CEDH, Commission (deuxième chambre), FRAISSE c. la FRANCE, 24 mai 1995, 26512/95
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 24 mai 1995, n° 26512/95 |
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Numéro(s) : | 26512/95 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 7 février 1995 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Recevable |
Identifiant HUDOC : | 001-26457 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1995:0524DEC002651295 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 26512/95
présentée par Olivier FRAISSE
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 24 mai 1995 en présence de
M. H. DANELIUS, Président
Mme G.H. THUNE
MM. G. JÖRUNDSSON
S. TRECHSEL
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 7 février 1995 par Olivier FRAISSE
contre la France et enregistrée le 14 février 1995 sous le N° de
dossier 26512/95 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
13 avril 1995 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 26 avril 1995 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, né en 1964, est sans profession. Devant la
Commission, il est représenté par Maître Jean-Alain Blanc, avocat au
Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.
Le requérant est hémophile et a été fréquemment perfusé. Il a été
contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine et est classé au
stade IV C1 de la contamination sur l'échelle des maladies d'Atlanta
qui en compte quatre. Un test pratiqué le 10 janvier 1986 sur un
prélèvement contemporain a montré qu'il était séropositif.
Le requérant a adressé le 15 décembre 1989 au ministre de la
Santé une demande préalable et gracieuse d'indemnisation qui a été
reçue le 18 décembre 1989. Cette demande a été rejetée le 30 mars 1990
par une lettre-type.
Le 17 mai 1990, le requérant a saisi le tribunal administratif
de Paris d'une requête contre cette décision. Le ministre de la Santé
a présenté son mémoire en défense le 12 décembre 1990. Le requérant a
déposé un mémoire en réplique le 4 avril 1991.
Le 8 avril 1992, le tribunal a rendu un jugement énonçant que
"l'Etat est déclaré responsable des contaminations des personnes
atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le V.I.H. à
l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés pendant
la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985".
Le tribunal ordonna par ailleurs une expertise médicale aux fins
de déterminer notamment si le requérant avait reçu des produits
sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l'Etat.
Un expert fut désigné par ordonnance du président du tribunal
administratif du même jour.
Parallèlement, le requérant avait saisi le fonds d'indemnisation
des transfusés et hémophiles créé par la loi du 31 décembre 1991.
Par décision du 12 mai 1992, le fonds a décidé de lui allouer une
indemnisation de 1.904.000 FF dont étaient déduits 100.000 FF versés
par le fonds privé de solidarité des hémophiles.
Le requérant a accepté cette offre et le 9 juin 1992, le fonds
lui a versé 1.804.000 FF.
L'expert déposa son rapport au tribunal administratif le
3 juillet 1992.
Par jugement du 15 février 1993, le tribunal rejeta la demande
du requérant, considérant que l'existence d'un lien de causalité entre
la contamination et l'administration de produits sanguins non chauffés
pendant la période de responsabilité de l'Etat n'était pas établie.
Le 13 mai 1993, le requérant a fait appel des jugements des 8
avril 1992 et 15 février 1993.
Entre-temps, le 9 avril 1993, le Conseil d'Etat avait rendu
trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ
de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une
indemnité forfaitaire de 2.000.000 FF. Le requérant a demandé à
bénéficier de cette nouvelle jurisprudence.
Le 19 juillet 1993, le ministre a présenté son mémoire en
défense. Le 30 novembre 1993, le requérant a déposé un mémoire
complémentaire.
Dans son arrêt du 28 décembre 1993, la cour administrative
d'appel de Paris a décidé, conformément à la jurisprudence précitée du
Conseil d'Etat, que l'Etat devait être déclaré responsable de la
contamination du requérant.
Elle lui attribua une réparation de 2.000.000 FF. Après déduction
des sommes versées par les fonds d'indemnisation et de solidarité,
l'indemnisation à verser était donc de 96.000 FF.
Pour ce qui est des intérêts, la cour les calcula sur ce solde
à compter du 18 décembre 1989, avec capitalisation des intérêts échus
le 11 janvier 1992 et le 13 mai 1993.
Le 18 février 1994, le requérant a déposé un recours devant le
Conseil d'Etat, se plaignant notamment de la manière dont la cour
administrative d'appel avait calculé les intérêts.
Le 31 août 1994, le ministre délégué à la Santé a produit un
mémoire en défense communiqué le 7 septembre 1994 à l'avocat du
requérant qui a produit le 23 septembre 1994 un mémoire en réplique.
Le Conseil d'Etat, par arrêt du 17 mars 1995, a annulé l'arrêt
de la cour administrative d'appel en tant qu'il avait déduit les sommes
dont le versement était subordonné à l'apparition de la maladie.
GRIEF
Le requérant se plaint de la durée de la procédure et invoque
l'article 6 par. 1 de la Convention. Il fait observer que la procédure
a duré cinq ans et trois mois.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 7 février 1995 et enregistrée le
14 février 1995.
Le 28 février 1995, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé,
conformément à l'article 33 de son Règlement intérieur, de traiter la
requête par priorité. Elle a également décidé de communiquer l'affaire
au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter ses observations
sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête dans un délai
échéant le 7 avril 1995.
Les observations du Gouvernement ont été présentées le 13 avril
1995 et les observations en réponse du requérant ont été présentées le
26 avril 1995.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la durée de la procédure administrative
par laquelle il a demandé à être indemnisé et invoque l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Cette disposition se lit comme suit
:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)
dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera
(...) des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil (...) ".
Le Gouvernement défendeur rappelle les critères consacrés par la
jurisprudence en matière de durée de procédure et s'en remet à
l'appréciation de la Commission pour déterminer si, en l'espèce, la
durée de la procédure a été raisonnable au regard des faits de
l'espèce, des critères rappelés et de la jurisprudence de la Cour
européenne des Droits de l'Homme dans les affaires X, Vallée et
Karakaya.
La Commission note que le requérant a introduit sa demande
préalable et gracieuse d'indemnisation le 15 décembre 1989, qu'un
jugement a été rendu en première instance le 15 février 1993, un arrêt
en appel le 28 décembre 1993 et que le Conseil d'Etat a tranché le 17
mars 1995.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu
égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment
la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des
autorités compétentes. Sur ce dernier point, l'enjeu du litige pour
l'intéressé entre en ligne de compte dans certains cas (voir notamment
Cour eur. D.H., arrêt X c/France du 31 mars 1992, série A n° 234-C,
p. 90, par. 32, arrêt Vallée c/France du 26 avril 1994, série A n° 289,
par. 34 et arrêt Karakaya c/France du 26 août 1994, série A n° 289-B,
par. 29).
La Commission estime que, vu les circonstances de l'espèce, la
requête pose de sérieuses questions de fait et de droit concernant la
durée de la procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de
l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.
Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate en outre que la requête ne se heurte à
aucun autre motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
Le Secrétaire Le Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
(M.-T.SCHOEPFER) (H. DANELIUS)