CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE BERREHAB c. PAYS-BAS, 21 juin 1988, 10730/84

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COUR (CHAMBRE)

AFFAIRE BERREHAB c. PAYS-BAS

(Requête no 10730/84)

ARRÊT

STRASBOURG

21 juin 1988



En l’affaire Berrehab[*],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

Thór Vilhjálmsson,

G. Lagergren,

C. Russo,

A. Spielmann,

J. De Meyer,

S.K. Martens, juge ad hoc;

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 février et 28 mai 1988,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") et par le gouvernement néerlandais ("le Gouvernement"), les 13 mars et 10 avril 1987 respectivement, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 10730/84) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant marocain, Abdellah Berrehab, une ressortissante néerlandaise, Sonja Koster, et leur fille Rebecca Berrehab, elle aussi de nationalité néerlandaise, avaient saisi la Commission le 14 novembre 1983 en vertu de l’article 25 (art. 25). Par "les requérants", on n’entendra ci-après qu’Abdellah et Rebecca Berrehab, la Commission ayant déclaré irrecevables les griefs de Sonja Koster (paragraphe 18 ci-dessous).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration néerlandaise de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47, art. 48). Elles visent à obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui découlent des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8).

2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont exprimé le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et ont désigné leur conseil (article 30).

3.   La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. A.M. Donner, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 23 mai 1987, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, G. Lagergren, C. Russo, A. Spielmann et J. De Meyer, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). En décembre 1987, M. Donner se trouvant empêché, le Gouvernement a nommé pour siéger en qualité de juge ad hoc M. S.K. Martens, vice-président de la Cour de cassation (Hoge Raad) des Pays-Bas (articles 23 § 1 et 24 § 1 du règlement).

4.   Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et l’avocat des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à l’ordonnance ainsi rendue le 31 juillet 1987, le greffe a reçu:

- le 3 novembre, les mémoires respectifs du Gouvernement et des requérants;

- le 26 octobre, les demandes de satisfaction équitable (article 50 de la Convention) (art. 50) de ceux-ci, complétés par eux en janvier 1988.

Par une lettre du 23 novembre, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué présenterait ses observations lors des audiences.

5.   Le 24 novembre, le président a fixé au 23 février 1988 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

6.   Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mlle D.S. Van Heukelom, jurisconsulte adjoint

au ministère des Affaires étrangères, agent,

M. J.L. De Wijkerslooth de Weerdesteijn, Landsadvocaat,

conseil;

- pour la Commission

M. H. Schermers, délégué;

- pour les requérants

Me C.N.A.M. Claassen, avocat, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. De Wijkerslooth de Weerdesteijn pour le Gouvernement, M. Schermers pour la Commission et Me Claassen pour les requérants.

A l’occasion des audiences, la Commission a produit divers documents que le greffier lui avait demandés sur les instructions du président. Par une lettre du 19 avril 1988, le Gouvernement a complété sa réponse à une question de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.   Né au Maroc en 1952 et ressortissant marocain, M. Berrehab avait son domicile à Amsterdam à l’époque où il a saisi la Commission.

Sa fille Rebecca, née le 22 août 1979 dans cette ville, possède la nationalité néerlandaise. Elle est représentée par sa tutrice, à savoir sa mère Mme Koster, elle aussi Néerlandaise.

8.    Ayant épousé Mme Koster le 7 octobre 1977, M. Berrehab sollicita l’autorisation de séjourner aux Pays-Bas où il se trouvait depuis quelque temps déjà. Le ministère de la Justice la lui délivra le 25 janvier 1978 "à seule fin de lui permettre de résider avec son épouse néerlandaise", puis en prorogea la validité jusqu’au 8 décembre 1979.

A partir de novembre 1977, M. Berrehab travailla pour un magasin à libre-service. Le 9 mars 1978, on lui accorda un permis de travail en vertu de la loi de 1964 sur les permis de travail pour étrangers, remplacée depuis le 1er novembre 1979 par la loi concernant l’emploi des étrangers. Ce permis fut renouvelé le 18 octobre 1979. D’avril 1981 à avril 1983, M. Berrehab fut employé par une entreprise de nettoyage.

