CEDH, Commission (deuxième chambre), MEIER c. la FRANCE et la SUISSE, 1er juillet 1998, 33023/96
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 1er juill. 1998, n° 33023/96 |
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Numéro(s) : | 33023/96 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 12 décembre 1995 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29666 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0701DEC003302396 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 33023/96
présentée par Beat MEIER
contre la France et la Suisse
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er juillet 1998 en
présence de
MM. J.-C. GEUS, Président
S. TRECHSEL
M.A. NOWICKI
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
I. CABRAL BARRETO
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
A. ARABADJIEV
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 12 décembre 1995 par Beat MEIER
contre la France et la Suisse et enregistrée le 19 septembre 1996 sous
le N° de dossier 33023/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité helvétique, est né à Oberdiessbach
(Suisse). Il est écrivain de profession. Il se trouve actuellement à
la maison d'arrêt d'Affoltern am Albis en Suisse après extradition par
le gouvernement français.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant,
peuvent se résumer comme suit.
Procédures devant les autorités françaises
Par ordonnance du 15 février 1993, le requérant fut incarcéré à
titre provisoire par un juge d'instruction près le tribunal de grande
instance de Paris. Il était inculpé d'outrages aux bonnes moeurs et de
non-dénonciation de sévices à enfants suivant un réquisitoire
introductif du procureur de la République du 18 octobre 1991.
Par ordonnance du 19 février 1993, le juge d'instruction le plaça
sous mandat de dépôt. Il prolongea la détention provisoire par
ordonnances des 9 juin, 4 août et 7 octobre 1993 et 10 février 1994.
Le 16 avril 1993, suivant réquisitoire supplétif, le requérant
fut inculpé pour attentat à la pudeur sur mineur de 15 ans par personne
ayant autorité.
Le 19 avril 1993, le gouvernement suisse déposa une demande
d'extradition.
Le 27 avril 1993, le requérant fut placé sous écrou
extraditionnel à la maison d'arrêt de la Santé à Paris.
Par arrêt du 5 mai 1993, notifié le 12, la chambre d'accusation
de la cour d'appel de Paris donna acte de l'acceptation du requérant
d'être remis aux autorités suisses pour l'exécution du mandat d'arrêt
décerné par le parquet du district du Canton de Zurich, le 8 mars 1993,
pour actes d'ordre sexuel avec des enfants, pornographie et violation
de domicile.
Le 13 décembre 1993, le requérant fit l'objet d'un mandat de
dépôt criminel pour viols sur mineur.
Le 4 janvier 1994, le juge d'instruction ordonna une expertise
médico-psychologique et de crédibilité d'une victime mineure. Il
notifia au requérant les conclusions du rapport d'expertise le
13 avril 1994.
Le 29 avril 1994, le juge d'instruction rendit un avis de clôture
de l'instruction.
Le 29 juillet 1994, le juge d'instruction rendit une ordonnance
de saisie de courriers adressés au requérant et contenant des articles
de presse relatant les faits qui lui étaient reprochés.
Le 21 août 1994, le requérant prit acte de l'avis de clôture de
l'instruction.
Par ordonnance du 10 janvier 1995, le juge d'instruction prit un
non-lieu partiel des chefs de délit d'outrages aux bonnes moeurs,
d'attentats à la pudeur par personne ayant autorité et de viols sur
mineur ; il renvoya le requérant devant le tribunal pour les faits de
recel de cassette pédophile obtenu à l'aide du délit d'excitation de
mineur à la débauche et de non-dénonciation de sévices infligés à un
mineur de 15 ans entre mai 1991 et février 1993. Le juge d'instruction
décida de maintenir le requérant en détention jusqu'à sa comparution
devant le tribunal.
Par jugement du 3 avril 1995, suivant audience du 10 février, le
tribunal correctionnel de Paris déclara le requérant coupable des faits
reprochés et le condamna à 10 000 FF d'amende.
Le 3 avril 1995, la maison d'arrêt de la Santé informa le
requérant qu'il était mis en liberté pour les faits à l'origine de sa
mise en détention du 15 février 1993, mais qu'il restait détenu pour
les autorités suisses.
Le requérant et le procureur firent appel du jugement.
