CEDH, Commission (deuxième chambre), OUENDENO c. la FRANCE, 2 mars 1994, 18441/91

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 2 mars 1994, n° 18441/91
Numéro(s) : 18441/91
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 7 mai 1991
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58, pp. 15, 35-36, par. 28, 63 à 68
Cour Eur. D.H. Arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 22 par. 48
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : partiellement recevable ; partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-27275
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0302DEC001844191
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Texte intégral

                           SUR LA RECEVABILITÉ

                 sur la requête No 18441/91

                 présentée par Alexis OUENDENO

                 contre la France

      La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre),

siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de

      MM.  S. TRECHSEL, Président

           H. DANELIUS

           G. JÖRUNDSSON

           J.-C. SOYER

           H.G. SCHERMERS

      Mme  G.H. THUNE

      MM.  F. MARTINEZ

           L. LOUCAIDES

           J.-C. GEUS

           M.A. NOWICKI

           I. CABRAL BARRETO

           J. MUCHA

           D. SVÁBY

      M.   K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme

et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 7 mai 1991 par Alexis OUENDENO contre

la France et enregistrée le 3 juillet 1991 sous le No de dossier

18441/91 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

8 avril 1993 et les observations en réponse présentées par le requérant

le 9 juin 1993 ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

Circonstances particulières de l'affaire :

      Le requérant, né le 15 décembre 1947 en Guinée, de nationalité

française, exerce la profession de médecin et réside à Evry.

      Devant la Commission, il est représenté par la société civile

professionnelle de Maîtres Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocats au

Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

      Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent

se résumer comme suit.

      A la suite d'une enquête effectuée auprès d'un certain nombre de

patients du requérant, la caisse primaire d'assurance-maladie de

l'Essonne saisit le 28 décembre 1987 le conseil régional de l'ordre des

médecins de l'Ile de France d'une plainte à son encontre. Cette plainte

était fondée sur le fait que le requérant aurait, malgré une précédente

sanction, continué de prescrire "des thérapeutiques inutiles, abusives

et dangereuses" (en l'espèce des traitements amaigrissants).

      Par décision du 4 juillet 1989, le conseil régional de l'Ordre

interdit au requérant de donner des soins aux assurés sociaux pendant une

durée d'un an, en rejetant sa demande de publicité des débats en raison

du caractère disciplinaire de l'instance.

      Sur appel du requérant, le conseil national de l'Ordre confirma

cette sanction par décision du 21 mai 1990 tout en rejetant comme suit

la demande réitérée du requérant de publicité des débats :

           "Considérant en premier lieu, qu'aux termes du dernier alinéa

           de l'article 26 du décret du 26 octobre 1948 relatif notamment

           au fonctionnement de la section disciplinaire de l'ordre des

           médecins : 'l'audience n'est pas publique et la délibération

           demeure secrète' ; que cette disposition ne méconnait aucun

           principe général du droit ni davantage les termes de l'article

           6 par. 1 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits

           de l'Homme et des Libertés fondamentales (...) qui ne

           s'appliquent qu'aux juridictions statuant en matière pénale ou

           tranchant des contestations sur des droits et obligations de

           caractère civil ..."

      Devant le conseil national, le requérant avait également demandé à

bénéficier d'un temps de parole suffisamment long pour présenter

l'ensemble de ses arguments, par ailleurs exposés par écrit. Toutefois,

cette demande fut rejetée et le président limita son temps de parole.

      Le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat

contre la décision du 4 juillet 1989 en alléguant notamment la violation

de l'article 6 par. 1 de la Convention en ce que les débats n'avaient pas

été publics et qu'il n'avait pas pu présenter des observations orales en

défense lors de l'audience.

      Par décision du 12 novembre 1990, la commission d'admission des

pourvois en cassation du Conseil d'Etat rejeta son pourvoi au motif

qu'aucun des moyens soulevés ne présentait un caractère sérieux.

Droit interne applicable :

- Procédure devant les instances ordinales :

      L'article 26 du décret du 26 octobre 1948 relatif au fonctionnement

de la section disciplinaire de l'Ordre des médecins, applicable au moment

des faits, dispose :

      "L'audience n'est pas publique et la délibération demeure secrète."

      Un décret du 5 février 1993 a modifié la procédure  en instituant

la publicité des audiences. L'article 1er du décret dispose notamment:

      "L'article 13 du décret du 26 octobre 1948 susvisé est complété par

      les trois alinéas ainsi rédigés :

      'L'audience est publique. Toutefois le président peut, d'office ou

      à la demande d'une des parties ou de la personne dont la plainte a

      provoqué la saisine du conseil,  interdire au public l'accès à la

      salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre

      public ou lorsque le respect de la vie privée ou du secret médical

      le justifie.'(...)"

- Pourvois en cassation devant le Conseil d'Etat :

      A la suite de la loi du 31 décembre 1987 qui a institué les cours

administratives d'appel, le décret du 2 septembre 1988 a créé au sein du

Conseil d'Etat une commission dite "d'admission des pourvois en

cassation".

