas. Ils se plaignent encore du fait que les juridictions belges
ont estimé qu'ils n'avaient pas à se prononcer sur les actes de
souveraineté des autorités colombiennes.
Ils expliquent en outre qu'en agissant de la sorte, les autorités
belges ont méconnu l'article 36 de la loi du 27 juin 1937 relative à
la réglementation aérienne. Ils ajoutent que lors de l'escale aux
Bermudes, le maintien de leur privation de liberté était arbitraire et
ne correspondait pas aux règles de droit interne.
Les requérants relèvent encore qu'à aucun moment, on ne leur a
demandé s'ils étaient ou non d'accord de monter à bord de l'avion
militaire belge, en violation de l'article 12 par. 2 et 4 du Pacte des
Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques et de
l'article 2 du Protocole N° 4. En effet, dès lors qu'une convention
internationale prévoit que toute personne est libre de quitter
n'importe quel pays y compris le sien et que nul ne peut être
arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays, il faut
considérer qu'elle "prescrit dans son essence même que nul ne peut être
contraint de retourner dans son pays hors les règles qui prescrivent
le droit à la privation de liberté et, par là même, imposent le respect
des règles de droit interne."
Les requérants font encore valoir que les mandats d'arrêt
décernés en 1989 ne constituaient plus, en 1991, un titre permettant
aux autorités belges de les accueillir valablement à bord de l'avion
militaire. Ils avaient en effet été pris sous l'empire de la loi du
28 avril 1874 relative à la détention préventive et, dès lors qu'ils
n'ont jamais été exécutés, ils étaient sans valeur dès l'entrée en
vigueur de la nouvelle loi du 20 juillet 1990 sur la détention
préventive, à savoir le 1er décembre 1990. Celle-ci prévoit en effet,
en son article 34, un mandat d'arrêt particulier.
En ce qui concerne plus particulièrement l'article 18 de la
Convention, les requérants précisent qu'ils sont, "suivant l'adage
latin 'male captus bene detenutus'. C'est sur ce plan qu'<ils estiment>
que l'article 18 a été violé à <leur> détriment, la Belgique s'étant
rendue coupable d'un véritable détournement de pouvoir en l'espèce".
Le second requérant fait encore valoir que l'article 2 de la loi
du 20 juillet 1990 a été violé à son égard. Selon cette disposition,
"la décision d'arrestation est immédiatement notifiée à l'intéressé.
Cette notification consiste, à tout le moins, en une communication
verbale...". Il explique qu'à aucun moment, lorsqu'il était dans
l'avion militaire belge, il n'a fait l'objet de la moindre
communication, fût-elle verbale.
2. Le second requérant se plaint en outre d'une violation de
l'article 5 par. 2 de la Convention. Il explique "qu'il ne lui a
toujours pas été possible d'avoir accès d'une part aux documents de
bord de l'avion C130 qui l'a rapatrié de force en Belgique ; d'autre
part, aux plans de vol ; enfin et de manière plus générale, aux
constatations qui ont dû être effectuées à l'occasion du rapatriement.
Dans cette mesure, le requérant n'a pas été à même de vérifier si les
autorités d'escale notamment avaient été averties de sa présence dans
l'avion C130 ainsi que des circonstances de celle-ci. Le requérant est,
en toute hypothèse, en droit de déduire de l'absence des documents de
vol ainsi que des pièces dressées à l'occasion de celui-ci, que soit
ceux-ci ont été retenus arbitrairement, soit ceux-ci n'ont pas été
dressés."
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent d'une atteinte aux dispositions des
articles 5 par. 1 et 18 (art. 5-1, 18) de la Convention ainsi que 2 du
Protocole N° 4 en raison de ce que les autorités belges n'ont pu
obtenir leur extradition dans le cadre du traité belgo-colombien y
relatif et de ce qu'elles ont été amenées à organiser, sous le couvert
d'une opération de recueil de ses nationaux, leur retour en Belgique.
