CEDH, Commission (deuxième chambre), DUBOS c. la FRANCE, 14 janvier 1998, 31104/96

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 14 janv. 1998, n° 31104/96
Numéro(s) : 31104/96
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 17 avril 1996
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n° 58, p. 15, par. 28
Arrêt Allenet de Ribemont du 10 février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35
Cour Eur. D.H. Arrêt Engel du 8 juin 1976, série A n° 22, pp. 31-37, par. 81
Arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A, n° 43, p. 22 par. 48
Arrêt Monnell et Morris du 2 mars 1987, série A n° 115, p. 22, par. 56
Arrêt Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, N° 40
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-29227
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0114DEC003110496
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Texte intégral

                         SUR LA RECEVABILITÉ

                      de la requête N° 31104/96

                      présentée par Michel DUBOS

                      contre la France

                          __________

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 14 janvier 1998 en présence

de

           MM.  J.-C. GEUS, Président

                M.A. NOWICKI

                G. JÖRUNDSSON

                A. GÖZÜBÜYÜK

                J.-C. SOYER

                H. DANELIUS

           Mme  G.H. THUNE

           MM.  F. MARTINEZ

                I. CABRAL BARRETO

                J. MUCHA

                D. SVÁBY

                P. LORENZEN

                E. BIELIUNAS

                E.A. ALKEMA

                A. ARABADJIEV

           Mme  M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 17 avril 1996 par Michel DUBOS contre

la France et enregistrée le 22 avril 1996 sous le N° de dossier

31104/96 ;

     Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant, de nationalité française, né en 1943, est avocat

et réside à Rouen. Devant la Commission, il est représenté par la SCP

Bore et Xavier, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

     Les faits de l'espèce, tels qu'ils ont été présentés par le

requérant, peuvent se résumer comme suit.

1.   Circonstances particulières de l'espèce

     Le 22 juin 1994, le requérant fut placé en garde à vue concernant

sa participation à des sociétés de location de locaux dont il était

propriétaire. Le 24 juin 1994, le requérant fut mis en examen par un

juge d'instruction de Rouen pour faux et usage de faux ainsi que recel

d'abus de biens sociaux. Il fut également placé en détention

provisoire.

     Le 27 juin 1994, le procureur général près la cour d'appel de

Rouen saisit le Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Rouen, aux

fins de suspension des fonctions du requérant pendant la durée de la

procédure pénale.

     Le 8 juillet 1994, le requérant fut mis en liberté et placé sous

contrôle judiciaire.

     Le 11 juillet 1994, le Conseil de l'Ordre des avocats décida de

ne pas suspendre le requérant. Le procureur général interjeta appel de

cette décision, estimant que les faits reprochés justifiaient une

mesure conservatoire, étant sérieux et graves, révélateurs d'un

comportement de nature à porter atteinte au respect et à la crédibilité

de la profession d'avocat ainsi qu'à un fonctionnement digne de la

justice.

     Par arrêt du 13 septembre 1994, la cour d'appel de Rouen décida

d'ordonner une suspension provisoire de l'activité du requérant,

estimant notamment que :

     « Et attendu, d'autre part, que, quelle que soit la

     qualification juridique donnée aux faits, il est constant

     que (le requérant), avocat au barreau de Rouen, est

     impliqué avec sa concubine dans des opérations

     commerciales, ou a, en tout cas, fourni à sa compagne une

     assistance dans la gestion de fait de deux sociétés

     commerciales ; que le siège social de celles-ci a été fixé

     dans un immeuble dont (le requérant) est propriétaire,

     alors que leurs véritables bureaux se trouvaient ailleurs ;

     que (le requérant) a tiré avantage des services, non

     rémunérés par lui, de salariés de ses sociétés ; qu'il a

     profité de l'entretien de véhicules lui appartenant

     utilisés par lui-même ou par ses fils, les factures portant

     les immatriculations des automobiles de l'une des deux

     sociétés ; qu'il a bénéficié, notamment, des achats d'un

     radio-téléphone pour sa voiture et d'un micro-ordinateur

     sans doute destiné à l'un de ses fils, acquisitions

     couvertes par des factures apocryphes dont l'une, trouvée

     au cabinet (du requérant), porte une mention de sa main ;