      L'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 prévoit que l'admission

des pourvois en cassation est "refusée par décision juridictionnelle si

le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux."

GRIEFS

      Le requérant soulève plusieurs griefs au titre de l'article 6 par.

1 de la Convention.

1.    Le requérant se plaint d'une violation de cette disposition en ce

que les débats devant les instances ordinales n'auraient pas été publics.

2.    Il invoque également le non-respect des droits de la défense  en ce

que ses patients n'auraient pu être interrogés lors de la procédure et

en ce qu'il aurait été privé du droit de défendre lui-même oralement sa

cause compte tenu de la limitation de son temps de parole.

3.    Il fait enfin valoir que la procédure devant la commission

d'admission des pourvois en cassation du Conseil d'Etat ne serait pas

contradictoire, que ces décisions seraient dépourvues de motivation et

ne satisferaient pas en tout état de cause à l'exigence d'un procès

équitable.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

      La requête a été introduite le 7 mai 1991 et enregistrée le

3 juillet 1991.

      Le 8 décembre 1992, la Commission (Deuxième Chambre), en application

de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter

cette requête à la connaissance du Gouvernement et de l'inviter à lui

présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé

des griefs du requérant.

      Le Gouvernement a présenté ses observations le 8 avril 1993 et le

requérant y a répondu le 9 juin 1993.

EN DROIT

1.    Le requérant invoque plusieurs griefs tenant à l'équité de la

procédure et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont

les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

           "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)

           publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit

           des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-

           fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre

           elle. Le jugement doit être rendu publiquement mais l'accès à

           la salle d'audience peut être interdit à la presse ou au

           public pendant la totalité ou une partie du procès lorsque

           (..) la protection de la vie privée des parties au procès

           l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par

           le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la

           publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de

           la justice."

2.    Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention:

      Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention aux procédures disciplinaires en ce qu'elles

ne porteraient pas sur des accusations en matière pénale et ne

trancheraient pas de contestations portant sur des droits et obligations

de caractère civil.

      Le requérant combat cette thèse. Se référant à la jurisprudence de

la Cour européenne des Droits de l'Homme (arrêts Ringeisen du

16 juillet 1971, série A n° 13 ; König du 28 juin 1978, série A n°27 ;

Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43 ;

Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58), il rappelle que

le droit d'exercer une activité médicale dans un cadre libéral revêt un

caractère privé et estime que la procédure en cause qui a abouti à une

décision lui interdisant pendant un an de donner des soins aux assurés

sociaux est déterminante pour un droit de caractère civil.

      S'agissant de l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de

la Convention aux poursuites disciplinaires, la Commission rappelle la

jurisprudence des organes de la Convention, selon laquelle les procédures

devant les organes disciplinaires de l'Ordre des médecins et les

décisions rendues par ceux-ci, en tant qu'elles affectent l'exercice

libéral de la profession médicale, emportent détermination de droits de

caractère civil, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention (cf. notamment Cour eur. D.H., arrêt Le Compte, Van Leuven et

De Meyere du 23 juin 1981, série A, n° 43, p. 22 par. 48 ; arrêt Albert

et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58, p. 15 par. 28, rapport

Comm. 14.12.81, série B n° 50).

      En l'occurrence, la Commission relève que le requérant a fait

l'objet d'une mesure d'interdiction du droit de donner des soins aux

assurés sociaux pendant une période d'une année et estime que cette

sanction affecte l'exercice de son activité professionnelle. En

conséquence, la Commission considère que l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

de la Convention est applicable à la procédure en cause dans la mesure

où elle concerne un droit de caractère civil du requérant.

      La Commission a également estimé nécessaire d'envisager si la partie

de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) qui vise tout tribunal statuant sur le

"bien-fondé d'une accusation en matière pénale" est applicable à la

présente requête.

      A cet égard, la Commission rappelle que, dans l'affaire Albert et

Le Compte précitée, elle avait à examiner sous l'angle de cette

disposition le cas de deux médecins dont l'un avait été suspendu pendant

deux ans pour avoir délivré des certificats de complaisance et le second

avait été radié de l'Ordre des médecins pour publicité et propos

diffamatoires à l'égard de l'Ordre.

      Dans son rapport (loc. cit. pp. 35-36, par. 63 à 68), la Commission

a conclu que, compte tenu de la nature des textes applicables,

ressortissant sans conteste au droit disciplinaire, de celle des faits

reprochés, constituant des fautes disciplinaires et de la sanction

prononcée, caractéristique par sa nature et son but d'une sanction

disciplinaire et ne pouvant se confondre avec une peine, il n'y avait pas

en l'espèce d'"accusation en matière pénale" au sens de l'article 6 par.

1 (art. 6-1).

