CEDH, Commission (deuxième chambre), DULAURANS c. la FRANCE, 14 janvier 1998, 34553/97

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 14 janv. 1998, n° 34553/97
Numéro(s) : 34553/97
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 17 décembre 1996
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-29251
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0114DEC003455397
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Sur les parties

Texte intégral

                      SUR LA RECEVABILITÉ

                    de la requête N° 34553/97

                    présentée par Michelle Christine DULAURANS

                    contre la France

                            __________

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 14 janvier 1998 en présence

de

          MM.  J.-C. GEUS, Président

               M.A. NOWICKI

               G. JÖRUNDSSON

               A. GÖZÜBÜYÜK

               J.-C. SOYER

               H. DANELIUS

          Mme  G.H. THUNE

          MM.  F. MARTINEZ

               I. CABRAL BARRETO

               J. MUCHA

               D. SVÁBY

               P. LORENZEN

               E. BIELIUNAS

               E.A. ALKEMA

               A. ARABADJIEV

          Mme  M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 17 décembre 1996 par Michelle

Christine DULAURANS contre la France et enregistrée le 21 janvier 1997

sous le N° de dossier 34553/97 ;

     Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de

la Commission ;

     Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

8 septembre 1997 et les observations en réponse présentées par la

requérante le 6 novembre 1997 ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     La requérante est une ressortissante française, née en 1940 et

résidant à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Devant la Commission,

elle est représentée par Maître Jean-Alain Blanc, avocat au barreau de

Paris.

     Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit.

     Par procuration en date du 15 octobre 1991, la requérante donna

pouvoir à B.N., marchand de biens, de vendre deux immeubles lui

appartenant, pour un « prix minimum de l'ensemble de vingt millions de

francs ». Il était précisé par la requérante que « les honoraires de

[B.N.] sont à ma charge d'environ dix pour cent hors taxe du prix de

vente ».

     Le 5 novembre 1991, B.N. négocia la vente de ces immeubles avec

la société S. Par deux procurations en date du 25 novembre 1991, la

requérante donna pouvoir à B.N. de vendre lesdits immeubles, le premier

moyennant un prix de vingt millions de francs et le second moyennant

un prix de deux millions de francs, honoraires compris. Par lettre du

27 novembre 1991, la société S. accepta l'offre concernant la vente du

premier immeuble.

     Par lettre recommandée avec accusé de réception du

9 janvier 1992, la requérante, qui avait trouvé acquéreur à meilleur

prix, révoqua les deux mandats de vente conférés le 25 novembre 1991.

     Le 16 janvier 1992, la requérante conclut avec B.N. une

transaction par laquelle elle s'engageait à lui verser une indemnité

forfaitaire de 500 000 francs avec intérêts de retard au taux de 12%

l'an, payable au plus tard le 15 mai 1992. Toutefois, malgré une mise

en demeure du 14 mai 1992, la requérante refusa de verser à B.N. la

somme convenue.

     Le 9 juillet 1992, B.N. assigna la requérante en paiement de la

somme de 500 000 francs, avec le bénéfice de l'exécution provisoire.

     Par écritures signifiées le 7 janvier 1993, la requérante conclut

principalement à la nullité du contrat de mandat du 25 novembre 1991,

notamment pour non-respect des dispositions de la loi du

2 janvier 1970, réglementant les conditions d'exercice des activités

relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds

de commerce (voir ci-après « Droit interne pertinent »). La requérante

soutint en particulier que les actes du 25 novembre 1991 ne précisaient

pas le montant de la commission due et ne comportaient aucune

limitation de leur effet dans le temps.

     Le 6 avril 1993, le tribunal de grande instance de Nanterre

condamna la requérante à payer à B.N. la somme de 500 000 francs avec

intérêts au taux contractuel de 12% l'an à compter du 15 mai 1992, en

exécution de la transaction du 16 janvier 1992.

     Appelant de cette décision, la requérante sollicita notamment la

constatation de la nullité des mandats de vente du 25 novembre 1991,

qui auraient été établis, selon elle, en violation des dispositions de

la loi du 2 janvier 1970. En particulier, dans ses conclusions du

6 septembre 1993, elle soutint que « (...) il n'est pas contestable que

B.N. se trouve soumis aux dispositions de la loi du 2 janvier 1970

réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à

certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce

(...) ».

