CEDH, Commission (deuxième chambre), OUENDENO c. la FRANCE, 2 mars 1994, 18441/91
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 2 mars 1994, n° 18441/91 |
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Numéro(s) : | 18441/91 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 7 mai 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | partiellement recevable ; partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-27275 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1994:0302DEC001844191 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
sur la requête No 18441/91
présentée par Alexis OUENDENO
contre la France
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre),
siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de
MM. S. TRECHSEL, Président
H. DANELIUS
G. JÖRUNDSSON
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme
et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 7 mai 1991 par Alexis OUENDENO contre
la France et enregistrée le 3 juillet 1991 sous le No de dossier
18441/91 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
8 avril 1993 et les observations en réponse présentées par le requérant
le 9 juin 1993 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Circonstances particulières de l'affaire :
Le requérant, né le 15 décembre 1947 en Guinée, de nationalité
française, exerce la profession de médecin et réside à Evry.
Devant la Commission, il est représenté par la société civile
professionnelle de Maîtres Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocats au
Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.
A la suite d'une enquête effectuée auprès d'un certain nombre de
patients du requérant, la caisse primaire d'assurance-maladie de
l'Essonne saisit le 28 décembre 1987 le conseil régional de l'ordre des
médecins de l'Ile de France d'une plainte à son encontre. Cette plainte
était fondée sur le fait que le requérant aurait, malgré une précédente
sanction, continué de prescrire "des thérapeutiques inutiles, abusives
et dangereuses" (en l'espèce des traitements amaigrissants).
Par décision du 4 juillet 1989, le conseil régional de l'Ordre
interdit au requérant de donner des soins aux assurés sociaux pendant une
durée d'un an, en rejetant sa demande de publicité des débats en raison
du caractère disciplinaire de l'instance.
Sur appel du requérant, le conseil national de l'Ordre confirma
cette sanction par décision du 21 mai 1990 tout en rejetant comme suit
la demande réitérée du requérant de publicité des débats :
"Considérant en premier lieu, qu'aux termes du dernier alinéa
de l'article 26 du décret du 26 octobre 1948 relatif notamment
au fonctionnement de la section disciplinaire de l'ordre des
médecins : 'l'audience n'est pas publique et la délibération
demeure secrète' ; que cette disposition ne méconnait aucun
principe général du droit ni davantage les termes de l'article
6 par. 1 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits
de l'Homme et des Libertés fondamentales (...) qui ne
s'appliquent qu'aux juridictions statuant en matière pénale ou
tranchant des contestations sur des droits et obligations de
caractère civil ..."
Devant le conseil national, le requérant avait également demandé à
bénéficier d'un temps de parole suffisamment long pour présenter
l'ensemble de ses arguments, par ailleurs exposés par écrit. Toutefois,
cette demande fut rejetée et le président limita son temps de parole.
Le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat
contre la décision du 4 juillet 1989 en alléguant notamment la violation
de l'article 6 par. 1 de la Convention en ce que les débats n'avaient pas
été publics et qu'il n'avait pas pu présenter des observations orales en
défense lors de l'audience.
Par décision du 12 novembre 1990, la commission d'admission des
pourvois en cassation du Conseil d'Etat rejeta son pourvoi au motif
qu'aucun des moyens soulevés ne présentait un caractère sérieux.
Droit interne applicable :
- Procédure devant les instances ordinales :
L'article 26 du décret du 26 octobre 1948 relatif au fonctionnement
de la section disciplinaire de l'Ordre des médecins, applicable au moment
des faits, dispose :
"L'audience n'est pas publique et la délibération demeure secrète."
Un décret du 5 février 1993 a modifié la procédure en instituant
la publicité des audiences. L'article 1er du décret dispose notamment:
"L'article 13 du décret du 26 octobre 1948 susvisé est complété par
les trois alinéas ainsi rédigés :
'L'audience est publique. Toutefois le président peut, d'office ou
à la demande d'une des parties ou de la personne dont la plainte a
provoqué la saisine du conseil, interdire au public l'accès à la
salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre
public ou lorsque le respect de la vie privée ou du secret médical
le justifie.'(...)"
- Pourvois en cassation devant le Conseil d'Etat :
A la suite de la loi du 31 décembre 1987 qui a institué les cours
administratives d'appel, le décret du 2 septembre 1988 a créé au sein du
Conseil d'Etat une commission dite "d'admission des pourvois en
cassation".
L'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 prévoit que l'admission
des pourvois en cassation est "refusée par décision juridictionnelle si
le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux."
