CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE BILLI c. ITALIE, 26 février 1993, 15118/89
Chronologie de l’affaire
Sur la décision
Référence : | CEDH, Cour (Chambre), 26 févr. 1993, n° 15118/89 |
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Numéro(s) : | 15118/89 |
Publication : | A257-G |
Type de document : | Arrêt |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire |
Identifiant HUDOC : | 001-62360 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0226JUD001511889 |
Sur les parties
- Juges : C. Russo, N. Valticos
Texte intégral
En l'affaire Billi c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,
conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales
("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement,
en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Bernhardt, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
M. F. Bigi,
ainsi que de M. M.-A. Eissen, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les
29 octobre 1992 et 2 février 1993,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
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Notes du greffier
* L'affaire porte le n° 13/1992/358/432. Les deux premiers
chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les
deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour
depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la
Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11),
entré en vigueur le 1er janvier 1990.
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PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission
européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le
13 avril 1992, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les
articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.
A son origine se trouve une requête (n° 15118/89) dirigée contre
la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat,
Mme Emma Billi, avait saisi la Commission le 20 janvier 1989 en
vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne
reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)
(art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point
de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de
l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d)
du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer
à l'instance; le président de la Cour l'a autorisée à employer
la langue italienne et à défendre elle-même sa cause
(articles 27 par. 3 et 30 par. 1, seconde phrase).
3. Le 25 avril 1992, le président a estimé qu'il y avait
lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21
par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration
de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires
Pizzetti, De Micheli, F.M., Salesi, Trevisan et Messina c.
Italie*.
_______________
* Affaires nos 8/1992/353/427 à 12/1992/357/431 et
14/1992/359/433.
_______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein
droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43
de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la
Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci
a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir
M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Matscher, M. L.-E. Pettiti,
M. N. Valticos, M. S.K. Martens, Mme E. Palm et M. F. Bigi, en
présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et
21 par. 4 du règlement) (art. 43).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21
par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire
du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le
Gouvernement"), le délégué de la Commission et la requérante au
sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et
38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le
greffier a reçu le mémoire de Mme Billi le 17 juin 1992. Par une
lettre du 23 juillet, le Gouvernement a déclaré se référer aux
observations formulées par lui devant la Commission. Le délégué
de celle-ci n'a pas présenté de commentaires écrits.
6. Le 26 mai, la chambre avait renoncé à tenir audience, non
sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une
telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du
règlement).
7. Le 3 septembre, la Commission a produit le dossier de la
procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur
les instructions du président.
8. M. Ryssdal se trouvant empêché de participer à la
délibération du 29 octobre, M. R. Bernhardt, vice-président de
la Cour, l'a remplacé désormais à la tête de la chambre
(article 21 par. 5, second alinéa, du règlement).
9. Les 20 octobre et 8 novembre 1992, le Gouvernement et la
Commission ont déposé leurs observations sur les demandes de
satisfaction équitable (article 50 de la Convention) (art. 50)
de la requérante.
10. Le 12 novembre, le Gouvernement a fourni au greffier
certains renseignements complémentaires sur les faits de la
cause.
EN FAIT
11. Mme Emma Billi habite Genzano di Roma. En application de
l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission
a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport):
"16. Par un acte de citation du 3 juin 1969, notifié
le 7 juin 1969, la commune de Pérouse assigna devant le
tribunal de la même ville la SAI, société d'assistance
entre salariés et retraités. Constituée dans le but
d'allouer des subventions ou des prêts à ses membres, la
SAI était financée par les contributions spécifiques des
associés composant la société et au moyen de retenues sur
les salaires des associés salariés.
La commune de Pérouse accusa la SAI d'avoir
encaissé des sommes considérables à son détriment par
l'intermédiaire du comptable qui cumulait les fonctions
de secrétaire-comptable de ladite société et de comptable
en chef de la commune. Le 22 mai 1969, le président du
tribunal avait ordonné la saisie conservatoire des biens
immobiliers appartenant aux membres du conseil
d'administration de la SAI, dont faisait partie Milziade
Billi, le père de la requérante. Celui-ci décéda en
cours de procès et la requérante, en sa qualité
d'héritière, poursuivit la procédure et se constitua à
l'audience du 25 janvier 1973. Le 22 février 1973, le
juge de la mise en état requit une expertise comptable et
fixa au 6 avril 1973 l'audience en vue de la prestation
de serment de l'expert. Le 6 avril 1973, un délai de six
mois fut imparti à celui-ci et l'audience suivante fut
fixée au 15 novembre 1973. A compter de cette date,
l'examen de l'affaire fut reporté à plusieurs reprises
tantôt à la demande de l'expert, celui-ci sollicitant des
délais supplémentaires pour l'accomplissement de sa
mission (les 28 février 1974, 21 mai 1974,
8 octobre 1974), tantôt à la demande des avocats des
parties qui étaient dans l'attente du dépôt du rapport
d'expertise (les 15 novembre 1973, 2 mai 1974,
17 octobre 1974).
