CEDH, Commission (première chambre), DERONZIER c. la FRANCE, 17 mai 1995, 24917/94
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Première Chambre), 17 mai 1995, n° 24917/94 |
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Numéro(s) : | 24917/94 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 17 mai 1994 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-26386 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1995:0517DEC002491794 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 24917/94
présentée par Gérard DERONZIER
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 17 mai 1995 en présence de
M. C.L. ROZAKIS, Président
Mme J. LIDDY
MM. E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
E. KONSTANTINOV
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 17 mai 1994 par Gérard DERONZIER
contre la France et enregistrée le 17 août 1994 sous le N° de dossier
24917/94 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité française, est né en 1955 à Villaz.
Il exerce la profession de conducteur d'engins et réside à Aviernoz
(74).
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant,
peuvent se résumer comme suit.
Le 8 avril 1991, le parquet d'Annecy ouvrit une enquête sur les
activités d'un ancien artisan taxidermiste, rayé en 1980 du registre
de la chambre des métiers. Celui-ci reconnut avoir naturalisé divers
animaux, dont des espèces protégées et des animaux soumis au plan de
chasse que lui apportaient notamment des chasseurs.
Une perquisition fut effectuée qui permit de découvrir de
nombreux trophées et bêtes protégées. Parmi celles-ci figurait une
poule tétras-lyre, que le taxidermiste affirma, lors de sa garde à vue,
appartenir au requérant.
Entendu dans le cadre de l'enquête préliminaire, le requérant
affirma que l'animal ne lui appartenait pas mais qu'il avait déposé
chez le taxidermiste deux têtes de sangliers.
Entendu à nouveau, le taxidermiste déclara qu'il ne se souvenait
pas de la personne qui lui avait apporté la poule tétras-lyre mais
qu'il était certain que l'oiseau était destiné au requérant et que
c'était pour celui-ci qu'il devait le naturaliser. Il ajouta que le
requérant lui avait dit qu'il n'avait pas tué l'oiseau mais l'avait
trouvé en montagne.
Le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel des
chefs de capture et détention d'espèces animales protégées. Par
jugement en date du 22 novembre 1991, le tribunal correctionnel
d'Annecy prit une décision de relaxe. Après avoir constaté que les
faits reprochés reposaient sur les seules déclarations du taxidermiste,
le tribunal estima qu'il existait un doute quant à la participation du
requérant aux faits délictueux, doute qui devait lui profiter. Il en
conclut qu'il ne résultait pas des éléments du dossier que le délit de
capture, détentions d'espèces animales protégées fut caractérisé à
l'encontre du requérant.
Le Procureur de la République releva appel dudit jugement. La
cédule pour citation adressée au requérant par le parquet de Chambéry
en vue de le convoquer à l'audience de la cour d'appel indiquait, de
façon erronée, qu'il avait été condamné par le jugement du tribunal
d'Annecy à un an de suspension du permis de chasse.
A l'audience devant la cour d'appel de Chambéry, le taxidermiste
déclara qu'il lui semblait que l'oiseau était pour le requérant et,
interpellé sur les déclarations faites au cours de sa garde à vue, il
indiqua qu'il avait voulu dire que le requérant avait fait amener
l'oiseau, ce qui n'impliquait pas qu'il l'avait tué. De son côté, le
requérant se déclara étranger à la capture, à la détention, au
transport et à la naturalisation de l'oiseau et produisit des
attestations tendant à établir qu'il ne chassait en général que le gros
gibier.
Par arrêt en date du 18 novembre 1992, la cour d'appel de
Chambéry infirma le jugement entrepris et déclara le requérant coupable
de naturalisation, détention et transport d'une espèce animale protégée
et le condamna, à titre de peine principale, au retrait de son permis
de chasser, avec interdiction d'en solliciter un nouveau pendant un an.