GRIEFS
Le requérant soulève plusieurs griefs au titre de l'article 6 par.
1 de la Convention.
1. Le requérant se plaint d'une violation de cette disposition en ce
que les débats devant les instances ordinales n'auraient pas été publics.
2. Il invoque également le non-respect des droits de la défense en ce
que ses patients n'auraient pu être interrogés lors de la procédure et
en ce qu'il aurait été privé du droit de défendre lui-même oralement sa
cause compte tenu de la limitation de son temps de parole.
3. Il fait enfin valoir que la procédure devant la commission
d'admission des pourvois en cassation du Conseil d'Etat ne serait pas
contradictoire, que ces décisions seraient dépourvues de motivation et
ne satisferaient pas en tout état de cause à l'exigence d'un procès
équitable.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 7 mai 1991 et enregistrée le
3 juillet 1991.
Le 8 décembre 1992, la Commission (Deuxième Chambre), en application
de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter
cette requête à la connaissance du Gouvernement et de l'inviter à lui
présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé
des griefs du requérant.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 8 avril 1993 et le
requérant y a répondu le 9 juin 1993.
EN DROIT
1. Le requérant invoque plusieurs griefs tenant à l'équité de la
procédure et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont
les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)
publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit
des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-
fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle. Le jugement doit être rendu publiquement mais l'accès à
la salle d'audience peut être interdit à la presse ou au
public pendant la totalité ou une partie du procès lorsque
(..) la protection de la vie privée des parties au procès
l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par
le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la
publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de
la justice."
2. Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention:
Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention aux procédures disciplinaires en ce qu'elles
ne porteraient pas sur des accusations en matière pénale et ne
trancheraient pas de contestations portant sur des droits et obligations
de caractère civil.
Le requérant combat cette thèse. Se référant à la jurisprudence de
la Cour européenne des Droits de l'Homme (arrêts Ringeisen du
16 juillet 1971, série A n° 13 ; König du 28 juin 1978, série A n°27 ;
Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43 ;
Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58), il rappelle que
le droit d'exercer une activité médicale dans un cadre libéral revêt un
caractère privé et estime que la procédure en cause qui a abouti à une
décision lui interdisant pendant un an de donner des soins aux assurés
sociaux est déterminante pour un droit de caractère civil.
S'agissant de l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention aux poursuites disciplinaires, la Commission rappelle la
jurisprudence des organes de la Convention, selon laquelle les procédures
devant les organes disciplinaires de l'Ordre des médecins et les
décisions rendues par ceux-ci, en tant qu'elles affectent l'exercice
libéral de la profession médicale, emportent détermination de droits de
caractère civil, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention (cf. notamment Cour eur. D.H., arrêt Le Compte, Van Leuven et
De Meyere du 23 juin 1981, série A, n° 43, p. 22 par. 48 ; arrêt Albert
et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58, p. 15 par. 28, rapport
Comm. 14.12.81, série B n° 50).
En l'occurrence, la Commission relève que le requérant a fait
l'objet d'une mesure d'interdiction du droit de donner des soins aux
assurés sociaux pendant une période d'une année et estime que cette
sanction affecte l'exercice de son activité professionnelle. En
conséquence, la Commission considère que l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention est applicable à la procédure en cause dans la mesure
où elle concerne un droit de caractère civil du requérant.
La Commission a également estimé nécessaire d'envisager si la partie
de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) qui vise tout tribunal statuant sur le
"bien-fondé d'une accusation en matière pénale" est applicable à la
présente requête.
A cet égard, la Commission rappelle que, dans l'affaire Albert et
Le Compte précitée, elle avait à examiner sous l'angle de cette
disposition le cas de deux médecins dont l'un avait été suspendu pendant
deux ans pour avoir délivré des certificats de complaisance et le second
avait été radié de l'Ordre des médecins pour publicité et propos
diffamatoires à l'égard de l'Ordre.
Dans son rapport (loc. cit. pp. 35-36, par. 63 à 68), la Commission
a conclu que, compte tenu de la nature des textes applicables,
ressortissant sans conteste au droit disciplinaire, de celle des faits
reprochés, constituant des fautes disciplinaires et de la sanction
prononcée, caractéristique par sa nature et son but d'une sanction
disciplinaire et ne pouvant se confondre avec une peine, il n'y avait pas
en l'espèce d'"accusation en matière pénale" au sens de l'article 6 par.
1 (art. 6-1).
La Commission ne voit aucune raison de s'écarter de cette
jurisprudence, d'autant que les faits reprochés au requérant dans la
présente affaire revêtent exclusivement un caractère disciplinaire et que
la sanction prononcée est plus légère que dans l'affaire Albert et Le
Compte.
