CEDH, Commission (plénière), MOHAMMED, QUDSIA, PARWEZ, AJMAL ET TOBISH c. la SUISSE, 14 avril 1998, 33016/96
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 14 avr. 1998, n° 33016/96 |
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Numéro(s) : | 33016/96 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 7 mai 1996 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29432 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0414DEC003301696 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 33016/96
présentée par Nour Mohammed, Qudsia,
Ahmad Parwez, Ali Ajmal, Fereshta et
Nabi Anis TOBISH
contre la Suisse
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 14 avril 1998 en présence de
MM. J.-C. GEUS, Président en exercice
S. TRECHSEL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
N. BRATZA
I. BÉKÉS
J. MUCHA
D. SVÁBY
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
P. LORENZEN
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV
M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 7 mai 1996 par Nour Mohammed, Qudsia,
Ahmad Parwez, Ali Ajmal, Fereshta et Nabi Anis TOBISH contre la Suisse
et enregistrée le 18 septembre 1996 sous le N° de dossier 33016/96 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le premier requérant, ressortissant afghan né en 1945, était
mathématicien à l'académie des sciences de Kaboul. La seconde
requérante est son épouse, de nationalité afghane également, née en
1960. Les quatre autres requérants sont leurs enfants, nés
respectivement en 1980, 1982, 1984 et 1989. Tous résident à Yverdon,
en Suisse. Ils agissent en personne devant la Commission.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire
Les requérants quittèrent l'Afghanistan le 25 novembre 1990 et
arrivèrent en Suisse le 6 décembre 1990, où ils déposèrent une demande
d'asile.
Le 4 avril 1991, interrogé par l'Office des requérants d'asile
du canton de Vaud, le premier requérant déclara qu'employé à mi-temps
par l'institut de mathématiques de Kaboul, il avait organisé, pour des
raisons financières et sociales, des cours de mathématiques et
d'anglais ; qu'en octobre 1990, la police avait encerclé la classe et
arrêté les élèves de sexe masculin, des tracts hostiles au gouvernement
ayant été découverts dans les locaux ; que lui-même se trouvait au
marché et qu'informé de l'incident, il s'était réfugié chez sa soeur ;
que la police avait perquisitionné à son domicile et à celui de son
père ; qu'en tant que responsable des cours, il aurait « sûrement été
exécuté » en cas d'arrestation ; que son père avait organisé son départ
avec l'aide d'un ami commerçant ; qu'il avait traversé la frontière
sans encombre à Badani. Il précisa qu'il n'appartenait à aucun parti
politique mais faisait de la propagande antigouvernementale lorsqu'il
« n'y avait pas de danger », en l'occurrence chez des amis, des gens
de confiance ou des élèves proches.
Le 13 juillet 1994, l'Office fédéral des réfugiés (ci-après
l'Office des réfugiés) nia aux requérants la qualité de réfugiés,
rejeta leur demande d'asile et ordonna leur renvoi de Suisse.
Toutefois, estimant que le refoulement vers l'Afghanistan n'était « en
l'état actuel pas raisonnablement exigible », il admit provisoirement
les requérants en Suisse.
A l'appui de sa décision, l'Office des réfugiés rappela que
l'asile était octroyé si le demandeur était menacé de persécution et
nécessitait de ce fait protection, la situation à prendre en compte
étant celle qui prévalait au moment de statuer. Considérant que la
situation politique en Afghanistan s'était fondamentalement modifiée
depuis le départ des requérants suite à la prise de pouvoir par les
moudjahidines au printemps 1992, la désignation de Mujaddedi à la
présidence de la République en avril 1992, la succession de Rabbani à
cette fonction en juin 1992 et l'institution d'un parlement composé de
diverses factions de la résistance en janvier 1993, l'Office des
réfugiés conclut qu'à supposer même que le premier requérant ait été
réellement exposé à des menaces de persécution de la part des organes
étatiques, ses craintes de faire l'objet de poursuites en raison des
activités de propagande de certains de ses élèves contre le régime de
Najibullah n'avaient plus de raison d'être. Les demandes des autres
requérants furent rejetées, aux motifs qu'ils n'avaient fait valoir
aucun argument personnel et se trouvaient dès lors soumis au statut
juridique du conjoint et père.
Le 28 juillet 1994, les requérants recoururent contre la décision
de l'Office des réfugiés et sollicitèrent l'octroi de l'asile, en
application de l'article 3 de la Loi fédérale sur l'asile. A cette
occasion, le premier requérant affirma avoir milité publiquement et
intensément depuis plusieurs années, avant tout par la rédaction de
poèmes, en faveur d'un Afghanistan laïque, démocratique et respectueux
des droits de l'homme, et s'être ainsi opposé à tous les gouvernements,
y compris celui de Rabbani et Hekmatyar ; il soutint aussi avoir été
très actif politiquement dans les années 70 ; enfin, il déclara ne pas
avoir cessé ses activités en exil, précisant à cet égard qu'il avait
publié des écrits et participé à des manifestations contre les tenants
actuels du pouvoir.
