CEDH, Commission (deuxième chambre), DE BONVOISIN c. la BELGIQUE, 13 avril 1994, 16392/90

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 13 avr. 1994, n° 16392/90
Numéro(s) : 16392/90
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 22 février 1990
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Moreira de Azevedo du 23 octobre 1990, série A n° 189, p. 17, par. 67
Cour Eur. D.H. Arrêt Pudas du 27 octobre 1987, série A n° 125, p. 14
Arrêt Tomasi du 27 août 1992, série A n° 241-A, pp. 43, 56, paras. 121, 135
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-25602
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0413DEC001639290
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Sur les parties

Texte intégral

                      SUR LA RECEVABILITÉ

                    de la requête No 16392/90

                    présentée par Benoît DE BONVOISIN

                    contre la Belgique

                            __________

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 avril 1994 en

présence de

     MM.  S. TRECHSEL, Président

          H. DANELIUS

           G. JÖRUNDSSON

           J.-C. SOYER

           H.G. SCHERMERS

     Mme  G.H. THUNE

     MM.  F. MARTINEZ

          L. LOUCAIDES

          J.-C. GEUS

          M.A. NOWICKI

          I. CABRAL BARRETO

          J. MUCHA

          D. SVÁBY

     M.   K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits

de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 22 février 1990 par Benoît DE

BONVOISIN contre la Belgique et enregistrée le 3 avril 1990 sous

le No de dossier 16392/90 ;

     Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur

de la Commission ;

     Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur

le 20 avril 1993 et les observations en réponse présentées par le

requérant le 8 et 15 juillet 1993 et les observations

complémentaires présentées par le Gouvernement le 4 octobre 1993;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant est un ressortissant belge, né en 1939 et

domicilié à Bruxelles. Devant la Commission, il est représenté

par Maître Roland Houver, avocat à Strasbourg.

     Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit.

I.   PROCEDURE CONCERNANT LA PLAINTE DU REQUERANT

     Suite à diverses affaires mettant en cause des mouvements

d'extrême droite, une Commission parlementaire spéciale, dite

"Commission Wyninckx", du nom de son président, fut chargée

d'enquêter sur le maintien de l'ordre et l'application d'une loi

du 29 juillet 1934 sur les milices privées.

     Le 19 février 1981 et le 22 avril 1981, la Commission

parlementaire procéda à l'audition à huis-clos et sous serment

de R., administrateur général de la Sûreté de l'Etat (service

dépendant du Ministre de la Justice et chargé de la défense de

la sûreté intérieure et extérieure du Pays). A la suite des ces

auditions, R. rédigea pour le Ministre de la Justice deux notes

de synthèse.

     Le 23 avril 1981, ladite Commission écrivit au Ministre de

la Justice en lui demandant de permettre à R. de s'expliquer

complètement sur les faits qui pouvaient être en sa connaissance

concernant divers mouvements d'extrême-droite.

     Suite à cette demande, le Ministre de la Justice accepta de

communiquer à la Commission parlementaire une note de synthèse

établie sur base des notes de R..

     Cette note mettait, entre autres, en cause le requérant.

     Le 19 mai 1981, le journal belge M. publiait un long article

divulguant le contenu de cette note confidentielle.

     Le 9 juillet 1981, le Ministre de la Justice informa le

Parlement du fait que la note qui avait été publiée par le

journal M. n'émanait pas en tant que telle de la Sûreté de l'Etat

mais qu'elle avait été rédigée par son cabinet sur base des notes

rédigés par R..

