CEDH, Commission (deuxième chambre), YAHIAOUI c. la FRANCE, 3 décembre 1997, 30962/96

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 3 déc. 1997, n° 30962/96
Numéro(s) : 30962/96
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 26 septembre 1994
Jurisprudence de Strasbourg : No 29340/95, déc. 7.54.97, D.R. 89, p. 127
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-29092
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1997:1203DEC003096296
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 30962/96

présentée par Amar YAHIAOUI

contre la France

                              __________

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 3 décembre 1997 en présence

de

           Mme   G.H. THUNE, Présidente

           MM.   J.-C. GEUS

                 G. JÖRUNDSSON

                 A. GÖZÜBÜYÜK

                 J.-C. SOYER

                 H. DANELIUS

                 F. MARTINEZ

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

                 P. LORENZEN

                 E. BIELIUNAS

                 E.A. ALKEMA

                 A. ARABADJIEV

           Mme   M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 26 septembre 1994 par Amar YAHIAOUI

contre la France et enregistrée le 4 avril 1996 sous le N° de dossier

30962/96 ;

     Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de

la Commission ;

     Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

14 avril 1997 et les observations en réponse présentées par le

requérant le 28 avril 1997 ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant est un ressortissant tunisien né en 1952. Il a

exercé la profession de marin-pêcheur et est  incarcéré à la maison

d'arrêt des Baumettes à Marseille.

     Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent

se résumer comme suit.

     Le 21 juin 1992, un corps humain découpé en morceaux fut retrouvé

dans l'anse de Saumaty à Marseille. L'examen médico-légal, effectué le

23 juin suivant, établit qu'il s'agissait d'une femme, qu'elle avait

subi des violences, et que le décès avait probablement été causé par

des multiples coups d'un instrument tranchant. Le médecin-légiste

relevait enfin que ce corps découpé en multiples fragments avait

totalement été éviscéré avec sections franches, ce qui induisait

l'hypothèse de l'oeuvre d'un professionnel maîtrisant parfaitemnent le

maniement du couteau et la technique du dépeçage.

     Le 25 juin 1992, le requérant, marin-pêcheur de profession et

travaillant sur un chalutier amarré au port de Saumaty, se rendit au

commissariat du 2ème arrondissement de Marseille, afin de déclarer la

disparition de sa femme. Le même jour, il fut arrêté et placé en garde

à vue.

     Le 27 juin 1992, le procureur de la République près le tribunal

de grande instance de Marseille requit l'ouverture d'une information

contre le requérant du chef d'assassinat. Le même jour, le juge

d'instruction l'inculpa d'assassinat et le plaça en détention

provisoire.

     Les perquisitions au domicile du requérant permirent de découvrir

notamment un hachoir, deux gros couteaux de cuisine, un billet d'avion

à son nom pour le 26 juin 1992 à destination de Tunis avec retour le

29 juin, de nombreuses taches de sang séché dans la salle de bains et

un cheveu souillé de sang et des sacs poubelle identiques à ceux ayant

servi à transporter le corps. Les enquêteurs découvrirent également des

traces de sang dans la voiture du requérant.

     Plusieurs voisines (Mmes M. et O.) témoignèrent que, le matin de

la disparition de la femme du requérant, elles avaient entendu des cris

en provenance de l'appartement. Par ailleurs, le frère de la femme du

requérant, D., qui habitait avec eux, témoigna que, ce même soir, à son

retour du travail, il avait vu son beau-frère nettoyer la salle de

bains à grande eau, alors qu'il ne faisait jamais le ménage.

     La fille du requérant, S., âgée de neuf ans, indiqua aux

enquêteurs et au juge que, deux jours après la disparition de sa mère,

elle avait vu son père sortir de l'appartement avec un gros sac

poubelle sur l'épaule.

     D. témoigna également que sa soeur lui avait confié que le

requérant avait contracté une assurance-vie sur leurs deux têtes et

qu'en vue d'obtenir le capital prévu par le contrat il avait envisagé

de simuler la disparition de sa femme. Deux lettres écrites par la

femme du requérant, dans lesquelles elle annonçait son intention de

partir, furent découvertes, l'une au domicile du requérant et l'autre

chez une assistante sociale. L'expertise graphologique permit d'établir

que le requérant avait lui-même imité la signature de sa femme sur la

première lettre.

