CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE JOHNSON c. ROYAUME-UNI, 24 octobre 1997, 22520/93

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 24 octobre 1997

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 24 oct. 1997, n° 22520/93
Numéro(s) : 22520/93
Publication : Recueil 1997-VII
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Eriksen c. Norvège du 27 mai 1997, Recueil 1997-III, pp. 861-862, § 76
Arrêt Loukanov c. Bulgarie du 20 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions ("Recueil") 1997-II
Arrêt Luberti c. Italie du 23 février 1984, série A n° 75, pp. 12-13, § 27, pp. 13-15, § 29
Arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A n° 185-A, p. 11, § 24
Arrêt Winterwerp c. Pays-Bas du 24 octobre 1979, série A n° 33, p. 17, § 39, pp. 21-22, § 40
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 5-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 5-4 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62673
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1997:1024JUD002252093
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE JOHNSON c. ROYAUME-UNI

(119/1996/738/937)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 1997

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1997, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.


Liste des agents de vente

Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

  B - 1000 Bruxelles)

Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher

  (place de Paris), B.P. 1142, L - 1011 Luxembourg-Gare)

Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat

  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL - 2514 GC’s-Gravenhage)


SOMMAIRE[1]

Arrêt rendu par une chambre

Royaume-Uni – maintien en détention d'un individu ne présentant plus de trouble mental dans l'attente de son placement en foyer (loi de 1983 sur la santé mentale)

I.ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

Pas contesté que le requérant ne souffrait plus de la maladie mentale ayant motivé son internement – ce constat n'obligeait toutefois pas les autorités à ordonner sa libération immédiate et sans conditions – la commission de contrôle psychiatrique devait bénéficier d'une certaine latitude pour décider si une telle mesure était dans l'intérêt tant du requérant que de la collectivité, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause.

La commission de contrôle était fondée à faire preuve de prudence compte tenu des antécédents de violence de l'intéressé pendant ses périodes de liberté – décision de libérer le requérant à condition, notamment, qu'il fasse un séjour de réadaptation dans un foyer approprié se justifiait en l’espèce – décision de différer la libération jusqu'à ce qu'un foyer ait pu être trouvé se justifiait aussi en principe, sous réserve qu'il existe des garanties assurant que la libération ne soit pas exagérément retardée – en l'occurrence, le requérant a passé trois ans et demi en détention parce que les autorités n'ont pas réussi à le placer en foyer – la commission de contrôle n'avait pas compétence pour ordonner qu'un foyer soit trouvé dans un délai raisonnable ou modifier les modalités de la condition de résidence en foyer compte tenu des difficultés rencontrées pour y satisfaire – impossible de saisir la commission en dehors des contrôles annuels ou un tribunal pour faire contrôler les termes de l'ordonnance de libération conditionnelle.

Conclusion : violation (unanimité).

II.ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

Arguments déjà présentés et traités sous l'angle de l'article 5 § 1.

Conclusion : absence de question distincte (unanimité).

III.ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

A.Dommage moral

Octroi d’une indemnité.

B.Frais et dépens

Demande accueillie en partie.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant certaines sommes pour dommage moral et pour frais et dépens (unanimité).

références à la jurisprudence de la cour

24.10.1979, Winterwerp c. Pays-Bas ; 23.2.1984, Luberti c. Italie ; 27.9.1990, Wassink c. Pays-Bas ; 20.3.1997, Loukanov c. Bulgarie ; 27.5.1997, Eriksen c. Norvège


En l'affaire Johnson c. Royaume-Uni[2],

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A[3], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
A. Spielmann,
N. Valticos,
SirJohn Freeland,
MM.A.B. Baka,
P. Kūris,
E. Levits,
P. van Dijk,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 juin et 26 septembre 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 9 septembre 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 22520/93) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Stanley Johnson, avait saisi la Commission le 8 juillet 1993 en vertu de l'article 25.


La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire  de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 17 septembre 1996, ce dernier a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, A. Spielmann, N. Valticos, A.B. Baka, P. Kūris, E. Levits et P. van Dijk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement britannique (« le Gouvernement »), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 20 et 25 février 1997 respectivement.

5.  Ainsi que le président en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 23 juin 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

–pour le Gouvernement
MM. M.R. Eaton, conseiller juridique adjoint,
ministère des Affaires étrangères
et du Commonwealth,agent,
J. Eadie, Barrister-at-Law,conseil,
Mmes J. Farenden, ministère de la Santé,
J. Swainson, ministère de la Santé,conseillères ;

–pour la Commission
M. N. Bratza,délégué ;

–pour le requérant
MM. E. Fitzgerald QC,
O. Thorold,

Mme U. Burnham,conseils,
M. A.K. Bergman,solicitor.
 

La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Bratza, Fitzgerald et Eadie.

EN FAIT

I.Les circonstances de l'espÈce

6.  Le requérant est né en 1947 à Leicester, en Angleterre.

A.La condamnation du requérant

7.  Le 8 août 1984, la Crown Court de Leicester reconnut M. Johnson coupable de coups et blessures volontaires sur la personne d'une femme qui passait dans la rue. Sans avoir été provoqué, il l’avait frappée à la tête et au ventre puis s'était éloigné. La passante était enceinte de trois mois, ce qu’il ne savait pas. Le requérant avait des antécédents en la matière : en avril 1974, il avait été condamné à dix-huit mois d'emprisonnement pour une agression sur la personne de sa mère, en décembre 1977 à quatre ans d'emprisonnement pour avoir frappé une passante avec une brique et en juillet 1981 à dix-huit mois d'emprisonnement pour avoir agressé deux jeunes filles marchant dans une rue de la ville. Il avait également été condamné pour vol, dégradation de biens et diverses infractions au code de la route. Pour l'infraction en cause, l'article 47 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861) prévoyait une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement.