     Le 23 février 1983, le requérant déposa plainte auprès du

procureur du Roi de Bruxelles contre diverses personnes dont R.,

l'administrateur général, et S., un fonctionnaire de la Sûreté

de l'Etat. Cette plainte était fondée sur les motifs suivants :

     "1)  Etant fonctionnaire ou officier public dépositaire ou

          agent de l'autorité ou de la force publique, avoir

          ordonné ou exécuté tout autre acte arbitraire et

          attentatoire aux libertés et aux droits garantis par

          la Constitution autre que ceux visés aux articles 147

          à 149 du Code Pénal ;

     2)   Soit dans des réunions ou lieux publics, soit en

          présence de plusieurs individus, dans un lieu non

          public, mais ouvert à un certain nombre de personnes

          ayant le droit de s'y assembler ou de le fréquenter,

          soit dans un lieu quelconque, en présence de la

          personne offensée, devant témoins, soit par des écrits

          imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés,

          distribués ou vendus, mis en vente ou exposés au

          regard du public, soit par des écrits non rendus

          publics, mais adressés ou communiqués à plusieurs

          personnes, méchamment imputé à Benoît DE BONVOISIN,

          qui porte plainte, un fait précis qui est de nature à

          porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à

          l'exposer au mépris public dont la preuve légale n'est

          pas rapportée et dont la loi admet la preuve ;

     3)   Concerter des mesures contraires aux lois ou à des

          arrêtés royaux, soit dans une réunion d'individus, ou

          de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité

          publique, soit par députation ou correspondances

          entre-eux ;

     4)   Etant déposé, par l'Etat ou par profession des secrets

          qu'on leur confie, les avoir révélés, hors le cas où

          ils sont appelés à rendre témoignage en justice et

          celui où la loi les oblige à faire connaître ces

          secrets."

     Le 4 mars 1983, le requérant se constitua partie civile

contre R., S., ainsi que contre X.

     Le 2 avril 1983, le ministère public requit un non-lieu et

le dessaisissement du juge d'instruction.

     Par ordonnance du 18 mai 1983, la chambre du conseil de

Bruxelles rejeta la demande du parquet et renvoya l'affaire à

l'instruction. Le parquet interjeta appel de cette ordonnance.

     Par arrêt du 30 juin 1983, la chambre des mises en

accusation de Bruxelles confirma l'ordonnance du 18 mai 1983.

     Le 25 mai 1987, la chambre du conseil du tribunal de

première instance de Bruxelles déclara l'affaire éteinte par

prescription.

     Le requérant fit opposition contre l'ordonnance du 25 mai

1987.  Lors des débats devant cette juridiction, le requérant fit

valoir un nouveau reproche à l'égard des deux fonctionnaires,

reproche qualifié comme suit :

          "dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles, entre

          le 18 février 1981 et le 20 mai 1981, en contravention

          à l'article 9 de la loi du 3 mai 1980, ayant été

          appelés comme témoin devant la commission

          parlementaire d'enquête du Sénat, s'être rendus

          coupables de faux témoignage contre Benoît de

          Bonvoisin" ;

     Par arrêt du 10 décembre 1987, la chambre des mises en

accusation de la cour d'appel de Bruxelles réforma l'ordonnance

du 25 mai 1987.  La chambre des mises en accusation ordonna

ensuite l'exécution de divers devoirs complémentaires et commit

à cette fin un nouveau juge d'instruction à Bruxelles.

     Par arrêt du 12 mars 1992, la chambre des mises en

accusation rejeta, d'une part, une demande du requérant

d'ordonner un complément d'enquête et de nommer un nouveau juge

d'instruction. Elle déclara, d'autre part, qu'il n'y avait pas

lieu à poursuivre.

     En ce qui concerne la première et la troisième prévention,

elle estima que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs des

infractions pénales alléguées.

     Quant aux deux autres préventions, elle jugea qu'il n'y

avait pas de charges suffisantes pour donner lieu à poursuites.

Elle estima, en ce qui concerne la prévention de calomnie, que

"l'intention (de nuire), qui constitue l'élément moral requis

pour que le délit de calomnie puisse être consommé, ne peut

exister lorsque, tout en nuisant sciemment à la personne, objet

de ses imputations, l'agent a accompli, comme en l'espèce, un

acte qui lui était imposé par la nature de ses fonctions ou de

ses devoirs (J. Leclerc, Atteintes portées à l'honneur ou à la

considération des personnes, Novelles, droit pénal, T. IV,

n°7265, et les références citées)". En outre, elle conclut à

l'absence d'intention spécifique de nuire dans le chef de R. et

estima "qu'il résulte de l'instruction (...) que les informations

communiquées au ministre de la justice par le premier inculpé

correspondent à celles qui figuraient dans les dossiers de la

Sûreté et que ces informations reposent sur des données

recueillies par les services extérieurs de cette administration".