En conséquence, la Commission considère que l'article 6 par. 1
(art. 6-1) n'est applicable qu'en tant qu'il concerne des "droits et
obligations de caractère civil".
3. Sur les griefs du requérant :
a) Le requérant se plaint de ce que les débats devant les instances
ordinales n'ont pas, malgré sa demande expresse, été publics.
Le Gouvernement estime que le grief du requérant est manifestement
mal fondé. En se référant aux arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere
et Albert et Le Compte précités, il fait valoir que le respect de la vie
privée des patients dans la procédure litigieuse justifiait qu'il soit
fait exception au principe de publicité des débats.
Le requérant estime que les conditions auxquelles l'article 6 par.
1 (art. 6-1) de la Convention subordonne ladite exception ne se trouvent
pas remplies en l'espèce, dans la mesure où l'objet du litige portait sur
les prescriptions habituellement ordonnées par lui sans que la réalité
de ces prescriptions soit en cause et qu'en conséquence la vie privée des
patients n'était pas concernée.
En ce qui concerne le grief tiré de l'absence de publicité des
débats, la Commission rappelle que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention énonce le principe de la publicité de toute procédure
tranchant une contestation sur des droits et obligations de caractère
civil, tout en prévoyant certaines exceptions à cette règle.
Dans le cas d'espèce, la question qui se pose est celle de savoir
si le point en litige devant les organes de l'Ordre, à savoir la liberté
de prescription, touche principalement à des questions situées dans le
champ d'application des exceptions prévues à l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
Après avoir examiné l'argumentation des parties, la Commission
estime que cette question soulève des problèmes de droit et de fait
suffisamment complexes pour nécessiter un examen au fond de la requête.
b) Le requérant se plaint par ailleurs du refus d'audition de ses
patients par les instances ordinales.
La Commission constate d'emblée que le requérant a omis d'invoquer
ce grief à l'appui du pourvoi qu'il a formé devant le Conseil d'Etat
contre la décision du 4 juillet 1989 du conseil national. Dès lors, il
n'a pas satisfait à la condition d'épuisement des voies de recours
internes requise par l'article 26 (art. 26) de la Convention.
En conséquence, cette partie de la la requête doit être rejetée en
application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
c) Se référant à la décision du président du conseil national de
l'Ordre de limiter son temps de parole devant cette instance, le
requérant estime avoir été privé du droit de se défendre lui-même.
La Commission relève que, devant le conseil national de l'Ordre et
dans les limites fixées par le président, le requérant a eu la
possibilité de s'exprimer oralement et qu'au surplus, ladite instance a
pris connaissance de l'intégralité de l'argumentation écrite du
requérant. La Commission a également pris en considération l'élément
écrit de la procédure disciplinaire et estime que, dans ces
circonstances, la restriction du temps de parole dont le requérant a fait
l'objet n'a pas porté atteinte au respect de ses droits garantis par
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Il s'ensuit que la requête doit être rejetée sur ce point comme
étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2)
de la Convention.
d) Le requérant se plaint en dernier lieu de la procédure devant la
commission d'admission des pourvois en cassation du Conseil d'Etat.
La Commission constate que ladite commission, saisie du pourvoi du
requérant, a motivé sa non-admission par la considération qu'aucun des
moyens soulevés ne présentait de caractère sérieux.
Elle relève que la loi du 31 décembre 1987 dispose, en son article
7, que l'admission des pourvois en cassation "est refusée par décision
juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun
moyen sérieux".
La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle aucun droit
de faire appel d'un jugement ne figure au nombre des droits et libertés
reconnus par la Convention. Lorsque la loi nationale subordonne la
recevabilité d'un recours à une décision par laquelle la juridiction
compétente déclare que le recours soulève une question de droit très
importante et présente des chances de succès, il peut suffire que cette
juridiction se borne à citer la disposition légale prévoyant cette
procédure (cf notamment N° 8769/79, X. c/RFA, déc. 16.7.81, D.R. 25 p.
242).
La Commission relève en l'espèce que la décision de rejet de la
commission d'admission était fondée sur l'absence de moyens sérieux, soit
l'un des deux motifs prévus par l'article 11 de la loi du 31 décembre
1987. Dans ces conditions, la Commission ne relève aucune apparence de
violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Il s'ensuit que cet aspect de la requête est également manifestement
mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du
requérant tiré de l'absence de publicité des débats,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire Le Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
Textes cités dans la décision