8.  Alors qu'il se trouvait en détention provisoire à la prison de Leicester, on découvrit que le requérant était atteint d'une « maladie mentale » : il était en proie à des fantasmes de conspiration, se posait en victime et était obsédé par les projections astrales. Les médecins diagnostiquèrent une schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. L'intéressé avait des antécédents d'alcoolisme et d'usage de stupéfiants. Il n'avait jamais auparavant été considéré comme un malade mental au sens de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983) ; toutefois, il avait subi un examen pour déterminer s'il avait besoin d'un traitement psychiatrique alors qu'il se trouvait en détention provisoire pour une précédente infraction de coups et blessures volontaires, mais cela ne s'était pas révélé nécessaire.


9.  Deux psychiatres confirmèrent le diagnostic précité (paragraphe 8 ci-dessus). En conséquence, la Crown Court prononça à son égard une ordonnance d'internement en vertu de l'article 37 de la loi de 1983 ainsi qu'une autre ordonnance restreignant, sans limitation dans le temps, la possibilité de le libérer, conformément à l'article 41 de ladite loi. Le tribunal était en effet convaincu de la nécessité de cette dernière mesure pour protéger le public de préjudices graves.

  1. L'admission du requérant à l'hôpital de Rampton

10.  Le 15 août 1984, le requérant entra à l'hôpital de Rampton, institution psychiatrique de haute sécurité. Depuis son admission jusqu'au 2 novembre 1987, il fut suivi par le Dr J. McConnell, son médecin traitant (responsible medical officer). Le Dr I. Wilson prit la relève du 3 novembre 1987 jusqu'à l'élargissement définitif de l'intéressé.

11.  A l'arrivée de M. Johnson à l'hôpital, le Dr McConnell constata qu'il souffrait d'une schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. On lui administra peu après des antipsychotiques, auxquels il apparaît avoir bien réagi puisque, dès le 29 mai 1985, il avait parfaitement compris les ressorts de sa maladie mentale. Il cessa de prendre des médicaments en mars 1988 (paragraphe 33 ci-dessous).

12.  Une commission de contrôle psychiatrique (Mental Health Review Tribunal – « la commission ») examina la nécessité de la détention à plusieurs reprises entre décembre 1986 et janvier 1993, conformément à l'article 70 de la loi de 1983.

C.Le contrôle de 1986

13.  Le premier contrôle eut lieu en décembre 1986. La commission disposait du rapport psychiatrique du médecin traitant du requérant, le Dr McConnell, ainsi que de celui établi par le Dr J.D. Earp, psychiatre ayant examiné l'intéressé à la demande du solicitor de ce dernier.

14.  Tout en constatant que le requérant avait accompli de grands progrès depuis son admission à l'hôpital de Rampton (paragraphe 11 ci-dessus), le Dr McConnell déclara qu'il était toujours atteint de schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. En outre, son attitude envers le personnel hospitalier n'aurait pas été franche. Le Dr McConnell conclut que le requérant devait poursuivre son traitement et qu'il n'était pas en état de quitter l'hôpital. Le Dr Earp, pour sa part, estima que l'intéressé présentait clairement les symptômes d'une maladie mentale greffée sur des troubles psychopathiques, laquelle maladie avait toutes les caractéristiques d'une schizophrénie paranoïde. Il ne préconisait aucun changement à la situation du requérant.

15.  Dans sa décision du 17 décembre 1986, la commission déclara que le requérant souffrait d'une maladie mentale ou de troubles mentaux d'une nature et d'une intensité telles qu'il convenait de le maintenir en détention et qu'il fallait lui faire suivre un traitement médical à l'hôpital de Rampton dans l'intérêt de sa santé ou de sa sécurité et de la protection d'autrui.

Le requérant resta donc interné après cette date.

D.Les contrôles de 1987 et 1988

16.  Le cas du requérant fut réexaminé le 14 août 1987 puis le 10 février 1988. La commission décida à chaque fois de ne pas ordonner sa libération ni une reconsidération de la situation nosographique de sa maladie car elle jugeait nécessaire qu'il poursuive son traitement médical à l'hôpital, dans l'intérêt tant de sa santé et de sa sécurité que de la protection de la collectivité en général.

E.Le contrôle de 1989

17.  La commission procéda à un quatrième contrôle en juin 1989 en se fondant sur trois documents : un rapport psychiatrique établi le 5 octobre 1988 par le Dr Wilson, médecin traitant du requérant depuis que le Dr McConnell avait pris sa retraite ; une appréciation de l'état de l'intéressé préparée le 29 mars 1989 par le Dr D. Cameron, psychiatre, notamment à partir d'un entretien qu'il avait eu avec lui le 16 mars 1989 ; une nouvelle évaluation rédigée le 5 mai 1989 par le Dr Earp, qui avait rencontré le requérant le 20 avril 1989.

Les Drs Wilson et Earp étaient tous deux d'avis que l'intéressé ne présentait plus aucun signe de maladie mentale. Le Dr Earp estimait que l'internement de M. Johnson ne se justifiait plus au regard de la loi de 1983. Tout en recommandant une libération, il relevait que le Dr Cameron (voir ci-dessous) s'occupait de rechercher pour le requérant une place dans un foyer pour personnes souffrant de troubles liés à l'alcoolisme. Le Dr Wilson pensait pour sa part que le requérant avait besoin d'un temps de réadaptation et qu'il n'était pas encore prêt à sortir. Dans son rapport, le Dr Cameron conclut que la meilleure définition de l'état du requérant était « personnalité schizoïde avec des antécédents de troubles de comportement antisociaux induits par des apports toxiques exogènes » et qu'il lui serait bénéfique de séjourner dans un foyer pour alcooliques à sa sortie de l'hôpital de Rampton. Le Dr Cameron se proposa pour organiser le transfert de l’intéressé dans un foyer qu'il connaissait et se charger de son suivi psychiatrique.