Le 12 janvier 1996, la Commission suisse de recours en matière
d'asile (ci-après la Commission de recours) rejeta ledit recours. Elle
estima que les requérants n'avaient pas rendu crédibles les motifs
exposés à l'appui de leur demande d'asile et renvoya, sur ce point, aux
considérations de l'Office des réfugiés. Par ailleurs, elle releva que
les allégations concernant les activités politiques du premier
requérant, telles qu'exposées dans son mémoire de recours, ne
correspondaient pas aux déclarations qu'il avait faites en première
instance et les jugea en conséquence dénuées de vraisemblance ; à cet
égard, elle observa également que la revendication d'un régime laïque
et démocratique, vu les changements politiques intervenus en
Afghanistan, ne pouvait plus être à l'origine de poursuites. Enfin,
elle constata qu'il n'avait pas été démontré que les requérants avaient
été mis en danger de façon concrète ou risquaient de l'être en raison
des activités exercées par le premier requérant en exil, soulignant
qu'au demeurant la situation politique était devenue à tel point
anarchique en Afghanistan qu'il n'existait plus de pouvoir homogène
susceptible d'être à l'origine d'une persécution émanant de l'Etat.
La décision de la Commission de recours fut expédiée aux
requérants le 13 mars 1996. A cette date, le rejet de leur demande
d'asile de même que leur admission provisoire en Suisse acquirent force
de chose jugée.
La situation politique en Afghanistan s'est radicalement modifiée
suite à l'arrivée des talibans à Kaboul en septembre 1996.
B. Droit interne pertinent
Aux termes de la Loi fédérale sur l'asile du 5 octobre 1979, la
Suisse accorde sur demande l'asile aux réfugiés (article 2). Sont
notamment reconnus comme réfugiés les étrangers qui, dans leur pays
d'origine ou de dernière résidence, sont exposés à de sérieux
préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur
appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions
politiques ; sont considérés comme sérieux préjudices, par exemple, la
mise en danger de la vie, de l'intégrité corporelle ou de la liberté
(article 3).
L'Office des réfugiés décide de l'octroi ou du refus de l'asile
(article 11) ; en cas de rejet de la demande, il prononce en général,
simultanément, le renvoi et en ordonne l'exécution (article 17). La
décision de renvoi mentionne notamment la date et l'heure auxquelles
l'étranger doit avoir quitté le territoire suisse et, le cas échéant,
les Etats dans lesquels il ne doit pas être renvoyé (article 17a).
Toutefois, si l'exécution du renvoi n'est pas possible, est
illicite ou ne peut pas être raisonnablement exigée, les étrangers sont
admis provisoirement en Suisse (article 18) ; dans ce cas, la date de
départ est fixée au moment où l'admission provisoire est levée
(article 17a).
Les décisions de l'Office des réfugiés rejetant une demande
d'asile ou ordonnant le renvoi peuvent faire l'objet d'un recours à la
Commission de recours ; sauf dispositions contraires, le Département
fédéral de justice et police se prononce sur les autres recours
(article 11).
L'Ordonnance fédérale sur l'admission provisoire des étrangers
du 25 novembre 1987 précise que l'admission provisoire peut être levée
en tout temps par l'Office des réfugiés ; l'autorité cantonale
compétente fixe alors un délai de départ approprié (article 12).
GRIEFS
Invoquant l'article 3 de la Convention, les requérants se
plaignent de ce qu'ils seront soumis à la torture et à des peines et
traitements inhumains et dégradants en cas de renvoi en Afghanistan.
Ils allèguent également qu'au vu de la situation arbitraire et
chaotique prévalant en Afghanistan, les articles 4, 5, 8, 9 et 10 de
la Convention ainsi que 2 du Protocole N° 1 à la Convention seront
« bafoué(s) de façon flagrante » dès leur retour dans leur pays
d'origine.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 7 mai 1996. Par courrier expédié
le 5 juillet 1996, les requérants sollicitèrent l'intervention de la
Commission auprès du gouvernement suisse afin que ce dernier ne procède
pas à leur éloignement vers l'Afghanistan.
Le 12 juillet 1996, le Président en exercice de la Commission
décida de ne pas donner suite à cette demande.
La requête a été enregistrée le 18 septembre 1996.
