CEDH, Commission (deuxième chambre), RUIZ-MATEOS ET AUTRES c. l'ESPAGNE, 2 décembre 1994, 24469/94
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 2 déc. 1994, n° 24469/94 |
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Numéro(s) : | 24469/94 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 30 mai 1994 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-27043 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1994:1202DEC002446994 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 24469/94
présentée par José María RUIZ-MATEOS et autres
contre l'Espagne
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 décembre 1994 en présence
de
MM. S. TRECHSEL, Président
H. DANELIUS
G. JÖRUNDSSON
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 30 mai 1994 par José María RUIZ-
MATEOS contre l'Espagne et enregistrée le 24 juin 1994 sous le N° de
dossier 24469/94 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, dont la liste figure en annexe I, sont frères et
soeur, tous ressortissants espagnols. Devant la Commission, ils sont
représentés par Maîtres García Montes, Cámara Del Castillo et García
Martin de Madrid.
Les faits de la cause, tels qu'exposés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit :
Les requérants sont les mêmes que ceux à l'origine de la requête
N° 12952/87, déclarée recevable le 6 novembre 1990. Cette requête
donna lieu à l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme Ruiz-
Mateos contre Espagne rendu le 23 juin 1993 (série A n° 262). Dans son
arrêt, la Cour conclut à la violation du droit des requérants à ce que
leur cause fût examinée dans un délai raisonnable et du droit à ce que
leur cause fût entendue de manière équitable conformément à l'article 6
par. 1 de la Convention.
Le 14 juillet 1993, les requérants présentèrent deux recours
d'amparo devant le Tribunal Constitutionnel en demandant d'une part,
la nullité de l'arrêt du Tribunal Constitutionnel du 2 décembre 1983
rejetant le recours en inconstitutionnalité présenté par plusieurs
parlementaires concernant la constitutionnalité de la loi
d'expropriation du groupe RUMASA et, d'autre part, la nullité des deux
arrêts du Tribunal rendus le 19 décembre 1986 et le 15 janvier 1991
rejetant les questions d'inconstitutionnalité déférées par les juges
du fond et relatives à la constitutionnalité de l'expropriation de
RUMASA. Les requérants exigeaient l'exécution stricte de l'arrêt de
la Cour, à savoir, la nullité de la partie de la procédure en
inconstitutionnalité engagée par eux contre la loi d'expropriation du
groupe RUMASA, déclarée contraire au principe de l'égalité des armes
garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention par la Cour dans
l'arrêt précité. A cet égard, les requérants se référaient à l'arrêt
du Tribunal Constitutionnel rendu le 16 décembre 1991 dans l'affaire
Barberá, Messegué et Jabardo comme suite à l'arrêt de la Cour
européenne des Droits de l'Homme (Cour eur. D.H., arrêt du
6 décembre 1988, série A n° 146). Les requérants demandèrent également
le versement de dommages-intérêts au titre de la durée excessive de la
procédure litigieuse ainsi que la récusation du président du Tribunal
Constitutionnel.
En raison de la connexité des deux recours d'amparo, le Tribunal
Constitutionnel décida de les renvoyer à sa deuxième chambre.
Par deux décisions (providencias) séparées et motivées rendues
le 31 janvier 1994, le Tribunal Constitutionnel déclara irrecevables
les deux recours d'amparo. Examinant la question de l'exécution de
l'arrêt de la Cour, le Tribunal déclara qu'aussi bien la Cour
européenne des Droits de l'Homme que le Tribunal Constitutionnel
accomplissaient leurs fonctions respectives dans le cadre d'ordres
juridiques différents. Le Tribunal ajoutait, qu'en marge du devoir
d'interprétation des droits fondamentaux, conformément aux traités et
accords internationaux en matière de Droits de l'Homme ratifiés par
l'Espagne (article 10 par. 2 de la Constitution), il n'était soumis
qu'à la Constitution et à la Loi organique qui fixait ses compétences.
Le Tribunal déclara qu'il ne ressortait pas de l'article 53 de la
Convention qu'il fut une instance hiérarchiquement subordonnée à la
Cour européenne et, partant, obligé d'exécuter ses arrêts dans l'ordre
interne. Cette possibilité n'était pas non plus prévue par la Loi
Organique du Tribunal Constitutionnel (LOTC) et ce d'autant plus que
la prétention des requérants supposait la nullité des propres arrêts
du Tribunal Constitutionnel alors que ceux-ci avaient force de chose
jugée, ne pouvant de surcroît faire l'objet d'un quelconque recours.
