CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE MARTINS MOREIRA c. PORTUGAL, 26 octobre 1988, 11371/85

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 26 oct. 1988, n° 11371/85
Numéro(s) : 11371/85
Publication : A143
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Baraona du 8 juillet 1987, série A no 122, p. 19, paras. 47, 48
Arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A no 129, p. 22, par. 52
Arrêt Capuano du 25 juin 1987, série A no 119, p. 13, par. 30
Arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A no 81, pp. 13, 17, 16 paras. 29, 40, 38
Arrêt Lechner et Hess du 23 avril 1987, série A no 118, pp. 18-19, 22, paras. 49, 64
Arrêt Milasi du 25 juin 1987, série A no 119, p. 45, par. 14
Références à des textes internationaux :
Code de procédure civile, Articles 264 n° 1, 266, 600 n° 2;Code de la route, Article 68
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Dommage matériel ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-62093
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1988:1026JUD001137185
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Sur les parties

Texte intégral

En l'affaire Martins Moreira*,

_______________

* Note du greffier: L'affaire porte le n° 21/1987/144/198.  Les deux

premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les

deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis

l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission)

correspondantes.

_______________

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à

l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses

pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont

le nom suit:

        MM. R. Ryssdal, président,

            F. Gölcüklü,

            J. Pinheiro Farinha,

        Sir Vincent Evans,

        MM. R. Macdonald,

            J.A. Carrillo Salcedo,

            N. Valticos;

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold,

greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 juin et

7 octobre 1988,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.      L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission

européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") et par le

gouvernement du Portugal ("le Gouvernement"), les 18 décembre 1987 et

29 janvier 1988 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent

les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.

A son origine se trouve une requête (n° 11371/85) dirigée contre le

Portugal et dont un ressortissant de cet Etat, M. José Martins Moreira,

avait saisi la Commission le 24 juillet 1984 en vertu de

l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48

(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration portugaise de

reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)

(art. 46), la requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48

(art. 45, art. 47, art. 48).  Elles ont pour objet d'obtenir une

décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un

manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui découlent de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2.      En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du

règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance

pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).

3.      La chambre à constituer comprenait de plein droit

M. J. Pinheiro Farinha, juge élu de nationalité portugaise (article 43

de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour

(article 21 par. 3 b) du règlement).  Le 30 janvier 1988, celui-ci en a

désigné par tirage au sort les cinq autres membres à savoir

M. G. Lagergren, M. F. Gölcüklü, Sir Vincent Evans, M. R. Macdonald et

M. J.A. Carrillo Salcedo, en présence du greffier (articles 43 in fine

de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).  Par la suite,

M. N. Valticos, suppléant, a remplacé M. Lagergren, qui avait donné sa

démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions

avant les audiences (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).

4.      Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du

règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier

l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le

représentant du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure

écrite (article 37 par. 1).  Conformément à l'ordonnance ainsi rendue le

11 février 1988, le greffe a reçu le 27 avril le mémoire du

Gouvernement et, le 17 mai, les prétentions du requérant au titre de

l'article 50 (art. 50) de la Convention.

En outre, la Commission a déposé le 25 mars des documents que le

président avait chargé le greffier de se procurer auprès d'elle.

5.      Le 17 mai 1988, le président a fixé au 21 juin la date

d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des

comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

6.      Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais

des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu immédiatement

auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

  M. I. Cabral Barreto, procureur général

        adjoint de la République,                       agent,

  Mme Marta Santos Pais, greffe du

        procureur général de la République,             conseil;

- pour la Commission

  M. J.J. Campinos,                                     délégué;

- pour le requérant (lui aussi présent)

  Me N. Neves Anacleto,                                 conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à

ses questions, M. Cabral Barreto pour le Gouvernement, M. Campinos

pour la Commission et Me Neves Anacleto pour le requérant.  Les

représentants respectifs du Gouvernement et du requérant ont produit

certaines pièces à l'occasion des audiences.

7.      Le 4 août, Me Neves Anacleto a communiqué au greffe les

demandes de son client quant aux honoraires d'avocat.  Le Gouvernement

a présenté ses observations sur ce point le 9 septembre.

EN FAIT

8.      M. José Gonçalves Martins Moreira, ressortissant portugais né

en 1929, est employé de banque et réside à Loures (Portugal).

Le 12 novembre 1975, il se trouvait dans une voiture avec

M. Virgilio da Silva Pontes qui la conduisait et en était le

propriétaire.  Près d'Evora, ils entrèrent en collision avec un autre

véhicule, propriété de M. Antonio dos Reis et piloté par

M. Francisco Techana.

Blessé, le requérant fut hospitalisé jusqu'au 14 mai 1976.

En août 1976 et en août 1977, il subit des interventions chirurgicales

à Londres.  Il demeure frappé d'une invalidité permanente de 25 %.

9.      Informé de l'accident par la police locale, le parquet près le

tribunal de première instance d'Evora engagea des poursuites pénales

contre les deux conducteurs pour dommages corporels involontaires.

L'affaire fut classée en 1976 en vertu d'un décret-loi d'amnistie.

1. Procédure devant le tribunal de première instance

10.     Le 20 décembre 1977, MM. Martins Moreira et Pontes ("les

demandeurs") assignèrent au civil, devant le tribunal de première

instance d'Evora, M. Francisco Techana, M. Antonio dos Reis, la

société Gestetner, pour le compte de laquelle le trajet s'effectuait,

et la compagnie d'assurances "Império", dont la responsabilité était

limitée par contrat à 200.000 escudos ("les défendeurs").  Le

requérant réclamait une indemnité de 1.393.737 escudos 80, ainsi que

les montants à liquider lors de la procédure d'exécution (liquidação

em execução de sentença) pour tous les frais futurs résultant de la

collision.

