CEDH, Commission (deuxième chambre), ZANATTA c. la FRANCE, 9 septembre 1998, 38042/97

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 9 sept. 1998, n° 38042/97
Numéro(s) : 38042/97
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 juillet 1997
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Chorherr du 25 août 1993, série A n° 266-B, p. 36, par. 25
Arrêt Miailhe (n° 2) du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV n° 16, par. 45 Comm. Eur. D.H. Bramelid et Malmström c. Suède, rapport Comm. 12.12.83, D.R. 38, p. 27
Cour Eur. D.H. Arrêt Piersack du 1er octobre 1982, série A n° 53, p. 14
No 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18, p. 31
No 9938/82, déc. 15.7.86, D.R. 48, p. 21
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-29841
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0909DEC003804297
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Sur les parties

Texte intégral

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 38042/97

présentée par Aldo et Jean-Baptiste ZANATTA

contre la France

                                                       __________

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 9 septembre 1998 en présence de

MM.J.-C. GEUS, Président

M.A. NOWICKI

G. JÖRUNDSSON

A. GÖZÜBÜYÜK

J.-C. SOYER

H. DANELIUS

MmeG.H. THUNE

MM.F. MARTINEZ

I. CABRAL BARRETO

D. ŠVÁBY

P. LORENZEN

E. BIELIUNAS

E.A. ALKEMA

A. ARABADJIEV

MmeM.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 30 juillet 1997 par Aldo et Jean-Baptiste ZANATTA contre la France et enregistrée le 3 octobre 1997 sous le N° de dossier 38042/97 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, de nationalité française, sont nés respectivement en 1931 et 1934. Ils résident à Voujeancourt et sont retraités. Devant la Commission, ils sont représentés par Maître Bernard Alexandre, avocat au barreau de Strasbourg.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants étaient propriétaires de terrains cadastrés sur la commune de Voujeancourt, constituant le sol d'un bâtiment industriel édifié en 1980. Aux termes d'un bail à construction du 19 juin 1980, les requérants louèrent ces parcelles à la société d'exploitation des établissements Zanatta Frères. La société y édifia le bâtiment qui, selon les dispositions du bail, devait devenir la propriété des requérants à compter du 1er juin 2010.

L'ensemble, terrains et construction, fit l'objet d'une procédure d'expropriation suite à une délibération du conseil municipal du 15 décembre 1989, sollicitant l'ouverture d'une enquête d'utilité publique ainsi que d'une enquête parcellaire, en vue de l'acquisition de l'ensemble pour y installer des ateliers, garages et services d'entretien de la municipalité.

Le 11 avril 1990, le préfet ordonna l'enquête d'utilité publique et désigna à cette fin un commissaire-enquêteur. Celui-ci était un ancien agent municipal à la retraite. Il procéda à l'enquête du 14 au 29 mai 1990.

Le 28 juin 1990, le commissaire-enquêteur déposa deux rapports : un rapport d'enquête parcellaire en vue de délimiter les immeubles dont l'acquisition était nécessaire à la réalisation du projet par la commune, et un rapport d'enquête sur l'utilité publique du projet d'acquisition. Ces rapports contenaient deux avis favorables aux projets de la commune. Le sous-préfet confirma l'avis contenu dans le rapport d'enquête sur l'utilité publique du projet.

Par arrêté en date du 17 septembre 1990, le préfet déclara le projet d'utilité publique. Il se fondait sur l'avis du commissaire-enquêteur, celui du sous-préfet et sur la demande du maire.

Le recours gracieux des requérants du 14 novembre 1990 fut rejeté par décision du préfet du 3 janvier 1991.

Procédure administrative

Le 1er mars 1991, les requérants déposèrent un recours en annulation de l'arrêté du préfet. Ils soulevaient l'irrégularité de la procédure d'expropriation.

Par jugement du 16 avril 1992, le tribunal administratif de Besançon débouta les requérants.

Le tribunal considéra que l'arrêté préfectoral d'expropriation n'était entaché d'aucune irrégularité. Il indiqua notamment que :

«  (...) il ressortait du dossier que la commune de Voujeancourt n'avait donc pas la possibilité d'exécuter le projet en question dans des conditions équivalentes sans recourir à la procédure d'expropriation ; que les bâtiments en cause étaient vacants depuis de nombreux mois, (...) que l'opération n'emportait donc pas une atteinte excessive à la propriété privée , (...) que dès lors que l'utilité publique du projet [était] admise, il n'appartenait pas au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier l'opportunité du choix auquel [avait] procédé la commune  ».

Le 25 juin 1992, les requérants interjetèrent appel du jugement devant le Conseil d'Etat. Ils invoquèrent la violation du Code de l'expropriation en raison de la sous-évaluation de l'immeuble exproprié, ainsi qu'un détournement de procédure du fait que le bénéfice d'utilité publique était en partie affecté à la réalisation d'une opération non prévue au projet initial, cause de l'expropriation. Ils versèrent au dossier un rapport d'expertise établi par notaire.