     que peu après l'arrestation de sa concubine, qui sera mise

     en examen et écrouée le 12 avril 1994 pour abus de biens

     sociaux et recel, (le requérant) a établi un bail entre lui

     et l'une des deux sociétés en cause, qu'il a faussement

     daté du 31 mars 1989 ; que le gérant de droit de l'époque

     de la société a déclaré avoir signé ce document à la

     demande (du requérant), venu le lui présenter sur son lieu

     de travail, et en raison de la confiance qui s'attachait à

     la qualité d'avocat (du requérant) ; que ce bail fait état

     de travaux à la charge du preneur d'un montant avoisinant

     celui des abus de biens sociaux poursuivis ; qu'à

     l'occasion de débats sur la détention provisoire de la

     compagne (du requérant), ce bail a été produit devant le

     juge d'instruction, puis invoqué devant la chambre

     d'accusation ; que (le requérant) n'a pas hésité, par

     lettre du 19 mai 1994, rédigée sur son papier

     professionnel, à envoyer ce bail au mandataire liquidateur

     de la société, en visant l'article 37 de la loi du 25

     janvier 1985, en vue d'une déclaration de créance ; que (le

     requérant) a d'abord affirmé aux policiers que le bail

     avait bien été établi le 31 mars 1989 et a nié l'avoir

     rédigé et fait signer en avril 1994 ; que ce n'est qu'après

     avoir pris connaissance des déclarations du cosignataire du

     bail qu'il a reconnu la fausseté de la date de ce

     document ;

     Attendu que le trouble causé par cet ensemble de faits

     graves, reprochés à un avocat qui fait l'objet pour eux de

     poursuites pénales et disciplinaires, ainsi que le

     caractère apparemment répréhensible et fautif de son

     comportement dénué de scrupule, de nature à interdire toute

     relation de confiance entre lui et les juridictions,

     imposent que soit prise la mesure de suspension provisoire

     de ses fonctions. »

     Par ailleurs, la cour d'appel rejeta la demande d'intervention

du syndicat des avocats de France et de l'Union des jeunes avocats.

     Par arrêt du 17 octobre 1995, la Cour de cassation rejeta le

pourvoi du requérant, aux motifs notamment que la suspension ne

constituait pas une sanction disciplinaire mais une mesure provisoire

pouvant intervenir à tout moment au cours d'une procédure pénale ou

disciplinaire et que la cour d'appel avait souverainement statué dans

le respect des textes.

2.   Eléments de droit interne

     Loi du 21 décembre 1971, chapitre III (« De la

     discipline »), article 23 :

     « Le conseil de l'Ordre peut, soit d'office, soit sur les

     réquisitions du procureur général, suspendre provisoirement

     de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite

     pénale ou disciplinaire.

     Il peut, dans les mêmes conditions, ou à la requête de

     l'intéressé, mettre fin à cette suspension.

     La suspension provisoire d'exercice cesse de plein droit

     dès que les actions pénales et disciplinaires sont

     éteintes. »

GRIEFS

1.   Le requérant critique l'article 23 de la loi de 1971 lui-même,

ainsi que la motivation de la cour d'appel et de la Cour de cassation,

estimant que son droit à un procès équitable a été violé à plusieurs

reprises. Il invoque l'article 6 de la Convention.

2.   Le requérant estime par ailleurs que la suspension constituait

une véritable sanction constituant une atteinte à la présomption

d'innocence. Il invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.

EN DROIT

     Le requérant critique l'article 23 de la loi de 1971 lui-même,

ainsi que la motivation de la cour d'appel et de la Cour de cassation,

estimant que son droit à un procès équitable a été violé à plusieurs

reprises. Il invoque l'article 6 (art. 6) de la Convention, lequel

prévoit notamment :

     « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

     équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,

     par un tribunal indépendant et impartial, établi par la

     loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et

     obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute

     accusation en matière pénale dirigée contre elle.(...). »

     Selon la jurisprudence des organes de la Convention, une sanction

disciplinaire entre dans le champ d'application de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) lorsqu'elle a des effets directs sur les droits et

obligations de caractère civil de l'intéressé (Cour eur. D.H., arrêt

Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, p.

22, par. 48 ; arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A n°

58, p. 15, par. 28 et rapp. Com. 14.12.81, série B n° 50 ; Philis c.

Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, N° 40).

     Cependant, en l'espèce, la Commission constate que le requérant

a fait l'objet, non pas d'une sanction disciplinaire, mais d'une mesure

provisoire relative à l'exercice de sa profession d'avocat. La

Commission doit donc examiner si la procédure en cause portait sur une

contestation sur des « droits et obligations de caractère civil » ou

sur le « bien-fondé d'une accusation en matière pénale ».

     La Commission relève que la mesure consistait en une suspension

d'activité pendant la durée de la procédure pénale diligentée contre

le requérant. Le requérant a donc fait l'objet d'une interdiction

d'exercice professionnel pour une période indéterminée quant à sa durée

réelle, une procédure pénale pouvant durer quelques mois ou quelques

années. Une telle mesure affectait à l'évidence son activité

professionnelle de nature libérale. Il en résulte que l'issue de la

procédure était déterminante pour des droits de caractère civil dont

le requérant est titulaire. En conséquence, l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention est applicable au présent litige.