En application de l'article 68 du code de la route, l'action devait

être examinée selon la procédure sommaire, qui se caractérise par la

réduction de certains délais (articles 783 à 792 du code de procédure

civile et arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81,

p. 8, par. 10).

a) Phase préparatoire

11.     Le 13 janvier 1978, le juge ordonna la citation des défendeurs

au moyen, pour ceux qui n'habitaient pas Evora, de commissions

rogatoires (cartas precatórias).

La compagnie "Império" présenta ses conclusions (contestação)

le 9 février, les autres défendeurs le 14 mars 1978.

La société Gestetner souleva en outre une exception préliminaire: elle

contestait sa qualité de partie défenderesse au motif qu'elle n'avait

pas eu la "direction effective du véhicule ayant causé l'accident", au

sens de l'article 503 n° 1 du code civil.  Les demandeurs se

prononcèrent sur l'exception dans le délai de cinq jours qui leur

avait été imparti, conformément à l'article 785 du code de procédure

civile.

De son côté, la compagnie d'assurances "Império" introduisit une

demande incidente tendant à l'intervention (intervenção principal) des

hôpitaux civils d'Evora et Santa Maria de Lisbonne, ainsi que de la

compagnie d'assurances "Comércio e Indústria".

12.     Après avoir déféré à cette demande le 31 mars 1978, le juge

invita les parties intervenantes à indiquer leurs prétentions.

Le 27 avril 1978, il donna au ministère public jusqu'au 7 mai pour

présenter les observations des hôpitaux intervenants.  Il lui

consentit par la suite une prorogation de trois mois, en vertu de

l'article 486 n° 3 du code de procédure civile; en raison des vacances

judiciaires, le nouveau délai n'expira que le 1er octobre 1978.

13.     A l'issue de la procédure écrite, le juge décida le

6 novembre 1978 de tenir dans les dix jours (article 508 n° 1 du code

de procédure civile) une audience préparatoire en vue, notamment,

d'examiner l'exception préliminaire de la société Gestetner.

Le 21 décembre, il accorda l'assistance judiciaire aux demandeurs, la

refusant à MM. Techana et dos Reis.

14.     Le 18 janvier 1979, le greffe du tribunal transmit le dossier

au juge, qui rendit une décision préparatoire (despacho saneador)

le 3 mars.  Longue de trente-cinq pages, elle rejetait ladite exception

et dressait la liste tant des faits incontestés (especificação) que de

ceux à éclaircir pendant les débats (questionário).  Il restait cent

trente-trois faits à établir (quesitos).  En outre, le juge relevait

que le retard apporté à statuer (au-delà des dix jours prévus par

l'article 787 du code de procédure civile) s'expliquait par une grande

surcharge de travail et la complexité de l'exception considérée.

15.     MM. Techana et dos Reis, ainsi que la société Gestetner,

firent opposition (reclamação, article 511 n° 2) en ce qui concerne la

liste susmentionnée.  Les demandeurs répondirent le 17 avril 1979.  Le

19, le greffe transmit le dossier au juge qui, par une ordonnance du

26 mai, accueillit partiellement l'opposition des deux premiers mais

écarta celle de la dernière.  Le 6 juin, la société Gestetner attaqua

cette décision et la décision préparatoire du 3 mars 1979 devant la

cour d'appel (tribunal de relação) d'Evora.

Le juge d'Evora reçut les deux recours le 8 juin.  Le 6 juillet, il

décida qu'ils ne seraient communiqués à la cour d'appel qu'avec le

recours éventuel contre le jugement sur le fond.

b) Phase d'instruction

16.     Les parties furent ensuite invitées à produire leurs listes de

témoins et d'autres moyens de preuve.  Le 11 octobre 1979, les

demandeurs prièrent le juge, notamment, d'ordonner une expertise

médicale à propos d'un certain nombre de faits ou questions à élucider

pendant les audiences; elle devait avoir lieu à l'Institut de médecine

légale de Lisbonne ("l'Institut") conformément à l'article 600 nos. 2

et 3 du code de procédure civile, aux termes duquel:

"2.  Dans les ressorts de Lisbonne, Porto et Coïmbra, les instituts de

médecine légale effectuent les examens médicaux légaux et les autres

examens qu'ils sont particulièrement aptes à exécuter; les autres

examens exigeant des connaissances particulières dans une spécialité

médicale ou des recherches relevant de laboratoires ou d'autres

institutions spécialisées sont exécutés dans un établissement officiel

par les professeurs ou les cadres techniques y exerçant des fonctions.

3.  Ce qui précède s'applique à tous les autres ressorts lorsque les

choses ou personnes à examiner peuvent, sans inconvénient, être

transportées au siège de l'institut ou établissement.  L'examen a lieu

à Lisbonne, Porto ou Coïmbra suivant la cour d'appel dont relève la

juridiction compétente."

17.     Le juge, à qui le greffe avait transmis le dossier

le 31 octobre 1979, ne fit droit à la demande que le 13 février 1980.

Il justifia par une surcharge de travail le délai écoulé, supérieur

aux cinq jours que prévoit l'article 159 n° 2 du code.  Il invita

aussi les défendeurs à lui indiquer dans les cinq jours les faits

contenus dans le questionário et sur lesquels les médecins experts

devraient se prononcer.

Ayant reçu notification de cette ordonnance le 28 février, la société

Gestetner fournit le 7 mars 1980 les renseignements sollicités.

18.     Le juge, qui avait reçu du greffe le dossier le 12 mars 1980,

ordonna le 29 avril seulement, en invoquant une surcharge de travail,

que la Faculté de médecine de Lisbonne fixât la date et l'heure

auxquelles un médecin spécialiste en orthopédie et traumatologie

pourrait examiner les demandeurs.

Le 14 mai, le président du conseil de la Faculté de médecine de

Lisbonne l'informa que les expertises médicales en orthopédie étaient

suspendues, faute de médecins spécialistes disponibles.