9.   Le 8 février 1979, sa femme l’assigna en divorce. Le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam accueillit l’action le 9 mai 1979, pour ébranlement durable des liens du mariage, lequel fut dissous par l’enregistrement du jugement à l’état civil d’Amsterdam le 15 août 1979. Par une ordonnance du 26 novembre 1979, ledit tribunal confia la tutelle de Rebecca, née entre temps, à sa mère et la subrogée-tutelle (toeziende voogdij) à son père. Le 5 février 1980, il enjoignit à ce dernier de payer au conseil de protection de l’enfance 140 florins par mois à titre de contribution aux frais d’entretien et d’éducation de sa fille.

Dès la naissance de Rebecca, M. Berrehab et Mme Koster convinrent d’assurer à l’enfant des contacts réguliers et fréquents avec son père. Le 27 février 1984, ils firent authentifier par un notaire l’arrangement conclu entre eux quant à l’organisation de ces contacts et constater par lui que pendant les deux années écoulées M. Berrehab avait vu sa fille quatre fois par semaine, à raison de plusieurs heures à chaque rencontre.

10.  Le 7 décembre 1979, M. Berrehab forma une demande de prolongation de son autorisation de séjour. Le chef de la police d’Amsterdam la repoussa le même jour: pareille mesure, estima-t-il, irait à l’encontre de l’intérêt général eu égard à la circonstance que M. Berrehab avait été admis à demeurer aux Pays-Bas dans le seul but de vivre avec son épouse néerlandaise, condition qui en raison du divorce ne se trouvait plus remplie.

Par une lettre du 27 décembre 1979, M. Berrehab pria le ministre de la Justice de réviser cette décision. Il souligna notamment qu’il lui fallait un titre de séjour "indépendant" pour s’acquitter de ses obligations morales et légales de père. Il précisa qu’il jouissait de moyens d’existence suffisants et qu’il était à même d’assumer une partie des frais d’entretien et d’éducation de Rebecca.

11.  Le ministre ne répondit pas dans le délai légal de trois mois, silence assimilé en droit néerlandais à un refus.

Le 23 avril 1980, M. Berrehab attaqua la décision implicite du ministre devant la section du contentieux du Conseil d’État (Afdeling Rechtspraak van de Raad van State). Il expliqua qu’il ne discernait pas comment l’octroi d’un titre de séjour pouvait porter atteinte à l’intérêt de l’État, d’autant que certaines obligations légales lui incombaient en sa qualité de père et que depuis 1977, grâce à son travail, il subvenait à ses besoins. A l’audience du 14 mars 1983, il allégua que la décision litigieuse violait l’article 8 § 1 (art. 8-1) de la Convention en l’empêchant de rester en contact avec sa fille, qu’il voyait quatre fois par semaine.

Le Conseil d’État rejeta le recours le 9 mai 1983. Il rappela d’abord qu’aux termes de l’article 11 § 5 de la loi du 13 janvier 1965 sur les étrangers (Vreemdelingenwet, "la loi de 1965"), la prolongation d’une autorisation de séjour pouvait être refusée en vertu de l’intérêt général. Or, comme l’avait relevé le secrétaire d’État à la Justice, M. Berrehab ne satisfaisait plus à la condition dont dépendait l’octroi de son permis de séjour; partant, le refus litigieux pouvait se justifier au regard de l’article 11 § 5. Quant aux obligations de M. Berrehab envers sa fille, le Conseil d’État considéra que leur accomplissement ne servait aucun intérêt essentiel de l’État et qu’elles subsistaient indépendamment du lieu de résidence du requérant. Il ajouta que quatre rencontres hebdomadaires ne suffisaient pas à constituer une vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention et que d’ailleurs la décision incriminée n’entraînerait pas nécessairement la rupture des relations entre l’enfant et son père car celui-ci pouvait demeurer en contact avec elle d’un commun accord avec son ex-épouse.