17. Le 19 décembre 1974, le juge de la mise en état
ordonna un complément d'expertise. Le 20 février 1975,
un délai de quatre-vingt-dix jours fut accordé à l'expert
qui demanda et obtint une prorogation jusqu'au
26 septembre 1975. Les deux audiences qui suivirent
furent reportées à la demande des avocats, la première
dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert
(le 19 juin 1975), la deuxième pour l'examen dudit
rapport (le 22 janvier 1976).
18. L'audience suivante du 15 juin 1976, reportée au
14 décembre 1976, fut une nouvelle fois différée au
21 février 1978 pour permettre aux avocats de conclure.
Le 21 février 1978, l'affaire fut renvoyée à la formation
collégiale du tribunal. Toutefois, le 12 janvier 1979 le
procès fut interrompu en raison de l'accession à la
majorité d'un des héritiers de l'un des défendeurs,
jusqu'alors représenté dans la procédure par son tuteur.
L'avocat de la commune demanda la reprise de l'affaire et
le 17 avril 1979, le juge de la mise en état fixa
l'audience au 19 octobre 1979. A cette date, l'examen de
l'affaire fut reporté au 25 janvier 1980, le dossier
étant introuvable, puis au 30 juin 1980, au
31 octobre 1980 et au 3 avril 1981 en raison de la
mutation du juge de la mise en état dans un autre service
et de l'absence de juge chargé de l'affaire.
19. Le 3 avril 1981, alors que selon les avocats
l'affaire était en état d'être jugée, le tribunal de
Pérouse estima nécessaire un nouveau complément
d'expertise. Par une ordonnance du 19 mai 1981, ce même
tribunal désigna un juge de la mise en état qui,
le 13 juillet 1981, chargea l'expert d'élucider un
certain nombre de points soulevés par les avocats dans
leurs conclusions.
20. L'affaire connut alors une série d'ajournements
(les 16 décembre 1981, 10 février 1982, 21 avril 1982,
14 juin 1982, 20 septembre 1982 et 16 mars 1983) motivés
par l'attente du dépôt du complément d'expertise.
Le 1er octobre 1982, le juge de la mise en état accorda
un délai supplémentaire à l'expert et les deux audiences
qui suivirent furent différées, à la demande des avocats
des parties, au motif que l'expert n'avait toujours pas
déposé son rapport. Après maintes injonctions faites à
l'expert par le juge de la mise en état et à la suite
d'un courrier de l'expert, du 8 mars 1984, sollicitant la
désignation d'un autre expert, le juge de la mise en état
nomma un nouvel expert qui prêta serment le 14 mai 1984.
21. A partir de cette date, l'examen de l'affaire fut
encore différé à deux reprises (les 28 novembre 1984 et
22 avril 1985) dans l'attente du dépôt du rapport
d'expertise. Le 29 mai 1985, le rapport fut déposé et
les avocats sollicitèrent un renvoi afin d'examiner ledit
rapport. Le 18 septembre 1985, le juge de la mise en
état requit du greffe le dossier pénal, les faits
dénoncés par la commune ayant par ailleurs donné lieu à
des poursuites pénales. A compter de cette date
l'affaire subit maints ajournements (les 13 novembre
1985, 18 décembre 1985, 3 décembre 1986, 27 janvier 1987,
5 février 1987) pour dépôt de conclusions des avocats.
Le 21 juillet 1986, le président du tribunal avait nommé
un nouveau juge de la mise en état. Le 5 février 1987,
l'instruction fut close et l'affaire envoyée au tribunal
pour y être jugée le 9 avril 1988. Par un jugement
du 14 mai 1988, déposé au greffe le 7 novembre 1988, le
tribunal de Pérouse débouta la commune."
12. D'après les renseignements fournis par le Gouvernement
(paragraphe 10 ci-dessus), cette décision n'a pas fait l'objet
d'un appel de la part de la requérante, à l'égard de qui elle est
devenue définitive le 7 novembre 1989.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
13. Mme Billi a saisi la Commission le 20 janvier 1989.
Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle
se plaignait de la durée de la procédure civile litigieuse.