La partie pertinente de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la
Convention se lit ainsi :
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut
être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les
voies légales :
(...)
c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant
l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons
plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction (...)".
Pour sa part, l'article 18 (art. 18) de la Convention dispose
que :
"Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont
apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliqués
que dans le but pour lequel elles ont été prévues."
Enfin, l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) est ainsi libellé :
"1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat
a le droit d'y circuler librement et d'y choisir sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y
compris le sien.
3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des
mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public,
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé et de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui.
(...)".
La question pourrait se poser de savoir si les requérants ont
valablement épuisé les voies de recours internes, c'est-à-dire s'ils
ont chacun formulé - ou articulé de façon suffisamment explicite - les
divers aspects du grief qu'ils font à présent valoir devant la
Commission.
La Commission n'estime cependant pas nécessaire de se prononcer
sur ce point car la requête est irrecevable pour un autre motif.
a. Quant au grief des requérants tiré de l'article 5 par. 1
(art. 5-1) de la Convention, la Commission observe d'abord que
l'arrestation des requérants a eu lieu en Colombie et que ce sont les
autorités colombiennes qui les ont arrêtés et détenus jusqu'à leur
remise à V., commandant de bord de l'avion de la force aérienne belge
sur l'aéroport de Bogota, le 22 mars 1991 à 14 h 15 heure colombienne,
soit 20 h 15 heure belge.
En ce qui concerne les mesures antérieures prises à l'encontre
des requérants, à savoir leur arrestation en Colombie, leur détention
et leur remise "manu militari" au commandant de bord V., la Commission
observe qu'il s'agit de mesures prises par les autorités colombiennes,
qui en sont seules responsables en droit international.
Reste cependant à examiner la question d'une éventuelle violation
de la Convention par la Belgique après que les requérants eurent été
placés dans l'avion militaire belge par les autorités colombiennes.
A cet égard, la Commission rappelle que dans sa décision du 4
juillet 1984 (N° 10689/83, déc. 4.7.84, D.R. 37 pp. 225, 229-230)
concernant une affaire proche de la présente, elle s'était exprimée en
ces termes :
"Sur ce point la Commission constate d'abord que la Convention
ne contient de dispositions ni sur les conditions dans lesquelles
une extradition peut être accordée ni sur la procédure qui sera
appliquée avant que l'extradition puisse être accordée. Il
s'ensuit que, même à supposer que l'expulsion puisse être
qualifiée d'extradition déguisée, celle-ci ne saurait être, en
tant que telle, contraire à la Convention.
On pourrait néanmoins se demander si une concertation éventuelle
entre les deux Gouvernements ou le fait de procéder à une
expulsion au lieu d'une extradition pourrait être de nature à
rendre illégale la détention subie par le requérant après sa
remise aux autorités françaises. La Commission fait observer à
cet égard que si la détention était illégale, elle pourrait être
considérée de ce fait comme contraire à l'article 5 par. 1
(art. 5-1) de la Convention, qui dispose qu'une détention n'est
conforme à la Convention que si la privation de liberté a été
effectuée "selon les voies légales". De plus, l'article 5 par.
1 c) (art. 5-1-c), précise, dans sa version anglaise, qu'une
détention effectuée dans les conditions de ce sous-paragraphe
n'est conforme à la Convention qu'à condition d'être "lawful".
Les mots "selon les voies légales" et "lawful" se réfèrent pour
l'essentiel à la législation nationale. Ils consacrent la
nécessité de suivre la procédure fixée par celle-ci et de
respecter les règles de fond du droit international (cf. arrêt
de la Cour eur. D.H. du 24.10.79 dans l'affaire Winterwerp, Série
A, n° 33, par. 39 et 45).
Comme l'a déjà constaté la Cour européenne des Droits de l'Homme
dans l'affaire Winterwerp (par. 46 de l'arrêt susmentionné), il
incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux
tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, même
dans les domaines où la Convention s'en "approprie" les
normes : par la force des choses, elles sont spécialement
qualifiées pour trancher les questions surgissant à cet égard.