12.  Le 30 mars 1983, M. Berrehab fut licencié par son employeur avec effet du 15 avril. En outre, il fut arrêté le 28 décembre 1983 en vue de son expulsion. Il introduisit devant le président du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam un recours en référé, mais il le retira peu après que la mesure attaquée eut reçu exécution le 5 janvier 1984; le 18 janvier, le président du tribunal en conclut qu’il n’y avait pas lieu de statuer.

En 1984, Rebecca et sa mère passèrent deux mois au Maroc auprès de M. Berrehab et de sa famille; le 28 août 1984, ce dernier sollicita de son côté, auprès de l’ambassade des Pays-Bas à Rabat, une autorisation de séjour d’une durée de trois mois. Après un premier refus, il obtint un visa d’un mois destiné à faciliter l’exercice de son droit de visite. Il se rendit ainsi le 27 mai 1985 aux Pays-Bas où il demanda la prolongation de son visa jusqu’au 27 août suivant. Ayant essuyé un refus le 6 juin, il interjeta devant le Conseil d’État un appel doublé d’un recours en référé. Saisi de ce dernier, le président de la section du contentieux décida, le 20 juin, qu’il fallait traiter l’intéressé - sous réserve d’une condition dépourvue d’importance aux fins du présent arrêt - comme s’il se trouvait en possession d’un visa valable jusqu’au 27 août.

13.  Le 14 août 1985, à Amsterdam, M. Berrehab contracta un nouveau mariage avec Mme Koster. Le 9 décembre 1985, le ministère de la Justice lui accorda l’autorisation - demandée par lui le 29 août - de séjourner aux Pays-Bas afin d’y "résider avec son épouse néerlandaise" et d’y "travailler pendant ce temps".

II. LA LÉGISLATION, LA PRATIQUE ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES

A. Le cadre général de la politique néerlandaise en matière d’immigration

14.  En matière d’immigration, les autorités néerlandaises mènent une politique restrictive. Elles ménagent pourtant des exceptions dictées notamment par la volonté de respecter les obligations découlant de la Convention, par le bien-être économique du pays et par des raisons humanitaires, dont l’intérêt qui s’attache à la réunion des familles.

Les conditions d’entrée et d’expulsion des étrangers se trouvent définies surtout dans la loi de 1965 et ses décrets d’application. A ces normes juridiques s’ajoute la "circulaire sur les étrangers" (Vreemdelingencirculaire), ensemble de directives établies et publiées par le ministre de la Justice.

Le droit de séjour obéit ainsi, en principe, aux articles 8 à 11 de cette loi. Un séjour prolongé requiert une autorisation accordée par le ministre de la Justice ou par un organe agissant sous son contrôle. Un refus doit être motivé; il peut donner lieu à un recours auprès du ministre de la Justice puis, au besoin, devant le Conseil d’État. La demande n’est en général accueillie - habituellement pour un an - que si la présence du candidat sert un intérêt national essentiel ou si une telle mesure s’impose pour des raisons humanitaires.

Les étrangers mariés à un(e) Néerlandais(e) relèvent de cette dernière catégorie: ils peuvent obtenir un permis de séjour "pour résider avec leur conjoint" aux Pays-Bas et, le cas échéant, "pour y travailler pendant ce temps".

B. L’évolution de cette politique

15.  Cette politique a toutefois évolué au fil des ans. Au début, les étrangers venant vivre avec leur mari ou leur femme se voyaient consentir le statut de résident, avec un permis de séjour conditionnel. Ce statut disparaissait en cas de dissolution du mariage qui en avait justifié l’octroi; l’étranger devait alors quitter le pays.