     D'autres membres de la famille témoignèrent que la femme du

requérant était très attachée à ses enfants et ne serait jamais partie

en les abandonnant.

     Les expertises médicales, notamment génétiques, permirent

d'établir que la victime était bien la femme du requérant.

     Pendant le cours de l'instruction, une lettre anonyme fut reçue

dans lequel le rédacteur s'accusait du meurtre. Les deux expertises

graphologiques effectuées conclurent que le requérant avait lui-même

rédigé la lettre.

     Par arrêt du 2 avril 1996, la chambre d'accusation renvoya le

requérant devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.

     Par arrêt du 7 mai 1997, la cour d'assises reconnut le requérant

coupable du meurtre de sa femme et le condamna à trente ans de

réclusion criminelle.

a)   Les demandes de mise en liberté

     Le requérant présenta des demandes de mise en liberté auprès du

juge d'instruction les 20 novembre 1992, 5 mars et 2 août 1993,

28 juillet et 21 novembre 1994, ainsi que les 13 février, 17 mai et

24 août 1995. Le juge rejeta ces demandes par ordonnances des

30 novembre 1992, 15 mars et 9 août 1993, 29 juillet et

28 novembre 1994, 20 février, 23 mai et 29 août 1995. Le requérant fit

appel de ces décisions de rejet.

     La chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence

confirma ces ordonnances par arrêts respectivement des

22 décembre 1992, 6 avril et 31 août 1993, 2 août et 13 décembre 1994,

7 mars, 13 juin et 19 septembre 1995.

     La chambre d'accusation motiva ainsi ses arrêts :

     "Les présomptions qui pèsent sur l'appelant telles qu'elles

     résultent notamment des traces de sang retrouvées à son

     domicile, des traces brunes découvertes dans son véhicule,

     des témoignages des dames M. et O., de celui de D., de

     l'usage des sacs poubelles ... sont lourdes et se

     rapportent à des faits d'une exceptionnelle gravité

     s'agissant de la mort délibérément donnée dans des

     conditions tellement atroces qu'il est vain de souligner

     qu'ils troublent durablement et gravement l'ordre public ;

     Par ailleurs YAHIAOUI de nationalité étrangère qui était en

     possession d'un billet d'avion à destination de la Tunisie

     n'offre aucune garantie de représentation en justice au

     regard des pénalités criminelles encourues ;

     Enfin, il convient de préserver la sincérité des

     investigations qui se poursuivent en évitant toute pression

     sur les témoins qui ont déposé en défaveur de l'appelant ;

     Ainsi, la détention provisoire est nécessaire à

     l'instruction - et à titre de sûreté (...)"

     Dans l'arrêt du 11 juillet 1995, la chambre d'accusation précisa

en outre que le magistrat instructeur était dans l'attente d'un rapport

complémentaire d'expertise, et que dès réception et notification de ce

rapport, le dossier serait communiqué pour règlement.

     Dans l'arrêt du 19 septembre 1995, la chambre d'accusation

indiqua que la détention provisoire était nécessaire pour préserver

"jusqu'au jugement de l'affaire toutes pressions sur les témoins qui

ont déposé en défaveur de l'appelant".

     Le requérant forma deux pourvois en cassation à l'encontre des

arrêts de la chambre d'accusation des 13 décembre 1994 et

19 septembre 1995.

     La chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêts des

16 mai 1995 et 9 janvier 1996, le déclara déchu de ces pourvois, au

motif qu'il n'avait pas déposé de mémoires de cassation dans le délai

légal.

     Le requérant introduisit en outre d'autres demandes de mise en

liberté, qui furent rejetées par le juge d'instruction (les 2 septembre

et 30 novembre 1992, 10 mai, 7 décembre et 23 décembre 1993,

27 janvier, 16 mars, 11 avril, 25 avril, 9 septembre, 26 septembre,

18 octobre, 14 novembre et 26 décembre 1994, 10 janvier, 27 mars,

10 avril  et 19 avril 1995). Le requérant ne fit pas appel de ces

ordonnances.

     Le 7 mars 1996, il présenta directement à la chambre d'accusation

une nouvelle demande de mise en liberté provisoire. Après avoir rappelé

de façon détaillée les faits et le résultat des investigations

pratiquées, la chambre d'accusation rejeta sa demande dans les termes

suivants :

     "(...) en dépit de ses dénégations, de lourdes charges sont

     réunies contre Amar YAHIAOUI d'avoir perpétré l'assassinat

     de son épouse. Ces faits exceptionnellement graves

     troublent durablement l'ordre public.