19.     Le 23 mai, le juge chargea de l'expertise médicale l'hôpital

civil de Lisbonne.  Cependant, le service d'orthopédie de celui-ci

l'informa, le 20 juin 1980, qu'il ne pouvait la mener à bien, car les

intéressés n'y avaient jamais été hospitalisés et il y avait une

surcharge de travail.

20.     Le greffe lui ayant communiqué le dossier le 26 juin 1980, le

juge ordonna, le 3 juillet, que les examens médicaux eussent lieu à

l'Institut; il invita le directeur à en fixer la date et précisa

qu'ils devaient être terminés dans le délai d'un mois.  En outre, il

expliqua pourquoi il n'avait pas déféré plus tôt à la requête des

demandeurs tendant à confier lesdits examens à l'Institut: à sa

connaissance, ce dernier ne comptait pas de spécialistes en

orthopédie.  Vu l'impasse dans laquelle se trouvait la procédure, il

revenait cependant sur sa position.  Par la même occasion, il avisa de

la situation le directeur de cabinet du ministre de la Justice et le

pria d'indiquer dans quel établissement on pouvait exécuter des

expertises médicales en orthopédie et en traumatologie.

Le 17 juillet, le sous-directeur de l'Institut annonça au juge que les

demandeurs seraient examinés le 6 octobre.  Le 23 juillet, celui-ci

ordonna leur comparution à cet effet.

21.     Deux médecins de l'Institut procédèrent aux examens le jour

prévu; ils établirent un rapport à l'intention du tribunal.  Ils y

concluaient que les demandeurs devraient être soumis à un nouvel

examen après la production d'un certain nombre de documents relatifs à

leur état de santé, entre autres les rapports des hôpitaux où ils

avaient été traités et la traduction portugaise des rapports d'un

spécialiste anglais qui les avait soignés à Londres en 1977.  En

outre, et conformément à l'article 600 n° 2 du code de procédure

civile, les intéressés auraient à subir, dans une institution publique

appropriée, un examen pratiqué par des experts en orthopédie qui

répondraient aux questions posées dans la décision préparatoire

du 3 mars 1979.

Parvenu au tribunal le 15 octobre 1980, le rapport fut communiqué le

lendemain à MM. Pontes et Martins Moreira.

22.     Ces derniers invitèrent le tribunal, le 20 octobre, à obtenir

directement des hôpitaux concernés certains documents, à leur octroyer

un délai de trente jours pour en déposer d'autres (notamment la

traduction portugaise des rapports médicaux rédigés en anglais) et à

demander à l'Institut à quel établissement de caractère public ils

pouvaient s'adresser pour les expertises en orthopédie.

Le greffe transmit le dossier au tribunal le 28.

23.     Le 5 janvier 1981, les demandeurs introduisirent une nouvelle

requête tendant à ce que le juge nommât lui-même des experts médicaux

spécialistes en orthopédie et exerçant à Evora.  Ils y affirmaient

avoir ignoré que l'Institut n'était pas en mesure de procéder à tels

examens et que son rôle se limitait à coordonner les éléments fournis

par eux ou réclamés à d'autres hôpitaux, sans quoi ils n'auraient pas

recouru à lui.  Ils ajoutaient qu'ils espéraient être examinés plus

rapidement à Evora, compte tenu des longues listes d'attente dans les

hôpitaux de Lisbonne.

24.     Le juge leur donna satisfaction le 23 février: il requit les

hôpitaux concernés de produire les documents réclamés par l'Institut

et invita l'hôpital civil d'Evora à fixer une date pour l'examen des

intéressés.  Cependant, l'administration de cet établissement

l'informa le 24 mars qu'il devait désigner lui-même des experts,

l'hôpital n'étant pas compétent pour réaliser des expertises

médico-légales.

Dans cette perspective, le juge pria l'hôpital, le 27 mars, de lui

communiquer la liste des orthopédistes y travaillant.  Il la reçut le

7 avril.

25.     Le 21 avril 1981, le greffe transmit le dossier au juge qui,

le jour même, décida de nommer les experts le 4 mai.  A cette date il

en désigna trois, l'un proposé par les demandeurs, un autre par les

défendeurs et le troisième choisi par lui, et ce en présence de toutes

les parties en cause.

Le 6 mai, il convoqua les experts pour le 1er juin aux fins de leur

prestation de serment.  Elle eut lieu comme prévu et il leur assigna

aussitôt un délai de quinze jours pour s'acquitter de leur tâche.

26.     Le 1er juin aussi, les demandeurs déposèrent au greffe du

tribunal la traduction portugaise des rapports dressés par leur

médecin anglais.

27.     Le 15 juin 1981, les experts annoncèrent au juge qu'ils

étaient en mesure de répondre aux questions sur lesquelles portait

l'expertise.  Le même jour, il fixa au 23 juin la date de leur

audition.

Dans leurs réponses, ils conclurent à l'unanimité que le requérant

avait un taux d'incapacité permanente de 25 % et M. Pontes de 50 %,

qu'ils se trouvaient tous deux dans un état de santé stable et qu'il

ne fallait s'attendre ni à une aggravation ni à la nécessité d'un

traitement ultérieur.

28.     Le 9 juillet 1981, le juge prit acte de ce que M. Pontes avait

omis de fournir la version portugaise d'un rapport médical réclamé par

l'Institut.  Le 20 juillet, il invita ce dernier à fixer la date d'un

nouvel examen médical des demandeurs.  Le 1er septembre, l'Institut

opta pour le 6 octobre 1981.

Les deux intéressés furent examinés le jour dit sur la base des

documents produits.  L'Institut rédigea un rapport final relatif

à M. Martins Moreira, mais requit encore certaines pièces concernant

l'état de santé de M. Pontes - notamment une traduction portugaise de

deux rapports en anglais, d'août et septembre 1981 -, lequel les

transmit au juge le 9 novembre.