     Concernant la prévention de violation du secret

professionnel, la chambre des mises en accusation a estimé "qu'en

ce qui concerne la divulgation de la note attribuable au cabinet

de la justice, l'instruction n'a permis de recueillir aucun

élément à charge des premier et second inculpés, ni d'une autre

personne déterminée;".

II.  PROCEDURES PENALES DIRIGEES CONTRE LE REQUERANT

a.   Le 19 mai 1981, une perquisition fut faite au domicile du

requérant ainsi qu'en d'autres lieux, dans le cadre d'une

instruction ouverte sur dénonciation du ministère des finances,

inspection spéciale des impôts, et relative à des infractions de

nature financière et fiscale commises à partir de 1974 (et ayant

perduré, selon la décision de renvoi devant les juges du fond

prise ultérieurement, jusqu'en 1985).

     Le 5 décembre 1989, la chambre du conseil du tribunal de

première instance de Bruxelles renvoya le requérant et 2 autres

personnes devant le tribunal correctionnel pour les infractions

de nature financière et fiscale qui auraient été commises de 1974

à 1985. Cette décision fut confirmée par un arrêt de la chambre

des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles du 1er

mars 1990. Un pourvoi en cassation contre cet arrêt fut rejeté

par la Cour de cassation le 6 juin 1990.

     Au cours des débats devant le tribunal correctionnel, le

requérant demanda, entre autres, que le tribunal sursoie à

statuer jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur sa

plainte contre des membres de la "Sûreté de l'Etat". Par jugement

du 13 mars 1991, le tribunal correctionnel décida de surseoir à

statuer jusqu'à la clôture complète et définitive de

l'instruction concernant la plainte du requérant. Le tribunal

estima cependant inopportun de surseoir à juger jusqu'à ce qu'il

soit définitivement jugé sur cette plainte, rappelant que, dans

son arrêt du 10 décembre 1987, la chambre des mises en accusation

de Bruxelles avait précisément suspendu la prescription dans le

cadre de la plainte en faisant valoir qu'il s'imposait d'attendre

qu'il soit statué sur les poursuites dont le tribunal

correctionnel était à ce moment saisi. En conséquence, il était

nécessaire de vider d'abord le litige relatif aux préventions de

nature financière et fiscale avant même d'aborder au fond

l'examen de la plainte du requérant.

     Le requérant n'a pas fourni d'autres précisions quant à

cette affaire.

b.   Le 27 avril 1990, le requérant fut placé en détention

provisoire dans le cadre d'une enquête semble-t-il relative à des

faits de corruption. Il fut remis en liberté le 13 juin 1990.

     Le requérant n'a pas fourni d'autres précisions à cet égard.

III. AUTRES PROCEDURES

     Le 8 mars 1983, le requérant assigna l'Etat belge devant le

tribunal de première instance de Bruxelles en vue d'obtenir

réparation de l'atteinte à l'honneur qu'il aurait subie du fait

de la divulgation de la note de la Sûreté de l'Etat. L'action

tendait à la condamnation de l'Etat belge a 100.000.000 FB de

dommages et intérêts. Il semble que la procédure soit toujours

pendante, le requérant ne l'ayant jamais diligentée malgré les

demandes de l'avocat de l'Etat belge.

     Le 23 février 1990, le requérant introduisit une procédure

devant le Président du tribunal de première instance de Bruxelles

siégeant en référé, tendant à la condamnation de l'Etat belge à

publier un communiqué officiel selon lequel le requérant serait

étranger aux faits contenus dans la note de la Sûreté de l'Etat.

Dans une ordonnance rendue le 11 mai 1990, le Président du

tribunal, après avoir relevé que la procédure pénale était

toujours pendante au fond, déclina sa compétence.