     YAHIAOUI, de nationalité étrangère, qui était en possession

     d'un billet d'avion à destination de la Tunisie lors de son

     arrestation et dont les enfants se trouvent dans ce pays,

     n'offre aucune garantie de représentation en justice au

     regard des pénalités criminelles encourues.

     Enfin, il convient de prévenir jusqu'au jugement de

     l'affaire toutes pressions sur les témoins."

b)   Déroulement de la procédure au fond

     Le 27 juin 1992, le juge d'instruction inculpa le requérant

d'assassinat et le plaça en détention provisoire.

     Le 29 juin 1992, le juge délivra une commission rogatoire

générale au service régional de police judiciaire (SRPJ) de Marseille.

     Le 3 juillet 1992, le juge d'instruction entendit un témoin. Le

même jour, il désigna un expert psychiatre, dont le rapport fut remis

le 15 juillet suivant.

     Les 6 et 9 juillet 1992, le juge délivra deux commissions

rogatoires au SRPJ en vue d'effectuer une nouvelle perquisition au

domicile du requérant et de saisir tous dossiers relatifs à lui, à sa

femme ou à ses enfants.

     Les 17 et 21 juillet 1992, le juge commit deux experts médicaux

avec mission, pour le premier, d'effectuer des prélèvements sur les

restes en vue d'un examen génétique et, pour le second, de reconstituer

le visage de la victime. Le rapport d'expertise fut déposé le

13 janvier 1993.

     Le 22 juillet 1992, un nouvel expert fut nommé pour examiner les

prélèvements et réaliser une empreinte génétique.

     Le 27 juillet 1992, le juge se transporta au domicile du

requérant et procéda à une perquisition. Les 28 et 30 juillet 1992, il

entendit les témoins O., S.Y. et D.

     Le 26 août 1992, le juge donna commission rogatoire spéciale au

SRPJ de saisir le dossier de la femme du requérant, ce qui fut effectué

le 11 septembre 1992.

     Le 17 septembre 1992, le juge commit des experts pour procéder

à l'examen médico-psychologique de personnalité du requérant. Le

22 septembre suivant, il ordonna une enquête de personnalité, qui fut

remise le 19 novembre 1992.

     Le 28 septembre 1992, il donna commission rogatoire au SRPJ de

se rendre au domicile du requérant et, le 3 décembre 1992, il fit

procéder à l'établissement de son curriculum vitae.

     Le requérant fut entendu les 8 décembre 1992 et 15 juin 1993. Le

29 juin 1993, le juge lui notifia les différents rapports d'expertise

médicale.

     Le 8 septembre 1993, un nouveau juge d'instruction fut nommé.

     Le 15 novembre 1993, il désigna un expert pour examiner une dent

de la victime et déterminer si elle appartenait à la femme du

requérant. Le même jour, il délivra une commission rogatoire spéciale

aux fins d'entendre le médecin ayant pratiqué sur la femme du requérant

une ligature des trompes.

     Le 30 novembre 1993, un nouvel expert fut nommé. Il déposa son

rapport le  6 décembre 1993.

     Un interrogatoire du requérant, prévu le 29 novembre 1993, fut

reporté à sa demande au 3 décembre suivant.

     Le 14 décembre 1993, le juge nomma un expert médical pour

procéder à deux prélèvements sanguins sur le requérant. Le rapport fut

déposé le 14 janvier 1994.

     Par ordonnance du même jour, il désigna un expert pour effectuer

l'analyse en biologie moléculaire desdits prélèvements. Le rapport fut

remis le 8 février 1994.

     Le 15 décembre 1993, le juge ordonna la destruction de certains

scellés.

     Le 22 novembre 1993, le juge avait reçu une lettre anonyme, dans

laquelle l'auteur se dénonçait comme étant le véritable coupable et

disculpait, de ce fait, le requérant. Le 3 février 1994, le juge

délivra commission rogatoire au SRPJ de procéder à une enquête.

     Le 28 mars 1994, les deux rapports des experts médicaux furent

notifiés au requérant.