Le 20 mai 1997, la Commission décida d'ajourner la requête dans
l'attente d'informations, de la part des requérants, concernant les
développements éventuels de la procédure devant les autorités internes
à compter du mois de septembre 1996.
Le 6 juin 1997, le premier requérant avisa la Commission qu'en
date du 4 juin 1997, il avait adressé à l'Office des réfugiés une
demande en reconsidération des décisions prises à son encontre. Par
courrier du 25 novembre 1997, il précisa que cette demande était
toujours pendante devant l'Office des réfugiés.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent de ce qu'en cas de renvoi vers
l'Afghanistan, ils seront soumis à la torture et à des peines et
traitements inhumains et dégradants. Ils invoquent l'article 3
(art. 3) de la Convention, qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants. »
La Commission rappelle que bien que la Convention ne garantisse,
comme tel, aucun droit à l'asile politique, il n'est pas exclu que le
renvoi d'un demandeur d'asile par un Etat contractant soulève un
problème au regard de l'article 3 (art. 3) lorsqu'il y a des motifs
sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de
destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (Cour eur. D.H., arrêt Ahmed
c. Autriche du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, N° 26, p. 2206,
par. 38 et 39 et N° 21808/93, déc. 8.9.93, D.R. 75, p. 264).
Toutefois, aux termes de l'article 25 (art. 25) de la Convention,
la Commission peut être saisie d'une requête seulement par une personne
physique ou un groupe de particuliers « (...) qui se prétend victime
d'une violation par l'une des Hautes Parties Contractantes des droits
reconnus dans la (...) Convention (...) ». La question de la qualité
de victime se trouve liée à l'exigence de l'épuisement des voies de
recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention.
En effet, le justiciable doit donner à l'Etat responsable la faculté
de remédier aux violations alléguées en utilisant les ressources
judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu que celles-ci
se révèlent efficaces et suffisantes ; s'il obtient ainsi, sur le plan
interne, le redressement des violations alléguées, il ne saurait s'en
prétendre victime devant les organes de la Convention (N° 12719/87,
déc. 3.5.88, D.R. 56, p. 237).
En matière d'expulsion de non-nationaux, la Cour a déjà jugé
qu'un étranger invité à quitter le territoire de l'une des Hautes
Parties Contractantes ne peut se prétendre victime au sens de
l'article 25 (art. 25) de la Convention si cette décision est par
elle-même dépourvue de caractère exécutoire et qu'aucun ordre de
reconduite à la frontière, contre lequel le droit interne prévoit un
recours, n'a encore été pris (Cour eur. D.H., arrêt Vijayanathan et
Pusparajah c. France du 27 août 1992, série A n° 241-B, p. 87, par.
46). Par ailleurs, la Commission a estimé que l'étranger qui entend
contester la mise à exécution d'une décision de renvoi de l'Office des
réfugiés doit, en cas de modification importante de la situation
politique dans le pays de destination, déposer une requête en
reconsidération devant les autorités suisses avant de saisir la
Commission (N° 18079/91, déc. 4.12.91, D.R. 72, p. 263).
La Commission relève en l'espèce que le 13 juillet 1994, l'Office
des réfugiés a refusé l'asile aux requérants et ordonné leur renvoi ;
dans cette même décision, il a toutefois aussi prononcé leur admission
provisoire en Suisse. Or à ce jour, l'admission provisoire des
requérants n'a pas été levée et aucun ordre de départ ne leur a été
signifié. Elle observe également que si un tel ordre venait à être
pris, les requérants disposeraient, pour le moins, de la faculté de le
contester en adressant une demande en reconsidération aux autorités
internes. En effet, celles-ci se sont prononcées sur la base de la
situation prévalant en Afghanistan entre le printemps 1992 et le début
de l'année 1996 ; or ladite situation s'est radicalement modifiée à
compter du mois de septembre 1996, suite à l'arrivée des talibans à
Kaboul. Dans ces circonstances, la Commission estime que les
requérants ne sauraient d'ores et déjà se prétendre victimes, au sens
de l'article 25 (art. 25) de la Convention, d'un renvoi imminent vers
l'Afghanistan.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour
défaut manifeste de fondement, en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants allèguent en outre que les articles 4, 5, 8, 9 et
10 (art. 4, 5, 8, 9, 10) de la Convention ainsi que 2 du Protocole N°
1 (P1-2) à la Convention seront méconnus en cas de renvoi dans leur
pays d'origine.
Eu égard à sa conclusion relative aux griefs tirés de l'article 3
(art. 3) de la Convention, la Commission n'estime cependant pas
nécessaire d'examiner la requête sous l'angle des dispositions
précitées.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
M. de SALVIA J.-C. GEUS
Secrétaire Président en exercice
de la Commission de la Commission