Le 21 mars 1994, le Comité des Ministres adopta la Résolution
DH (94) 27 en vertu de l'article 54 de la Convention dans l'affaire
Ruiz-Mateos contre Espagne. Dans cette résolution, le Comité des
Ministres concluait comme suit :
"Ayant invité le Gouvernement de l'Espagne à l'informer des
mesures prises à la suite de l'arrêt du 23 juin 1993, eu
égard à l'obligation qu'il a de s'y conformer selon
l'article 53 de la Convention ;
Considérant que, lors de l'examen de cette affaire par le
Comité des Ministres, le Gouvernement de l'Espagne a donné
à celui-ci des informations sur les mesures prises à la
suite de l'arrêt, informations qui sont résumées dans
l'Annexe à la présente Résolution,
Déclare, après avoir pris connaissance des informations
fournies par le Gouvernement de l'Espagne, qu'il a rempli
ses fonctions en vertu de l'article 54 de la Convention
dans la présente affaire."
L'Annexe à la Resolution DH (94) 27 exposait ce qui suit :
Informations fournies par le Gouvernement de l'Espagne lors de
l'examen de l'affaire Ruiz Mateos par le Comité des Ministres
"La législation mise en cause dans l'affaire Ruiz Mateos, la loi
N° 7/1983 du 29 juin 1983 portant expropriation, pour des raisons
d'utilités publiques et intérêt social des sociétés faisant partie du
groupe RUMASA, revêtait un caractère unique et l'affaire Ruiz Mateos
était, en conséquence, une affaire exceptionnelle.
L'arrêt de la Cour a eu la plus vaste publicité possible en
Espagne, y compris de longs rapports dans les médias.
La violation de l'article 6, paragraphe 1, causée par la durée
excessive des procédures nationales a été réparée par les
développements qui ont eu lieu depuis en Espagne : quant à la situation
devant l'Audiencia Provincial ceci apparaît déjà dans le paragraphe 48
de l'arrêt de la Cour ; quant à la situation devant le Tribunal
constitutionnel, les statistiques montrent que la charge de travail du
Tribunal a considérablement baissé après 1986 suite à la maturité
croissante de la démocratie espagnole, à une situation juridique plus
claire, en particulier en ce qui concerne la distribution des
compétences au sein du nouvel Etat des Communautés Autonomes (el nuevo
Estado de las Autonomías), et à l'adoption de la Loi organique 6/1988,
du 9 juin 1988, qui a permis au Tribunal constitutionnel de rejeter par
une procédure sommaire les recours d'amparo non recevables.
Considérant le caractère unique de l'affaire Ruiz Mateos, la
violation de l'article 6, paragraphe 1, due au fait que les requérants
n'ont pas eu le droit de participer à la procédure devant le Tribunal
constitutionnel, ne risque pas de se reproduire. Si une nouvelle
affaire comparable à l'affaire Ruiz Mateos devait toutefois se
présenter, le Tribunal constitutionnel aurait la possibilité,
conformément à l'article 96 de la Constitution espagnole, d'adopter une
procédure qui satisferait les exigences de la Convention telles
qu'elles sont définies dans l'arrêt Ruiz Mateos; vu la position de la
Convention en droit espagnol, il y a aussi tout lieu de croire que,
dans un tel cas, le Tribunal constitutionnel adopterait ladite
procédure."
En réponse à une lettre du représentant du requérant, le
Directeur Délégué au Secrétariat du Comité des Ministres informait, par
lettre du 9 mai 1994, l'avocat des requérants, Me García Montes, du
caractère final de la Résolution DH (94) 27.
GRIEFS
Les requérants se plaignent que ni le Gouvernement défendeur ni
le Tribunal Constitutionnel n'ont exécuté l'arrêt rendu par la Cour
dans l'affaire Ruiz-Mateos. Ils allèguent en particulier la violation
par le Tribunal Constitutionnel des articles 46 et 53 de la Convention.
Les requérants invoquent l'article 50 de la Convention et demandent que
l'Etat espagnol soit condamné, au titre de la satisfaction équitable
de cette disposition de la Convention, au versement de la somme de deux
billions (2.000.000.000.000) de pesetas correspondant à la valeur des
biens expropriés, augmentée des intérêts légaux et des frais de
procédure. Les requérants estiment aussi que le Tribunal
Constitutionnel a enfreint l'article 1 du Protocole premier à la
Convention qui garantit le droit de propriété alors en vigueur à
l'égard de l'Espagne puisqu'il avait été ratifié le 2 novembre 1990.
