CEDH, Commission (deuxième chambre), DUBOS c. la FRANCE, 14 janvier 1998, 31104/96
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 14 janv. 1998, n° 31104/96 |
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Numéro(s) : | 31104/96 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 17 avril 1996 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29227 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0114DEC003110496 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 31104/96
présentée par Michel DUBOS
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 14 janvier 1998 en présence
de
MM. J.-C. GEUS, Président
M.A. NOWICKI
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
A. ARABADJIEV
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 17 avril 1996 par Michel DUBOS contre
la France et enregistrée le 22 avril 1996 sous le N° de dossier
31104/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité française, né en 1943, est avocat
et réside à Rouen. Devant la Commission, il est représenté par la SCP
Bore et Xavier, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Les faits de l'espèce, tels qu'ils ont été présentés par le
requérant, peuvent se résumer comme suit.
1. Circonstances particulières de l'espèce
Le 22 juin 1994, le requérant fut placé en garde à vue concernant
sa participation à des sociétés de location de locaux dont il était
propriétaire. Le 24 juin 1994, le requérant fut mis en examen par un
juge d'instruction de Rouen pour faux et usage de faux ainsi que recel
d'abus de biens sociaux. Il fut également placé en détention
provisoire.
Le 27 juin 1994, le procureur général près la cour d'appel de
Rouen saisit le Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Rouen, aux
fins de suspension des fonctions du requérant pendant la durée de la
procédure pénale.
Le 8 juillet 1994, le requérant fut mis en liberté et placé sous
contrôle judiciaire.
Le 11 juillet 1994, le Conseil de l'Ordre des avocats décida de
ne pas suspendre le requérant. Le procureur général interjeta appel de
cette décision, estimant que les faits reprochés justifiaient une
mesure conservatoire, étant sérieux et graves, révélateurs d'un
comportement de nature à porter atteinte au respect et à la crédibilité
de la profession d'avocat ainsi qu'à un fonctionnement digne de la
justice.
Par arrêt du 13 septembre 1994, la cour d'appel de Rouen décida
d'ordonner une suspension provisoire de l'activité du requérant,
estimant notamment que :
« Et attendu, d'autre part, que, quelle que soit la
qualification juridique donnée aux faits, il est constant
que (le requérant), avocat au barreau de Rouen, est
impliqué avec sa concubine dans des opérations
commerciales, ou a, en tout cas, fourni à sa compagne une
assistance dans la gestion de fait de deux sociétés
commerciales ; que le siège social de celles-ci a été fixé
dans un immeuble dont (le requérant) est propriétaire,
alors que leurs véritables bureaux se trouvaient ailleurs ;
que (le requérant) a tiré avantage des services, non
rémunérés par lui, de salariés de ses sociétés ; qu'il a
profité de l'entretien de véhicules lui appartenant
utilisés par lui-même ou par ses fils, les factures portant
les immatriculations des automobiles de l'une des deux
sociétés ; qu'il a bénéficié, notamment, des achats d'un
radio-téléphone pour sa voiture et d'un micro-ordinateur
sans doute destiné à l'un de ses fils, acquisitions
couvertes par des factures apocryphes dont l'une, trouvée
au cabinet (du requérant), porte une mention de sa main ;
que peu après l'arrestation de sa concubine, qui sera mise
en examen et écrouée le 12 avril 1994 pour abus de biens
sociaux et recel, (le requérant) a établi un bail entre lui
et l'une des deux sociétés en cause, qu'il a faussement
daté du 31 mars 1989 ; que le gérant de droit de l'époque
de la société a déclaré avoir signé ce document à la
demande (du requérant), venu le lui présenter sur son lieu
de travail, et en raison de la confiance qui s'attachait à
la qualité d'avocat (du requérant) ; que ce bail fait état
de travaux à la charge du preneur d'un montant avoisinant
celui des abus de biens sociaux poursuivis ; qu'à
l'occasion de débats sur la détention provisoire de la
compagne (du requérant), ce bail a été produit devant le
juge d'instruction, puis invoqué devant la chambre
d'accusation ; que (le requérant) n'a pas hésité, par
lettre du 19 mai 1994, rédigée sur son papier
professionnel, à envoyer ce bail au mandataire liquidateur
de la société, en visant l'article 37 de la loi du 25
janvier 1985, en vue d'une déclaration de créance ; que (le
requérant) a d'abord affirmé aux policiers que le bail
avait bien été établi le 31 mars 1989 et a nié l'avoir
rédigé et fait signer en avril 1994 ; que ce n'est qu'après
avoir pris connaissance des déclarations du cosignataire du
bail qu'il a reconnu la fausseté de la date de ce
document ;
Attendu que le trouble causé par cet ensemble de faits
graves, reprochés à un avocat qui fait l'objet pour eux de
poursuites pénales et disciplinaires, ainsi que le
caractère apparemment répréhensible et fautif de son
comportement dénué de scrupule, de nature à interdire toute
relation de confiance entre lui et les juridictions,
imposent que soit prise la mesure de suspension provisoire
de ses fonctions. »
Par ailleurs, la cour d'appel rejeta la demande d'intervention
du syndicat des avocats de France et de l'Union des jeunes avocats.