18.  Le 15 juin 1989, la commission rendit la décision suivante :

« La commission admet que, comme l'indiquent les rapports médicaux, le patient ne souffre plus désormais de maladie mentale. L'épisode de maladie mentale qu'il a connu précédemment est révolu. Il ne prend plus actuellement aucun médicament psychotrope. »

La commission poursuivit cependant :

« Le [requérant] n'a pas une vision réaliste de sa capacité à vivre seul dans la société après être resté presque cinq ans à l'hôpital de Rampton ; il doit passer une période de réadaptation sous surveillance médicale, ce qui ne peut se faire que dans un foyer (où il recevra aussi le soutien adéquat). La commission estime en outre que l'on ne saurait exclure la réapparition de troubles mentaux nécessitant un nouvel internement tant qu'une telle réadaptation n'aura pas été terminée avec succès. »

19.  La commission ordonna donc la libération du requérant à condition qu'il soit suivi sur le plan psychiatrique par le Dr Cameron et par un travailleur social spécialisé en psychiatrie, et qu'il réside dans un foyer surveillé dont le choix serait approuvé par ces deux personnes.

Le requérant ne devait être libéré qu'une fois trouvé un lieu d'accueil adéquat.

F.La recherche d'une place dans un foyer

20.  Après le contrôle de 1989, des efforts considérables furent déployés pour trouver au requérant une place dans un foyer, sans grand résultat toutefois. Dans un rapport du 6 octobre 1989, un responsable des services sociaux indiquait qu'aucun progrès n'avait pu être réalisé, notamment en raison du peu de places disponibles dans les foyers de la région s'occupant de personnes telles que le requérant. Celui-ci semblait d'ailleurs tenir à se présenter sous un jour négatif dans les différents foyers où il se rendait, ce qui confirmait leurs craintes initiales à son sujet.

21.  Le travailleur social spécialisé en psychiatrie chargé de le suivre (paragraphe 19 ci-dessus), M. D. Patterson, prit contact avec plusieurs foyers. Dans son rapport du 4 avril 1990, il décrit sa recherche d'une place comme une expérience « qui lui avait pris beaucoup de temps, longue et frustrante », tant pour lui-même que pour le requérant. L'un des foyers avait refusé l'intéressé presque immédiatement. Un autre avait fait de même sans le voir et les associations de logement qui géraient les foyers en collaboration avec le service des probations n'étaient pas non plus en mesure de lui proposer un hébergement avant un certain temps en raison de la composition du personnel. Il semblerait que tous les foyers susceptibles d'accueillir le requérant aient exprimé des inquiétudes au sujet de ses problèmes de boisson ainsi que de ses antécédents d'agressions sur des femmes, ce en quoi il pourrait constituer une menace pour les femmes résidant au foyer et celles faisant partie du personnel. M. Patterson indiqua
qu'à cette époque le requérant ne s'était pas toujours bien rendu compte du mode de vie qu'il était nécessaire d'adopter pour passer avec succès le cap de la réadaptation.

L'un des foyers, celui d’Ashcroft, proposa cependant d'accueillir l'intéressé à condition qu'il accepte de passer huit semaines, à titre d'essai, dans le service ouvert d'un hôpital de la région et que la tentative soit concluante. M. Patterson estimait qu'Ashcroft constituait la seule solution valable pour le requérant, alors que celui-ci ne semblait pas sûr de vouloir tenter l'expérience.

G.Le contrôle de 1990

22.  Le 19 janvier 1990, le requérant demanda à la commission de contrôler sa détention, espérant être libéré sans conditions. La commission se réunit en mai 1990 et entendit M. Johnson en personne. Elle disposait du rapport de M. Patterson sur les recherches menées pour trouver un lieu d'accueil convenable (paragraphe 21 ci-dessus) ainsi que de son opinion quant à savoir si une libération inconditionnelle était indiquée. M. Patterson concluait qu'il n'était pas favorable à une libération sans conditions, craignant que le requérant, s'il était livré à lui-même sans aucun soutien, ne se retrouve de nouveau rapidement en difficulté. Il préconisait un séjour d'essai de huit semaines dans un hôpital de la région, ce qui permettrait ensuite à M. Johnson d'être accepté au foyer d’Ashcroft.

23.  La commission se pencha également sur un rapport du Dr Wilson en date du 12 février 1990. Celui-ci y confirmait que le requérant ne souffrait plus d'aucun trouble mental et déclarait que les conditions précédemment mises à sa libération restaient inchangées mais qu'il n'avait pas encore été possible de trouver un lieu d'accueil adéquat. Le médecin recommandait une libération dès qu'une solution satisfaisante aurait été trouvée.

24.  La commission constata dans sa décision du 9 mai 1990 qu'il n'avait pas été facile de prendre les dispositions nécessaires en vue d'un hébergement surveillé « probablement parce que le patient lui-même n'est pas facile à contenter ». La commission se rangea à l'avis exprimé lors du contrôle de 1989 (paragraphe 18 ci-dessus). Elle reconnut que le requérant avait une nette préférence pour une libération inconditionnelle mais considéra cependant qu'il était dans l'intérêt de celui-ci et de la société que « le patient puisse être réinterné si nécessaire et bénéficie du soutien accompagnant une libération conditionnelle ».

C'est pourquoi la commission ordonna de nouveau la libération sous conditions, mais en la différant jusqu'à ce qu'un lieu d'accueil surveillé ait pu être trouvé.

H.Liberté à l'essai du requérant

25.  Le 10 septembre 1990, le requérant entama une période de liberté à l'essai à l'hôpital de Carlton Hayes, une institution de moindre sécurité que l'hôpital de Rampton (paragraphe 22 ci-dessus). On lui accorda plus de liberté : il avait des permissions de sortie. Le 9 octobre 1990, après avoir bu dans un bar du voisinage, il revint à l'hôpital tard dans la nuit et agressa un malade qui, selon lui, l'avait provoqué. A partir de ce moment, son séjour fut remis en cause. Dans un rapport du 12 décembre 1990, le Dr Cameron, psychiatre qui suivait le requérant, nota que celui-ci avait terrorisé les infirmières et commencé à se rebeller contre les projets de réadaptation prévus pour lui. Il fut réintégré à l'hôpital de Rampton le 22 octobre 1990.