Le 18 novembre, le juge proposa à l'Institut un nouvel examen

de M. Pontes.  Le 4 décembre, la date en fut fixée au 25 janvier 1982

et les résultats communiqués au tribunal le 5 février.

c) Audience de jugement

29.     Le 26 mars 1982, le juge décida que la procédure orale

s'ouvrirait le 12 mai.  Toutefois, les compagnies d'assurances

"Comércio e Indústria", partie intervenante, et "Império",

défenderesse, ne comparurent pas et le juge ajourna les débats

au 1er juillet.

Ils se déroulèrent finalement les 1er, 2 et 5 juillet 1982.  Pour

tenir compte de l'érosion monétaire, M. Martins Moreira porta le

montant de sa demande d'indemnité à 2.787.479 escudos au lieu de

1.393.737,80 à l'origine (paragraphe 10 ci-dessus).

30.     Le 15 juillet, le tribunal établit les faits de la cause lors

d'une audience publique au cours de laquelle les parties plaidèrent

aussi sur les points de droit.

31.     Le 1er octobre 1982, il déclara partiellement fondée l'action

de MM. Martins Moreira et Pontes; il condamna solidairement les

défendeurs à verser au requérant 732.000 escudos de dommages-intérêts.

Cependant, le tribunal réserva pour la procédure ultérieure

d'exécution, conformément à l'article 661 n° 2 du code de procédure

civile, la question du remboursement des frais de transport exposés

par les demandeurs pour recevoir des soins après l'accident.

2. Procédure devant la cour d'appel d'Evora

32.     Le 13 octobre 1982, M. Martins Moreira attaqua le jugement

devant la cour d'appel d'Evora.  Sans contester les faits établis en

première instance, il se plaignait de l'insuffisance de l'indemnité

allouée.

Son recours et celui de la société Gestetner furent déclarés

recevables par une décision du 19 octobre, notifiée aux intéressés le

16 novembre.

Après le calcul et le paiement des frais et dépens de la procédure, le

greffe du tribunal d'Evora transmit le dossier à la cour d'appel

le 23 juin 1983.  Enregistrée le 30 juin, l'action suivit son cours

normal.

Conformément à une ordonnance rendue par elle le 14 novembre 1983, la

cour reçut les mémoires du requérant le 20 décembre 1983, de la

société Gestetner le 25 janvier 1984 et de la compagnie "Império" le

24 avril 1984.  La compagnie "Comércio e Indústria" et les hôpitaux

d'Evora et Santa Maria de Lisbonne n'en présentèrent pas, mais il

fallut attendre jusqu'au 30 juillet 1984 l'échéance du délai imparti

au dernier d'entre eux.

33.     Après avoir recueilli les visas (vistos) des membres chargés

de l'affaire, la cour, par un arrêt du 30 mai 1985, porta de 732.000 à

1.032.000 escudos l'indemnité octroyée à M. Martins Moreira.

3. Procédure devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça)

34.     La société défenderesse Gestetner se pourvut le 13 juin 1985

devant la Cour suprême, que de leur côté les demandeurs saisirent le

11 juillet d'un recours "subordonné" (recurso subordinado).

Après les formalités légales, le dossier parvint au greffe

le 17 octobre 1985.  Le 15 novembre, le juge rapporteur fixa un délai

pour le dépôt des mémoires des parties.  Il reçut le 6 janvier 1986

celui de la société Gestetner et le 3 février celui des demandeurs.

MM. Martins Moreira et Pontes soutenaient notamment que les indemnités

consenties pour préjudice moral étaient trop faibles et qu'ils

devraient percevoir en outre une somme, à préciser au cours d'une

procédure ultérieure d'exécution, pour les dommages futurs découlant

de leur incapacité de travail.

Les délais pour le dépôt des mémoires des parties intervenantes

expirèrent le 9 mai 1986.  Le 9 juin, la société Gestetner présenta un

contre-mémoire.  Le dossier fut ensuite communiqué au ministère public

pour avis et aux conseillers adjoints pour examen.

35.     La Cour suprême statua le 5 février 1987.  Vu l'invalidité

permanente dont les demandeurs se trouvaient frappés à cause de

l'accident, elle leur donna gain de cause sur ce point en leur

accordant une indemnité supplémentaire, à déterminer lors de la

procédure d'exécution, pour les dommages que l'on n'avait pu calculer

en première instance.  Elle confirma la décision de la cour d'appel

pour le surplus; son arrêt fut notifié au requérant le 9 février.

4. Procédure d'exécution

36.     Le 28 octobre 1987, M. Pontes et le requérant prièrent le

tribunal d'Evora d'assurer le versement de la fraction déjà chiffrée

de l'indemnité que leur avait allouée la cour d'appel; ils énumérèrent

les biens saisissables de la société Gestetner.  La saisie, réclamée

par commission rogatoire à Lisbonne, se révéla impossible:

le 18 janvier 1988, le tribunal compétent constata que ladite société

faisait l'objet d'une procédure, laquelle a abouti, le 25 mars, à une

déclaration de faillite.  De son côté, la compagnie "Império" plaça en

dépôt la somme de 184.334 escudos, à cause des difficultés rencontrées

pour la répartir entre le requérant, M. Pontes et la compagnie

"Comércio et Indústria".

Dans l'attente de l'indication, par les demandeurs, d'autres biens à

saisir, la procédure d'exécution demeure pendante.  Le greffe du

tribunal n'en a pas moins dressé le décompte des frais y afférents et

les intéressés ont déjà dû les payer.

Aussi le requérant n'a-t-il pas encore sollicité la détermination de

la partie non liquide de l'indemnité.

5. Plaintes du requérant concernant la durée de la procédure

37.     Le 26 janvier 1981, avant la fin de ses examens médicaux

(paragraphe 23 ci-dessus), le requérant dénonça la longueur de la

procédure auprès du médiateur (Provedor de Justiça).  Celui-ci lui

répondit, en mars 1981, qu'il avait porté le contenu de la plainte à

la connaissance du Conseil supérieur de la magistrature, lequel lui

avait communiqué une note du juge d'Evora exposant les problèmes,

juridiques et autres, soulevés par l'affaire; il classa la demande le

20 juillet 1981.