     Le 17 mai 1994, le juge écrivit au Consul de Tunisie, qui lui

répondit en juin 1994.

     Le 10 juin 1994, le juge délivra commission rogatoire au SRPJ

afin d'effectuer une perquisition dans les locaux professionnels et au

domicile d'une assistante sociale.

     Le rapport d'expertise psychologique de personnalité du requérant

fut déposé le 20 juillet 1994.

     Le 30 août 1994, le juge ordonna une expertise graphologique sur

la lettre anonyme. Le même jour, il notifia au requérant les rapports

des expertises psychiatrique et médico-psychologique.

     La demande de contre-expertise psychiatrique formulée par le

requérant fut rejetée le 8 septembre 1994.

     Le rapport d'expertise graphologique, remis le 29 novembre 1994,

fut notifié au requérant le 19 janvier 1995.

     Le 27 janvier 1995, le juge procéda à la confrontation du

requérant avec l'assistante sociale et à son interrogatoire.

     Le même jour, il délivra une nouvelle commission rogatoire au

SRPJ.

     Le 6 février 1995, le SRPJ déposa un rapport de synthèse en

exécution des commissions rogatoires délivrées jusqu'au 10 juin 1994.

     Le 28 mars 1995, le juge ordonna une nouvelle expertise

graphologique et, le 14 avril 1995, il rejeta la demande de mesures

d'instruction complémentaires formée par le requérant.

     Le 21 avril 1995, il interrogea le requérant en présence de

l'expert graphologue.

     Le 31 mai 1995, le rapport d'expertise graphologique fut déposé

et adressé au surveillant-chef de la maison d'arrêt en vue de sa

notification.

     Par ordonnance du 6 juin 1995, le juge rejeta la demande de

contre-expertise graphologique faite par le requérant. Il en informa

l'avocat du requérant le 12 juin suivant.

     Le 7 juin 1995, il ordonna une expertise médicale complémentaire

afin de vérifier la compatibilité des résultats de l'autopsie avec le

dossier médical de la femme du requérant. Le rapport fut déposé le

6 juillet 1995 et transmis à la maison d'arrêt pour notification le

29 août 1995.

     Le 4 septembre 1995, le juge rejeta la demande de

contre-expertise du requérant.

     Le 6 septembre 1995, il entendit ce dernier et l'informa de la

fin de l'instruction.

     Les 8 et 25 septembre 1995, il rejeta les demandes de mesures

supplémentaires d'instruction (contre-expertises médicale et

graphologique) déposées respectivement par le requérant et son avocat.

     Le 2 octobre 1995, le juge communiqua le dossier pour règlement

au procureur de la République qui, le 28 février 1996, requit la

transmission au procureur général. Le 1er mars 1996, le dossier fut

transmis à ce dernier, qui fit connaître ses réquisitions le 13 mars

1996.

     Par arrêt du 2 avril 1996, la chambre d'accusation renvoya le

requérant devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.

     Le requérant forma le 30 mai 1996 un pourvoi en cassation et

déposa des mémoires personnels les 6 et 17 juin 1996.

     Le 18 septembre 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

     L'audience devant la cour d'assises fut fixée aux 6 et

7 mai 1997. Par arrêt du 7 mai 1997, la cour d'assises reconnut le

requérant coupable du meurtre de sa femme et le condamna à trente ans

de réclusion criminelle.

     Le requérant forma un pourvoi en cassation, qui fut déclaré

irrecevable à une date non précisée.

c)   Les décisions de prolongation de la détention provisoire

     Le 24 juin 1993, le juge rendit une ordonnance prolongeant la

détention provisoire du requérant pour une durée d'un an à compter du

27 juin 1993. Le requérant fit appel de cette décision le 25 juin 1993.

     Par arrêt du 13 juillet 1993, la chambre d'accusation de la cour

d'appel d'Aix-en-Provence confirma l'ordonnance, aux motifs que les

présomptions pesant sur le requérant étaient lourdes et se rapportaient

à des faits d'une exceptionnelle gravité et qu'il existait un risque

qu'il s'enfuie à l'étranger ou fasse pression sur certains témoins.

     Le 21 juin 1995, le juge d'instruction prolongea à nouveau la

détention du requérant pour une durée d'un an à compter du

27 juin 1995. Le requérant fit appel de cette décision le 26 juin 1995.