De retour dans cette institution, M. Johnson eut le choix entre revenir dans le service accueillant les patients destinés à une prochaine sortie, où il pourrait se préparer par d'autre méthodes à une telle éventualité, ou être affecté dans un autre service pour patients de longue durée. Le requérant opta pour cette dernière solution.

I.Le contrôle de 1991

26.  La commission effectua un sixième contrôle en avril 1991, au cours duquel elle se pencha sur les rapports établis par le Dr Wilson le 4 janvier 1991, par le Dr Cameron en décembre 1990 (paragraphe 25 ci-dessus) ainsi que par M. Patterson le 22 janvier 1991.

27.  Le Dr Wilson faisait état de l'échec de la période de liberté à l'essai (paragraphe 25 ci-dessus) ainsi que des difficultés rencontrées pour ranimer la motivation du requérant. Il concluait :

« [le requérant] ne souffre d'aucune maladie mentale et il n'est pas nécessaire qu'il reste interné à l'hôpital de Rampton. Depuis juin 1989, les tentatives menées pour obtenir sa libération conditionnelle ont échoué en raison de son incapacité à respecter les dispositions prises ; il est désormais difficile de prévoir des modalités de libération sous conditions qui lui agréent. »

28.  Dans son rapport du 12 décembre 1990, le Dr Cameron se déclarait pessimiste quant à l'avenir du requérant en raison de l'échec de la tentative de liberté à l'essai. Selon lui, l’intéressé était atteint de troubles explosifs du comportement, c'est-à-dire que « lorsqu'il n'est pas en pleine crise, il ne souffre pas de maladie mentale à proprement parler ». Le Dr Cameron se déclarait convaincu que l'abus de drogue et d'alcool avait joué un certain rôle dans la faillite du processus de réadaptation et que le requérant connaîtrait de nouvelles crises dès qu'il serait remis en liberté et pourrait se procurer ces produits. Le Dr Cameron pensait également que toute autre
tentative de réadaptation par les méthodes générales de la psychiatrie ne conviendrait pas et, pour cette raison, ne souhaitait pas continuer à assurer le suivi psychiatrique du requérant.

29.  M. Patterson constatait dans son rapport que le fait que le requérant n'ait pu achever avec succès la période de liberté à l'essai impliquait que le foyer d'Ashcroft refuserait de l'accueillir.

30.  Le 9 avril 1991, la commission constata que le requérant ne souffrait d'aucune maladie mentale, d’aucun trouble psychopathique, d’aucune altération des facultés mentales, légère ou prononcée, ni d’aucune autre forme de trouble qui, par sa nature ou son  intensité, nécessite un traitement médical en hôpital. Elle était toutefois convaincue qu'il fallait conserver la possibilité de réinterner le requérant en vue d'une reprise du traitement, parce qu'il n'était pas suffisamment responsable de ses actes pour être à même de résister aux pressions de la vie en société sans un degré considérable de surveillance et de soutien. Aussi ordonna-t-elle à nouveau la libération conditionnelle du requérant, différée jusqu'à ce qu'on lui trouve un hébergement surveillé.

J.Le contrôle de 1993

31.  Le dernier contrôle eut lieu en janvier 1993. Le requérant avait auparavant été examiné par le Dr Wilson, selon lequel il ne présentait aucun symptôme de maladie mentale et, sous réserve de ne pas aborder la question de la réadaptation, se montrait en toutes circonstances agréable, amical et serviable. Le médecin concluait :

« Il n'y a aucune raison de continuer à considérer [le requérant] comme un malade mental et, avec le recul, il semble probable qu'il n'a jamais souffert d'autre chose que d'une psychose induite par la drogue. (...) Il n'est pas nécessaire qu'il reste à l'hôpital de Rampton ; il est toutefois difficile de trouver des modalités de libération conditionnelle qui lui agréent, raison pour laquelle il convient désormais d'examiner le bien-fondé de sa demande de libération inconditionnelle. »

32.  Le 12 janvier 1993, la commission ordonna l'élargissement sans conditions du requérant au motif que celui-ci 

« ne souffre plus désormais d'aucune forme de trouble mental et qu'il ne convient pas qu'il reste susceptible d'être réintégré à l'hôpital pour une reprise du traitement ».

33.  Le tribunal s'appuya sur le témoignage oral du Dr Wilson, notant que, selon celui-ci, le requérant n'était plus atteint de maladie mentale depuis 1987 et ne présentait aucune autre forme de trouble psychique. L'intéressé ne prenait plus de médicaments depuis 1988, se comportait avec égards et gentillesse envers les autres patients de son service et « agissait souvent plus comme un membre du personnel que comme un malade ».


De surcroît, la commission releva que, de l'avis du Dr Wilson, l'infraction à l'origine de son internement devait être considérée comme découlant, non d'une maladie mentale mais plus vraisemblablement de l'absorption combinée de drogue et d'alcool. Pendant sa détention provisoire, le requérant avait traversé un épisode psychotique que le Dr Wilson attribuait à la tension résultant de l'emprisonnement et à l'arrêt de la consommation de drogue et d'alcool. Selon le médecin, rien ne laissait présager une récidive et aucun élément, sur le plan médical, ne portait à croire que le requérant se montrerait dangereux s'il était libéré.

Tout en prenant en compte l'avis du ministre selon lequel seule était indiquée à ce stade une libération conditionnelle, la commission conclut qu'il était approprié, et favorable à l'intérêt de la justice, d'accorder au requérant un élargissement sans conditions.

K.La libération inconditionnelle du requérant

34.  Le requérant sortit de l'hôpital de Rampton le 21 janvier 1993. Depuis lors, il n'a pas connu de récidive des troubles mentaux. A l'audience, la Cour a appris qu'il avait été libéré sous conditions après avoir été condamné pour une légère infraction à l'ordre public résultant d'une altercation avec un voisin. Il a également été inculpé de culture de cannabis.

