CEDH, Commission (plénière), P.M. c. la FRANCE, 8 juillet 1993, 21099/92
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 8 juill. 1993, n° 21099/92 |
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Numéro(s) : | 21099/92 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 14 décembre 1992 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25377 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0708DEC002109992 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 21099/92
présentée par P.M.
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 8 juillet 1993 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
A. WEITZEL
F. ERMACORA
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 décembre 1992 par P.M. contre la
France et enregistrée le 17 décembre 1992 sous le No de dossier
21099/92 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant zaïrois né en 1967. Il est
actuellement en détention provisoire à la maison d'arrêt de Gradignan.
Devant la Commission, il est représenté par Me Brigitte Azéma-Peyret,
avocat au barreau de Bordeaux.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le
requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 13 septembre 1991, le requérant est arrivé par avion en
Belgique et est ensuite entré en France au cours du même mois. A une
date qui n'est pas précisée, il a présenté une demande d'admission au
statut de réfugié politique devant l'OFPRA. Le requérant a soutenu
qu'en tant que militant du parti d'opposition ABAKO il avait été arrêté
le 12 novembre 1990 alors qu'il tentait de défendre les locaux de son
mouvement investis par la brigade spéciale présidentielle. Il aurait
été placé en détention dans une prison à Kinshasa, puis transféré en
février 1991 dans le camp de Luzumu situé dans la province du Bas
Zaïre. Le requérant a soutenu avoir subi des sévices sexuels et d'avoir
été soumis à des tortures au cours de son incarcération jusqu'en
septembre 1991. C'est à cette date qu'il serait parvenu à s'évader
avec l'aide d'un gardien du camp soudoyé, selon le requérant, par le
mouvement ABAKO. Il se serait enfui avec un passeport diplomatique que
son chef lui aurait remis.
Le 29 octobre 1991, l'OFPRA a rejeté sa demande.
Le 27 novembre 1991, le requérant forma un recours en annulation
de la décision de l'OFPRA devant la Commission des recours des
réfugiés. Il sollicita d'être entendu en personne lors de l'audience
devant la Commission des recours des réfugiés.
Le 17 mars 1992, la Commission des recours des réfugiés rejeta
son recours en se fondant sur l'insuffisance de preuves apportées par
le requérant à l'appui de sa demande. En particulier, elle estima que
le certificat médical délivré par l'association Médecins du Monde ne
permettait pas d'établir les faits allégués et de fonder les craintes
énoncées par le requérant.
Estimant avoir été victime d'une erreur matérielle des services
de la Commission des recours des réfugiés dans la mesure où celle-ci
ne l'avait pas convoqué lors de l'audience où son affaire avait été
examinée, le requérant a introduit, le 10 juin 1992, une requête en
rectification d'erreur matérielle devant la Commission des recours des
réfugiés afin que son dossier soit réexaminé en sa présence. Cette
requête a été enregistrée le 18 juin 1992.
Par ailleurs, le 24 juin 1992, le requérant décida également
d'introduire un recours en cassation devant le Conseil d'Etat contre
la décision de la Commission des recours des réfugiés. Le requérant
faisait valoir à l'appui de son recours que la procédure suivie par la
Commission des recours des réfugiés lors de l'examen de son affaire,
était irrégulière au regard de la loi du 25 juillet 1952 et du décret
du 2 mai 1953, dans la mesure où il n'avait été ni convoqué, ni entendu
à l'audience de la Commission des recours des réfugiés, alors qu'il en
avait expressément fait la demande. Le requérant a également demandé
au bureau d'aide judiciaire du Conseil d'Etat à être mis au bénefice
de l'assistance judiciaire.
Dans l'intervalle, le requérant s'est vu notifier, le
16 juin 1992, un arrêté de reconduite à la frontière pris par le préfet
de la Gironde et daté du 2 juin 1992.
Le requérant a introduit le 18 juin 1992 un recours pour excès
de pouvoir devant le tribunal administratif de Bordeaux visant à
annuler l'arrêté de reconduite pour erreur manifeste d'appréciation.
Il sollicitait à titre subsidiaire le sursis à exécution de l'arrêté,
afin de permettre à la Commission des recours de réexaminer son dossier
ou au Conseil d'Etat de statuer sur le pourvoi.
Considérant le recours tardif dans la mesure où celui-ci avait
été introduit après l'expiration du délai des 24 heures prévu à
l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le tribunal
administratif déclara la requête irrecevable par jugement du
19 juin 1992.