     La Commission estime nécessaire d'envisager si l'article 6 par. 1

(art. 6-1) précité, en tant qu'il vise le « bien-fondé d'une accusation

en matière pénale », est également applicable à la présente affaire

(voir, notamment, N° 33740/96, déc. 10.9.97, non publiée).

     A cet égard, la Commission rappelle que dans l'affaire Engel

c. Pays-Bas (Cour eur. D.H., arrêt du 8 juin 1976, série A n° 22,

pp. 31-37, par. 81), la Cour a énoncé les trois critères suivants : il

importe de savoir si le texte définissant l'infraction incriminée

appartient, d'après la technique juridique de l'Etat défendeur, au

droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois ; il faut

examiner la nature de l'infraction et le degré de sévérité de la

sanction que risque de subir l'intéressé.

     En l'espèce, la Commission note tout d'abord que les règles sur

lesquelles la juridiction française a fondé sa décision ne relevait,

en droit français, ni du droit pénal, ni du droit disciplinaire

(article 23 de la loi du 31 décembre 1971). En deuxième lieu, si les

faits reprochés au requérant auraient éventuellement pu être

susceptibles de qualifications pénales, l'existence d'une procédure

pénale justifiait qu'une telle mesure soit envisagée et, comme en

l'espèce, décidée, au regard des règles déontologiques des avocats et

de leur participation au service public de la justice en qualité

d'auxiliaires de justice. Enfin, à supposer que la mesure puisse, de

par ses effets, constituer une sanction, elle ne revêtirait qu'un

caractère typiquement disciplinaire, ce dont atteste l'existence de la

suspension dans la liste des sanctions disciplinaires applicables aux

avocats et le titre du chapitre de la loi de 1971, au sein duquel

l'article 23 est inséré.

     En conséquence, la Commission considère que le requérant n'a pas

fait l'objet d'une « accusation en matière pénale » et que l'article 6

par. 1 (art. 6-1) n'est applicable qu'en tant qu'il concerne des

« droits et obligations de caractère civil » (voir, mutatis mutandis,

N° 33740/96 précité).

     D'après la jurisprudence des organes de la Convention, la

question de savoir si un procès est conforme aux exigences de

l'article 6 (art. 6) s'apprécie sur la base d'un examen de l'ensemble

de la procédure et non d'un élément isolé (voir, notamment, Cour eur.

D.H., arrêt Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A

n° 115, p. 22, par. 56).

     En l'espèce, la Commission constate qu'il ressort des éléments

du dossier que le requérant, avocat, avait connaissance de la procédure

pénale diligentée contre lui, pour laquelle il fit l'objet d'une garde

à vue et d'une mise en examen, assortie d'une détention provisoire

pendant deux semaines. La Commission note que le requérant, en sa

qualité d'avocat, ne pouvait ignorer les dispositions de l'article 23

de la loi du 31 décembre 1971 et que le dossier témoigne de ce qu'il

a été en mesure de discuter contradictoirement de la mesure envisagée

devant la cour d'appel, avec d'ailleurs le soutien d'une grande partie

de la profession. Quant au pourvoi en cassation, la Commission rappelle

qu'il n'est pas garanti, en soi, par la Convention et qu'en tout état

de cause la Cour de cassation a retenu que la mesure ne constituait pas

une peine sanctionnant une faute mais une mesure provisoire décidée

conformément aux dispositions légales.

      Dès lors, la Commission n'aperçoit aucune apparence de violation

de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que ce

grief est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention

2.   Le requérant estime par ailleurs que la suspension constituait

une véritable sanction portant atteinte à la présomption d'innocence.

Il invoque l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, selon lequel

:

     « 2.  Toute personne accusée d'une infraction est présumée

     innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement

     établie. »

     La Commission rappelle que la présomption d'innocence ne se

limite pas à une garantie procédurale au sein du seul procès pénal,

mais que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) exige en outre que ni l'autorité

judiciaire ni aucun représentant de l'Etat ne présente une personne

comme coupable d'une infraction, tant que la culpabilité de cette

personne ne se trouve pas définitivement établie par la juridiction

compétente (Cour eur. D.H., arrêt Allenet de Ribemont c. France du 10

février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35).

     En l'espèce, la Commission constate que le requérant n'a pas été

désigné comme étant effectivement l'auteur d'une infraction pénale par

la cour d'appel de Rouen. La Commission estime en outre qu'un organe

statuant en matière disciplinaire peut, afin de rendre sa décision,

retenir des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.

     Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de

l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

     Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

     DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

      M.-T. SCHOEPFER                              J.-C. GEUS

         Secrétaire                                Président

   de la Deuxième Chambre                    de la Deuxième Chambre

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  1. Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971
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