II.Le droit et la pratique internes pertinents

A.Trouble mental

35.  L'article 1 § 2 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983 – « la loi de 1983 ») définit le « trouble mental » comme une maladie mentale, un développement intellectuel interrompu ou incomplet, un trouble psychopathique ou tout autre désordre ou faiblesse d'esprit. Un trouble de la personnalité ne suffirait pas à justifier un internement, à moins qu'il ne s'agisse d'un trouble psychopathique, à savoir « un trouble ou une faiblesse d'esprit persistants (avec ou sans retard intellectuel prononcé) entraînant un comportement anormalement agressif ou une conduite nettement irresponsable de la part de l'intéressé ».

Aux termes de l'article 1 § 3 de la loi, la dépendance à l'égard de l'alcool ou de la drogue ne saurait passer pour une forme de trouble mental.


B.Ordonnance d'internement

36.  L'article 37 de la loi de 1983 habilite les tribunaux à ordonner l'internement, dans un hôpital désigné, des personnes reconnues coupables d'une infraction pénale punie d'une peine d'emprisonnement (« ordonnance d'internement  »).

37.  Un tribunal ne peut émettre une telle ordonnance que si le témoignage écrit ou oral de deux médecins l'a convaincu que le délinquant souffre d'un trouble mental (paragraphe 35 ci-dessus) et que 

« le trouble mental justifie, par son caractère ou son ampleur, l'internement de l'intéressé en hôpital pour qu'il y suive un traitement et, en cas de trouble psychopathique ou de retard mental, que pareil traitement est susceptible de ralentir ou de prévenir une aggravation de son état » (article 37 § 2 a) i))

et

« eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, notamment la nature de l'infraction, la personnalité du délinquant, ses antécédents et les autres solutions possibles, qu'[une ordonnance d'internement] constitue le moyen le plus indiqué » (article 37 § 2 b) ii)).

L'article 37 § 7 dispose que l'ordonnance d'internement doit préciser la ou les formes de trouble mental dont souffre le délinquant, avec l'attestation de deux médecins.

C.Ordonnance restrictive

38.  L'article 41 de la loi de 1983 habilite les tribunaux à rendre, au même moment que l'ordonnance d'internement, une ordonnance restrictive (restriction order) (assortie ou non d'une limite dans le temps), qui confère notamment au ministre des pouvoirs accrus de contrôle sur les transfèrements d'un patient. Un tribunal peut émettre pareille ordonnance lorsque cela lui paraît nécessaire pour protéger le public de préjudices graves, compte tenu de la nature de l'infraction, des antécédents du délinquant et du risque de le voir commettre de nouvelles infractions s'il reste en liberté. Cette mesure permet également de réinterner ou d'élargir un patient sous conditions à tout moment et limite les pouvoirs de la commission de contrôle psychiatrique (paragraphe 39 ci-dessous), qui peut moins facilement ordonner la libération de tels patients que celle des malades mentaux ordinaires.


D.La commission de contrôle psychiatrique (« la commission »)

39.  En vertu de l'article 70 de la loi de 1983, une personne assujettie à une ordonnance d'internement et à une ordonnance restrictive et internée en hôpital peut demander à la commission de contrôler sa détention lorsque celle-ci dure depuis six mois. Au bout de douze mois, les demandes peuvent être formulées chaque année. Le ministre peut à tout moment soumettre à la commission le cas d'un tel patient (article 71 de la loi de 1983). Les commissions se composent d'un juriste qui fait fonction de président, d'un médecin qui examine le patient et d'une troisième personne.

E.Libération inconditionnelle

40.  En vertu de l'article 73 §§ 1 et 2 de la loi de 1983 combiné avec l'article 72 § 1, lorsque la commission est saisie par un patient sous le coup d'une ordonnance restrictive ou par le ministre, elle doit ordonner sa libération inconditionnelle lorsqu'elle est convaincue :

a)i. que le patient ne présente pas à ce moment-là de maladie mentale, trouble psychopathique, altération des facultés mentales, légère ou prononcée, ou toute autre forme de trouble qui, par sa nature ou son intensité, nécessite son internement pour traitement médical nécessaire ; ou

ii. qu'il n'est pas nécessaire, pour la santé ou la sécurité du patient ou pour la protection d'autrui, qu'il reçoive un tel traitement (article 73 § 1 de la loi de 1983) ; et

b)qu'il ne convient pas de conserver la possibilité de réinterner le patient en vue d'une reprise du traitement (article 73 § 2 de la loi de 1983).

41.  Aux termes de l'article 73 § 3, un patient élargi sans conditions cesse d'être assujetti à l'ordonnance d'internement et l'ordonnance restrictive cesse de déployer ses effets.

F.Elargissement sous conditions

42.  L'article 73 § 2 de la loi de 1983 dispose que, lorsque la commission est convaincue du respect des conditions énoncées au point a) figurant au paragraphe 40 ci-dessus, mais non de celles citées au point b), elle doit ordonner la libération sous conditions du patient. En prononçant la décision en l'affaire R. v. Merseyside Mental Health Review Tribunal, ex parte K (All England Law Reports, Court of Appeal 1990, vol. 1), Lady Justice Butler-Ross a déclaré à ce sujet :


« L'article 73 habilite la commission à ordonner une libération sous conditions et à conserver un certain contrôle sur des patients qui ne souffrent pas à ce moment de trouble mental, ou en sont atteints mais pas au point de justifier un internement psychiatrique. Cette disposition apparaît comme conçue tant pour le soutien du patient dans la collectivité que pour la protection du public ; il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire important confié à une commission indépendante, qui ne saurait être écarté à la légère en l'absence d'indication nette. » (pp. 699–700)

43.  En vertu de l'article 73 § 4 de la loi de 1983, un patient libéré sous conditions peut être réinterné sur ordre du ministre et doit se conformer aux conditions prescrites. Contrairement à un malade élargi sans conditions, le premier reste assujetti à l'ordonnance d'internement formulée à son égard.