Par arrêt du 16 juin 1995, la cour d'appel de Paris déclara le
requérant coupable des faits reprochés et le condamna à huit mois
d'emprisonnement.
Le 20 juin 1995, le requérant se pourvut en cassation.
Par lettre du 26 juin 1995, le requérant demanda au greffier-chef
de la maison d'arrêt des précisions sur le délai d'examen et les
conséquences sur son extradition de son pourvoi en cassation. Il
indiqua que son avocat lui avait fourni des renseignements
contradictoires sur ces questions.
Par lettre du 6 juillet 1995, l'avocat du requérant l'informa
qu'un avocat à la Cour de cassation spécialisé en matière pénale, qu'il
avait consulté sur son affaire, l'avait conseillé « très vivement de
renoncer à [son] pourvoi et d'écrire immédiatement à [son] juge de
l'application des peines pour lui dire qu'[il] estime que l'arrêt de
la cour d'appel est devenu définitif et que, par conséquent, ou on doit
vous relâcher ou on doit immédiatement vous extrader. »
Par lettre du 17 juillet 1995, le requérant indiqua au juge de
l'application des peines que sous la « pression » consistant dans la
« prolongation indéterminée de ma détention et conscient de la perte
imminente du bénéficie de mon recours [en cassation], j'estime
maintenant - à contrecoeur - que l'arrêt de la cour d'appel est devenu
définitif. Par conséquent, je réclame qu'on procède immédiatement à
mon extradition. »
Par lettre du même jour, l'avocat du requérant informa ce dernier
que, renseignement pris auprès des autorités compétentes en matière
d'extradition, il était établi qu'il serait maintenu en détention
jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation et que, dans ces conditions,
il lui semblait préférable « dans la mesure où vous souhaitez être
extradé rapidement, de renoncer à votre pourvoi car, dans ce cas, une
ordonnance sera rendue par le président chargé de traiter des
désistements (...) et les mesures d'extradition seront envisageables. »
Le 20 juillet 1995, le bureau d'aide juridictionnelle près la
Cour de cassation notifia l'admission provisoire du requérant au
bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Par lettre du 27 juillet 1995, le requérant indiqua au greffier-
chef de la maison d'arrêt que son avocat lui avait conseillé de se
désister pour ne pas rester en détention en France et demanda à signer
un formulaire de désistement du pourvoi. Le requérant s'adressa le même
jour au juge de l'application des peines pour le même motif.
Le 27 juillet 1995, le requérant signa une déclaration de
désistement du pourvoi en apposant la mention « pour ne pas rester ici
encore en prison ». Le directeur de la maison d'arrêt transmit la
déclaration au président de la cour d'appel de Paris, autorité
compétente, le 28 juillet 1995.
Par lettre du 15 août 1995, le requérant écrivit au directeur de
la maison d'arrêt. Il se plaignait de ce que le sous-directeur de la
prison lui avait opposé l'interdiction faite aux détenus de publier des
écrits pour justifier la saisie de ses courriers, alors que ceux-ci
n'étaient pas destinés à publication. Il demanda la restitution du
courrier saisi à ce titre. Il précisa que ce courrier contenait un
projet de roman autobiographique sur l'histoire de son enfance et que
le manuscrit n'était pas destiné à publication mais à correction par
des amis germanophones. Le requérant précisa que le directeur adjoint
de la prison lui avait accordé la permission d'acheter un ordinateur
et une imprimante pour lui permettre de rédiger son manuscrit en
prison, pour publication en Suisse après son extradition, et de
l'envoyer à ses amis pour correction.
Par lettre du 16 août 1995, le directeur adjoint de la prison
précisa au requérant que son courrier n'avait « pas fait l'objet d'une
saisie mais d'un contrôle », lui confirma l'autorisation de disposer
d'un ordinateur pour écrire son livre, lui indiqua que la publication
du livre devait être soumise à autorisation préalable du ministre,
refusa la sortie des épreuves du livre et, enfin, lui annonça que son
manuscrit lui serait rendu sans délai.
Le 17 août 1995, le requérant informa son avocat que le directeur
adjoint de la prison lui avait restitué certains des courriers saisis.
Le même jour, il réitéra sa plainte auprès du directeur adjoint de la
prison au sujet de l'interdiction d'envoyer les épreuves de son livre
à ses amis.