     En outre, dans ses conclusions en réponse du 7 mars 1994, la

requérante soutint que « (...) B.N. contestant sa qualité

professionnelle de l'immobilier et le fait de se livrer d'une mesure

habituelle aux opérations immobilières visées à l'article 1er de la loi

du 2 janvier 1970, soutient que ces dispositions ne trouvent pas

application. Cette argumentation est inopérante. En effet, ainsi bien

que B.N. le rappelle lui-même dans ses écritures, il était déjà

intervenu auprès de [la requérante] pour l'acquisition des divers biens

immobiliers pour un montant total de 5 000 000 F., opération

concrétisée par un acte du 14 octobre 1991 (...) [B.N.] s'est bien

gardé d'attirer l'attention de la concluante sur l'application de la

loi du 2 janvier 1970, en sorte qu'il ne saurait soutenir l'existence

d'un accord concernant l'exclusion de ces dispositions légales d'ordre

public (...) ».

     Le 26 mai 1994, la cour d'appel de Versailles confirma le

jugement attaqué, en considérant notamment « qu'en sa qualité de

marchand de biens ne se livrant pas d'une manière habituelle aux

opérations visées à l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970, [B.N.]

ne tombe pas sous le coup de cette loi ».

     La requérante se pourvut alors en cassation. Dans son mémoire

ampliatif du 7 décembre 1994, elle soutint que « (...) la loi du

2 janvier 1970 s'applique même aux personnes qui n'accomplissent qu'à

titre accessoire les opérations qu'elle vise (...) ; qu'ainsi, il

importait peu que [B.N.] eût exercé, fût-ce à titre principal, une

autre activité de marchand de biens dès lors que la constatation de la

pluralité de mandats relatifs à des opérations bien distinctes

caractérisait l'accomplissement d'une manière habituelle d'opérations

portant sur les biens d'autrui (...) ».

     Dans son mémoire en défense, déposé devant la Cour de cassation

le 9 mars 1995, B.N. souleva une exception d'irrecevabilité tirée de

la nouveauté du moyen présenté par la requérante à l'appui de son

pourvoi en cassation. En particulier, B.N. nota que « la critique

pourra d'abord être écartée comme nouvelle et mélangée de fait et de

droit. En effet, dans ses conclusions d'appel, [la requérante], sans

doute moins inspirée à l'époque, n'avait pas songé à soutenir que le

caractère habituel de l'activité pourrait résulter de la seule

acceptation de deux mandats le même jour ».

     Le 2 juillet 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la

requérante au motif que cette dernière « qui, initialement le

15 octobre 1991, avait consenti un pouvoir pour vendre les deux

immeubles, n'a pas soutenu dans ses conclusions que [B.N.], d'une

manière habituelle, se livrait ou prêtait son concours aux opérations

prévues par la loi du 2 janvier 1970 ; qu'elle n'est pas recevable à

le faire pour la première fois devant la Cour de cassation ». Jugeant

en outre le pourvoi de la requérante abusif, la Cour de cassation

condamna celle-ci à une amende civile de 10 000 F.

Droit interne pertinent

A.   Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970

     Article 1er : « Les dispositions de la présente loi s'appliquent

     aux personnes physiques ou morales qui, d'une manière habituelle,

     se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux

     opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à : i)

     L'achat, la vente, l'échange, la location ou sous-location en nu

     ou en meublé d'immeubles bâtis ou non bâtis (...). »

     Article 6 : « Les conventions conclues avec les personnes visées

     à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il

     mentionne doivent être rédigées par écrit et préciser (...) les

     conditions de détermination de la rémunération, ainsi que

     l'indication de la partie qui en aura la charge (...). »

     Article 7 : « Sont nulles les promesses et les conventions de

     toute nature relatives aux opérations visées à l'article 1er qui

     ne comportent pas une limitation de leurs effets dans le temps.

     »

B.   Code de procédure civile

     Article 563 : « Pour justifier en appel les prétentions qu'elles

     avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer

     des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de

     nouvelles preuves. »

     Article 619 : « Les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant

     la Cour de cassation. »

GRIEF

     La requérante se plaint de n'avoir pas bénéficié d'un procès

équitable, dans la mesure où la Cour de cassation déclara son unique

moyen de cassation irrecevable, en se fondant sur une constatation

manifestement inexacte, à savoir qu'il s'agissait d'un moyen nouveau.

La requérante estime qu'elle n'a pas été effectivement entendue par la

Cour de cassation et invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

     La requête a été introduite le 17 décembre 1996 et enregistrée

le 21 janvier 1997.

     Le 9 avril 1997, la Commission a décidé de porter la requête à

la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter

par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

     Le Gouvernement a présenté ses observations le 8 septembre 1997,

après une prorogation du délai imparti, et la requérante y a répondu

le 6 novembre 1997.

EN DROIT

     La requérante se plaint de n'avoir pas bénéficié d'un procès

équitable, dans la mesure où la Cour de cassation déclara son unique

moyen de cassation irrecevable, en se fondant sur une constatation

manifestement inexacte, à savoir qu'il s'agissait d'un moyen nouveau.