44.  Conformément à l'article 73 § 7 de la loi de 1983, une commission peut différer la libération conditionnelle d'un malade sous le coup d'une ordonnance restrictive jusqu'à ce que des arrangements qu'elle juge satisfaisants aient été pris en vue de cette libération. Toutefois, lorsque tel est le cas, la commission n'est pas habilitée à ordonner l'élargissement si les conditions spécifiées ne sont pas remplies, à reporter l'examen de l'affaire pour voir comment les choses évoluent, à recommander que le patient bénéficie d'autorisations de sortie ni à fixer une date limite pour le respect des conditions et, à défaut, reprendre l'examen de l'affaire. En revanche, lorsque l'affaire revient devant elle à la demande du patient (ce qui ne peut intervenir au plus tôt que l'année suivante) ou du ministre (ce qui peut se produire à tout moment), la commission doit reprendre le dossier. En l'affaire Secretary of State for the Home Department v. Oxford Regional Mental Health Review Tribunal and another (All England Law Reports, House of Lords 1987, vol. 3), Lord Bridge a estimé que ni la loi de 1983 ni la réglementation sur la commission de contrôle psychiatrique ne prévoyaient d'assortir d'un délai le report de la libération conditionnelle. Selon ses termes :

« (…) lorsqu'elle ordonne une libération conditionnelle différée, une commission ne peut en aucun cas prévoir combien de temps il faudra pour prendre les dispositions nécessaires. Elle doit simplement indiquer que la libération est différée jusqu'à ce que des arrangements qu'elle juge satisfaisants aient été pris et préciser lesquels sont nécessaires, ce qui peut sans aucun doute habituellement se faire en renvoyant aux conditions imposées. Il convient ensuite de prendre ces mesures dans les meilleurs délais et, une fois cela fait, de soumettre de nouveau le dossier à la commission dès que possible (…) » (p. 13)

45.  Le ministre peut également ordonner la libération du patient, avec ou sans conditions (article 42 de la loi de 1983).

PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION

46.  Dans sa requête du 8 juillet 1993 à la Commission (n° 22520/93), M. Johnson se plaignait de ce que la prolongation de sa détention de juin 1989 à janvier 1993 emportait violation de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention. Il dénonçait également une atteinte à l'article 3 de la Convention en raison de la durée globale de sa détention, y compris le fait d'avoir été interné alors qu'il ne souffrait plus de maladie mentale. Il affirmait enfin que les conditions dans lesquelles il avait été libéré étaient contraires à l'article 8 de la Convention.

47.  La Commission a retenu la requête le 18 mai 1995 quant aux griefs tirés de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 (quinze voix contre une) et que la doléance tirée de l'article 5 § 4 ne soulève aucune question distincte (quinze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt[4].

CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR

48.  Dans son mémoire et à l'audience, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il n'y a pas eu violation des droits garantis au requérant par l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

49.  De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu'il y a eu violation en son chef des droits reconnus par l'article 5 §§ 1 et 4 et l'article 8 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention. A l'audience, il a maintenu ses griefs sur le terrain de l'article 5 §§ 1 et 4, mais non celui tiré de l'article 8 de la Convention.

EN DROIT

i.sur lA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'article 5 § 1 DE LA CONVENTION

50.  Selon le requérant, son internement entre le 15 juin 1989, date où la commission  de contrôle psychiatrique a pour la première fois estimé qu'il ne présentait plus de trouble mental, et le 12 janvier 1993, date de sa libération sans conditions, est contraire à l'article 5 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

e) s'il s'agit de la détention régulière (…) d'un aliéné (...)

(…) »

51.  M. Johnson soutient à titre principal que la commission réunie en juin 1989 aurait dû ordonner sa libération immédiate et inconditionnelle. Vu la force des rapports psychiatriques qui lui avaient été soumis (paragraphes 17–19 ci-dessus) et l'appréciation qu'elle avait faite de son état, elle était convaincue que le requérant ne présentait plus de trouble mental. La commission est ensuite parvenue au même constat lors de trois nouveaux contrôles avant qu'il ne sorte définitivement de l'hôpital de Rampton. Il s'appuie sur l'arrêt rendu par la Cour en l'affaire Winterwerp c. Pays-Bas (24 octobre 1979, série A n° 33) pour affirmer que les autorités ne pouvaient invoquer une quelconque marge d'appréciation pour justifier son maintien en détention au-delà du 15 juin 1989, hormis le bref délai qui pouvait se révéler nécessaire pour prendre les dispositions utiles à sa libération. Selon lui, il était complètement remis de l'épisode de trouble mental mentionné dans l'ordonnance d'internement émise par le tribunal interne à son encontre (paragraphe 9 ci-dessus). La commission n'aurait pas été fondée à lui refuser une libération immédiate et inconditionnelle au motif que sa maladie mentale risquait de récidiver, puisque tout danger de ce type avait été écarté grâce au traitement suivi à l'hôpital de Rampton.

52.  Tout en reconnaissant, à titre subsidiaire, que la libération d'une personne jugée guérie de sa maladie mentale peut être assortie de certaines conditions, le requérant affirme que celles-ci ne doivent pas empêcher sa libération d'intervenir immédiatement ou dans les plus brefs délais et, en tout cas, ne doivent pas la retarder de manière excessive, comme cela a été le cas pour lui. L’obliger à séjourner dans un foyer aurait constitué non seulement une exigence contraignante, inutile et disproportionnée, pouvant passer pour emporter à elle seule violation de l'article 5 § 1 de la Convention si elle avait été mise à exécution ; cela aurait en outre retardé de trois ans et sept mois sa libération définitive. Lorsqu'elle a fixé cette condition, la commission réunie en 1989 n'aurait eu ni le pouvoir juridique d'obliger un foyer à l'héberger ni celui d'imposer une date limite pour y satisfaire. Le requérant soutient qu'il n'est pas responsable de l’impossibilité de lui trouver une place dans un foyer adapté et du retard qu'a pris sa libération puisque les foyers pressentis avaient tous refusé de l'accueillir.