     Par arrêt du 11 juillet 1995, la chambre d'accusation confirma

l'ordonnance de rejet, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans sa

décision du 13 juillet 1993.

GRIEF

     Le requérant se plaint de la durée de sa détention et invoque en

substance l'article 5 par. 3 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

     La requête a été introduite le 26 septembre 1994 et enregistrée

le 4 avril 1996.

     Le 3 décembre 1996, la Commission a décidé de porter le grief du

requérant concernant la durée de la détention à la connaissance du

Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses

observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Elle a déclaré la

requête irrecevable pour le surplus.

      Le Gouvernement a présenté ses observations le 14 avril 1997,

après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le

28 avril 1997.

EN DROIT

     Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire

et allègue en substance la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3)

de la Convention, qui dispose :

     "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions

     prévues au par. 1 c) du présent article, doit être aussitôt

     traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par

     la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit

     d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant

     la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à

     une garantie assurant la comparution de l'intéressé à

     l'audience."

     Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes

     Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité, tenant

à ce que le requérant n'aurait pas épuisé les voies de recours

internes, dans la mesure où il n'a pas invoqué, même en substance,

devant les juridictions internes, le grief tiré de la durée de sa

détention provisoire. Par ailleurs, s'il s'est pouvu en cassation à

deux reprises, ses pourvois ont été déclarés irrecevables en raison de

ce qu'il n'avait pas déposé de mémoires ampliatifs.

     Le requérant expose qu'il a motivé toutes ses demandes de mise

en liberté provisoire en les accompagnant de lettres au juge, qui n'y

a jamais donné réponse. Il indique avoir demandé à plusieurs reprises

sa mise en liberté sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, il précise

que, s'il est vrai que pour son premier pourvoi en cassation il n'avait

pas rédigé de mémoire, en revanche pour le second il avait joint le

mémoire à sa déclaration de pourvoi. Il indique qu'il a fait douze fois

appel des décisions de refus de mise en liberté, qu'il s'est présenté

trois fois devant la chambre d'accusation et que, les autres fois, il

a envoyé des mémoires exposant ses motifs.

     La Commission considère qu'en faisant recours contre les

décisions ordonnant son maintien en détention et en formant à de

nombreuses reprises des demandes de mise en liberté, le requérant a

soumis en substance aux autorités internes le grief qu'il soulève à

présent devant la Commission. Elle rappelle en outre sa jurisprudence

selon laquelle le pourvoi en cassation ne constitue pas, en matière de

durée de la détention provisoire, un recours efficace à épuiser, au

sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention (N° 29340/95, Civet c.

France, déc. 7.4.97, D.R. 89, p. 127).

     Dès lors, l'exception du Gouvernement ne saurait être accueillie.

     Sur le bien-fondé du grief

     A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la requête est

dénuée de fondement. Il fait valoir tout d'abord que la détention était

justifiée par un certain nombre de motifs.

     S'agissant de la persistance des soupçons à l'égard du requérant,

le Gouvernement souligne que, dès l'arrêt du 22 décembre 1992 rejetant

sa demande de mise en liberté, la chambre d'accusation a relevé la

lourdeur des présomptions pesant sur lui.

     Par ailleurs, le juge d'instruction et la chambre d'accusation

se sont fondés essentiellemet sur trois critères pour justifier le

maintien en détention provisoire du requérant, à savoir l'atteinte

grave et durable à l'ordre public, les nécessités de l'instruction et

le risque de pression sur les témoins, et l'absence de garantie de

représentation devant la justice.

     Sur le premier point, le Gouvernement expose que les magistrats

ont plusieurs fois rappelé la gravité exceptionnelle des faits à

l'origine de la mise en détention du requérant, auquel il était

reproché d'avoir tué sa propre épouse, mère de trois jeunes enfants,

après lui avoir porté des coups d'une grande violence, d'avoir éviscéré

et coupé son corps avant de le jeter à la mer. Par ailleurs, plusieurs

éléments de l'enquête permettaient d'établir qu'il avait prémédité son

geste. Le Gouvernement souligne que sa mise en liberté aurait suscité

un vif émoi au sein de la population locale et aurait été de nature à

troubler l'ordre public.

