CEDH, Commission (première chambre), APRILE DE PUOTI c. l'ITALIE, 1er juillet 1998, 32375/96
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Première Chambre), 1er juill. 1998, n° 32375/96 |
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Numéro(s) : | 32375/96 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 26 juillet 1995 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Recevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29661 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0701DEC003237596 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 32375/96
présentée par Gelsomina APRILE DE PUOTI
contre l'Italie
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er juillet 1998 en
présence de
MM. M.P. PELLONPÄÄ, Président
N. BRATZA
E. BUSUTTIL
A. WEITZEL
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
B. MARXER
B. CONFORTI
I. BÉKÉS
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
K. HERNDL
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
M. R. NICOLINI
Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 26 juillet 1995 par la requérante
contre l'Italie et enregistrée le 22 juillet 1996 sous le N° de
dossier 32375/96 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
8 janvier 1998 et les observations en réponse présentées les 24 et
26 mars et 2 avril 1998 par la requérante ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une ressortissante italienne née en 1946 et
résidant à Milan. Du 1er novembre 1973 au 2 février 1982, elle a été
employée de la société par action S., une maison d'édition opérant au
niveau international.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.
La procédure entamée devant le juge d'instance de Rome
Le 30 juillet 1986, la requérante assigna son ancien employeur
devant le juge d'instance de Rome - faisant fonction de juge du
travail - afin d'obtenir l'annulation de son licenciement, la
reconnaissance de son droit à une qualification professionnelle
correspondante aux fonctions exercées ainsi que le paiement de la
différence entre les rétributions perçues et celles auxquelles elle
estimait avoir droit.
A une date non précisée, la société défenderesse présenta une
demande reconventionnelle visant à obtenir la réparation des dommages
que la requérante aurait provoqués ainsi que la restitution des sommes
indûment perçues.
Par jugement du 19 octobre 1987, le juge d'instance rejeta la
demande de la requérante et la demande reconventionnelle de la
défenderesse.
Le 9 mars 1988, la requérante interjeta appel devant le tribunal
de Rome. La société S. interjeta appel reconventionnel. Le 20 juin et
le 30 octobre 1990, la requérante présenta deux mémoires, auxquels
plusieurs documents étaient annexés.
Par jugement non définitif du 31 janvier 1992, dont le texte fut
déposé au greffe le 26 mars 1992, le tribunal infirma en partie le
jugement de première instance et déclara que la requérante avait droit
à une qualification professionnelle supérieure.
Par ordonnance du même jour, le tribunal rouvrit l'instruction
et chargea un expert de déterminer le montant de la différence de
rétribution due à la requérante. Le 24 avril 1992, le juge de la mise
en état prononça la suspension du procès car la requérante avait
présenté un recours en récusation à l'encontre de l'un des juges
composant la chambre du tribunal. La procédure ayant été reprise à une
date non précisée, le 10 mars 1993 l'expert prêta serment. Par jugement
définitif du 6 mai 1994, dont le texte fut déposé au greffe le 11 juin
1994, le tribunal déclara que la requérante avait droit à la somme
totale de 147 813 331 lires (environ 510 000 FF), à titre de
rétribution, d'intérêts légaux et de dévalorisation de la monnaie. Il
condamna par conséquent la société S. au paiement de la différence
entre cette somme et le montant des salaires versés.
Entre-temps, respectivement les 19 et 26 mars 1993, la société S.
et la requérante s'étaient pourvues en cassation contre le jugement non
définitif du 31 janvier 1992. La requérante alléguait notamment que le
tribunal aurait dû, en application du principe de l'égalité de
traitement, lui reconnaître immédiatement la rétribution des cadres du
niveau plus élevé. Par arrêt du 16 février 1995, dont le texte fut
déposé au greffe le 2 juin 1995, la Cour de cassation prononça la
jonction des pourvois et les rejeta. Elle observa en particulier que
le système juridique italien ne prévoit aucune obligation de rémunérer
en égale mesure les employés privés exerçant des fonctions analogues,
sauf dans le cas où la différence de traitement se fonde sur l'une des
raisons de discrimination interdites par la loi - sexe, race, langue,
religion, opinions politiques etc. -, ce qui ne s'était pas produit en
l'espèce.
Le 9 juin 1995, la requérante se pourvut en cassation contre le
jugement définitif du 6 mai 1994. Elle contestait notamment le montant
de la somme qui lui avait été accordée à titre de compensation
financière. Par arrêt du 26 février 1996, la Cour de cassation débouta
la requérante de son pourvoi. Cette décision acquit l'autorité de la
chose jugée au plus tard le 24 mai 1996, lorsque son texte fut déposé
au greffe.