53.  Tout en contestant la légalité de la condition de séjour en foyer (paragraphe 52 ci-dessus) ainsi que son caractère bénéfique, le requérant affirme qu'il incombait aux autorités de lui assurer une place dans un foyer sinon sur-le-champ, du moins dans un délai de quelques semaines, puisque cette mesure leur semblait indispensable. En aucun cas la marge d'appréciation ou un manque de ressources ne saurait justifier que sa libération ait été retardée de trois ans et demi pour lui trouver un hébergement.

54.  Le Gouvernement, pour sa part, estime que l'article 5 § 1 e) de la Convention ne saurait être interprété comme exigeant des autorités qu'elles ordonnent dans tous les cas la libération immédiate et inconditionnelle d'un patient ne présentant plus de trouble mental. Cela aurait signifié en l'occurrence que la commission réunie en 1989 n'avait pas à rechercher s'il était dans l'intérêt du requérant et dans celui de la collectivité de le libérer sur-le-champ et sans conditions parce qu'il paraissait guéri. Or la commission devait disposer d'une marge de manœuvre suffisante pour juger de la situation à ces deux égards en tenant compte des antécédents du requérant – accès subits de  violence s'exerçant sans discrimination – et du caractère imprévisible des maladies mentales, notamment lorsque, comme dans le cas de l'intéressé, elles se traduisent par des comportements violents.

55.  Vu ces considérations, le Gouvernement estime que la commission avait des motifs d'ordonner une libération sous conditions. Les rapports des docteurs Wilson et Cameron confirmaient qu'il y avait lieu de faire preuve de prudence puisqu'ils estimaient tous deux que l'intéressé n'était pas encore en état de bénéficier d'une libération inconditionnelle, mais devait auparavant passer par une période de réadaptation dans un foyer surveillé (paragraphe 17 ci-dessus). Cette condition n'était ni contraignante ni restrictive mais constituait une composante fondamentale du traitement du requérant, devant permettre aux autorités de juger si sa guérison apparente se confirmait en dehors de l'hôpital de Rampton.

56.  Le Gouvernement affirme que les autorités ont déployé des efforts considérables pour trouver un foyer adapté, dès avant la réunion de la commission de juin 1989 (paragraphe 17 ci-dessus), mais que l'intransigeance et le manque de bonne volonté du requérant, notamment après octobre 1990, ne leur ont pas facilité la tâche (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). De fait, il a fallu treize mois pour trouver un foyer acceptant de le recevoir moyennant conditions (paragraphe 21 ci-dessus). En outre, il était nécessaire et inévitable que la recherche d'un hébergement surveillé à l'issue de la libération prenne un certain temps car il fallait prévoir et organiser les choses avec attention. En raison des antécédents du requérant, il fallait choisir avec un soin particulier le foyer qui allait l'héberger. Puisqu'il n'avait pas été satisfait à la condition prescrite, la commission, lors de ses contrôles de 1990 et 1991, avait toute raison de continuer à repousser sa libération, notamment après l'incident survenu à Carlton Hayes (paragraphe 25 ci-dessus), qui avait confirmé l'avis de la commission de 1989 selon lequel on ne pouvait exclure une récidive de la maladie mentale.

57.  La Commission estime qu'en l'occurrence la commission de contrôle psychiatrique réunie en 1989 était fondée à faire montre de prudence compte tenu des intérêts en jeu et des antécédents de violence de l'intéressé. Cependant, même si une libération graduelle retardant quelque peu l'élargissement pouvait en principe se justifier, celui du requérant ne pouvait être indéfiniment repoussé. Ni la commission ni les autorités n'avaient compétence pour obliger un foyer à l'accueillir ou pour imposer de lui trouver une place dans un délai donné, faute de quoi il aurait dû être libéré ou son dossier renvoyé devant la commission. C'est pourquoi la Commission considère que la détention du requérant après juin 1989, quelle qu'ait été l'attitude de ce dernier pendant la recherche d'un foyer, a emporté violation de l'article 5 § 1 de la Convention.

58.  La Cour relève d'emblée qu'il convient d'examiner la régularité de la détention du requérant après le 15 juin 1989 au regard du seul article 5 § 1 e) de la Convention, même si la légalité de sa détention, au moins antérieurement à cette date, peut aussi relever de l'article 5 § 1 a), puisqu'elle résultait d'une « condamnation par un tribunal compétent », au sens de cet alinéa. Le fait qu'un des motifs cités à l'article 5 § 1 soit applicable n'empêche pas nécessairement qu'un autre le soit aussi et une détention peut se justifier sous l'angle de plus d'un alinéa (voir l'arrêt Eriksen c. Norvège du 27 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, pp.  861–862, § 76) ; cependant, il faut noter que le requérant a été détenu à l'hôpital de Rampton conformément à une ordonnance d'internement et à une ordonnance restrictive non limitée dans le temps, émises en vertu de la loi de 1983 sur la santé mentale, en vue de subir un traitement psychiatrique (paragraphe 9 ci-dessus). Nul n'a d'ailleurs contesté que la légalité de la détention du requérant après le 15 juin 1989 doive être appréciée au regard de l'article 5 § 1 e), et en aucun cas sous l'angle de l'article 5 § 1 a).

59.  La Cour note aussi que les comparants n'ont pas mis en doute le caractère conforme au droit interne du maintien du requérant en détention puisque l'article 73 §§ 2 et 7 de la loi de 1983 habilite la commission à assortir de certaines conditions la libération des patients ne présentant plus de trouble mental au sens de l'article 1§ 2 de ladite loi et à la différer jusqu'à ce que ces conditions soient satisfaites. De son côté, la Cour ne voit aucune raison de penser que le maintien du requérant en détention ne respectait pas les normes de fond et de procédure régissant la libération conditionnelle, immédiate ou différée. Elle relève que la Cour d'appel a qualifié de pouvoir discrétionnaire important la compétence du tribunal d'ordonner la libération conditionnelle plutôt que sans conditions d'une personne ne présentant plus de trouble mental (paragraphe 42 ci-dessus) ; de plus, la Chambre des lords a affirmé que la commission était dotée de la compétence de différer une libération conditionnelle sans imposer que les dispositions nécessaires soient prises dans un délai donné (paragraphe 44 ci-dessus).