Ceci n'empêche cependant pas les organes de la Convention de
conserver, dans les cas où la Convention se réfère à la loi
nationale, une certaine compétence afin de contrôler la manière
dont les autorités nationales interprètent et appliquent le droit
national. Il leur incombe notamment de vérifier qu'une base
légale existait et que le droit national n'a pas été interprété
ou appliqué d'une manière arbitraire, car, comme l'a également
constaté la Cour dans l'affaire Winterwerp (par. 39 de l'arrêt
susmentionné), dans une société démocratique adhérant au principe
de la prééminence du droit, une détention arbitraire ne pourrait
en aucun cas passer pour "régulière" ("lawful").
La jurisprudence constante de la Commission va dans le même sens
(voir, par exemple, le rapport concernant la requête No 7975/77,
Bonazzi c/Italie, par. 64, D.R. 24 p. 42, les décisions sur la
recevabilité des requêtes No 1169/61, Annuaire 6 p. 589-591, No
2621/65, Annuaire 9 p. 481, No 3001/66, Recueil 26 p. 58, et No
9997/82, D.R. 31, p. 245). En effet, la Commission a toujours
estimé que, dans le cas où la Convention renvoie à la loi
nationale, il incombe essentiellement aux autorités nationales
d'interpréter et d'appliquer celle-ci, mais que parallèlement la
Commission garde un pouvoir limité de contrôle sur la manière
dont les autorités nationales ont accompli cette tâche."
En l'espèce, la Commission relève que, selon les juridictions
belges, la privation de liberté des requérants n'a débuté que le 23
mars 1991 à 15 heures à l'aéroport de Melsbroek, et non le 22 mars 1991
en Colombie comme le soutiennent les requérants. Cette question
d'interprétation du droit belge a été tranchée en dernier ressort par
la Cour de cassation qui a estimé que la décision de privation de
liberté prise par le juge d'instruction avait été exécutée directement
après l'atterrissage en Belgique et que le mandat d'arrêt décerné par
le juge d'instruction avait donc été signifié au requérant dans les 24
heures à compter de cette privation de liberté.
Les requérants ont également fait valoir que leur détention
n'était pas en conformité avec le droit interne, compte tenu des
circonstances dans lesquelles ils avaient été remis aux autorités
belges. Cette question d'interprétation du droit belge a aussi été
examinée et tranchée par la Cour de cassation qui a estimé que la
détention était conforme au droit belge et confirmé l'affirmation de
la chambre des mises en accusation selon laquelle les mandats
extraditionnels de 1989 constituaient toujours un titre permettant aux
autorités belges d'accueillir les requérants à bord de l'avion
militaire.
Se référant aux considérations exposées dans sa décision du 4
juillet 1984 reproduites ci-avant, la Commission estime qu'il ne lui
appartient pas d'examiner si les juridictions belges ont, en l'espèce,
interprété correctement le droit interne. Il lui incombe cependant
d'examiner si celles-ci, et en particulier la Cour de cassation, n'ont
pas appliqué la loi d'une manière arbitraire. A cet égard, la
Commission rappelle que la responsabilité de l'Etat belge ne pourrait
être engagée qu'à partir du 22 mars 1991 à 20 h 15 heure belge, tout
événement antérieur relevant de la responsabilité de l'Etat colombien.
A cet égard, les requérants ont fait valoir que les mandats
d'arrêt décernés en 1989 ne constituaient plus, en 1991, un titre
permettant aux autorités belges de les accueillir valablement à bord
de l'avion militaire. La Commission relève à cet égard que tant la
chambre des mises en accusation que la Cour de cassation ont estimé que
l'entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1990 n'avait pas privé de
validité un mandat d'arrêt régulièrement décerné avant son entrée en
vigueur. Pareille considération ne paraît pas en l'espèce arbitraire.