     Le 14 août 1990, le requérant introduisit devant le tribunal

de grande instance de Paris une action en diffamation contre

l'éditeur et deux journalistes du "Quotidien de Paris" et contre

l'Agence France Presse qui l'avaient mis en cause. Par jugement

du 13 mars 1991, le tribunal condamna l'éditeur et les

journalistes du "Quotidien de Paris" à payer au requérant une

somme de 50.000 FF à titre de dommages-intérêts. Il rejeta par

contre l'action dans la mesure où elle était dirigée à l'encontre

de l'Agence France Presse.

     Entre-temps, les 16 et 17 août 1990, le requérant avait

introduit une action en diffamation devant le tribunal de grande

instance de Paris contre l'éditeur, le directeur de la

publication et un journaliste du "Quotidien de Paris". Par

jugement du 13 mars 1991, les défendeurs furent condamnés au

paiement d'une somme de 50.000 FF, le tribunal estimant qu'en

désignant le requérant "d'éminence grise de la C.G.E. surnommé

'Le Baron Noir'", à l'occasion d'un article publié le 18 mai

1990, et en indiquant "qu'au centre de l'enquête se trouvaient

de 'fausses factures'" adressées par une société dirigée par des

'hommes de paille' de Benoît de BONVOISIN, les défendeurs ont

porté atteinte à son honneur et à sa considération" et qu'ils

n'avaient pas établi la véracité des propos incriminés ou leur

bonne foi.

     Le 17 août 1990, le requérant avait également introduit

devant le tribunal de grande instance de Paris une action en

diffamation contre l'éditeur, le directeur de la publication et

un journaliste de l'"Evénement du jeudi" suite à un article

relatif à l'affaire citée ci-avant (voir point II, b) et publié

dans le magazine daté du 28 juin au 4 juillet 1990. Cette

procédure semble toujours pendante.

     Les 27 août et 5 septembre 1990, le requérant introduisit

devant le tribunal de grande instance de Paris une action en

diffamation contre la "Société TF1" et deux de ses journalistes,

suite à un reportage relatif à l'affaire citée ci-avant. Par

jugement du 13 mars 1991, le tribunal condamna la société et un

des journalistes au paiement d'une somme de 20.000 FF pour avoir,

au cours d'une émission télévisé du 23 juin 1990, désigné

expressément le requérant comme étant à l'origine d'une affaire

de corruption sans établir la véracité de leurs affirmations ou

leur bonne foi.

     Entre-temps, le 4 septembre 1990, le requérant avait

introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une

action en diffamation contre la "Société d'information diffusion

R.T.L." et deux de ses journalistes suite à un reportage

radiophonique du 7 juin 1990 relatif aux "tueurs fous du

Brabant". Par jugement du 13 mars 1991, le tribunal condamna les

défendeurs au paiement d'une somme de 80.000 FF à titre de

dommages-intérêts pour avoir formulé sous le mode de

l'insinuation des imputations de faits précis portant atteinte

à l'honneur et à la considération du requérant, seule personne

désignée nommément dans le reportage.

GRIEFS

1.   Le requérant se plaint du manque d'impartialité et

d'indépendance des divers juges d'instruction chargés de

l'instruction de sa plainte du 23 février 1983. Il explique que

le juge d'instruction peut agir comme officier de police

judiciaire lorsqu'il veille à l'exécution de mesures ordonnées

par lui, c'est-à-dire par exemple lorsqu'il reçoit des plaintes

de personnes se prétendant lésées ou lorsqu'il accomplit des

actes tendant à la constatation du crime ou du délit, à la

découverte de ses auteurs et à la réunion des preuves. Lorsqu'il

agit en cette qualité, le juge d'instruction est placé sous la

surveillance du procureur général à la cour d'appel, soit un

membre du parquet dont le chef suprême est le ministre de la

Justice, représentant du pouvoir exécutif. Si le procureur

général n'a pas le pouvoir d'adresser des injonctions au juge

d'instruction ou diriger lui-même l'instruction, il peut, dans

le cadre de son pouvoir disciplinaire, adresser des

avertissements au juge lorsque celui-ci fait preuve de négligence

ou commet des irrégularités dans ses fonctions d'officier

judiciaire. Il ajoute que la durée de l'instruction et le non-

accomplissement des tâches ordonnées par les chambres des mises

en accusation montrent également un manque d'indépendance et

d'impartialité des juges d'instruction chargés de l'instruction

de sa plainte.