Le 1er septembre 1995, le requérant s'adressa au ministre de la
Justice pour se plaindre de l'interception de son courrier relatif aux
épreuves de son manuscrit. Aucune suite n'y aurait été donnée.
Le 19 octobre 1995, le bureau d'aide juridictionnelle près la
Cour de cassation lui notifia le rejet définitif de sa demande d'aide
juridictionnelle du fait de son désistement.
Le 2 novembre 1995, le requérant reçut un avis de modification
de sa situation pénale lui indiquant sa mise en liberté au
31 octobre 1995 du fait de son désistement du pourvoi du
28 juillet 1995, notifié le 31 octobre 1995.
Par décret d'extradition du 24 avril 1996, le Premier ministre
accorda à la Suisse l'extradition du requérant.
Le 3 juin 1996, le requérant fut extradé vers la Suisse.
Parallèlement, en janvier 1994, le requérant avait déposé plainte
auprès du procureur de la République près le tribunal de grande
instance de Paris pour diffamation à l'encontre d'une chaîne de
télévision française. Sa plainte fit l'objet d'un avis de classement
sans suite en mars 1994.
Procédures devant les autorités suisses
En automne 1983, le juge d'instruction du canton de Zurich ouvrit
une instruction contre le requérant.
Les 29 juin 1990 et 7 mai 1991, la police suisse interrogea le
requérant suite à l'ouverture d'une enquête contre lui par le parquet.
Le 23 décembre 1991, le requérant fut placé en détention
provisoire par le tribunal correctionnel de Zurich.
Par jugement du 7 janvier 1992, le tribunal correctionnel de
Zurich fit droit à la demande de mise en liberté du requérant du
21 décembre 1991 ; la mesure d'incarcération provisoire fut donc levée.
Le 8 mars 1993, le parquet du district de Zurich prit un mandat
d'arrêt à l'encontre du requérant et pria le juge d'instruction
français d'ordonner l'arrestation du requérant afin de le traduire
devant lui. Le mandat se fondait sur des délits d'ordre sexuel avec des
enfants, pornographie et violation de domicile reprochés au requérant
en Suisse.
Suite à l'extradition du requérant par la France, le 5 juin 1996,
le tribunal correctionnel de Zurich le plaça en détention provisoire
pour attentats à la pudeur sur des mineurs et pornographie.
Le 2 juillet 1996, le requérant fut convoqué pour interrogatoires
par le tribunal.
Le 30 août 1996, le tribunal prolongea la détention du requérant
au 30 novembre 1996.
Le 25 septembre 1996, le requérant fut à nouveau convoqué pour
interrogatoires par le tribunal.
Le 26 novembre 1996, le tribunal prolongea la détention du
requérant au 28 février 1997.
Le 4 décembre 1996, le requérant fut à nouveau convoqué pour
interrogatoires par le tribunal.
Le 28 décembre 1996, le tribunal rejeta une demande de mise en
liberté du requérant.
Les 2 et 15 mai 1997, le tribunal correctionnel de Zurich accorda
au requérant le non-lieu dans quatorze affaires relatives à des faits
d'attentats à la pudeur sur mineurs.
Le 15 mai 1997, le tribunal correctionnel de Zurich inculpa le
requérant d'attentats à la pudeur sur mineurs et pornographie.
Par jugement du 19 décembre 1997, suivant audience du
22 septembre 1997, le tribunal correctionnel de Zurich déclara le
requérant coupable des faits reprochés d'attentats à la pudeur et de
pornographie. Le tribunal fixa à mai 1998 la date de l'établissement
de la peine.
Correspondance avec le Secrétariat de la Commission
Le 13 août 1994, le requérant écrivit au Secrétariat de la
Commission en exposant sa situation et en formulant une demande
d'assistance. En réponse, le 26 août 1994, le texte de la Convention
lui fut adressé ainsi qu'une notice explicative.
Par lettre du 12 décembre 1995, le requérant reprit contact avec
le Secrétariat de la Commission, en formulant une plainte détaillée
dirigée contre la France et la Suisse. Sa requête, établie sur le
formulaire approprié, fut enregistrée le 19 septembre 1996 sous le
numéro 33023/96.