      La Commission ne voit aucune raison de s'écarter de cette

jurisprudence, d'autant que les faits reprochés au requérant dans la

présente affaire revêtent exclusivement un caractère disciplinaire et que

la sanction prononcée est plus légère que dans l'affaire Albert et Le

Compte.

      En conséquence, la Commission considère que l'article 6 par. 1

(art. 6-1) n'est applicable qu'en tant qu'il concerne des "droits et

obligations de caractère civil".

3.    Sur les griefs du requérant :

a)    Le requérant se plaint de ce que les débats devant les instances

ordinales n'ont pas, malgré sa demande expresse, été publics.

      Le Gouvernement estime que le grief du requérant est manifestement

mal fondé. En se référant aux arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere

et Albert et Le Compte précités, il fait valoir que le respect de la vie

privée des patients dans la procédure litigieuse justifiait qu'il soit

fait exception au principe de publicité des débats.

      Le requérant estime que les conditions auxquelles l'article 6 par.

1 (art. 6-1) de la Convention subordonne ladite exception ne se trouvent

pas remplies en l'espèce, dans la mesure où l'objet du litige portait sur

les prescriptions habituellement ordonnées par lui sans que la réalité

de ces prescriptions soit en cause et qu'en conséquence la vie privée des

patients n'était pas concernée.

      En ce qui concerne le grief tiré de l'absence de publicité des

débats, la Commission rappelle que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention énonce le principe de la publicité de toute procédure

tranchant une contestation sur des droits et obligations de caractère

civil, tout en prévoyant certaines exceptions à cette règle.

      Dans le cas d'espèce, la question qui se pose est celle de savoir

si le point en litige devant les organes de l'Ordre, à savoir la liberté

de prescription, touche principalement à des questions situées dans le

champ d'application des exceptions prévues à l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention.

      Après avoir examiné l'argumentation des parties, la Commission

estime que cette question soulève des problèmes de droit et de fait

suffisamment complexes pour nécessiter un examen au fond de la requête.

b)    Le requérant se plaint par ailleurs du refus d'audition de ses

patients par les instances ordinales.

      La Commission constate d'emblée que le requérant a omis d'invoquer

ce grief à l'appui du pourvoi qu'il a formé devant le Conseil d'Etat

contre la décision du 4 juillet 1989 du conseil national. Dès lors, il

n'a pas satisfait à la condition d'épuisement des voies de recours

internes requise par l'article 26 (art. 26) de la Convention.

      En conséquence, cette partie de la la requête doit être rejetée en

application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

c)    Se référant à la décision du président du conseil national de

l'Ordre de limiter son temps de parole devant cette instance, le

requérant estime avoir été privé du droit de se défendre lui-même.

      La Commission relève que, devant le conseil national de l'Ordre et

dans les limites fixées par le président, le requérant a eu la

possibilité de s'exprimer oralement et qu'au surplus, ladite instance a

pris connaissance de l'intégralité de l'argumentation écrite du

requérant. La Commission a également pris en considération l'élément

écrit de la procédure disciplinaire et estime que, dans ces

circonstances, la restriction du temps de parole dont le requérant a fait

l'objet n'a pas porté atteinte au respect de ses droits garantis par

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

      Il s'ensuit que la requête doit être rejetée sur ce point comme

étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2)

de la Convention.

d)    Le requérant se plaint en dernier lieu de la procédure devant la

commission d'admission des pourvois en cassation du Conseil d'Etat.

      La Commission constate que ladite commission, saisie du pourvoi du

requérant, a motivé sa non-admission par la considération qu'aucun des

moyens soulevés ne présentait de caractère sérieux.

      Elle relève que la loi du 31 décembre 1987 dispose, en son article

7, que l'admission des pourvois en cassation "est refusée par décision

juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun

moyen sérieux".

      La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle aucun droit

de faire appel d'un jugement ne figure au nombre des droits et libertés

reconnus par la Convention. Lorsque la loi nationale subordonne la

recevabilité d'un recours à une décision par laquelle la juridiction

compétente déclare que le recours soulève une question de droit très

importante et présente des chances de succès, il peut suffire que cette

juridiction se borne à citer la disposition légale prévoyant cette

procédure (cf notamment N° 8769/79, X. c/RFA, déc. 16.7.81, D.R. 25 p.

242).

      La Commission relève en l'espèce que la décision de rejet de la

commission d'admission était fondée sur l'absence de moyens sérieux, soit

l'un des deux motifs prévus par l'article 11 de la loi du 31 décembre

1987. Dans ces conditions, la Commission ne relève aucune apparence de

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

      Il s'ensuit que cet aspect de la requête est également manifestement

mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

      DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du

      requérant tiré de l'absence de publicité des débats,

      DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

          Le Secrétaire                        Le Président

      de la Deuxième Chambre              de la Deuxième Chambre

           (K. ROGGE)                          (S. TRECHSEL)

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  1. Décret n°48-1671 du 26 octobre 1948
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