14. La Commission a retenu la requête (n° 15118/89)
le 8 juillet 1991. Dans son rapport du 9 décembre 1991
(article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation
de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis
figure en annexe au présent arrêt*.
_______________
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y
figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-G de la
série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer
auprès du greffe.
_______________
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1
(art. 6-1)
15. La requérante allègue que l'examen de l'action civile la
concernant se prolongea au-delà du "délai raisonnable" prévu à
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
(...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...)
qui décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...)"
Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la
Commission y souscrit.
16. La période à considérer n'a pas commencé le
25 janvier 1973, date à laquelle Mme Billi se constitua au procès
en qualité d'héritière de son père, M. Milziade Billi, mais
seulement le 1er août 1973, avec la prise d'effet de la
déclaration italienne d'acceptation du droit de recours
individuel (article 25) (art. 25). Pour contrôler le caractère
raisonnable du laps de temps écoulé depuis lors, il faut
cependant tenir compte de l'état où l'affaire se trouvait à
l'époque (voir notamment l'arrêt Pandolfelli et Palumbo c. Italie
du 27 février 1992, série A n° 231-B, p. 19, par. 14).
Ladite période a cessé le 7 novembre 1989.
17. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure
s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la
jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de
l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation
globale.
18. Le Gouvernement excipe de la complexité des données de
fait du litige, du nombre des participants à la procédure et de
la difficulté d'établir l'expertise technique dont le tribunal
avait besoin pour statuer. Il mentionne aussi le comportement
des parties, dont la requérante, qui sollicitèrent plusieurs
renvois tout au long de l'instance.
Quant à Mme Billi, elle dénonce la carence de l'Etat
italien dans le domaine de l'administration de la justice.
19. Avec la Commission, la Cour constate d'abord qu'il
s'agissait d'une affaire complexe: la nécessité d'une expertise
et la présence de plusieurs défendeurs alourdirent et ralentirent
sans nul doute la procédure. Il échet pourtant de souligner que
la majorité des demandes d'ajournement étaient motivées et
justifiées par l'attente du rapport de l'expert.
En outre, la Commission le relève à juste titre, plus de
douze ans passèrent entre la prestation de serment du premier
expert (6 avril 1973) et la date à laquelle le second déposa son
rapport (29 mai 1985). A ce sujet, la Cour rappelle qu'ils
travaillaient tous deux dans le cadre d'une instance judiciaire
contrôlée par un juge à qui incombaient la mise en état et la
conduite rapide du procès (voir, mutatis mutandis, l'arrêt
Pandolfelli et Palumbo précité, p. 19, par. 17).
20. Dès lors, et eu égard aussi au fait qu'un seul degré de
juridiction eut à connaître du litige, la Cour ne saurait estimer
"raisonnable" le laps de temps, supérieur à seize ans, écoulé en
l'espèce.
Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1
(art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
21. D'après l'article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise
ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou
toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve
entièrement ou partiellement en opposition avec des
obligations découlant de la (...) Convention, et si le
droit interne de ladite Partie ne permet
qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette
décision ou de cette mesure, la décision de la Cour
accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une
satisfaction équitable."
22. L'intéressée réclame 150 000 000 lires italiennes pour
dommage matériel et autant pour tort moral. Elle inclut ses
frais et dépens dans le second. Quant au premier, il découlerait
de la saisie conservatoire de l'ensemble des biens meubles et
immeubles de la requérante, qui se prolongea pendant toute la
procédure.
23. Le Gouvernement conteste l'existence d'un préjudice
matériel; en tout cas, elle ne ressortirait d'aucune preuve.
24. D'après le délégué de la Commission, Mme Billi a subi un
dommage matériel considérable et certain. Elle aurait fourni
assez d'éléments pour en établir la réalité et les sommes
réclamées par elle n'auraient rien d'exorbitant. Quant au tort
moral invoqué, un simple constat de violation ne suffirait pas
à le compenser.
25. Sur la base des pièces du dossier et en particulier de
celles qui concernent les modalités de la saisie et de la vente
des biens de M. Milziade Billi (jugement du tribunal de Pérouse
du 14 mai 1988 et mémoire de la requérante), la Cour alloue à
l'intéressée 20 000 000 lires, tous chefs de préjudice confondus.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1
(art. 6-1);
2. Dit que l'Etat défendeur doit verser à la requérante,
dans les trois mois, 20 000 000 (vingt millions) lires
italiennes pour préjudice;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le
surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le
26 février 1993.
Signé: Rudolf BERNHARDT
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier
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