B. Eléments de droit interne pertinent
Loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers
Article 14 relatif à la procédure d'extradition
(...) L'étranger « peut être mis en liberté provisoire à tout
moment de la procédure, et conformément aux règles qui gouvernent la
matière. »
Jurisprudence de la Cour de cassation
Les décisions de la chambre d'accusation rendues sur une demande
de mise en liberté présentée par un étranger placé sous écrou
extraditionnel sont soumises aux règles de droit commun qui gouvernent
la matière, tant au fond qu'en la forme (Crim. 1er mars 1983 :
Bull. 69).
La chambre d'accusation, bien qu'ayant déjà émis un avis
favorable à l'extradition d'un étranger, est tenue de statuer sur une
demande de mise en liberté dont elle a été antérieurement saisie sur
le fondement de l'article 14 de la loi du 10 mars 1927.
Le pourvoi formé contre une telle décision est recevable quoique
n'étant pas susceptible de faire obstacle à l'exécution de l'arrêt
portant avis sur l'extradition (Crim. 3 fév. 1983 : Bull. 45).
Aux termes de l'article 14 précité, la chambre d'accusation peut
être saisie à tout moment de la procédure, d'une demande de mise en
liberté.
Encourt en conséquence la cassation, l'arrêt qui déclare
irrecevable une demande de mise en liberté au motif que l'avis sur
l'extradition requise a été antérieurement rendu, méconnaissant ainsi
le sens et la portée de l'article 14 précité (Crim. 25 oct. 1983 :
Bull. 266).
Règles pertinentes relatives à la détention
Article D. 430 du Code de procédure pénale
« La sortie des écrits faits par un détenu en vue de leur
publication ou de leur divulgation sous quelque forme que ce soit
ne peut être autorisée que par décision ministérielle.
Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire,
et sous réserve de l'exercice des droits de la défense, tout
manuscrit rédigé en détention peut au surplus être retenu, pour
des raisons d'ordre, pour n'être restitué à son auteur qu'au
moment de sa libération ».
Article D. 507 du Code de procédure pénale
« Les détenus écroués à la suite d'une demande d'extradition
émanant d'un gouvernement étranger sont soumis au régime des
prévenus.
La délivrance de permis de visite et le contrôle de la
correspondance les concernant relève du procureur général jusqu'à
décision de la chambre d'accusation et ensuite du ministre de la
justice ».
GRIEFS
Griefs dirigés contre la France
1. Le requérant se plaint de son arrestation et de sa détention
provisoire. Il invoque l'article 5 par. 1 c), 2, 3 et 4 de la
Convention. Il se plaint que le juge d'instruction aurait saisi
certains courriers durant sa détention provisoire sans l'en tenir
informé et sans les lui restituer. Il invoque les articles 8, 10 et 14
de la Convention.
2. Le requérant se plaint que les autorités judiciaires se sont
abstenues de considérer qu'une détention à titre extraditionnel n'était
pas nécessaire et de le renvoyer sans délai vers la Suisse en
méconnaissance des articles 6 par. 2 et 14 de la Convention et se sont
limitées à lui transmettre les chefs d'accusation liés à la demande
d'extradition sans autre détail en méconnaissance de l'article 6
par. 3 a) de la Convention.
3. Le requérant se plaint de l'instruction pénale ainsi que de la
procédure pénale dirigée contre lui.
a) Pour ce qui est de l'instruction pénale, il invoque le droit
à la présomption d'innocence, au sens de l'article 6 par. 2, et
l'article 14 de la Convention du fait que les autorités judiciaires
auraient conduit l'instruction de façon douteuse en s'abstenant de
prendre en considération des éléments le disculpant. Il se plaint de
ne pas avoir eu accès à son dossier, de ne pas avoir obtenu de
traduction du dossier en langue allemande, en méconnaissance de
l'article 6 par. 3 a) de la Convention.
b) Il estime ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable devant
le tribunal correctionnel et la cour d'appel de Paris, en
méconnaissance de l'article 6 par. 1 de la Convention. Il se plaint
d'avoir dû retirer son pourvoi en cassation sous la « pression » qui
aurait été exercée par les autorités judiciaires françaises, en
méconnaissance des articles 6 par. 1 et 13 de la Convention. A cet
égard, il soutient que les autorités judiciaires lui ont indiqué qu'il
devait rester détenu jusqu'à l'achèvement de la procédure judiciaire
française, y compris la procédure de cassation, ce qui pouvait
signifier un long délai, alors qu'il serait extradé rapidement après
le retrait de son pourvoi.
