CEDH, Commission (deuxième chambre), DE GERANDO c. la FRANCE, 29 juin 1994

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 29 juin 1994
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 14 juillet 1991
Jurisprudence de Strasbourg : No 11604/85, déc. 10.10.86, D.R. 50, p. 259
No 11826/85, déc. 9.5.89, D.R. 61, pp. 138, 152
No 13805/88, Caporaso c/Italie
No 13926/88, déc. 4.10.90, D.R. 66, pp. 209, 225
No 13940/88, Meanotto c/Italie
No 15806/89, Curatella c/Italie, déc. 8.1.93 et rapports Comm. 5.5.93
No 7154/75, déc. 17.7.78, D.R. 14, p. 31
No 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18, pp. 31, 61
No 9348/81, déc. 28.2.83, D.R. 32, p. 190
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : partiellement recevable ; partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-25734
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0629DEC001915892
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITÉ

                      de la requête No 19158/91

                      présentée par Guillaume, Marie-Pierre et

                      Chantal DE GERANDO

                      contre la France

                            __________

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 29 juin 1994 en présence

de

           MM.   S. TRECHSEL, Président

                 H. DANELIUS

                G. JÖRUNDSSON

                J.-C. SOYER

                H.G. SCHERMERS

           Mme   G.H. THUNE

           MM.   F. MARTINEZ

                 L. LOUCAIDES

                 J.-C. GEUS

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

           M.    K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 14 juillet 1991 par Guillaume,

Marie-Pierre et Chantal De Gerando contre la France et enregistrée le

9 décembre 1991 sous le No de dossier 19158/91 ;

     Vu la décision de la Commission, en date du 1er septembre 1993

de communiquer la requête ;

     Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

23 décembre 1993 et les observations en réponse présentées par les

requérants le 23 mars 1994 ;

     Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le premier requérant, né en 1972, est le fils des deuxième et

troisième requérants, tous deux de nationalité française, nés

respectivement en 1938 et 1945, exerçant les professions d'acteur et

d'hôtesse de l'air. Les trois requérants résident ensemble à Sceaux.

     Devant la Commission, ils ont été représentés par Maître

Arnaud Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,

auquel ils ont ultérieurement retiré son mandat.

     Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

     Le 24 octobre 1975, le premier requérant, alors âgé de trois ans

et demi, fut examiné par le Dr T. qui diagnostiqua une rougeole et

n'estima pas nécessaire de le revoir ou d'être tenu informé de

l'évolution de son état. Le 26 octobre suivant, le premier requérant

fut hospitalisé d'urgence à l'hôpital de Neuilly-sur Seine pour une

méningite cérébro-spinale à un stade avancé. Sa vie put être sauvée

mais il garda comme séquelle une surdité bilatérale quasi-totale.

     Le 12 juin 1976, les deuxième et troisième requérants déposèrent

une plainte contre X avec constitution de partie civile pour coups et

blessures involontaires. Cette première plainte s'étant égarée dans les

services du tribunal, une seconde plainte fut déposée le 22 octobre

1976. Le Dr T. fut inculpé le 14 mars 1978.

     Dans le cadre de l'instruction, le juge d'instruction nomma le

25 mars 1977 un collège d'experts qui déposa son rapport le

1er février 1978 puis, compte tenu des lacunes dudit rapport, ordonna

le 10 octobre 1978 une nouvelle expertise qui fut remise

le 14 novembre 1979.

     Par jugement du 23 juin 1981, le tribunal correctionnel de

Nanterre relaxa le Dr T. des fins de la poursuite au motif qu'il n'y

avait aucune certitude de l'existence d'un rapport de causalité entre

le retard de diagnostic et la surdité.

     Ce jugement fut confirmé le 14 janvier 1982 par la cour d'appel

de Versailles et le pourvoi des requérants fut rejeté par la Cour de

cassation le 1er décembre 1982.

     Entretemps, le 17 mai 1983, les deuxième et troisième requérants

avaient engagé à l'encontre du Dr T. une action civile devant le

tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir réparation de

la perte de chance subie par le premier requérant d'éviter la surdité.

     Par jugement du 28 novembre 1984, le tribunal conclut que le

Dr T. était responsable à hauteur de 95 % du dommage subi par le

premier requérant. Il ordonna en outre une nouvelle expertise sur le

préjudice en allouant une provision de 40 000 FF aux demandeurs.

     Sur appel du Dr T., la cour d'appel de Versailles confirma ce

jugement par arrêt du 8 décembre 1986 en le condamnant à verser aux

deuxième et troisième requérants la somme de 850 000 FF et 10 000 FF

au titre des frais irrépétibles de procédure.

     Le 11 octobre 1988 la Cour de cassation cassa cet arrêt et

renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'Orléans. Devenu entretemps

majeur, le premier requérant intervint également dans la procédure.

     Par arrêt du 14 février 1991, la cour d'appel réforma pour partie

le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre et condamna le

Dr T. à verser aux requérants la somme de 500 000 FF.