Le 30 juin 1992, les requérants relevèrent également appel du jugement devant la cour administrative d'appel de Nancy pour les mêmes motifs que ceux invoqués devant le Conseil d'Etat.

Le 2 juillet 1992, le secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat notifia l'enregistrement du recours.

Par ordonnance du 8 juillet 1992, le président de la cour administrative d'appel de Nancy renvoya le dossier de la requête devant le Conseil d'Etat, pour raison de compétence.

Au soutien de leur recours, les requérants invoquaient notamment l'atteinte excessive portée à leur droit de propriété privée.

Par arrêt du 5 mars 1997, le Conseil d'Etat rejeta les recours après les avoir joints.

Il s'exprima notamment comme suit :

«  (...) considérant que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le commissaire-enquêteur, du fait de sa qualité d'agent du district urbain de Montbéliard, aurait eu intérêt à l'opération litigieuse et que sa désignation aurait contrevenu aux dispositions (...) du Code de l'expropriation (...) ;

Considérant d'une part que, si les requérants font valoir que la commune (...) était propriétaire d'un terrain proche du centre ville, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce terrain qui, à la différence de l'immeuble des consorts Zanatta, ne comportait pas de bâtiment préexistant, aurait permis de réaliser dans des conditions équivalentes l'installation des services techniques de la commune en vue de laquelle la déclaration d'utilité publique a été prononcée ;

Considérant d'autre part que, ni les atteintes à la propriété privée des consorts Zanatta, ni les inconvénients du projet, ni son coût financier ne sont excessifs, eu égard à l'intérêt qu'il présente et ne sont pas par suite de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ; (...)  ».

 Procédure civile

Le 13 mars 1991, le maire prit une ordonnance d'expropriation. L'offre d'indemnisation proposée aux requérants expropriés fut fixée à 500 000 F au 4 juin 1991.

Le 27 août 1991, le maire saisit le juge de l'expropriation suite au silence gardé sur son offre par les requérants durant un mois.

Par lettre du 26 septembre 1991, l'avocat des requérants fit savoir au juge de l'expropriation que l'offre faite au titre de l'indemnité d'expropriation était considérée comme étant sans rapport avec la valeur réelle des biens expropriés.

Le 27 septembre 1991, le maire saisit le juge de l'expropriation afin de voir fixer le montant des indemnités dues aux requérants.

Par jugement du 20 décembre 1991, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Besançon, ayant au préalable apprécié la régularité de la procédure, constata que «  l'offre d'indemnisation émanant de l'autorité expropriante apparai[ssait] trop faible, insuffisamment motivée et [devait] donc être écartée  ». Il décida de retenir les propositions du commissaire du Gouvernement «  plus argumentées, pertinentes et sérieuses  », notamment eu égard aux méthodes d'évaluation, tant de la valeur du terrain, que de celle du bâtiment s'y trouvant. Il fixa les indemnités dues aux requérants par la commune à 635 093 F. Les requérants interjetèrent appel.

Par arrêt du 22 décembre 1992, la cour d'appel de Besançon fixa l'évaluation de l'indemnité d'expropriation à 650 571 F.

GRIEFS

1. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure administrative. Ils soulignent que leur recours devant le Conseil d'Etat a été enregistré au greffe le

25 juin 1992 et que l'arrêt du Conseil d'Etat n'a été rendu que le 5 mars 1997.

Ils invoquent l'article 6 par. 1 de la Convention.

2.Les requérants se plaignent que, dans le cadre de la procédure administrative, le commissaire-enquêteur était un ancien agent de la commune, partie à la procédure, alors même que son rapport a influé sur la procédure.

Ils invoquent le droit à voir leur cause entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.             

3.Les requérants se plaignent que l'opération d'expropriation a été poursuivie afin de satisfaire un but privé de la commune et que, de ce fait, il y a détournement de pouvoir. Ils estiment également que le montant fixé pour l'indemnité d'expropriation est insuffisant.

Ils invoquent la violation de l'article 1 du Protocole N° 1 à la Convention.

4.Les requérants se plaignent de ce que le but purement privé de la procédure d'expropriation est constitutif d'un détournement de procédure.

Ils invoquent la violation des articles 17 et 18 de la Convention.

EN DROIT

1.Les requérants se plaignent de la durée de la procédure notamment devant le Conseil d'Etat. Ils invoquent l'article 6 par. 1 de la Convention.

La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement mis en cause, en application de l'article 48 par. 2 de son Règlement intérieur.

2.Les requérants se plaignent que, dans le cadre de la procédure administrative, le commissaire-enquêteur était un ancien agent de la commune, partie à la procédure, alors même que son rapport a influé sur la procédure.