     Le requérant se plaint aussi de la longueur de la procédure

ouverte suite à sa plainte du 23 février 1983. Il invoque

l'article 6 par. 1 de la Convention.

2.   Invoquant l'article 6 par. 2 de la Convention, le requérant

fait valoir que pour établir son innocence, il avait intérêt à

ce que la procédure concernant la plainte du 23 février 1983 soit

menée à bien.  Il explique que cette plainte était conçue à la

fois comme un moyen pour faire bon compte des calomnies proférées

à son encontre et comme un moyen de défense, car "il souhaitait

en effet des éclaircissements sur l'instruction menée par

Monsieur le Juge Collin dans l'affaire 36/83" concernant les

infractions de nature financière et fiscale qui auraient été

commises de 1974 à 1985. Il rappelle à cet égard que sa plainte

visait notamment la collusion suspectée entre la Sûreté et

l'administration fiscale qui était à l'origine des poursuites

entamées contre lui. Les lacunes et irrégularités commises lors

de l'instruction par le parquet ainsi que par les juges et les

juridictions d'instruction l'ont donc empêché de préparer

utilement sa défense, en violation de l'article 6 par. 2 de la

Convention qui garantit le droit à la présomption d'innocence.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

     La requête a été introduite le 22 février 1990 et

enregistrée le 3 avril 1990.

     Le 30 novembre 1992, la Commission a décidé, se fondant sur

l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner

connaissance de la requête au Gouvernement défendeur et de

l'inviter à présenter par écrit des observations en ce qui

concerne le grief relatif à la durée de la procédure

d'instruction de la plainte du requérant.

     Les observations du Gouvernement défendeur ont été

présentées le 20 avril 1993.

     Les observations en réponse du requérant ont été présentées

les 8 et 15 juillet 1993.

     Le 4 octobre 1993, le Gouvernement présenta des observations

complémentaires à celles faites par le requérant.

     Le 21 octobre 1993, le requérant informa le Secrétaire de

la Commission qu'il n'entendait pas répliquer aux observations

du Gouvernement.

EN DROIT

1.   Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, le

requérant se plaint du manque d'impartialité et d'indépendance

des divers juges d'instruction chargés de l'instruction de sa

plainte du 23 février 1983. Il se plaint aussi de la longueur de

la procédure ouverte suite à sa plainte du 23 février 1983.

     L'article 6 (art. 6) de la Convention garantit à toute

personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement

par un tribunal indépendant et impartial qui décidera, soit des

contestations sur ses droits ou obligations de caractère civil,

soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée

contre elle.

     La Commission relève que la procédure dont se plaint le

requérant n'avait pas trait à une accusation pénale dirigée

contre lui puisqu'il n'avait pas la qualité d'accusé, mais au

contraire de plaignant. La Commission rappelle à cet égard sa

jurisprudence constante selon laquelle le droit à un tribunal,

contenu dans l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,

ne s'étend pas au droit de provoquer contre des tiers l'exercice

de poursuites pénales (cf. par exemple No 9777/82, déc. 14.7.83,

D.R. 34 p. 165). Cependant, il est vrai que le requérant s'était

constitué partie civile et qu'en conséquence, la procédure litigieuse

aurait pu conduire notamment à faire trancher une contestation sur des

droits et obligations de caractère civil (cf. mutatis mutandis Cour eur.

D.H., arrêt Moreira de Azevedo du 23 octobre 1990, série A n° 189, p. 17,

par. 67; Cour eur. D.H., arrêt Tomasi du 27 août 1992, série A n° 241-A,

p. 43, par. 121).

     Dans un premier temps, la Commission estime nécessaire de

déterminer s'il y a eu en l'espèce "contestation" au sens de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Elle rappelle la jurisprudence de

la Cour en cette matière (voir, entre autres, Cour eur. D.H.,

arrêt Pudas c. Suède du 27 octobre 1987, série A n° 125, p. 14).