38.     Le 3 mars 1983, alors qu'il attendait la transmission à la

cour d'appel du dossier du tribunal de première instance d'Evora

(paragraphe 32 ci-dessus), M. Martins Moreira s'adressa derechef au

médiateur pour le prier d'intervenir.

Le 7 avril, le médiateur lui indiqua qu'il avait signalé la situation

au Conseil supérieur de la magistrature.

Il lui écrivit à nouveau le 28 décembre 1983 pour l'informer du

résultat de ses démarches auprès de ce dernier et du ministère de la

Justice.  Il s'avérait que les retards observés s'expliquaient par le

temps nécessaire pour établir le décompte des frais de l'un des

experts et par le manque de personnel au tribunal de première instance

d'Evora.  Le médiateur décida en conséquence de classer la plainte.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

39.     Dans sa requête du 24 juillet 1984 à la Commission

(n° 11371/85), M. Martins Moreira s'en prenait à la durée de la

procédure civile qu'il avait introduite le 20 décembre 1977 devant le

tribunal de première instance d'Evora; il l'estimait contraire à

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

40.     La Commission a retenu la requête le 14 octobre 1986.  Dans

son rapport du 15 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime à

l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1

(art. 6-1).  Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent

arrêt.

CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT

41.     A l'audience du 21 juin 1988, le Gouvernement a confirmé en

substance la conclusion figurant dans son mémoire; elle consistait à

inviter la Cour "à dire qu'il n'y a pas eu violation de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le cas d'espèce".

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)

42.     D'après le requérant, l'examen de l'action civile intentée par

lui et M. Pontes devant le tribunal de première instance d'Evora a

duré au-delà du délai raisonnable visé à l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

de la Convention, aux termes duquel

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un

délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des

contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)."

La Commission souscrit en substance à cette thèse, combattue par le

Gouvernement.

A. Période à prendre en considération

43.     En l'espèce, la période à considérer n'a pas commencé dès la

saisine de la juridiction compétente (20 décembre 1977, paragraphe 10

ci-dessus), mais seulement avec la prise d'effet, le 9 novembre 1978,

de la déclaration portugaise d'acceptation du droit de recours

individuel.  Pour vérifier le caractère raisonnable du laps de temps

écoulé à partir de cette date, il faut cependant tenir compte de

l'état où l'affaire se trouvait alors (voir en dernier lieu

l'arrêt Milasi du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 45, par. 14).

44.     D'après le Gouvernement et la Commission, le "délai" s'est

achevé le 9 février 1987, quand l'arrêt rendu quatre jours plus tôt

par la Cour suprême fut notifié aux parties (paragraphe 35 ci-dessus).

La Cour estime au contraire, avec M. Martins Moreira, qu'il couvre

aussi la procédure ultérieure d'exécution (paragraphe 36 ci-dessus -

arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 13, par. 29).  Il

s'agit d'une seconde phase dont le déclenchement dépendait de

l'initiative des demandeurs.  Elle n'a débuté que le 28 octobre 1987,

soit huit mois après le jugement, et seulement pour la fraction déjà

chiffrée de l'indemnité; elle demeure inachevée à cause, notamment, de

la faillite de la société défenderesse Gestetner (paragraphe 36

ci-dessus).  La première phase, qui va du 9 novembre 1978

au 9 février 1987, s'étend à elle seule sur huit ans et trois mois.

B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

45.     La caractère raisonnable de la durée d'une procédure

s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux

critères consacrés par la jurisprudence de la Cour (voir en dernier

lieu l'arrêt Baraona du 8 juillet 1987, série A n° 122, p. 19, par. 47).

46.     Comme le souligne le Gouvernement, l'article 264 n° 1 du code

portugais de procédure civile laisse aux parties l'initiative de la

marche de l'instance.  Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux

d'assurer le respect des exigences de l'article 6 (art. 6) en matière

de délai raisonnable (voir en dernier lieu l'arrêt Baraona précité,

p. 19, par. 48).  L'article 266 du même code leur prescrit d'ailleurs de

prendre toute mesure propre à écarter les obstacles de nature à

empêcher le déroulement rapide du procès.  En outre, selon

l'article 68 du code de la route l'action intentée par le requérant

devait suivre la procédure sommaire, laquelle implique la réduction de

certains délais (paragraphe 10 ci-dessus).

1. Complexité de l'affaire

47.     D'après le Gouvernement, l'affaire offrait une grande

complexité: il y avait deux demandeurs et plusieurs défendeurs et

intervenants, qui disposèrent chacun de délais successifs pour

présenter des mémoires; de surcroît, le dossier comportait non moins

de 1,800 pages et le litige n'était pas aisé à trancher.

M. Martins Moreira insiste au contraire sur la banalité d'une action

civile en réparation du préjudice causé par un accident de la route.

48.     La Cour estime, avec la Commission, que l'affaire ne revêtait

pas en soi un caractère complexe.

Sans doute certains des éléments énumérés par le Gouvernement

eurent-ils des répercussions sur la marche de l'instance et

l'établissement d'une expertise médicale rencontra-t-il des

difficultés (paragraphes 55-57 ci-dessous), mais il s'agissait de

simples incidents de procédure qui ne sauraient justifier une durée

aussi longue.  Au demeurant, quinze jours suffirent aux experts nommés

par le tribunal pour s'acquitter de leur tâche (paragraphes 25-27

ci-dessus).

2. Comportement du requérant

49.     Le Gouvernement tire argument du fait que M. Martins Moreira

saisit le tribunal conjointement avec M. Pontes et qu'avec ce dernier,

il demanda ultérieurement à être examiné par l'Institut de médecine

légale de Lisbonne (paragraphes 10 et 16 ci-dessus).