4. Le requérant se plaint de l'avis de classement sans suite de sa
plainte pour diffamation et injures. Il invoque les articles 6 par. 1
et 13 de la Convention.
5. Le requérant se plaint de ce que ses lettres de protestation au
sujet de sa détention auprès du juge d'instruction, du juge de
l'application des peines, du procureur et du ministre de la Justice
sont restées vaines et n'ont pas abouti à une enquête par une instance
indépendante. Il invoque les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention.
Le requérant estime que les autorités judiciaires françaises ont
manifesté des préjugés à son égard, ce qui aurait porté atteinte à sa
liberté de conscience. Il invoque les articles 9 et 14 de la
Convention.
6. Le requérant se plaint de la manière dont les autorités
françaises ont traité la demande d'extradition. Il se plaint que les
autorités judiciaires :
a) l'ont retenu en détention en attente d'extradition sans
nécessité et sans possibilité d'appel contre la détention en vue de son
extradition, en méconnaissance de l'article 5 par. 1 c) de la
Convention.
b) ne lui ont pas donné la possibilité de faire appel de sa
détention en vue de l'extradition devant un juge neutre, en
méconnaissance de l'article 5 par. 4 de la Convention.
7. Le requérant se plaint que les dirigeants de la maison d'arrêt
de la Santé auraient intercepté, durant cette période, certains de ses
courriers adressés à ses amis.
Il se plaint également d'avoir été empêché d'envoyer des
manuscrits dont il était l'auteur et qu'il voulait publier et d'avoir
eu accès à des écrits envoyés par des amis. Il se plaint d'avoir été
empêché d'envoyer à des amis pour correction des manuscrits dont il
était l'auteur et qu'il voulait publier.
Pour ces faits, le requérant invoque le droit à la liberté
d'expression garanti par l'article 10 et l'article 14 de la Convention
et le droit au respect de sa correspondance, garanti par les articles 8
et 14 de la Convention.
Il se plaint de l'interdiction qui lui aurait été faite d'envoyer
des écrits, en méconnaissance des articles 6 par. 1 et 13 de la
Convention.
Griefs dirigés contre la Suisse
Le requérant se plaint que les autorités suisses ne lui ont pas
accordé le bénéfice du doute dans la demande d'extradition en omettant
de mentionner aux autorités françaises l'état réel des poursuites
judiciaires en Suisse et en laissant croire qu'il était en fuite. Il
invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.
Le requérant se plaint de ce que les autorités suisses ont
demandé son extradition de France alors qu'il n'existait pas de raisons
plausibles de le poursuivre en Suisse où il n'avait pas fait l'objet
d'arrestation et avait bénéficié d'une décision de mise en liberté le
8 janvier 1992. Il invoque l'article 5 par. 1 c) de la Convention.
Le requérant se plaint de la durée de l'instruction qui serait
devant les autorités suisses en cours depuis douze ans. Il invoque le
droit à un jugement dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6
par. 1 de la Convention.
Le requérant se plaint d'avoir été placé en détention provisoire
durant deux ans en Suisse depuis 1983. Il invoque l'article 5 par. 1,
3 et 4 de la Convention.
Le requérant estime que les autorités suisses le traitent plus
durement du fait des accusations de pédophilie dirigées contre lui. Il
invoque l'article 9 de la Convention.
EN DROIT
La Commission estime nécessaire d'examiner, à titre liminaire,
la question de la date d'introduction de la requête.
Il est de pratique établie que la date de l'introduction d'une
requête est celle de la première lettre par laquelle le requérant
formule, ne serait-ce que sommairement, les griefs qu'il entend
soulever. Toutefois, lorsqu'un intervalle de temps important s'écoule
avant qu'un requérant ne donne les informations complémentaires
nécessaires à l'examen de la requête, la Commission examine les
circonstances particulières de l'affaire pour décider de la date à
considérer comme date d'introduction de la requête (voir, par exemple,
N° 22123/93, déc. 31.8.94, D.R. 79-A, p. 72 ; N° 12158/86,
déc. 7.12.87, D.R. 54, p. 178).