Pour consolider la situation des étrangers légalement établis aux Pays-Bas, le secrétaire d’État à la Justice estima devoir infléchir la ligne suivie sur ce point. Aux termes de la "Vreemdelingencirculaire" (chapitre B 19, paragraphe 4.3), les étrangers mariés depuis plus de trois ans et ayant vécu avec leur conjoint aux Pays-Bas pendant trois ans au moins avant la dissolution de leur union purent solliciter la délivrance d’un titre de séjour "indépendant"; on partait de l’idée qu’après un tel laps de temps, ils auraient noué avec le pays assez de liens pour rendre inutile un statut assorti de conditions.

Par la suite, on éprouva le besoin d’amender à nouveau la réglementation dans un sens favorable à cette catégorie d’étrangers: on conserva l’exigence des trois ans de mariage, mais on se contenta d’une période de résidence d’un an. Cet assouplissement avait pour but d’améliorer le sort souvent précaire des femmes divorcées, en particulier d’origine méditerranéenne: on estimait qu’elles devaient pouvoir rester aux Pays-Bas, avec un statut indépendant de celui de leur ancien époux.

Cette politique a encore été affinée ultérieurement: on a décidé que même en l’absence des conditions précitées, des raisons humanitaires impérieuses peuvent amener à autoriser un étranger à demeurer sur le sol néerlandais avec un titre de séjour indépendant, par exemple s’il a des liens étroits avec les Pays-Bas ou avec une personne y résidant. D’après le Gouvernement, il s’agit là d’une mesure exceptionnelle et rarement appliquée.

C. Jurisprudence

16.  Quant à la jurisprudence néerlandaise en matière d’étrangers, il y a lieu de distinguer entre le juge des référés - le juge civil, y compris la Cour de cassation en dernier degré - et le juge du fond, à savoir la section du contentieux du Conseil d’État.

Tandis que dans sa jurisprudence en d’autres domaines, notamment le droit de visite, la Cour de cassation avait déjà opté pour une conception assez large de la "vie familiale" (voir notamment son arrêt de principe du 22 février 1985, Nederlandse Jurisprudentie, 1986, no 3), la section du contentieux du Conseil d’État avait tendance à partir d’une notion plus étroite. Sa décision en l’espèce s’inscrit dans le droit fil de la tradition. Toutefois, plusieurs de ses dernières décisions donnent à penser qu’elle va se conformer à la doctrine d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 1986 au sujet des étrangers, d’où il ressort que la cohabitation ne constitue pas une condition indispensable à l’existence d’une "vie familiale" au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention (Nederlandse Jurisprudentie, 1988, no 188).

La Cour de cassation a eu récemment à connaître d’une affaire comparable au présent litige. Une cour d’appel statuant en référé avait estimé que si un étranger menacé d’expulsion invoque le droit au respect de sa vie familiale et de celle de son enfant, il lui incombe de démontrer que l’intérêt du mineur revêt une importance assez grande pour primer celui de l’État. Sur pourvoi, la Cour de cassation a cassé l’arrêt le 18 décembre 1987 (Rechtspraak van de Week, 1988, no 9). Appelée à déterminer s’il y avait "vie familiale" entre l’étranger et son enfant, elle a commencé par souligner qu’il s’agissait d’un enfant légitime, puis a déclaré:

"Pendant la durée du mariage, il a existé entre Garti et son fils une relation s’analysant en une vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...). Ni la rupture de la vie commune ni le divorce n’y ont mis fin. Il faut noter de surcroît que comme Garti l’a allégué et comme la cour d’appel l’a apparemment tenu pour acquis, Garti et son fils sont restés en contact étroit après la rupture de la vie commune."