Ils invoquent le droit à voir leur cause entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention, lequel prévoit notamment :

«  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)  »

La Commission rappelle tout d'abord qu'il existe une relation fonctionnelle entre indépendance et impartialité, la première étant essentiellement destinée à assurer la seconde (Bramelid et Malmström c. Suède, rapport Comm. 12.12.1983, D.R. 38, p. 27). La garantie d'impartialité prévue à l'article 6 de la Convention présente un double aspect avec, d'une part, l'exigence subjective d'impartialité du juge et, d'autre part, une prescription objective (Cour eur. D.H., arrêt Piersack c. Belgique du 1er octobre 1982, série A, n° 53, p. 14).

Toutefois, en l'espèce, les requérants ne font valoir aucun argument permettant de mettre en doute l'indépendance ou l'impartialité des juridictions elles-mêmes. La Commission estime que le grief doit être uniquement analysé sous l'angle du droit à un procès équitable eu égard au rôle joué par le commissaire-enquêteur préalablement à la saisine des juridictions.

La Commission rappelle que, pour savoir si une procédure est conforme aux exigences de l'article 6 de la Convention, il convient d'adopter une démarche globale au vu de l'ensemble de la procédure (par exemple, N° 9938/82, déc. 15.7.86, D.R. 48, p. 21). Or elle relève que le rapport du commissaire-enquêteur ne formulait qu'un avis, qui a été confirmé par le sous-préfet, dans le cadre de la phase préalable de l'adoption de l'arrêté de déclaration d'utilité publique. Par la suite, cet arrêté a pu être contesté dans le cadre d'une procédure contentieuse et les décisions rendues par les juridictions saisies ont comporté un double degré de juridiction, ce qui a permis aux requérants de soumettre par écrit et contradictoirement leurs moyens de défense aux juridictions et de discuter contradictoirement devant elles les éléments de l'affaire (mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Miailhe c. France (n° 2) du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV n° 16, par. 45).

Dès lors, la Commission ne décèle aucun élément susceptible d'étayer les allégations du requérant et estime, en conséquence, que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

3.Les requérants se plaignent que l'opération d'expropriation a été poursuivie afin de satisfaire un but privé de la commune et que, de ce fait, il y a détournement de pouvoir. Ils se plaignent également que le montant fixé pour l'indemnité d'expropriation est insuffisant.

Ils invoquent l'article 1 du Protocole N° 1 à la Convention, qui prévoit notamment que :

«  Toute personne physique (...) a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international  ».

a.La Commission relève que les requérants se plaignent en réalité d'un détournement de la procédure d'expropriation en alléguant que l'autorité expropriante entendait uniquement agir à des fins privées. Ils contestent ainsi le but de l'expropriation et le bien-fondé des décisions de justice rendues sur recours contre la mesure d'expropriation.

En l'espèce, la Commission relève que toutes les instances nationales saisies ont opéré un contrôle approfondi de la régularité de la procédure et de la question du but de l'utilité publique. Elle constate que le Conseil d'Etat a, dans le cadre du contrôle du détournement de pouvoir invoqué par les requérants, opéré un bilan coût-avantage de la procédure contestée et a dûment motivé sa décision sur ce point. La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, «  il incombe au premier chef aux autorités nationales d'interpréter et appliquer le droit interne  » (par exemple, Cour eur. D.H., arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-B, p. 36, par. 25). En l'occurrence, elle n'aperçoit, à la lecture des décisions rendues, aucun motif de considérer que le droit français n'aurait pas été correctement appliqué.

Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

b.En ce qui concerne le montant de l'indemnité, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence constante, si l'article 1 du Protocole N° 1 reconnaît à l'exproprié un droit à indemnisation, il ne garantit pas un droit à une indemnité déterminée, sauf réduction qui affecterait la substance même du droit à indemnisation (N° 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18, p. 31).

En l'espèce, toutefois, elle n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par les requérants révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, l'article 26 in fine de la Convention prévoit que la Commission ne peut être saisie que «  dans le délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive  ». La Commission relève que les requérants n'ont pas formé de pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel en date du 22 décembre 1992 et que, par suite, il s'agit d'une

«  décision interne définitive  » rendue plus de six mois avant la date d'introduction de la requête.

Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée, en application des articles 26 et 27 par. 3 de la Convention.

4. Les requérants se plaignent de ce que le détournement de pouvoir allégué est constitutif d'un détournement de procédure, en violation des articles 17 et 18 de la Convention.

La Commission a examiné les griefs tels qu'ils ont été présentés par les requérants. Toutefois, dans la mesure où ils sont étayés et où elle est compétente pour en connaître, elle n'a relevé aucune apparence de violation des droits invoqués.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2 de la Convention.

Par ces motifs, la Commission,

AJOURNE l'examen du grief des requérants concernant la durée de la procédure administrative ;

à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

       M.-T. SCHOEPFER                                                               J.-C. GEUS

          Secrétaire                                                                               Président

    de la Deuxième Chambre                                                de la Deuxième Chambre

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