Elle note à cet égard que la première communication du requérant
remonte au 13 août 1994 et que le texte de la Convention lui a été
adressé le 26 août 1994. Toutefois, un an et plus de trois mois
s'écoulèrent avant qu'il reprenne contact avec le Secrétariat, le
12 décembre 1995.
Cette circonstance conduit la Commission à fixer la date
d'introduction de la requête au 12 décembre 1995.
Griefs dirigés contre la France
1. Le requérant se plaint de son arrestation et détention
provisoire. Il invoque l'article 5 par. 1 c), 2, 3 et 4
(art. 5-1-c, 5-2, 5-3, 5-4) de la Convention et les articles 8, 10 et
14 (art. 8, 10, 14) de la Convention.
La Commission n'est toutefois pas appelée à se prononcer sur le
point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent
l'apparence d'une violation de ces dispositions. En effet, la
Commission relève que la détention provisoire du requérant a pris fin
le 3 avril 1995, alors que la requête a été introduite le
12 décembre 1995, soit en dehors du délai de six mois prévu par
l'article 26 (art. 26) de la Convention.
En outre, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune
circonstance particulière qui aurait pu interrompre ou suspendre le
cours dudit délai.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est tardive et doit
être rejetée, conformément aux articles 26 et 27 par. 3
(art. 26, 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint que les autorités judiciaires se sont
abstenues de considérer qu'une détention à titre extraditionnel n'était
pas nécessaire et de le renvoyer sans délai vers la Suisse, en
méconnaissance des articles 6 par. 2 et 14 (art. 6-2, 14) de la
Convention et se sont limitées à lui transmettre les chefs d'accusation
liés à la demande d'extradition sans autre détail, en méconnaissance
de l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention.
La Commission rappelle qu'en vertu d'une jurisprudence constante,
l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas à une procédure
par laquelle les autorités judiciaires d'un Etat se prononcent sur
l'extradition éventuelle d'un individu vers un autre Etat (voir
notamment N° 11683/85, déc. 8.2.90, D.R. 64, p. 53 ; N° 13930/88,
déc. 11.3.89, D.R. 60, p. 272). Dans la mesure où les griefs ne
relèvent pas du domaine d'application de l'article 6, l'article 14
(art. 6, 14) de la Convention ne trouve pas non plus application en
l'espèce (par exemple, N° 11850/85, déc. 2.3.87, D.R. 51, p. 180).
Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible
ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être
rejetée, conformément à son article 27 par. 2 (art. 27-2).
3. Le requérant se plaint de l'instruction pénale ainsi que de la
procédure pénale dirigée contre lui. Il invoque l'article 6 par. 1,
2, et 3 a) ainsi que les articles 13 et 14
(art. 6-1, 6-2, 6-3-a, 13, 14) de la Convention.
La Commission rappelle qu'elle ne peut être saisie qu'après
l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 26
(art. 26) de la Convention.
En l'espèce, la Commission relève que le requérant n'a pas fait
appel de l'ordonnance du juge d'instruction le renvoyant en jugement
et qu'il a retiré le pourvoi en cassation qu'il avait formé contre
l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Sur ce dernier point, la
Commission constate que l'argument du requérant tiré de la pression
exercée par les autorités judiciaires pour qu'il retire son pourvoi
manque en fait ; il ressort en effet des pièces du dossier que c'est
bien sur les indications de son avocat, lui-même conseillé par un
avocat à la Cour de cassation, et dans l'optique d'une extradition
prochaine, que le requérant a décidé, de son propre chef, de se
désister de son pourvoi.
Dans ces circonstances, la Commission considère que les voies de
recours internes n'ont pas été épuisées, au sens de l'article 26
(art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête
doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de
la Convention.
4. Le requérant se plaint de l'avis de classement sans suite de sa
plainte pour diffamation et injures. Il invoque les articles 6 par. 1
et 13 (art. 6-1, 13) de la Convention.
La Commission rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle,
ni l'article 6 par. 1, ni l'article 13 (art. 6-1, 13) de la Convention
ne s'étendent au droit de provoquer contre un tiers l'exercice de
poursuites pénales ou au droit à ce qu'une procédure pénale aboutisse
à une condamnation (par exemple, N° 9777/92, déc. 14.7.83, D.R. 34, p.