La cassation a été prononcée au motif, notamment, que la juridiction d’appel avait perdu de vue

"que si, en pareil cas, l’expulsion d’un étranger doit être considérée comme une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) (...), l’unique moyen de déterminer si cette ingérence se justifie ou peut se justifier consiste à confronter, à la lumière des circonstances de la cause et des directives de politique (beleidsregels) en vigueur, d’une part la gravité de l’atteinte ainsi portée au droit tant de l’étranger concerné que de son enfant mineur au respect de leur vie familiale, et d’autre part les intérêts que sert cette politique, ce que faisant on peut, pour apprécier la gravité de l’atteinte, avoir égard notamment à la durée de la cohabitation des intéressés, à la nature et à l’intensité des contacts maintenus après la rupture de la cohabitation et au point de savoir qui, du parent ou de l’enfant, se trouve menacé d’expulsion".

PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION

17.  Dans leur requête du 14 novembre 1983 à la Commission (no10730/84), M. Berrehab et son ex-épouse Mme Koster, agissant en son propre nom et en qualité de tutrice de leur fille mineure Rebecca, alléguaient que l’expulsion du premier constituait pour chacun d’eux, mais surtout pour la troisième, un traitement inhumain et donc contraire à l’article 3 (art. 3) de la Convention. Selon eux, elle portait aussi une atteinte injustifiée au droit au respect de leur vie privée et familiale, tel que le garantissait l’article 8 (art. 8).

18.  Le 8 mars 1985, la Commission a déclaré irrecevables les griefs de Mme Koster; en revanche, elle a retenu ceux de M. Berrehab et de Rebecca.

Dans son rapport du 7 octobre 1986 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) (onze voix contre deux), mais non de l’article 3 (art. 3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 8 (art. 8)

19.  Selon les requérants, le refus d’accorder une nouvelle autorisation de séjour après le divorce et la mesure d’expulsion en résultant ont enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé:

"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."

Le Gouvernement combat cette thèse, mais la Commission y souscrit.

A. Sur l’applicabilité de l’article 8 (art. 8)

20.  Les requérants affirment que l’applicabilité de l’article 8 (art. 8) au titre des mots "droit au respect de [la] vie familiale" ne dépend pas de l’existence d’une cohabitation permanente. L’exercice du droit de visite d’un père auprès de son enfant et sa contribution aux frais d’éducation constitueraient eux aussi des éléments suffisants pour qu’il y ait vie familiale.

Le Gouvernement conteste cette analyse tandis que la Commission la partage.

21.  La Cour ne voit pas non plus dans la vie commune une condition sans laquelle on ne saurait parler de vie familiale entre parents et enfants mineurs. D’après sa jurisprudence, la relation qu’un mariage à la fois légal et non fictif, tel celui de M. et Mme Berrehab, crée entre les époux, doit être qualifiée de "vie familiale" (arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali du 28 mai 1985, série A no 94, p. 32, § 62). La notion de famille sur laquelle repose l’article 8 (art. 8) a pour conséquence qu’un enfant issu de pareille union s’insère de plein droit dans cette relation; partant, dès l’instant et du seul fait de sa naissance il existe entre lui et ses parents, même si ces derniers ne cohabitent pas alors, un lien constitutif d’une "vie familiale".

Des événements ultérieurs peuvent certes en amener la rupture, mais en l’espèce il n’en a rien été. Assurément, M. Berrehab et Mme Koster, qui avaient divorcé, ne vivaient plus ensemble au moment de la naissance de Rebecca et n’ont pas repris leur cohabitation par la suite. Il n’en demeure pas moins que jusqu’à son expulsion des Pays-Bas le premier a vu sa fille quatre fois par semaine plusieurs heures durant; la fréquence et la régularité de ses rencontres avec elle (paragraphe 9 in fine ci-dessus) prouvent qu’il y attachait beaucoup de prix. On ne saurait donc prétendre que le lien de "vie familiale" entre eux se soit brisé.

B. Sur l’observation de l’article 8 (art. 8)

1. Paragraphe 1 de l’article 8 (art. 8-1)

22.  D’après les requérants, le refus d’accorder à M. Berrehab une nouvelle autorisation de séjour après le divorce et la mesure d’expulsion en résultant s’analysaient en des ingérences dans leur droit au respect de la vie familiale, vu la grande distance séparant les Pays-Bas du Maroc et les problèmes financiers entraînés par le retour forcé de l’intéressé dans son pays.