Par arrêt du 17 octobre 1995, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi du requérant, aux motifs notamment que la suspension ne
constituait pas une sanction disciplinaire mais une mesure provisoire
pouvant intervenir à tout moment au cours d'une procédure pénale ou
disciplinaire et que la cour d'appel avait souverainement statué dans
le respect des textes.
2. Eléments de droit interne
Loi du 21 décembre 1971, chapitre III (« De la
discipline »), article 23 :
« Le conseil de l'Ordre peut, soit d'office, soit sur les
réquisitions du procureur général, suspendre provisoirement
de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite
pénale ou disciplinaire.
Il peut, dans les mêmes conditions, ou à la requête de
l'intéressé, mettre fin à cette suspension.
La suspension provisoire d'exercice cesse de plein droit
dès que les actions pénales et disciplinaires sont
éteintes. »
GRIEFS
1. Le requérant critique l'article 23 de la loi de 1971 lui-même,
ainsi que la motivation de la cour d'appel et de la Cour de cassation,
estimant que son droit à un procès équitable a été violé à plusieurs
reprises. Il invoque l'article 6 de la Convention.
2. Le requérant estime par ailleurs que la suspension constituait
une véritable sanction constituant une atteinte à la présomption
d'innocence. Il invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.
EN DROIT
Le requérant critique l'article 23 de la loi de 1971 lui-même,
ainsi que la motivation de la cour d'appel et de la Cour de cassation,
estimant que son droit à un procès équitable a été violé à plusieurs
reprises. Il invoque l'article 6 (art. 6) de la Convention, lequel
prévoit notamment :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,
par un tribunal indépendant et impartial, établi par la
loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle.(...). »
Selon la jurisprudence des organes de la Convention, une sanction
disciplinaire entre dans le champ d'application de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) lorsqu'elle a des effets directs sur les droits et
obligations de caractère civil de l'intéressé (Cour eur. D.H., arrêt
Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, p.
22, par. 48 ; arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n°
58, p. 15, par. 28 et rapp. Com. 14.12.81, série B n° 50 ; Philis c.
Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, N° 40).
Cependant, en l'espèce, la Commission constate que le requérant
a fait l'objet, non pas d'une sanction disciplinaire, mais d'une mesure
provisoire relative à l'exercice de sa profession d'avocat. La
Commission doit donc examiner si la procédure en cause portait sur une
contestation sur des « droits et obligations de caractère civil » ou
sur le « bien-fondé d'une accusation en matière pénale ».
La Commission relève que la mesure consistait en une suspension
d'activité pendant la durée de la procédure pénale diligentée contre
le requérant. Le requérant a donc fait l'objet d'une interdiction
d'exercice professionnel pour une période indéterminée quant à sa durée
réelle, une procédure pénale pouvant durer quelques mois ou quelques
années. Une telle mesure affectait à l'évidence son activité
professionnelle de nature libérale. Il en résulte que l'issue de la
procédure était déterminante pour des droits de caractère civil dont
le requérant est titulaire. En conséquence, l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention est applicable au présent litige.
La Commission estime nécessaire d'envisager si l'article 6 par. 1
(art. 6-1) précité, en tant qu'il vise le « bien-fondé d'une accusation
en matière pénale », est également applicable à la présente affaire
(voir, notamment, N° 33740/96, déc. 10.9.97, non publiée).