     Les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre cet

arrêt. Ils invoquaient, d'une part, la violation de l'article 2 de la

Convention en ce que l'allocation de l'indemnité par la cour d'appel

n'aurait que partiellement couvert les conséquences de l'atteinte à la

vie et à l'intégrité corporelle du premier requérant. Ils faisaient

valoir, d'autre part, que l'arrêt attaqué rendu "à la suite d'une

procédure d'une durée excessive et au cours de laquelle aucune

précaution n'a été prise pour remédier au déséquilibre existant

nécessairement entre la victime de la faute d'un membre du corps et

celui-ci" aurait méconnu les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention.

     Par arrêt du 27 janvier 1993, la Cour de cassation rejeta le

pourvoi dans les termes suivants :

     "Mais attendu, d'abord, que l'article 2 de la convention

     précitée n'interdît pas aux tribunaux saisis d'une demande

     d'indemnisation d'un préjudice corporel d'écarter la

     responsabilité de la personne mise en cause dès lors que

     l'atteinte subie par la victime ne lui est pas imputable ;

     Attendu, ensuite, que la cinquième branche du moyen est

     irrecevable comme complexe ; que constituent en effet deux

     griefs distincts, d'une part, la critique, d'ailleurs

     inopérante, dirigée contre l'usage qu'a fait la cour

     d'appel des pouvoirs remis à sa discrétion par les articles

     1153-1 du Code civil et 700 du nouveau Code de procédure

     civile et, d'autre part, l'allégation de la durée excessive

     d'une procédure inéquitable, qui pourrait seulement fonder

     une demande de réparation distincte, laquelle n'entrait pas

     dans la saisine de la cour d'appel."

GRIEFS

1.   Les requérants se plaignent en premier lieu de ce que leur cause

n'aurait pas été entendue dans un délai raisonnable au sens de

l'article 6 par. 1. de la Convention, et ce tant devant les

juridictions pénales que civiles.

2.   Ils invoquent également l'absence de procès équitable tel qu'il

est prévu par l'article 6 par. 1, en ce qu'il n'y aurait pas eu égalité

des armes entre eux et le Dr T., membre du Conseil de l'Ordre des

médecins. Ils mentionnent à cet égard le fait que tous les frais

d'expertise ont été mis à leur charge, que les experts n'ont jamais

respecté les délais fixés, que les rares personnalités médicales qui

les ont appuyés ont été violemment attaquées à l'audience et ont vu

leur témoignages déformés et enfin que des pressions constantes

auraient été exercées sur eux comme sur les magistrats.

3.   Les requérants, invoquant l'article 2 de la Convention, estiment

que l'Etat est tenu de prendre toute mesure pour arriver à une juste

réparation des conséquences des atteintes à la vie et à l'intégrité

corporelle d'un individu, même si l'issue n'a pas été fatale.

4.  Dans leurs observations du 23 mars 1994, les requérants allèguent

en dernier lieu la violation des articles 3, 6 par. 3 d), 8, 10, 13,

14 et 17 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

     La requête a été introduite le 14 juillet 1991 et enregistrée le

9 décembre 1991.

     Le 1er septembre 1993, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé

de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur en

l'invitant à lui présenter par écrit ses observations sur la

recevabilité et le bien-fondé du grief relatif à la durée des deux

procédures, pénale et civile.

     Le Gouvernement a présenté ses observations, après prorogation

de délai, le 23 décembre 1993. Les requérants y ont répondu

le 23 mars 1994.

EN DROIT

1.   Les requérants se plaignent en premier lieu de ce que leur cause

n'aurait pas été entendue dans un "délai raisonnable" au sens de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose que :

     "Toute personne a droit à ce sa cause soit entendue (...) dans

     un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera (...) des

     contestations sur ses droits et obligations de caractère civil

     (...)"

     Les requérants se plaignent du non-respect du "délai raisonnable"

au regard des deux procédures, pénale et civile, successivement

engagées.

a)   Sur l'exception de non-respect du délai de six mois :

     Le Gouvernement excipe de l'irrecevabilité du grief, en ce qui

concerne la procédure pénale, pour non-respect du délai de six mois

prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention, au motif que cette

procédure s'est terminée plus de six mois avant la date d'introduction

de la requête.

     Les requérants, pour leur part, s'opposent à ce que la procédure

pénale et la procédure civile soient examinées séparément et

soutiennent qu'il s'agit d'une seule et même procédure judiciaire

tirant son origine des mêmes faits et ayant les mêmes intérêts en

cause, mais comportant deux versants, pénal et civil. A leur avis, le

lien procédural entre les deux procédures est indiscutable, car l'issue

de la procédure pénale est déterminante pour leurs droits civils.

     La Commission considère que les deux procédures, pénale et

civile, fondées sur les mêmes faits et poursuivant la réparation du

préjudice, doivent être considérées, pour le contrôle du respect du

principe du délai raisonnable, comme une seule procédure (cf.