La cour d'appel déclara ce qui suit :
"les déclarations spontanées (du taxidermiste), qui n'étaient pas
de nature à l'exonérer des infractions qu'il venait de connaître,
et dont rien ne permet de supposer qu'elles aient été destinées
à égarer les investigations des enquêteurs, établissent sans
aucun doute que (le requérant) a détenu une poule tétras-lyre et
l'a fait remettre à celui-ci pour être naturalisée ; que par
suite les infractions reprochées (au requérant) sont constituées
(...)"
Le requérant se pourvut en cassation et présenta un mémoire
personnel en date du 16 avril 1993. Il y indiquait notamment l'absence
de poule tétras-lyre sur la liste des pièces à conviction devant la
cour d'appel, de sorte que celle-ci n'avait pu apporter la preuve des
faits qui lui étaient reprochés.
Mis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, le requérant fit
déposer un mémoire ampliatif par l'intermédiaire d'un avocat aux
Conseils. Il y était notamment fait reproche à l'arrêt de la cour
d'appel de s'être uniquement basé sur les premières déclarations du
taxidermiste, en dépit des incohérences et imprécisions des
déclarations ultérieures de celui-ci, pour retenir la culpabilité du
requérant auquel le doute devait profiter.
Par arrêt du 13 octobre 1993, notifié le 23 novembre 1993, la
Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle déclara que la cour d'appel
avait suffisamment "et sans méconnaître la présomption d'innocence,
caractérisé en tous ses éléments, matériels et intentionnel,
l'infraction" dont elle avait déclaré le requérant coupable. Elle
ajouta que les moyens de cassation se bornaient "à remettre en
discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits
et circonstances de la cause et de la valeur des éléments de preuve
contradictoirement débattus (...)"
Le 13 décembre 1993, le requérant présenta une demande en
révision de l'arrêt de la Cour de cassation. Il déposa un mémoire
ampliatif, le 3 mai 1994. Par décision du 5 mai 1994, la Commission de
révision des condamnations pénales déclara sa demande irrecevable.
Le 17 avril 1994, le requérant déposa également un recours en
grâce, qui fut rejeté le 20 juin 1994.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint de ce que la cour d'appel de Chambéry n'a
pas rapporté la preuve des faits qui ont fondé sa condamnation ni
établi le bien-fondé de l'accusation portée contre lui. Il estime que
la cour d'appel est partie de la conviction qu'il était coupable sans
établir légalement sa culpabilité. A cet égard, il soutient que
l'erreur dans la peine contenue dans la cédule pour citation devant la
cour d'appel visait à induire cette cour en erreur. Il allègue en
conséquence la violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la
Convention.
2. Le requérant se plaint par ailleurs de n'avoir pas bénéficié des
droits de la défense garantis par l'article 6 par. 3 de la Convention,
dans la procédure devant la Commission de révision des condamnations
pénales. Il expose à cet égard que la Commission de révision a statué
sans entendre son défenseur légalement mandaté, ni son épouse citée
comme témoin visuel devant les juridictions du fond.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de ce que sa cause n'aurait pas été
entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial dans
la mesure où la cour d'appel n'aurait pas fondé sa condamnation sur des
éléments de preuve suffisants, ce en violation de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention. Il allègue également que la cour d'appel
aurait renversé le principe de la présomption d'innocence garantie par
l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention.
Les dispositions pertinentes de l'article 6 (art. 6) se lisent
ainsi :
1. "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle (...).
(...)
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie.
(...)"
La Commission rappelle tout d'abord qu'elle n'est pas compétente
pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit
prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la
mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une
atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention (voir entre
autres N° 17722/91, déc. 8.4.91, D.R. 69 pp. 345, 354 ; N° 21283/93,
déc. 5.5.94, D.R. 77-B pp. 81, 88). Sa tâche se limite à vérifier si
les décisions litigieuses ont été acquises dans le respect des
garanties énoncées à l'article 6 (art. 6) précité.
Dans ce contexte, elle souligne que la question de
l'admissibilité des preuves ainsi que leur force probante relève
essentiellement du droit interne. Il ne lui incombe donc pas de se
prononcer sur le point de savoir si les tribunaux nationaux les ont
correctement appréciées (voir Cour eur. D.H., arrêt Windisch du 27
septembre 1990, série A N° 186, p. 10, par. 25 ; N° 12013/86, déc.