Les requérants font aussi valoir qu'en violation de la loi du
20 juillet 1990, les autorités belges ne leur ont pas notifié leur
privation de liberté dès l'instant où ils se trouvaient à bord de
l'avion militaire, mais seulement à leur arrivée sur le sol belge. La
Commission relève à cet égard que, comme l'a relevé la chambre des
mises en accusation de Bruxelles, un mandat d'arrêt par défaut avait
été rendu à l'égard des requérants. Selon l'article 34 de la loi du
20 juillet 1990, un mandat d'arrêt par défaut doit être notifié dans
les 24 heures de l'arrivée ou de la privation de liberté sur le sol
belge. Dès lors, il n'apparaît pas non plus que les juridictions
belges, et en particulier à la Cour de cassation, aient appliqué ladite
loi de manière arbitraire, en estimant qu'il ressortait de l'article
34 précité, comme de l'économie générale de la loi du 30 juillet 1990,
que cette dernière ne s'appliquait, en règle générale, que sur le sol
belge.
La Commission a enfin examiné l'argument des requérants selon
lequel ils n'ont pu quitter l'avion à Bogota ou lors de l'escale aux
Bermudes (selon les requérants) ou des Bahamas (si l'on se réfère à
l'arrêt de la chambre des mises en accusation). Il faut relever à cet
égard que les autorités colombiennes, qui avaient décidé de les
expulser, les auraient à nouveau placés de force dans l'avion s'ils
l'avaient quitté avant le décollage. Par ailleurs, les requérants n'ont
pas soutenu qu'ils avaient un quelconque titre pour entrer sur le
territoire des Bermudes ou aux Bahamas.
Eu égard aux circonstances relevées ci-avant, la Commission
estime que les juridictions belges n'ont pas appliqué la loi de manière
arbitraire. Elle ne relève par ailleurs aucun élément permettant de
conclure que la détention n'avait pas été ordonnée "selon les voies
légales" ou qu'elle n'était pas "lawful" au sens de l'article 5 par.
1 c) (art. 5-1-c) de la Convention.
b. Les requérants ont encore soutenu que leur rapatriement vers la
Belgique et leur détention dans ce pays constituerait également une
violation de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2), dans la mesure où,
selon eux, cette disposition prescrit aussi que nul ne peut être
contraint de retourner dans son pays hors les règles qui prescrivent
le droit à la liberté et, par là même, imposent le respect des règles
de droit interne.
Toutefois, la Commission, se fondant sur les considérations
développées ci-avant à propos de l'article 5 (art. 5) de la Convention
et la conclusion à laquelle elle est parvenue à cet égard, estime qu'il
n'y a, en l'espèce, aucune apparence de violation de l'article 2 du
Protocole N° 4 (P4-2), tel qu'interprété par les requérants.
c. Les requérants se plaignent enfin que leur rapatriement en
Belgique et leur détention dans ce pays constitueraient une violation
de l'article 18 (art. 18) de la Convention.
Se référant aux considérations développées ci-avant, la
Commission estime qu'aucun détournement de pouvoir ne peut être établi
en l'espèce et aucune apparence de violation de l'article 18 (art. 18)
de la Convention ne saurait dès lors être décelée.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
2. Le second requérant se plaint en outre d'une atteinte aux
dispositions de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention,
considérant qu'il n'a eu accès ni aux documents de vol de l'avion
militaire l'ayant rapatrié vers la Belgique, ni aux procès-verbaux qui
ont sans aucun doute été dressés à l'occasion du rapatriement.
L'examen de ce grief, tel qu'il a été soulevé, ne permet de
déceler aucune apparence de violation des droits et libertés garantis
par la Convention, et notamment par son article 5 par. 2 (art. 5-2).
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit également être
déclarée irrecevable conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité,
ORDONNE LA JONCTION DES REQUETES n° 19038/91 et 19039/91,
DECLARE LES REQUETES IRRECEVABLES.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
Textes cités dans la décision