Le comportement du requérant paraît pourtant naturel et compréhensible

sur l'un et l'autre point.  Quant au premier, il convient de rappeler

que la responsabilité de la compagnie d'assurances Império était, par

contrat, limitée à 200.000 escudos pour l'ensemble des dommages

(paragraphe 10 ci-dessus) et de noter que l'introduction d'une action

unique permit d'éviter une dualité de procédures, source de

complications inutiles.

Au sujet de la seconde remarque du Gouvernement, la Cour relève que

l'article 600 n° 2 du code de procédure civile (paragraphe 16

ci-dessus) vise expressément les instituts de médecine légale.  Dès

lors, les demandeurs et leurs avocats étaient en droit de présumer que

ces établissements possédaient les moyens voulus; on ne pouvait guère

exiger d'eux qu'ils s'en assurassent.

50.     La Cour reconnaît en revanche, avec la Commission, que le

requérant aurait pu alléger le travail des médecins de l'Institut s'il

leur avait fourni plus rapidement les pièces nécessaires.

En octobre 1980, ils réclamèrent certains rapports cliniques et la

traduction portugaise des avis d'un spécialiste anglais (paragraphe 21

ci-dessus).  Le juge se procura les premiers par la voie officielle,

ainsi que les demandeurs l'y avaient invité le 20 octobre 1980

(paragraphe 22 ci-dessus), mais le requérant ne produisit la dernière

que le 1er juin 1981 (paragraphe 26 ci-dessus).  Il y a là un fait non

imputable à l'Etat défendeur et qui entre en ligne de compte (voir,

entre autres, l'arrêt Lechner et Hess du 23 avril 1987, série A

n° 118, pp. 18-19, par. 49), mais en définitive il ne prolongea pas outre

mesure la procédure: le juge ne désigna les experts en orthopédie que

le 4 mai 1981 et ils ne prêtèrent serment devant lui que le 1er juin;

à cette date, il leur donna quinze jours pour mener à bien leur tâche,

délai qu'ils respectèrent (paragraphes 25 et 27 ci-dessus).

51.     Pour le surplus, il ressort du dossier que le requérant

entreprit des démarches en vue d'accélérer le déroulement de

l'instance.  En janvier 1981 et mars 1983 il écrivit au médiateur, qui

porta sa plainte à l'attention du Conseil supérieur de la magistrature

en lui communiquant ses lettres (paragraphes 37-38 ci-dessus).  Devant

la lenteur de la procédure d'expertise, M. Martins Moreira s'adressa

aussi derechef au juge en dénonçant la passivité de l'Institut et en

proposant une solution (paragraphe 23 ci-dessus).

3. Comportement des autorités compétentes

52.     Requérant et Commission énumèrent plusieurs retards imputables

aux autorités judiciaires portugaises et en particulier au tribunal de

première instance d'Evora.

De fait, il lui fallut plus de trois mois pour rendre la décision

préparatoire (despacho saneador) après l'audience tenue à cette fin;

pareil laps de temps paraît excessif malgré la complication créée par

l'exception préliminaire de la société Gestetner (paragraphes 11-14

ci-dessus).  En outre, le juge n'accueillit que les 13 février 1980 et

23 février 1981, respectivement, les demandes d'expertise médicale et

d'examen orthopédique présentées par MM. Martins Moreira et Pontes.

Or la première remontait au 11 octobre 1979 (paragraphes 16-17

ci-dessus), la seconde - précédée d'un rapport de l'Institut -

au 20 octobre 1980 (paragraphes 21-24 ci-dessus).  Du reste, il

s'agissait là de mesures d'ordre purement administratif.

Enfin, après que le requérant eut interjeté appel le 13 octobre 1982,

le greffe du tribunal d'Evora attendit jusqu'au 23 juin 1983 pour

transmettre le dossier à celui de la juridiction supérieure; dans

l'intervalle, il se contenta de s'assurer qu'y figuraient certains

mémoires et d'établir le décompte des frais et dépens de la procédure

de première instance (paragraphe 32 ci-dessus).

53.     Le tribunal invoquait à l'époque une surcharge de travail

(paragraphes 17-18 ci-dessus).

De fait, selon les propres indications de M. Martins Moreira le juge

chargé de la cause trouva, en occupant son poste à Evora, plus de

mille affaires pendantes et dut exercer aussi ses fonctions dans cinq

autres tribunaux proches de la ville.

La situation ainsi décrite avait acquis un caractère structurel;

partant, elle commandait des dispositions de nature à la redresser

(voir notamment l'arrêt Guincho précité, série A n° 81, p. 17, par. 40).

Il n'apparaît pas que les autorités compétentes en aient pris

d'efficaces.

54.     De leur côté, les procédures devant la cour d'appel et la Cour

Suprême comportèrent des retards, notamment pendant la phase consacrée

à l'examen du dossier par les magistrats (paragraphes 33-35

ci-dessus).

D'après le Gouvernement, une comparaison avec la durée constatée à ce

niveau dans les autres Etats membres du Conseil de l'Europe tournerait

sûrement à l'avantage du Portugal.

Pareil argument, du reste non accompagné de données précises, ne

saurait convaincre.  Il pourrait aboutir à l'acceptation de pratiques

contestables mais suffisamment générales, tandis que selon la

jurisprudence de la Cour il y a lieu de tenir compte des circonstances

de chaque espèce (paragraphe 45 ci-dessus) et, en tout cas, de veiller

au respect de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

55.     Si les divers retards observés plus haut dépassent un an et

demi au total, ils n'expliquent pas à eux seuls la longueur de la

procédure; elle découle surtout, les comparants s'accordent à le

reconnaître, des difficultés rencontrées pour l'examen des demandeurs

par des experts en orthopédie.

56.     A cet égard, le tribunal de première instance d'Evora ne

manqua pas de diligence; il essaya notamment de trouver des solutions

de rechange, mais en vain.

Réclamée par les demandeurs le 11 octobre 1979 (paragraphe 16

ci-dessus), l'expertise médicale ne fut terminée qu'en octobre 1981

pour M. Martins Moreira et en février 1982 pour M. Pontes

(paragraphe 28 ci-dessus).  Elle prit donc deux ans pour l'un et un peu

davantage pour l'autre.  De prime abord déraisonnables, ces laps de temps

appellent un contrôle attentif.