Le requérant a été interpellé par la police le 13 décembre 1992.
Il a été inculpé d'entrée et de séjour irrégulier en France et
d'usurpation d'identité et a été placé en détention provisoire. Le
10 février 1993, il a été renvoyé en jugement devant le tribunal
correctionnel de Bordeaux. Le 4 avril 1993, le requérant a été condamné
à quatre mois d'emprisonnement. Il a été mis en liberté le
15 avril 1993.
Parallèlement, le renvoi du requérant au Zaire, en exécution de
l'arrêté de reconduite à la frontière, a été organisé par les autorités
préfectorales.
Le 20 avril 1993, le secrétaire de la Commission des recours des
réfugiés a informé le requérant que l'audience concernant sa demande
de réouverture serait tenue le 13 mai 1993 et qu'il pourrait y
assister. Le 24 avril 1993, le requérant a été assigné à résidence.
Le 13 mai 1993, la Commission des recours des réfugiés a tenu une
audience au cours de laquelle le requérant et son conseil ont été
entendus.
Le 8 juin 1993, la Commission des recours a déclaré irrecevable
la demande du requérant, estimant que "la méconnaissance de
l'obligation de convoquer un requérant, lorsque celui-ci en a exprimé
la demande, ne saurait être regardée comme une erreur matérielle".
Le pourvoi en cassation du requérant devant le Conseil d'Etat est
pendant.
GRIEFS
1. Le requérant estime que son retour au Zaïre l'exposerait à subir
des traitements contraires à l'article 3 de la Convention et souligne
que cette menace a un caractère effectif dans la mesure où son
appartenance au mouvement d'opposition est connue des autorités
publiques et lui a déjà valu des mauvais traitements lors de son
incarcération dans deux camps au Zaïre.
2. Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d'un recours
effectif pour faire valoir le risque que comporterait un retour au
Zaïre pour son intégrité physique, voire pour sa vie.
Il rappelle à ce titre que la Commission des recours des réfugiés
ne l'a pas convoqué lors de l'examen de son affaire alors qu'il en
avait fait expressément la demande et que, dans cette hypothèse, la loi
impose à la Commission de procéder à une audition. Cette autorité a en
outre déclaré irrecevable sa demande de rectification d'erreur
matérielle. Il soutient que sa présence lors de l'examen de son affaire
était indispensable pour préciser et corriger certains éléments
contenus dans la traduction de sa requête.
Il allègue à ce titre la violation de l'article 13 combiné avec
l'article 3 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 14 décembre et enregistrée le
17 décembre 1992. Le 15 décembre 1992, le Président a décidé de ne pas
indiquer au Gouvernement défendeur, en vertu de l'article 36 du
Règlement intérieur de la Commission, les mesures que sollicitait le
requérant.
Le 20 avril 1993, le requérant a, à nouveau, demandé à la
Commission d'indiquer des mesures provisoires au Gouvernement
défendeur. Le même jour, le Président a décidé d'indiquer au
Gouvernement français, en vertu de l'article 36 du Règlement intérieur,
qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement
normal de la procédure, de ne pas procéder à la reconduite du requérant
à la frontière avant le 14 mai 1993.
Le 27 avril 1993, le Gouvernement a informé la Commission que le
requérant avait été assigné à résidence.
Le 14 mai 1993, la Commission a décidé de renouveler cette
indication jusqu'au 9 juillet 1993. Elle a également invité les parties
à l'informer de toute décision de la Commission des recours des
réfugiés concernant la demande de réouverture présentée par le
requérant.
Par lettre du 23 juin 1993, le requérant a informé la Commission
de la décision de la Commission des recours.
EN DROIT
1. Le requérant souligne que le retour dans son pays d'origine
constitue une réelle menace pour son intégrité physique et risque de
mettre sa vie en péril. Il invoque à cet égard l'article 3 (art. 3) de
la Convention, selon lequel "nul ne peut être soumis à la torture ni
à des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
La Commission rappelle que la Convention ne garantit aucun droit
de séjour ou d'asile dans un Etat dont on n'est pas ressortissant (voir
n° 7256/75, déc. 10.12.76, D.R. 8 p. 161 ). Toutefois selon la
jurisprudence constante des organes de la Convention, la décision de
renvoyer un individu dans son pays d'origine peut, dans certaines
conditions, se révéler contraire à la Convention et notamment à son
article 3 (art. 3) lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire que
cet individu sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé,
à des traitements prohibés par cet article (voir notamment N° 12122/86,
déc. 16.10.86, D.R. 30 p. 268 ; Cour eur. D.H. Cruz Varas et autres du
20.3.91, série A n° 201, p. 28, par. 69 - 70).