158 ; N° 22998/93, déc. 14.10.96, D.R. 87, p. 24).
Il s'ensuit que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste
de fondement, par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la
Convention.
5. Le requérant se plaint de ce que ses lettres de protestation au
sujet de sa détention auprès du juge d'instruction, du juge de
l'application des peines, du procureur et du ministre de la Justice
sont restées vaines et n'ont pas abouti à une enquête par une instance
indépendante. Il invoque les articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, 13) de
la Convention.
Le requérant estime que les autorités judiciaires françaises ont
manifesté des préjugés à son égard, ce qui aurait porté atteinte à sa
liberté de conscience. Il invoque les articles 9 et 14 (art. 9, 14) de
la Convention.
La Commission a examiné les griefs du requérant. Dans la mesure
où ils sont étayés et où elle est compétente pour en connaître, elle
n'a décelé l'apparence d'aucune violation des articles invoqués. Il
s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée
et doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2)
de la Convention.
6. Le requérant se plaint de la manière dont les autorités
françaises ont traité la demande d'extradition. Il se plaint que les
autorités judiciaires :
a) l'ont retenu en détention en attente d'extradition sans
nécessité et sans possibilité d'appel contre la détention en vue de son
extradition, en méconnaissance de l'article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c)
de la Convention ;
b) ne lui ont pas donné la possibilité de faire appel de sa
détention en vue de l'extradition devant un juge neutre, en
méconnaissance de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle
n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs
et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la
connaissance du gouvernement français, en application de l'article 48
par. 2 b) de son Règlement intérieur.
7. Le requérant se plaint que les dirigeants de la maison d'arrêt
de la Santé auraient intercepté, durant cette période, certains de ses
courriers adressés à ses amis.
Il se plaint également d'avoir été empêché d'envoyer à des amis
pour correction des manuscrits dont il était l'auteur et qu'il voulait
éventuellement publier ultérieurement et d'avoir eu accès à des écrits
envoyées par des amis.
Pour ces faits, le requérant invoque le droit à la liberté
d'expression, garanti par l'article 10 (art. 10) de la Convention et
le droit au respect de sa correspondance garanti par l'article 8
(art. 8) de la Convention.
La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle
n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs
et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la
connaissance du gouvernement français, en application de l'article 48
par. 2 b) de son Règlement intérieur.
Il invoque également l'article 14 (art. 14) de la Convention et
il se plaint de l'interdiction qui lui aurait été faite d'envoyer des
écrits et de ce qu'aucune suite n'a été donnée à ses lettres au
ministre de la Justice et aux autorités judiciaires et relatives à
l'interdiction d'envoyer ses écrits. Il invoque la méconnaissance des
articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, 13) de la Convention.
La Commission note que ces griefs sont étroitement liés aux
précédents. Elle considère dès lors que leur examen doit faire l'objet
d'un ajournement.
Griefs dirigés contre la Suisse
Le requérant invoque la violation de l'article 5 par. 1, 3 et 4
(art. 5-1, 5-3, 5-4) de la Convention, de l'article 6 par. 1 et 2
(art. 6-1, 6-2) de la Convention ainsi que de l'article 9 (art. 9) de
la Convention.
La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26 (art. 26)
de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des
voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes
de droit international généralement reconnus.
Cette règle signifie qu'en Suisse un recours aux juridictions
compétentes, et notamment en dernière instance, au Tribunal fédéral
doit être préalablement exercé par le requérant avant de saisir la
Commission (voir notamment N° 12929/87, déc. 5.2.90, D.R. 64, p. 132).
La Commission constate qu'en l'espèce le requérant n'a pas
satisfait à cette condition. Or l'examen de l'affaire n'a permis de
déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu le dispenser,
selon les principes de droit international généralement reconnus en la
matière, d'épuiser les voies de recours internes dont il dispose en
droit suisse.
Il s'ensuit que la requête, pour autant qu'elle est dirigée
contre la Suisse, doit être rejetée, conformément aux articles 26 et
27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission,
AJOURNE l'examen des griefs du requérant dirigés contre la France
et concernant la procédure relative à sa détention en attente de
son extradition et sa correspondance durant cette période ;
à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS
Secrétaire Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
Textes cités dans la décision