Le Gouvernement répond que rien n’empêchait ce dernier d’exercer son droit de visite en se rendant du Maroc aux Pays-Bas avec un visa temporaire.

23.  La Cour reconnaît avec la Commission que dans les circonstances de la cause, il s’agissait là d’une possibilité plutôt théorique; du reste, M. Berrehab n’obtint pareil visa qu’après un premier refus (paragraphe 12 ci-dessus). Les deux mesures litigieuses empêchèrent donc pratiquement les requérants de garder entre eux des contacts réguliers, pourtant essentiels vu le jeune âge de l’enfant. Dès lors, elles constituaient des ingérences dans l’exercice d’un droit garanti par le paragraphe 1 de l’article 8 (art. 8-1) et appellent un contrôle sous l’angle du paragraphe 2 (art. 8-2).

2. Paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2)

a) "Prévues par la loi"

24.  La Cour constate, avec le Gouvernement et la Commission, que lesdites mesures se fondaient sur la loi de 1965. Les requérants ne le contestent d’ailleurs pas.

b) But légitime

25.  Selon les requérants, les ingérences incriminées ne poursuivaient aucun des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2 (art. 8-2); en particulier, elles ne servaient pas le "bien-être économique du pays" car elles empêchèrent M. Berrehab de continuer à contribuer aux frais d’entretien et d’éducation de sa fille.

Le Gouvernement estime que la défense de l’ordre public rendait nécessaire l’expulsion de M. Berrehab et il affirme qu’un équilibre a été très largement assuré entre les divers intérêts en présence.

La Commission note que les décisions litigieuses cadraient avec la politique néerlandaise de contrôle de l’immigration et peuvent donc être considérées comme prises à des fins légitimes telles que la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui.

26.  La Cour arrive à la même conclusion. Elle relève pourtant que le but légitime poursuivi consistait dans la défense du bien-être économique du pays, au sens du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2), plutôt que dans celle de l’ordre: il s’agissait, en raison de la densité de la population, de régulariser le marché du travail.

c) "Nécessaires dans une société démocratique"

27.  Les requérants prétendent que les mesures attaquées ne sauraient passer pour "nécessaires dans une société démocratique".

Le Gouvernement combat cette thèse, mais la Commission y souscrit. D’après elle, les ingérences incriminées revêtaient un caractère disproportionné: les autorités n’auraient pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt des requérants à maintenir leurs contacts et l’intérêt général commandant la défense de l’ordre public.

28.  Pour se prononcer sur la "nécessité" d’une ingérence "dans une société démocratique", la Cour prend en compte la marge d’appréciation laissée aux États contractants (voir notamment les arrêts W. contre Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121-A, p. 27, § 60 b) et d), et Olsson du 24 mars 1988, série A no 130, pp. 31-32, § 67).

Elle admet à cet égard que la Convention n’interdit pas en principe aux États contractants de régler l’entrée et la durée du séjour des étrangers. Selon sa jurisprudence constante (voir notamment les arrêts précités), cependant, la "nécessité" implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché.

29.  Appelée à contrôler le respect de cette dernière condition en l’espèce, la Cour relève d’abord qu’elle n’a pas à juger en soi la politique des Pays-Bas en matière d’immigration et de séjour des étrangers. Elle ne doit examiner que les ingérences litigieuses, et ce non sous le seul angle de l’immigration et du séjour, mais également par rapport à l’intérêt réciproque des requérants à continuer leurs relations. Comme l’a aussi relevé la Cour de cassation des Pays-Bas (paragraphe 16 ci-dessus), il y a lieu de confronter le but légitime visé avec la gravité de l’atteinte au droit des requérants au respect de leur vie familiale.