A cet égard, la Commission rappelle que dans l'affaire Engel
c. Pays-Bas (Cour eur. D.H., arrêt du 8 juin 1976, série A n° 22,
pp. 31-37, par. 81), la Cour a énoncé les trois critères suivants : il
importe de savoir si le texte définissant l'infraction incriminée
appartient, d'après la technique juridique de l'Etat défendeur, au
droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois ; il faut
examiner la nature de l'infraction et le degré de sévérité de la
sanction que risque de subir l'intéressé.
En l'espèce, la Commission note tout d'abord que les règles sur
lesquelles la juridiction française a fondé sa décision ne relevait,
en droit français, ni du droit pénal, ni du droit disciplinaire
(article 23 de la loi du 31 décembre 1971). En deuxième lieu, si les
faits reprochés au requérant auraient éventuellement pu être
susceptibles de qualifications pénales, l'existence d'une procédure
pénale justifiait qu'une telle mesure soit envisagée et, comme en
l'espèce, décidée, au regard des règles déontologiques des avocats et
de leur participation au service public de la justice en qualité
d'auxiliaires de justice. Enfin, à supposer que la mesure puisse, de
par ses effets, constituer une sanction, elle ne revêtirait qu'un
caractère typiquement disciplinaire, ce dont atteste l'existence de la
suspension dans la liste des sanctions disciplinaires applicables aux
avocats et le titre du chapitre de la loi de 1971, au sein duquel
l'article 23 est inséré.
En conséquence, la Commission considère que le requérant n'a pas
fait l'objet d'une « accusation en matière pénale » et que l'article 6
par. 1 (art. 6-1) n'est applicable qu'en tant qu'il concerne des
« droits et obligations de caractère civil » (voir, mutatis mutandis,
N° 33740/96 précité).
D'après la jurisprudence des organes de la Convention, la
question de savoir si un procès est conforme aux exigences de
l'article 6 (art. 6) s'apprécie sur la base d'un examen de l'ensemble
de la procédure et non d'un élément isolé (voir, notamment, Cour eur.
D.H., arrêt Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A
n° 115, p. 22, par. 56).
En l'espèce, la Commission constate qu'il ressort des éléments
du dossier que le requérant, avocat, avait connaissance de la procédure
pénale diligentée contre lui, pour laquelle il fit l'objet d'une garde
à vue et d'une mise en examen, assortie d'une détention provisoire
pendant deux semaines. La Commission note que le requérant, en sa
qualité d'avocat, ne pouvait ignorer les dispositions de l'article 23
de la loi du 31 décembre 1971 et que le dossier témoigne de ce qu'il
a été en mesure de discuter contradictoirement de la mesure envisagée
devant la cour d'appel, avec d'ailleurs le soutien d'une grande partie
de la profession. Quant au pourvoi en cassation, la Commission rappelle
qu'il n'est pas garanti, en soi, par la Convention et qu'en tout état
de cause la Cour de cassation a retenu que la mesure ne constituait pas
une peine sanctionnant une faute mais une mesure provisoire décidée
conformément aux dispositions légales.
Dès lors, la Commission n'aperçoit aucune apparence de violation
de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que ce
grief est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention
2. Le requérant estime par ailleurs que la suspension constituait
une véritable sanction portant atteinte à la présomption d'innocence.
Il invoque l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, selon lequel
:
« 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie. »
La Commission rappelle que la présomption d'innocence ne se
limite pas à une garantie procédurale au sein du seul procès pénal,
mais que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) exige en outre que ni l'autorité
judiciaire ni aucun représentant de l'Etat ne présente une personne
comme coupable d'une infraction, tant que la culpabilité de cette
personne ne se trouve pas définitivement établie par la juridiction
compétente (Cour eur. D.H., arrêt Allenet de Ribemont c. France du 10
février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35).
En l'espèce, la Commission constate que le requérant n'a pas été
désigné comme étant effectivement l'auteur d'une infraction pénale par
la cour d'appel de Rouen. La Commission estime en outre qu'un organe
statuant en matière disciplinaire peut, afin de rendre sa décision,
retenir des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS
Secrétaire Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
Textes cités dans la décision