Le recours en révision
Le 23 mai 1997, la requérante introduisit devant la Cour de
cassation un recours en révision afin d'obtenir l'annulation de l'arrêt
du 26 février 1996. Sous l'angle des articles 391-bis et 395 alinéa 4
du code de procédure civile italien, elle alléguait que la décision
litigieuse était fondée sur une dénaturation des faits résultant des
documents de la cause. En invoquant l'alinéa 5 de l'article 395
susmentionné, la requérante affirmait en outre que l'arrêt litigieux
était incompatible avec le contenu de l'arrêt du 16 février 1995,
prononcé par la Cour de cassation entre les mêmes parties et ayant
acquis l'autorité de la chose jugée.
Selon les informations fournies par la requérante le 24 mars
1998, la procédure était, à cette date, encore pendante.
GRIEF
Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, la requérante se
plaint de la durée de la procédure qu'elle a entamée devant le juge
d'instance de Rome.
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 26 juillet 1995 et enregistrée le
22 juillet 1996.
Le 22 octobre 1997, la Commission (Première Chambre) a décidé,
en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur,
de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur quant
au grief tiré de la durée de la procédure civile et de l'inviter à lui
présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-
fondé de ce grief. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le
surplus.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 8 janvier 1998 et
la requérante y a répondu les 24 et 26 mars et 2 avril 1998.
EN DROIT
La requérante se plaint de la durée de la procédure qu'elle a
entamée devant le juge d'instance de Rome. Elle invoque l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont les passages pertinents sont
rédigés comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
(...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil ».
Le Gouvernement observe que la durée de la procédure de première
instance ne saurait être considérée « déraisonnable ». Quant à la
procédure d'appel, il note que par ordonnance du 31 janvier 1992, le
tribunal a rouvert l'instruction car la requérante n'avait pas fourni
le texte des conventions collectives de travail applicables en
l'espèce. De toute manière, dans son jugement du 6 mai 1994, le
tribunal a reconnu à la requérante une somme à titre d'intérêts légaux
et de dévalorisation de la monnaie, qui aurait remédié à tout préjudice
résultant de la longueur de la procédure.
D'autre part, le Gouvernement souligne que le comportement de la
requérante a contribué à retarder la démarche des instances. En
particulier, elle aurait adressé aux magistrats chargés de son affaire
des dizaines de lettres concernant le procès ainsi que sa vie
personnelle et contenant des références obscures à des « complots »
prétendûment organisés à son encontre. Suite à ces communications, deux
juges d'instances et deux magistrats du tribunal ont demandé de
s'abstenir. De plus, la requérante a introduit deux recours en
récusation, ce qui a provoqué à deux reprises la suspension du procès
d'appel. En outre, elle a déposé des nombreux documents qui ont
considérablement compliqué la tâche des juridictions compétentes :
notamment, cent cinquante-trois documents ont été produits au cours de
la procédure de première instance, tandis qu'en appel respectivement
quatre cent quarante-deux et quarante-neuf documents étaient annexés
aux mémoires du 20 juin et du 30 octobre 1990.
La requérante s'oppose aux thèses du Gouvernement et observe que
la procédure, commencée en 1986, était au 24 mars 1998 encore pendante,
la Cour de cassation n'ayant à cette date pas encore statué sur son
recours en révision.
La Commission observe que la procédure litigieuse a débuté le
30 juillet 1986. Le texte de l'arrêt de la Cour de cassation statuant
sur le dernier pourvoi de la requérante a été déposé au greffe le
24 mai 1996.
La requérante indique qu'il faudrait tenir compte aussi de la
durée de la procédure en révision, qui a débuté le 23 mai 1997 devant
la Cour de cassation et qui était au 24 mars 1998 encore pendante
devant la même juridiction.
La Commission observe que le recours en révision de la requérante
mettait en cause, pour l'essentiel, l'appréciation des faits retenus
par les trois instances nationales appelées à connaître de l'affaire
et visait à obtenir la réouverture d'un procès terminée par une
décision ayant acquis l'autorité de la chose jugée. Elle rappelle
qu'aux termes de sa jurisprudence constante, l'article 6 (art. 6) est,
en principe, inapplicable à une procédure d'examen d'une demande
tendant à la révision d'un procès civil (voir N° 7761/77, déc. 8.5.78,
D.R. 14, pp. 171 et 172). Dès lors, elle estime que l'article 6
(art. 6) ne s'applique pas à la procédure en révision entamée par la
requérante et que par conséquent elle ne peut pas en tenir compte dans
le calcul de la durée globale de la procédure.
La procédure litigieuse a débuté le 30 juillet 1986 et s'est donc
terminée, pour les besoins de l'examen du grief tiré de l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le 24 mai 1996 par le dépôt au
greffe du deuxième arrêt de la Cour de cassation. Cette procédure a
duré plus de neuf ans et neuf mois.
La Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la
jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai
raisonnable », et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa
possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité,
DÉCLARE LE RESTANT DE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond
réservés.
M.F. BUQUICCHIO M.P. PELLONPÄÄ
Secrétaire Président
de la Première Chambre de la Première Chambre