Quant au but poursuivi, il faut souligner qu’il ne s’agissait pas en l’occurrence d’un étranger sollicitant pour la première fois son admission aux Pays-Bas, mais d’une personne qui y habitait légalement depuis plusieurs années déjà, qui y avait logement et travail et à qui le Gouvernement n’a pas prétendu avoir quelque chose à reprocher. En outre, M. Berrehab y avait déjà des attaches familiales effectives: il y avait épousé une Néerlandaise et de leur mariage était issu un enfant.

Quant à l’ampleur de l’atteinte, on doit noter qu’entre M. Berrehab et sa fille existaient déjà depuis quelques années des liens très étroits (paragraphes 9 et 21 ci-dessus), que le refus d’un permis de séjour indépendant et l’expulsion en résultant menaçaient de rompre. Cet effet des ingérences litigieuses est d’autant plus grave que Rebecca, vu notamment son jeune âge, avait besoin de rester en contact avec son père.

Eu égard à ces circonstances particulières, la Cour estime qu’un juste équilibre n’a pas été assuré entre les intérêts en jeu et qu’il y a donc eu disproportion entre les moyens employés et le but légitime recherché. Dès lors, elle ne peut considérer les mesures litigieuses comme nécessaires dans une société démocratique. Elle conclut donc à la violation de l’article 8 (art. 8).

II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 3 (art. 3)

30.  Les requérants soutiennent que le refus d’accorder à M. Berrehab une nouvelle autorisation de séjour après le divorce et l’expulsion en résultant ont enfreint l’article 3 (art. 3), ainsi libellé:

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

Selon le Gouvernement, les griefs des requérants ne soulèvent aucun problème sur le terrain de cette disposition.

Pour la Commission, les faits de la cause ne montrent pas que l’un ou l’autre des requérants aient éprouvé des souffrances d’une intensité correspondant aux notions de traitement "inhumain" ou "dégradant".

31.  Partageant cette opinion, la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)

32.  Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,

"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

Les requérants - qui ont bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Commission et la Cour - ne sollicitent pas le remboursement de frais et dépens. Ils demandent, en revanche, la réparation pécuniaire d’un double préjudice matériel: le manque à gagner (31.429 florins 56) que M. Berrehab aurait subi d’avril 1983 à mai 1985 en raison à la fois de son licenciement, consécutif au refus de lui délivrer une nouvelle autorisation de séjour, et de l’impossibilité de trouver du travail dans son pays d’origine; en second lieu, les frais (4.700 florins) entraînés par le voyage de Rebecca et de sa mère au Maroc en juillet 1984, puis de M. Berrehab aux Pays-Bas en mai 1985 (paragraphe 12 ci-dessus). Les intéressés réclament aussi, pour la souffrance morale découlant de leur séparation, une indemnité dont ils ne chiffrent pas le montant.

33.  D’après le Gouvernement, aucun lien de causalité ne se trouve établi entre les mesures litigieuses et le dommage matériel allégué. La Commission souscrit à cette thèse pour le manque à gagner, mais une compensation partielle des frais de voyage lui paraît se justifier. D’autre part, elle reconnaît que M. Berrehab et Rebecca ont éprouvé un tort moral; le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

34.  Se ralliant à l’opinion de la Commission et statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour alloue aux requérants la somme de 20.000 florins.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8);

2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3);

3. Dit, à l’unanimité, que les Pays-Bas doivent verser aux requérants 20.000 (vingt mille) florins néerlandais à titre de satisfaction équitable;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 21 juin 1988.

Rolv RYSSDAL

Président

Marc-André EISSEN

Greffier

Se trouve joint au présent arrêt, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Thór Vilhjálmsson.

R.R.

M.-A.E.



OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁMSSON

(Traduction)

Je regrette de ne pouvoir me rallier à mes collègues qui ont conclu à une violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention en l’espèce. Je peux souscrire à l’arrêt à la seule exception du paragraphe 29. Je n’ai donc pas besoin de m’étendre sur les questions pour lesquelles je partage l’opinion de la majorité de la Cour, c’est-à-dire qu’il y avait une vie familiale entre les requérants, que le premier d’entre eux, M. Abdellah Berrehab, a été traité conformément à la loi de 1965 sur les étrangers et autres dispositions applicables et que la législation poursuit un but légitime. Reste la question de savoir si l’ingérence incriminée était "nécessaire dans une société démocratique". Encore une fois, je n’ai aucune observation à formuler sur la teneur du paragraphe 28 de l’arrêt sur ce point. Quant à la décision finale sur la question de l’existence ou de l’absence d’une violation de l’article 8 (art. 8), je ferai les remarques suivantes.

La politique des Pays-Bas dans le domaine en cause ici se trouve exposée dans des règles détaillées de la loi de 1965 ou reposant sur celles-ci, telles qu’elles ont été modifiées. Ces amendements ont été apportés à la lumière de l’expérience et l’on tend à permettre aux personnes de nationalité étrangère ayant des liens familiaux avec des citoyens néerlandais de résider aux Pays-Bas. Comme je l’ai dit, ces dispositions poursuivent un but légitime. On peut ajouter que le problème de l’immigration et de la résidence des étrangers est très important et des restrictions sont sans conteste inévitables. D’une manière générale, le gouvernement doit jouir en la matière d’une grande marge d’appréciation lorsqu’il s’agit d’élaborer sa politique et les règles juridiques nécessaires.

A cela doivent se mesurer les droits consacrés au premier paragraphe de l’article 8 (art. 8-1). Il y a en l’espèce deux requérants, le père et sa fille. C’est le premier qui a dû quitter les Pays-Bas et qui avait maille à partir avec les autorités de ce pays. Comme le dit l’arrêt, la mère de sa fille et lui avaient été mariés mais étaient divorcés au moment de la naissance de leur enfant. Ils ne vivaient pas ensemble. La mère et le premier requérant convinrent qu’il devait voir sa fille fréquemment et régulièrement et on doit supposer que ce fut le cas pendant la période des faits. Il fut aussi formellement désigné subrogé tuteur de sa fille. Nonobstant leurs relations, qui constituaient une vie familiale, j’estime que les requérants n’ayant pas le même domicile et les parents de l’enfant n’étant pas mariés l’un avec l’autre au moment pertinent, tout bien pesé les droits du premier requérant ne primaient pas sur les intérêts de l’État défendeur reconnus au paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2). La circonstance que les contacts entre les deux requérants ne prirent pas totalement fin après que le premier eut quitté les Pays-Bas confirme cette conclusion.

Quant aux droits de la seconde, la fille, il semble que les autorités néerlandaises qui ont examiné le cas du premier ne les aient pas envisagés. Ce qui en soi, à mon sens, n’emporte pas violation de l’article 8 (art. 8). Pour moi, la Cour doit apprécier les droits et intérêts concurrents séparément. A noter que la seconde requérante était une petite fille lorsque son père dut quitter les Pays-Bas. La vie familiale qu’elle avait connue avec lui se limitait à ce qu’il avait convenu avec la mère. L’enfant n’avait guère son mot à dire sur l’étendue de ses contacts avec son père et l’État défendeur ne pouvait modifier cette situation par quelque action positive. La situation de l’enfant était donc très précaire. A mes yeux, c’est un argument qui milite en faveur de la position de l’État défendeur en l’espèce. Compte tenu de la situation familiale déjà décrite, je suis parvenu à la conclusion que ni les droits de la seconde requérante, pris isolément, ni les droits combinés des deux requérants ne peuvent conduire à constater un manquement à l’article 8 (art. 8).

Je précise que, conformément à la pratique de notre Cour, j’ai voté sur la question de l’article 50 (art. 50) en partant de la décision de la majorité qui conclut à la violation de l’article 8 (art. 8).


[*] Note du greffier: L'affaire porte le numéro 3/1987/126/177.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes (à la Commission) correspondantes.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE BERREHAB c. PAYS-BAS, 21 juin 1988, 10730/84