En particulier, la contestation doit être réelle et sérieuse;

elle peut porter aussi bien sur l'existence même d'un droit que

sur son étendue ou ses modalités d'exercice; de plus, l'issue de

la procédure doit être directement déterminante pour un tel

droit. Or, de l'avis de la Commission, tel n'est pas le cas en

l'espèce.

     En effet, la Commission constate que l'élément susceptible

d'avoir porté atteinte à l'honneur du requérant se trouve être

le fait que fut publiée par la presse la note confidentielle le

concernant.  Des documents en sa possession, la Commission estime

que rien n'autorisait le requérant à penser sérieusement qu'un

document confidentiel, élaboré au cabinet d'un ministre, et

destiné exclusivement à la commission d'enquête parlementaire,

aurait été soumis à R. et S. et que rien ne l'autorisait non plus

à soupçonner sérieusement R. et S. d'être les responsables de la

divulgation de ce document à la presse.

     La Commission estime que l'on ne pourrait considérer comme

diffamatoires ou attentatoires à l'honneur du requérant, des

notes ou rapports confidentiels établis par R. et S. dans le

cadre de leurs fonctions.

     Sur ce point, la Commission relève qu'en ce qui concerne la

prévention de calomnie, selon la doctrine et la jurisprudence

belge, l'intention de nuire, qui constitue l'élément moral requis

pour que le délit de calomnie puisse être consommé, ne peut

exister lorsque l'agent a accompli un acte qui lui était imposé

par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs. La Commission

note que c'est ce raisonnement qu'a suivi la chambre des mises

en accusation, laquelle a, par ailleurs, également conclu à

l'absence d'intention de nuire dans le chef de R. et S.. La

Commission rappelle que l'interprétation d'une disposition de

droit interne, en l'occurrence la définition de la notion de

calomnie en droit belge, entre dans la compétence exclusive des

juridictions internes, qu'il appartient de même au premier chef

aux juridictions nationales d'apprécier les éléments de droit

interne et que la Commission n'est compétente pour interférer

dans cette appréciation que dans la mesure où celle-ci serait

manifestement déraisonnable et susceptible d'entraîner une

atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. Elle

rappelle également qu'il revient en principe aux juridictions

nationales d'apprécier la force probante des éléments de preuve

recueillis par elle.

     En ce qui concerne la prévention de violation du secret

professionnel, la Commission constate que la plainte aurait pu

avoir une apparence de fondement si la note publiée dans la

presse avait émané directement de la Sûreté de l'Etat. Cependant,

suite à l'intervention du Ministre de la Justice devant le

Parlement le 9 juillet 1981, le requérant savait qu'il n'en était

rien. En outre, la Commission estime qu'il devait être clair

d'emblée pour tout le monde, y compris pour le requérant, qu'il

ne pourrait y avoir une violation du secret professionnel

lorsqu'un fonctionnaire communique à son ministre, et à lui seul,

des renseignements obtenus dans le cadre de ses fonctions.

     Par ailleurs, la Commission note que le requérant n'a jamais

entrepris aucune action contre les journaux "M." et "P." qui

avaient publié la note confidentielle et qui, par conséquent,

étaient les plus susceptibles de s'entendre condamner à réparer

le préjudice causé au requérant. En revanche, le requérant a

préféré déposé une plainte pénale contre R. et S.

     La Commission note également, que le requérant a déposé

plainte pénalement plus de vingt et un mois après la publication

de la note confidentielle dans le journal M.. Elle observe à cet

égard que dans les procès qui l'ont opposé à des organes de

presse français, le requérant a pris soin d'assigner les

personnes responsables de propos diffamatoires dans les trois

mois qui ont suivi la publication de ces propos.