57.     La Cour constate que le juge consacra une grande partie du

délai considéré à des démarches administratives.  Sachant que

l'Institut ne comptait pas d'experts en orthopédie, il s'adressa

d'abord à la Faculté de médecine de Lisbonne, puis à un hôpital civil

de la même ville.  Seul l'échec de ces initiatives, dû soit au manque

de spécialistes soit à la surcharge de travail, le conduisit à

ordonner, le 3 juillet 1980, que les examens eussent lieu à l'Institut

(paragraphes 18-20 ci-dessus).  Il fallut donc près de neuf mois pour

en organiser.

Les examens se déroulèrent le 6 octobre 1980 et les médecins

communiquèrent leurs conclusions au tribunal neuf jours plus tard.

Toutefois, ils ne dressèrent pas encore de rapports définitifs:

n'étant pas spécialistes en orthopédie, ils recommandèrent d'inviter

les intéressés à leur fournir certains documents et à subir un nouvel

examen dans une institution publique appropriée (paragraphe 21

ci-dessus).  Or le juge ne réussit que le 4 mai 1981 à désigner les

experts appelés à s'acquitter de cette dernière tâche

(paragraphes 24-25 ci-dessus).

58.     L'expertise elle-même ne demanda que deux semaines: après

avoir prêté serment le 1er juin 1981, les experts annoncèrent dès le

15 au juge qu'ils étaient en mesure de répondre à ses questions, ce

qu'ils firent le 23 (paragraphes 25 et 27 ci-dessus).

Les médecins de l'Institut examinèrent derechef les intéressés

le 6 octobre 1981.  Ils rédigèrent aussitôt un rapport final

concernant M. Martins Moreira, sur la base de l'expertise orthopédique

et des autres documents cliniques produits, mais il fallut attendre

jusqu'au 5 février 1982 pour M. Pontes: celui-ci avait suivi un

nouveau traitement à Londres en août et septembre 1981, et la

traduction portugaise des pièces correspondantes ne fut prête

que le 9 novembre (paragraphe 28 ci-dessus).

La Cour s'étonne que l'on ait eu besoin de deux ans pour pratiquer

trois examens médicaux, dont le plus long n'exigea que quinze jours.

Seules des circonstances très exceptionnelles pourraient justifier un

tel délai.

59.     D'après le Gouvernement, on ne pouvait de toute manière

déterminer les conséquences de l'accident avec la rigueur scientifique

voulue avant de connaître l'évolution de l'état de santé des

intéressés.

Cette considération ne manque pas d'un certain poids mais on ne

saurait en déduire, avec le Gouvernement, que les retards constatés en

l'espèce se justifiaient.  Pareille conclusion équivaudrait à priver

de leur droit à obtenir justice dans un délai raisonnable, au sens de

l'article 6 (art. 6), les personnes qui en ont le plus besoin du fait

même de la gravité particulière de leurs blessures.  Au demeurant, les

experts nommés par le tribunal d'Evora conclurent dès le 23 juin 1981

à la stabilité de l'état de santé de MM. Martins Moreira et Pontes

(paragraphe 27 ci-dessus).

60.     Toujours selon le Gouvernement, seul le comportement des

autorités judiciaires en cause pourrait en la matière engager la

responsabilité internationale du Portugal, et non des fautes

éventuelles du législateur, de l'exécutif ou d'organes ou personnes ne

relevant pas de la structure de l'Etat, en l'occurrence l'Institut qui

n'aurait pas de rapports hiérarchiques avec les juridictions.

Cette thèse se heurte à la jurisprudence constante de la Cour.  En

ratifiant la Convention, l'Etat portugais a contracté l'obligation de

l'observer et il doit, en particulier, en assurer le respect par ses

différentes autorités (voir entre autres, mutatis mutandis,

l'arrêt Guincho précité, série A n° 81, p. 16, par. 38).

Or, en l'occurrence, les diverses institutions que l'insuffisance de

leurs ressources, ou leur surcharge de travail, empêchèrent de donner

suite aux demandes du juge d'Evora, étaient toutes publiques.  Leur

caractère non judiciaire ne tire pas ici à conséquence.

Il en va notamment ainsi de l'Institut de médecine légale de Lisbonne,

dont le manque de moyens provoqua des difficultés.  L'article 600 n° 2

du code de procédure civile confie aux instituts de ce genre le soin

d'opérer les examens médicaux légaux.  En outre, ils ont été créés à

cette fin et dépendent administrativement du ministère de la Justice.

Dès lors, il incombe à l'Etat portugais de les doter de moyens

appropriés, adaptés aux objectifs recherchés, de manière à leur

permettre de remplir les exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

(voir, mutatis mutandis, l'arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A

n° 129, p. 22, par. 52).

En tout cas, l'expertise en question se situait dans le cadre d'une

procédure judiciaire contrôlée par le juge, qui restait chargé

d'assurer la conduite rapide du procès (voir notamment l'arrêt Capuano

du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 13, par. 30).

4. Conclusion

61.     Eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, la Cour

constate que la durée excessive de la procédure découle pour

l'essentiel du comportement des autorités compétentes.  Il y a donc eu

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)

62.     Aux termes de l'article 50 (art. 50) de la Convention,

"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure

ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une

Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en

opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et

si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement

d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la

décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une

satisfaction équitable."

M. Martins Moreira demande une réparation pécuniaire pour préjudice

matériel et moral, ainsi que le remboursement de frais et dépens

exposés au Portugal puis devant les organes de la Convention.

Le Gouvernement conteste la réalité, la nécessité et le caractère

raisonnable des montants exigés; quant à elle, la Commission ne se

prononce pas sur ce point mais elle exprime l'opinion que le requérant

a droit en principe à une indemnité, pour dommage moral à tout le

moins.