N° 13805/88, Caporaso c/Italie, N°13940/88, Meanotto c/Italie,

N° 15806/89, Curatella c/Italie, déc. 8.1.93 et rapports Comm. 5.5.93).

     Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement ne saurait être

retenue.

b)   Sur le grief des requérants :

     La période à prendre en considération a débuté le 12 juin 1976,

date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, et

s'est terminée le 27 janvier 1993, par l'arrêt rendu par la Cour de

cassation.

     Selon les requérants, la durée des deux procédures, qui est au

total de seize ans et plus de sept mois, ne répond pas à l'exigence du

"délai raisonnable" (article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention). Le

Gouvernement s'oppose à cette thèse.

     La Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la

jurisprudence des organes de la Convention en matière de "délai

raisonnable" (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des

autorités compétentes) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa

possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.

      Dès lors, ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal

fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En

outre, il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

2.   Les requérants invoquent également la violation de l'article 6

par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il se plaignent de ce qu'il n'y

aurait pas eu égalité des armes entre eux et le Dr T., membre de

l'Ordre des Médecins et protégé, selon eux, tant par ses confrères que

par l'institution judiciaire.

     La Commission rappelle d'emblée qu'elle a pour seule tâche,

conformément à l'article 19 (art. 19) de la Convention, d'assurer le

respect des engagements résultant de la Convention par les Parties

contractantes. En particulier, elle n'est pas compétente pour examiner

les erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une

juridiction interne, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui

semblent avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis

par la Convention (cf.   N° 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 31, 61

; N° 11826/85, déc. 9.5.89, D.R. 61 pp. 138, 152 ; N° 13926/88,

déc. 4.10.90, D.R. 66 pp. 209, 225).

     La Commission relève que la cause des requérants a été examinée

dans le cadre d'une procédure contradictoire par trois degrés de

juridictions, qui ont fondé en droit leurs décisions en répondant de

façon suffisante aux moyens invoqués. Elle observe que les juridictions

en cause ont donné aux parties la même possibilité de présenter leurs

arguments sur le fond du litige ainsi que de participer aux audiences.

En outre, l'examen du dossier ne permet pas de conclure que les parties

n'auraient pas été traitées sur un pied d'égalité. S'agissant, en

dernier lieu, des pressions qui auraient été exercées sur les

magistrats, la Commission relève que ce grief n'a pas été étayé.

     Dès lors, la Commission ne décèle aucune apparence de violation

du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention.

     En conséquence, cette partie de la requête est manifestement mal

fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

3.  Les requérants soutiennent que l'Etat est tenu de prendre toute

mesure pour arriver à une juste réparation des conséquences des

atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle d'un individu, même si

l'issue n'a pas été fatale. Ils invoquent à ce titre la violation de

l'article 2 (art. 2) de la Convention.

     Il est vrai que l'article 2 (art. 2) de la Convention entraîne

pour les Etats contractants l'obligation de prendre les mesures

nécessaires à la protection de la vie (N° 7154/75, déc. 17.7.78, D.R.

14 p. 31 ; N° 9348/81, déc. 28.2.83, D.R. 32 p. 190 ; N° 11604/85,

déc. 10.10.86, D.R. 50 p. 259).

     Toutefois, à supposer même que cet article puisse être invoqué

en l'espèce, il ne peut trouver à s'appliquer que dans les cas où

l'action ou la carence d'une autorité publique peuvent être mises en

cause. Or, d'une part, dans le cas d'espèce, l'erreur de diagnostic

initiale a été faite par un praticien libéral en dehors de toute

structure hospitalière publique.

     D'autre part, le seul fait que les requérants n'aient pas obtenu

la réparation intégrale à laquelle ils estimaient avoir droit ne

saurait signifier que l'Etat a manqué à ses obligations découlant de

l'article 2 (art. 2) de la Convention. A cet égard, la Commission

relève que les juridictions saisies ont examiné de façon approfondie

la question de la réparation du préjudice et ne décèle en l'espèce

aucun aspect arbitraire.

     En conséquence, cette partie de la requête est manifestement mal

fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

4.   Les requérants allèguent en dernier lieu la violation des

articles 3, 6 par. 3 d), 8, 10, 13, 14 et 17

(art. 3, 6-3-d, 8, 10, 13, 14, 17) de la Convention.

     La Commission constate toutefois que ces griefs ont été soulevés

pour la première fois par les requérants dans leurs observations en

réponse du 23 mars 1994, soit largement en dehors du délai de six mois

mentionné à l'article 26 (art. 26) de la Convention.

     Il s'ensuit que ces griefs sont irrecevables en application de

l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

     Par ces motifs, la Commission,

     à la majorité, DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés,

     le grief tiré de la durée de la procédure ;

     à l'unanimité, DECLARE LE SURPLUS DE LA REQUETE IRRECEVABLE.

     Le Secrétaire                                Le Président

  de la Deuxième Chambre                       de la Deuxième Chambre

      (K. ROGGE)                                  (S. TRECHSEL)

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