     Sur le deuxième point, le Gouvernement fait valoir que les

nécessités de l'instuction ont justifié au moins jusqu'au

6 juillet 1995, date du dépôt du dernier rapport d'expertise, le

maintien en détention. En effet, le requérant ayant toujours nié les

faits, le juge a dû faire procéder à un grand nombre d'expertises, en

évitant toute tentative de la part du requérant de faire disparaître

les preuves ou de faire pression sur les témoins. Le Gouvernement

mentionne à cet égard la lettre anonyme parvenue au cours de

l'instruction, et qui s'est avérée après expertise graphologique avoir

été écrite par le requérant lui-même. En outre, le Gouvernement

souligne le fait que les témoins étaient, soit des membres de la

famille, soit des voisins du requérant.

     Quant au troisième point, l'absence de garantie de

représentation, le Gouvernement expose que l'enquête a établi que le

requérant avait acquis le 24 juin 1992 un billet d'avion pour le

26 juin à destination de la Tunisie, ce qui permet de supposer qu'il

s'apprêtait à quitter le terrritoire français. En outre, il n'a plus

aucune attache en France, ses enfants ayant été pris en charge en

Tunisie peu après son incarcération.

     Pour ce qui concerne la conduite de la procédure, le Gouvernement

soutient que l'affaire était complexe et a nécessité de multiples

investigations, en particulier de nombreuses expertises, dont certaines

réalisées par un laboratoire spécialisé situé à Lille. Le Gouvernement

souligne par ailleurs le comportement du requérant, qui a établi de

fausses attestations pour se disculper, ce qui a conduit le juge à

ordonner des expertises graphologiques, et qui a fait tardivement de

multiples demandes d'investigations supplémentaires. En outre, le

requérant a  encore retardé sa comparution devant la cour d'assises en

formant un pourvoi en cassation contre l'arrêt de renvoi de la chambre

d'accusation. Enfin, quant au comportement des autorités compétentes,

le Gouvernement fait valoir que les deux juges d'instruction ont mené

sans discontinuer les investigations et que les quelques délais qui

peuvent être relevés ne sont pas excessifs.

     Le Gouvernement en conclut que les motifs invoqués par les

juridictions nationales au soutien des décisions de maintien en

détention provisoire du requérant sont à la fois "pertinents" et

"suffisants", au sens de la jurisprudence des organes de la Convention.

     Le requérant affirme tout d'abord être innocent. Sa femme, selon

lui, a quitté le domicile conjugal, mais est toujours en vie. Il

conteste ensuite les arguments du Gouvernement. Il indique avoir

demandé les contre-expertises graphologiques et médicales dès

notification des rapports et avoir demandé à plusieurs reprises au juge

des confrontations avec son beau-frère et avec "la femme éducative",

confrontations qui n'ont pas eu lieu.

     S'agissant du billet d'avion trouvé à son domicile, il l'aurait

acheté quelques jours après la disparition de sa femme pour aller

chercher sa soeur en Tunisie afin de s'occuper des enfants, avec un

retour prévu trois jours plus tard. Il affirme que, contrairement à ce

qui a été noté, les policiers ne l'ont pas arrêté devant sa porte, mais

alors qu'il était en train de manger avec ses enfants.

     Il indique n'avoir jamais vu la lettre de sa femme trouvée au

domicile par les enquêteurs et rappelle qu'elle a écrit en présence de

l'assistante sociale une autre lettre dans laquelle elle disait vouloir

quitter le domicile. Par ailleurs, d'autres personnes ont témoigné

qu'il était un homme très calme et certains témoins auraient vu sa

femme après la date du meurtre. En tout état de cause, il conteste le

fait que les restes retrouvés dans le port appartiennent à sa femme.

     Il se plaint en conclusion d'avoir été détenu pendant près de

cinq ans alors "qu'il n'y était pour rien dans cette affaire".

     Après avoir examiné les arguments des parties, la Commission

estime que ce grief soulève de sérieuses questions de fait et de droit

qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de l'affaire,

mais qui nécessitent un examen au fond.

     Il ne saurait dès lors être déclaré manifestement mal fondé au

sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En outre, il

ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

     Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

     DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond

     réservés.

      M.-T. SCHOEPFER                          G.H. THUNE

         Secrétaire                            Présidente

   de la Deuxième Chambre                 de la Deuxième Chambre

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CEDH, Commission (deuxième chambre), YAHIAOUI c. la FRANCE, 3 décembre 1997, 30962/96