A. Dommage

63.     D'après le requérant, la longue durée de la procédure l'a

empêché d'obtenir le versement, même partiel, de l'indemnité de

1.032.000 escudos que lui avait allouée la cour d'appel d'Evora

(paragraphe 33 ci-dessus).  En effet, la responsabilité de la compagnie

Império était limitée à 200.000 escudos (paragraphe 10 ci-dessus), à

répartir entre la compagnie intervenante Comércio e Indústria et les

demandeurs au principal, MM. Pontes et Martins Moreira (paragraphe 36

ci-dessus).  Pour le reste, la faillite de la société défenderesse

Gestetner n'aurait pas permis au requérant de recouvrer sa créance

(paragraphe 36 ci-dessus) et il risque de ne rien recevoir du tout vu

l'énormité du passif.  Il en irait ainsi, notamment, des frais assumés

par lui pour suivre des traitements médicaux; la juridiction

compétente les a évalués à 532.000 escudos.  Pour arriver à y faire

face, il aurait contracté des emprunts dont les intérêts atteindraient

déjà 200.000 escudos environ.

M. Martins Moreira affirme en outre ne pouvoir, faute d'avoir touché

la somme accordée, subir à Londres une nouvelle opération que rendrait

nécessaire son état de santé actuel.  Cette situation lui causerait

une angoisse justifiant l'octroi d'un montant de 2.000.000 escudos

pour dommage moral.

64.     Pour le Gouvernement, les critères consacrés par la

jurisprudence de la Cour devraient conduire à une solution

sensiblement différente de celle que propose le requérant.

65.     Il y a lieu de rappeler que le requérant, après avoir essayé

en vain d'amener la compagnie Império et la société Gestetner à lui

payer spontanément la fraction chiffrée de sa créance, demanda

l'exécution forcée de la décision prononcée en sa faveur et la saisie

des biens de ladite société (paragraphe 36 ci-dessus).  Toutefois, le

tribunal de Lisbonne constata, le 18 janvier 1988, que cette dernière

faisait l'objet d'une procédure, laquelle a abouti, le 25 mars 1988, à

une déclaration de faillite.

Sans doute s'agit-il là d'une circonstance postérieure à l'arrêt de la

Cour suprême du 5 février 1987 (paragraphe 35 ci-dessus).  Cependant,

et même s'il n'est pas certain que le requérant aurait recouvré

l'intégralité de sa créance au cas où la procédure principale se

serait achevée plus tôt, la Cour estime raisonnable de conclure qu'il

a subi à cause du long retard, contraire à l'article 6 par. 1

(art. 6-1), relevé par le présent arrêt, une perte de chances

justifiant l'octroi d'une satisfaction équitable pour préjudice

matériel (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Lechner et Hess du

23 avril 1987, série A n° 118, p. 22, par. 64).

66.     M. Martins Moreira a souffert de surcroît un tort moral

indéniable: il a vécu et vit toujours dans l'incertitude et l'anxiété

quant au résultat de la procédure litigieuse et à ses répercussions

sur sa situation de fortune et sa santé.

67.     Les divers éléments de dommage ainsi retenus ne se prêtent pas

à un calcul exact.  Les appréciant dans leur ensemble et, comme le

veut l'article 50 (art. 50), en équité, la Cour alloue au requérant une

indemnité de 2.000.000 escudos.

B. Frais et dépens

68.     M. Martins Moreira réclame en outre le remboursement

de 45.573 escudos de frais de procédure qu'il a dû payer au Portugal

malgré l'octroi de l'assistance judiciaire (paragraphes 13, 32 et 36

ci-dessus), ainsi que de 12.000 escudos du chef de ses frais de

déplacement à Evora.

Au titre des procédures suivies devant les organes de la Convention,

qui lui ont octroyé le bénéfice de l'assistance judiciaire, il demande

12.086 escudos pour frais divers et 400.000 escudos pour les

honoraires de ses deux avocats successifs, M. Rodrigues et

Me Neves Anacleto.

69.     Le Gouvernement invite la Cour à s'appuyer sur les principes

ressortant de sa jurisprudence; ils militeraient pour une solution

différente de celle que propose le requérant.  Spécialement, la

participation de deux avocats lui paraît superflue.

70.     La Cour constate que le requérant a droit à recouvrer les

frais exposés par lui au Portugal dans la mesure où la durée de la

procédure, imputable pour l'essentiel au comportement des autorités

compétentes (paragraphe 61 ci-dessus), a entraîné pour lui des

dépenses supplémentaires et où il a essayé en vain de l'abréger par

certaines initiatives (paragraphes 37-38 ci-dessus).  Il a également

droit au remboursement de ceux qu'il a supportés pour l'examen de

l'affaire à Strasbourg.  La Cour évalue à 35.000 escudos le montant

global des uns et des autres.

Quant à la participation de Me Neves Anacleto à l'audience du

21 juin 1988, elle a eu lieu à la demande de Me Rodrigues, empêché de

se rendre lui-même à Strasbourg.  Une bonne administration de la

justice exigeait la présence d'un nouvel avocat, lequel a dû se

familiariser avec l'affaire avant les débats.  Au surplus, le montant

de 400.000 escudos revendiqué apparaît raisonnable.

Au total, le requérant a donc droit au remboursement de

435.000 escudos pour frais et dépens, moins les 5.180 francs français

versés par le Conseil de l'Europe par la voie de l'assistance

judiciaire.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);

2. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant 2.000.000

(deux millions) escudos pour dommage et lui rembourser, pour frais et

dépens, 435.000 (quatre cent trente-cinq mille) escudos,

moins 5.180 (cinq mille cent quatre-vingts) francs français à

convertir en escudos au taux applicable le jour du prononcé du présent

arrêt;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au

Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le 26 octobre 1988.

Signé: Rolv RYSSDAL

       Président

Signé: Marc-André EISSEN

       Greffier

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE MARTINS MOREIRA c. PORTUGAL, 26 octobre 1988, 11371/85