La requérante estime qu'elle n'a pas été effectivement entendue par la

Cour de cassation et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention, qui, en ses parties pertinentes, dispose :

     « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

     équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des

     contestations sur ses droits et obligations de caractère civil

     (...). »

     Le gouvernement défendeur souligne d'emblée que l'article 619 du

Code de procédure civile ne fait que consacrer une jurisprudence très

ancienne relative à la mission traditionnellement dévolue de la Cour

de cassation, qui est chargée d'apprécier, sous le rapport du droit,

les arrêts et jugements rendus en dernier ressort. Le rôle de la Cour

de cassation se limite donc à déterminer si les juges du fond ont

correctement appliqué la loi aux faits qu'ils ont souverainement

constatés, et il ne lui est pas possible d'accueillir des moyens

nouveaux, à savoir des moyens qui n'ont pas été présentés en appel, à

moins qu'ils ne soient de pur droit ou nés de la décision attaquée.

     Le Gouvernement relève que la requérante n'a jamais exposé

expressément, dans ses conclusions présentées devant la cour d'appel

de Versailles, que la simple existence de deux mandats, portant sur

deux immeubles distincts, suffisait à démontrer le caractère habituel

des opérations effectuées par B.N. Or, selon le Gouvernement, c'est

précisément cette pluralité de mandats qui a fondé l'unique moyen de

cassation de la requérante. Par conséquent, faute d'avoir soutenu

devant la cour d'appel que l'existence concomitante de deux mandats de

vente caractérisait l'habitude requise par la loi de 1970, la

requérante ne pouvait ensuite faire état de cette argumentation devant

la Cour de cassation, cette dernière étant dans l'impossibilité de

répondre à une question mélangée de fait et de droit, qui n'avait pas

été précédemment posée aux juges ayant rendu la décision attaquée.

     Le Gouvernement ajoute à cet égard que le fait que la requérante

avait présenté de manière plus précise, devant le tribunal de grande

instance de Nanterre, ses arguments relatifs aux deux mandats donnés

à B.N., ne permet pas de pallier l'imprécision de ses conclusions

devant la cour d'appel de Versailles, qui n'était saisie que de ces

dernières. La Cour de cassation ne pouvait pas valablement reprocher

à la cour d'appel de n'avoir pas répondu à un moyen de défense qui ne

lui avait pas été clairement soumis. Il était dès lors inévitable que

le moyen de cassation présenté par la requérante soit considéré comme

nouveau par la Cour de cassation.

     Sur les différences séparant la présente affaire de l'affaire

Fouquet c. France, dans laquelle la Commission avait conclu à la

violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention en raison d'une

erreur manifeste d'appréciation commise par la Cour de cassation (voir

Cour eur. D.H., arrêt Fouquet c. France du 31 janvier 1996, Recueil

1996-I, p. 19), le Gouvernement affirme que la Cour de cassation n'a

oublié aucun des éléments présentés par la requérante à l'appui de son

unique moyen de défense, mais elle a simplement considéré, après avoir

analysé à la fois le mémoire établi au soutien du pourvoi et celui

présenté par la partie adverse, ainsi que les conclusions produites

devant la cour d'appel de Versailles, que le moyen de cassation était

nouveau et qu'il convient de l'écarter, en application de la règle

traditionnelle consacrée par l'article 619 du Code de procédure civile.

Le Gouvernement précise à cet égard que la nouveauté du moyen présenté

par la requérante a été clairement soulevée par son adversaire dans le

mémoire en défense qu'il avait déposé devant la Cour de cassation le

9 mars 1995.

     Par conséquent, le Gouvernement affirme que, si dans l'affaire

Fouquet la Cour de cassation avait écarté un moyen de défense parce

qu'elle avait omis d'en examiner la substance, dans la présente

requête, la Cour de cassation a écarté un moyen de défense parce

qu'elle a considéré, après examen, qu'il revêtait un caractère nouveau.

     La requérante souligne tout d'abord que le débat ne porte pas sur

la compatibilité de l'article 619 du Code de procédure civile avec

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et affirme que son moyen

de cassation reposait sur des conclusions expressément soumises en

appel. Elle se réfère à cet égard à ses conclusions déposées devant la

cour d'appel les 6 septembre 1993 et 7 mars 1994 (voir ci-dessus).

     La Commission estime, à la lumière de l'ensemble des arguments

des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de

droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la

requête, mais nécessitent un examen au fond.

     La requête ne saurait dès lors être déclarée manifestement mal

fondée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention. La Commission constate en outre que la requête ne se heurte

à aucun autre motif d'irrecevabilité.

     Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

     DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

      M.-T. SCHOEPFER                           J.-C. GEUS

         Secrétaire                             Président

   de la Deuxième Chambre                 de la Deuxième Chambre

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