La Commission rappelle, en outre, qu'elle ne peut être saisie,
en vertu de l'article 26 (art. 26) de la Convention, qu'après
l'épuisement des voies de recours internes tel qu'il est entendu selon
les principes de droit international généralement reconnus. A cet égard
seules entrent en ligne de compte les voies de recours qui sont
accessibles au requérant et qui peuvent remédier à la situation dont
celui-ci se plaint. S'agissant d'une requête par laquelle il est
allégué que le renvoi de l'intéressé dans un pays déterminé
l'exposerait à un risque sérieux de traitements prohibés par l'article
3 (art. 3) de la Convention, les voies de recours dépourvues d'effet
suspensif ne sauraient être considérées comme efficaces. De plus, la
condition d'épuisement des voies de recours n'est pas remplie lorsqu'un
recours efficace est rejeté à la suite d'une informalité (N° 10636/83,
déc. 1.7.85, D.R. 43 p. 171).
En l'espèce, la Commission observe que le recours prévu à
l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 que le requérant
a introduit à l'encontre de l'arrêté de reconduite à la frontière le
concernant a été déclaré irrecevable pour tardiveté. La question est
dès lors soulevée de savoir si, compte tenu de la brièveté du délai
prévu pour l'exercice de ce recours et des circonstances particulières
de l'affaire, ce recours était en fait accessible au requérant et,
partant, efficace selon les principes du droit international
généralement reconnus.
Toutefois, la Commission n'est pas appelée à trancher cette
question car elle estime que la requête est en tout état de cause
irrecevable pour les motifs suivants :
La Commission relève en effet que le requérant n'a pas présenté
un commencement de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle,
en cas de retour au Zaïre, il serait soumis à des tortures ou à
d'autres traitements prohibés par l'article 3 (art. 3) de la Convention
en raison de son appartenance au parti d'opposition.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint, en outre, de ne pas avoir bénéficié d'un
recours effectif pour alléguer le risque de persécutions dont il
pouvait faire l'objet en cas de retour dans son pays d'origine.
Il invoque à cet égard la violation de l'article 13 combiné avec
l'article 3 (art. 13+3) de la Convention.
La Commission rappelle que "l'article 13 (art. 13) doit être
interprété comme garantissant un recours effectif devant une instance
nationale à toute personne prétendant que les droits et libertés que
lui reconnaît la Convention ont été violés" (Cour Eur. D.H., arrêt
Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28 p. 29, par. 64).
L'article 13 (art. 13) ne saurait cependant s'interpréter comme
exigeant un recours interne pour toute plainte, si injustifiée soit
elle, qu'un individu peut présenter sur le terrain de la Convention :
il doit s'agir d'un grief défendable au regard de celle-ci (Cour Eur.
D.H., arrêt Leander du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 29, par. 77 ;
arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 25, par. 59).
En l'espèce, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d'un
recours effectif devant les juridictions nationales pour invoquer le
risque de violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention au cas où
il serait renvoyé au Zaïre.
Or, la Commission, ayant estimé que le grief tiré de l'article
3 (art. 3) est manifestement mal fondé, estime cette allégation non
défendable, pour les besoins de l'article 13 (art. 13) de la
Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est également
manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article
27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant invoque enfin l'article 6 (art. 6) de la Convention
et soutient que la procédure devant la Commission des recours des
réfugiés n'a pas été équitable.
L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose, entre
autres, que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal, ... qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale dirigée contre elle". La Commission observe que la
procédure dont le requérant se plaint, à savoir la procédure relative
à sa demande d'octroi d'asile politique, ne concernait ni une
contestation sur ses droits et obligations de caractère civil ni une
accusation en matière pénale (No 12122/86, déc. 16.10.86, D.R. 50 p.
268; No 13162/87, déc. 9.11.87, D.R. 54 p. 211)
Il s'ensuit que l'article 6 (art. 6) ne s'applique pas en
l'espèce et que cette partie de la requête est incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article
27 par. 2 (art. 27-2).
Par ces motifs, la Commission, à la majorité
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
Textes cités dans la décision