     La Commission observe par ailleurs que le requérant s'est

abstenu de porter son action devant les tribunaux civils après

la décision de non-lieu prononcée par la chambre des mises en

accusation. Pareille décision laisse en pratique intactes les

prétentions de caractère civil d'un plaignant, puisque celui-ci

peut faire valoir ces prétentions devant les tribunaux civils qui

n'auraient pas été tenus en l'espèce par une quelconque autorité

de chose jugée attachée à la décision de non-lieu (cf. N° 9660/82

déc. 5.10.82, D.R. 29 p. 241 et, a contrario, Tomasi c. France,

rapport Comm. 11.12.90, Cour eur. D.H., série A n° 241-A, p. 56,

par. 135).

     De ces différentes considérations, la Commission conclut que

le requérant n'a pas soutenu avec le minimum de sérieux requis

qu'une atteinte a été portée à son droit à l'honneur.

          Il s'ensuit que cette partie de la requête est

manifestement mal fondée avec les dispositions de la Convention

et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

2.   Invoquant l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention,

le requérant fait valoir que les lacunes et irrégularités

commises par le parquet, ainsi que par les juges et juridictions

d'instruction, dans le cadre de la procédure ouverte suite à sa

plainte du 23 février 1983 l'ont empêché de préparer utilement

sa défense dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre

lui pour des infractions de nature financière et fiscale qui

auraient été commises de 1974 à 1985.

     L'article 6 par. 2 (art. 6-2) est ainsi libellé :

          "Toute personne accusée d'une infraction est présumée

          innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été

          légalement établie."

     Dans la mesure où le requérant entendrait se plaindre de la

procédure relative à sa plainte du 23 février 1983, la Commission

rappelle que cette procédure n'avait pas trait à une accusation

dirigée contre lui puisque le requérant avait la qualité de

plaignant et non d'accusé, de sorte que l'article 6 par. 2

(art. 6-2) de la Convention n'y trouve pas application.

     Dans la mesure où le requérant entendrait se plaindre d'une

atteinte à la présomption d'innocence dans la procédure pénale

dirigée contre lui pour des infractions qui auraient été commises

de 1974 à 1985, la Commission relève que le grief concerne en

réalité la question de la présentation, de l'administration et

de l'appréciation des preuves. Comme elle l'a souligné à maintes

reprises, l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention vise

principalement l'état d'esprit et l'attitude du juge qui doit

statuer sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale :

elle lui interdit notamment de partir de la conviction ou de la

supposition que le prévenu est coupable (cf N° 788/60, Autriche

c/Italie, déc. 31.3.63, Annuaire 6 p. 785 ; N° 5523/72, déc.

5.10.74, Recueil 46 pp. 99, 106). En d'autres mots, cette

disposition concerne essentiellement l'attitude du juge durant

le procès et ne concerne en rien la question de la présentation,

l'administration et de l'appréciation des preuves qui relève du

droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention (cf N° 17486/90, déc. 1.7.92, non publiée).

Quant à cette disposition, la Commission rappelle toutefois sa

jurisprudence constante aux termes de laquelle la conformité d'un

procès aux normes fixées par l'article 6 (art. 6) de la

Convention doit être examinée sur la base de l'ensemble de la

procédure (cf notamment N° 9000/80, déc. 11.3.82, D.R. 28 p.

127). En l'espèce, il ne ressort pas des informations fournies

par le requérant à propos de cette procédure que celui-ci ait,

à ce jour, fait l'objet d'une condamnation définitive. En l'état,

il serait dès lors prématuré de constater l'apparence d'une

violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention en l'espèce.

     Statuant par surabondance de droit, la Commission relève

encore que la décision de non-lieu n'empêchait nullement le

requérant de faire valoir, dans la procédure pénale dirigée

contre lui, tous les éléments qu'il estimait nécessaires, y

compris ceux qu'il avait fait valoir dans sa plainte.

     Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et que

la requête doit être, sur ce point, rejetée par application de

l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

     Par ces motifs, la Commission à la majorité

     DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

   Le Secrétaire de la                  Le Président de la

    Deuxième Chambre                          Deuxième Chambre

      (K. ROGGE)                           (S. TRECHSEL)

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
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CEDH, Commission (deuxième chambre), DE BONVOISIN c. la BELGIQUE, 13 avril 1994, 16392/90