10.3.89, D.R. 59 pp. 100, 105), mais d'examiner si les moyens de preuve
ont été présentés de manière à garantir un procès équitable.
En l'espèce, la Commission relève que les éléments à charge ont
été présentés et discutés contradictoirement devant les juges du fond
et que le requérant a pu faire valoir tous les arguments qu'il a estimé
utiles à la défense de ses intérêts et présenter les moyens de preuve
en sa faveur. En particulier, il a pu effectivement donner sa propre
version des faits.
S'agissant du principe de la présomption d'innocence, la
Commission rappelle qu'elle concerne l'état d'esprit et l'attitude du
juge appelé à statuer sur une accusation pénale portée devant lui, en
lui interdisant notamment de partir de la conviction ou de la
supposition que l'accusé est coupable (voir notamment N° 9037/80, déc.
5.5.81, D.R. 24, pp. 221, 222).
En l'espèce, la Commission constate, au vu des décisions rendues
dans cette affaire, et notamment celle de la cour d'appel de Chambéry
du 18 novembre 1992, que les juridictions ont fondé la condamnation du
requérant sur des éléments de témoignages qui pouvaient avoir valeur
de preuve au regard de la loi et exclure, à leurs yeux, tout doute sur
la culpabilité du requérant. Elle considère que la motivation des
juridictions ne comporte aucune appréciation de culpabilité qui
méconnaîtrait le principe de présomption d'innocence.
Le fait que la cédule pour citation comportait une erreur quant
au jugement du tribunal correctionnel ne saurait faire supposer, comme
le soutient le requérant, que la cour d'appel considéra a priori le
requérant comme coupable. Il s'agit en effet d'un document qui, servant
d'assignation à l'audience du jour indiqué, est étranger aux débats
judiciaires. Au surplus, cette erreur ne s'est pas retrouvée dans la
procédure devant la cour d'appel de Chambéry dont l'arrêt fait
clairement état de la relaxe du requérant par les premiers juges. Il
n'y a à cet égard guère d'indication que les juges, en remplissant leur
fonction, sont partis de la conviction ou de la supposition que le
requérant avait commis les actes incriminés.
Dans la mesure où le requérant entend en réalité remettre en
cause l'appréciation des faits donnée par les juridictions, la
Commission rappelle que la validité des conclusions de fait du juge
échappe à son contrôle (N° 7628/76, déc. 9.5.77, D.R. 9 pp. 169, 171).
En dernier lieu, la Commission ne discerne, au vu des éléments
versés au dossier, aucun élément permettant de penser que le requérant
n'a pas été jugé avec l'impartialité et l'indépendance requises par
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Eu égard à ces considérations, la Commission estime que les
griefs, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, ne révèlent
l'apparence d'aucune violation du droit à un procès équitable et à la
présomption d'innocence, tels que garantis par l'article 6 par. 1
et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint par ailleurs de n'avoir pas bénéficié de
droits de la défense garantis par l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la
Convention, au cours de la procédure d'examen de sa requête en
révision.
Le paragraphe 3 de l'article 6 (art. 6-3) de la Convention
énumère de manière non exhaustive les droits de la défense reconnus à
toute personne "accusée" d'une infraction au sens de cet article.
La Commission rappelle toutefois sa jurisprudence constante selon
laquelle l'article 6 (art. 6) de la Convention n'est pas applicable à
une procédure d'examen d'une demande tendant à la révision d'une
condamnation. En effet, une personne qui demande la révision de son
procès et dont la condamnation est passée en force de chose jugée,
n'est pas une personne "accusée" de cette infraction, au sens dudit
article (voir notamment N° 1237/61, déc. 5.3.62, Annuaire 5 pp. 101,
103 ; N° 13601/88 et 13602/88, déc. 6.7.89, D.R. 62 pp. 284, 288).
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant
incompatible rationae materiae avec les dispositions de la Convention
au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Première Chambre Première Chambre
(M.F. BUQUICCHIO) (C.L. ROZAKIS)