Ils considèrent que la juridiction constitutionnelle aurait dû
connaître de la constitutionnalité de l'expropriation de RUMASA.
Les requérants se plaignent également que l'article 50 par. 2 de
la LOTC permet de rejeter un recours d'amparo par un simple comité
(sección) composé de trois membres du Tribunal Constitutionnel, sans
qu'il y ait d'audience publique ni possibilité de recours ultérieur.
Ils font valoir que dans le présent cas les deux recours furent joints
de façon arbitraire et renvoyés à la même chambre sans avoir été
entendus comme l'exige l'article 83 de la LOTC. Les requérants
estiment que de ce fait les deux recours d'amparo n'ont pas été
examinés de façon équitable et invoquent l'article 6 par. 1 de la
Convention.
Les requérants se plaignent aussi que le Tribunal Constitutionnel
n'a pas examiné les recours d'amparo dans un délai raisonnable puisque
presque 9 mois se sont écoulés entre la date d'introduction des recours
et le moment où ils devinrent définitifs, à savoir respectivement les
4 mars et 7 avril 1994. Ils invoquent l'article 6 par. 1 de la
Convention.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent que le Tribunal Constitutionnel a
rejeté leurs recours d'amparo dans lesquels ils demandaient à ce que
la juridiction constitutionnelle donne exécution à l'arrêt de la Cour
européenne des Droits de l'Homme du 23 juin 1993 rendu dans l'affaire
Ruiz-Mateos contre Espagne et en particulier qu'elle examine la
constitutionnalité de la loi expropriant le groupe RUMASA. Ils
invoquent les articles 46, 50 et 53 (art. 46, 50, 53) de la Convention
et l'article 1 du Protocole premier (P1-1) à la Convention.
La Commission constate que les deux procédures litigieuses ont
trait au rejet des deux recours d'amparo présentés par les requérants
devant le Tribunal Constitutionnel, par lesquels ils demandaient à la
juridiction constitutionnelle d'exécuter l'arrêt de la Cour européenne
des Droits de l'Homme rendu le 23 juin 1993 dans l'affaire Ruiz-Mateos.
Dans la mesure où les griefs des requérants concernent leur précédente
requête N° 12952/87 et l'allégation que le Gouvernement défendeur et
le Tribunal Constitutionnel n'auraient pas exécuté l'arrêt de la Cour
européenne des Droits de l'Homme, la Commission rappelle qu'aux termes
de l'article 54 (art. 54) de la Convention, la surveillance de
l'exécution des arrêts de la Cour ressortit exclusivement à la
compétence du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Or, le
Comité des Ministres s'est acquitté de sa tâche à cet égard en adoptant
la Résolution DH (94) 27 du 21 mars 1994. Il s'ensuit que la
Commission n'est pas compétente pour connaître de cette question, de
sorte que sur ce point la requête doit être rejetée comme étant
incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention
conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention (cf.
N° 10243/83, déc. 6.3.85, D.R.41 pp. 124-137).
S'agissant du grief tiré de l'article 1 du Protocole premier
(P1-1) à la Convention, la Commission estime qu'il se rapporte
également à l'exécution de l'arrêt de la Cour et par conséquent doit
être de la même façon rejeté pour incompatibilité ratione materiae
avec les dispositions de la Convention conformémemnt à l'article 27
par. 2 (art. 27-2).
2. Les requérants se plaignent que le Tribunal Constitutionnel ne
les a pas entendus avant de décider le renvoi des deux recours d'amparo
devant une même chambre et de la durée de leur examen par la
juridiction constitutionnelle et invoquent l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose
notamment :
" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,
par un tribunal ... qui décidera, ... des contestations sur
ses droits et obligations de caractère civil ..."
Dans la mesure où les requérants se plaignent de la procédure
d'examen des recours d'amparo, la Commission constate que, par ces
recours, les requérants tendaient à faire annuler par le Tribunal
Constitutionnel ses propres décisions antérieures devenues définitives
et ayant la force de la chose jugée. Or, elle relève qu'à la lumière
des décisions du Tribunal constitutionnel l'article 6 (art. 6) de la
Convention ne garantit pas le droit à un recours contre une décision
devenue définitive. Par conséquent, cette partie de la requête doit
être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les
dispositions de la Convention, conformément à l'article 27 par. 2
(art. 27-2).
En conséquence, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
Textes cités dans la décision