60.  La Cour souligne toutefois que la légalité au regard du droit interne du maintien du requérant en détention n'est pas seule en jeu. Il convient aussi de rechercher si la détention après le 15 juin 1989 était conforme au but de l'article 5 § 1 de la Convention, lequel interdit les privations de liberté arbitraires (voir notamment l'arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A n° 185-A, p. 11, § 24), ainsi qu'à l'objectif de la restriction figurant à l'alinéa e) (voir l'arrêt Winterwerp précité, p. 17, § 39). A ce dernier égard, la Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l'internement ; troisièmement, et seul ce critère s'applique en l'espèce, l'internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir l'arrêt Winterwerp précité, pp. 21–22, § 40, et l'arrêt Luberti c. Italie du 23 février 1984, série A n° 75, pp. 12–13, § 27).

61.  M. Johnson fait valoir que la commission réunie en 1989 était convaincue de ce qu'il ne présentait plus le trouble mental qui avait motivé son internement à l'hôpital de Rampton et qu'en conséquence, la troisième condition mentionnée ci-dessus – persistance du trouble mental – n'était pas remplie, ce qui aurait dû conduire à son élargissement immédiat et inconditionnel.

La Cour ne saurait accueillir cette thèse. A son avis, ce n'est pas parce que des institutions spécialisées ont constaté la disparition du trouble mental qui a motivé l'hospitalisation forcée d'un patient que celui-ci doit être automatiquement élargi sur-le-champ et sans conditions pour reprendre une vie normale dans la société.

Une interprétation aussi rigide de cette condition limiterait de manière inacceptable la liberté de jugement des autorités lorsqu'elles évaluent, en fonction de l'ensemble des circonstances propres à chaque cas, si pareille libération servirait au mieux les intérêts du patient et de la collectivité où il doit retourner vivre. Il faut aussi tenir compte de ce qu'en matière de maladie mentale, il est impossible d'établir sans aucun risque d'erreur si la
disparition des symptômes d'une maladie vaut confirmation d'une guérison totale. On ne peut pas toujours dire avec une certitude absolue si un patient est guéri de l'épisode de maladie mentale qui a justifié son internement de manière totale et définitive ou seulement en apparence. C'est le comportement du patient au cours de la période qu'il passe en dehors de l'enceinte de l'institution psychiatrique qui est à cet égard concluant.

62.  La Cour rappelle d'ailleurs que, dans son arrêt Luberti précité (pp. 13–15, § 29), elle a admis que la levée de l'internement d'un individu reconnu jadis, par une juridiction, comme un aliéné dangereux pour la société concerne, outre l'intéressé, la communauté dans laquelle il va vivre si on l'élargit. Etant donné le caractère impérieux des intérêts en jeu et notamment l’extrême gravité de l'infraction commise par M. Luberti alors qu'il souffrait de trouble mental, elle a estimé que, dans cette affaire, les autorités devaient témoigner de prudence et avaient besoin de quelque temps pour se prononcer sur la libération de l'intéressé, même si les expertises médicales donnaient à penser qu'il était guéri.

63.  Pour la Cour, il faut aussi reconnaître à l'autorité responsable une latitude comparable pour décider si, eu égard à toutes les circonstances pertinentes et aux intérêts en jeu, il convient réellement d'ordonner la libération immédiate et absolue d'une personne ne présentant plus le trouble mental qui lui a valu d'être internée. Cette autorité doit pouvoir conserver un certain contrôle sur les progrès de cette personne après son retour à la vie dans la communauté et donc assortir sa libération de certaines conditions. On ne saurait non plus exclure qu'une condition particulière nécessite dans certains cas un ajournement de l'élargissement en raison de la nature de cette condition et des motifs qui ont conduit à l'imposer. L'existence de garanties revêt donc la plus haute importance, en sorte que le report de la libération soit conforme au but de l'article 5 § 1 et à la restriction énoncée à l'alinéa e) (paragraphe 60 ci-dessus), et en particulier qu'il n'ait pas une durée excessive.

64.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que la commission réunie en 1989 pouvait à bon droit conclure qu'il était prématuré d'autoriser M. Johnson à sortir sans délai ni conditions de l'hôpital de Rampton. S'il est vrai que la commission était convaincue, à l'issue de sa propre analyse et au vu des rapports médicaux qui lui avaient été soumis (paragraphes 17 et 18 ci-dessus), que le requérant ne présentait plus de trouble mental, elle a malgré tout considéré qu'il convenait en l'occurrence d'ordonner une libération conditionnelle graduelle. Elle note que ce point de vue avait l'approbation des docteurs Cameron et Wilson, ce dernier ayant suivi le requérant de près depuis le 3 novembre 1987 (paragraphe 10 ci-dessus). Etant un organisme de contrôle spécialisé comprenant un médecin ayant rencontré le requérant
(paragraphe 39 ci-dessus), la commission pouvait légitimement tenir compte du fait que peu auparavant, le 10 février 1988 (paragraphe 16 ci-dessus), on avait constaté que le requérant souffrait toujours d’un trouble mental qui s'était manifesté, avant son hospitalisation, par des actes subits de violence sur des personnes qui ne l'avaient pas provoqué. C'est pourquoi on ne saurait considérer comme déraisonnable la décision de la commission, prenant en compte l'avis des docteurs Wilson et Cameron, de placer l’intéressé sous le contrôle d'un psychiatre et d'un travailleur social et de lui imposer une période de réadaptation dans un foyer au motif que « l'on ne saurait exclure la réapparition de troubles mentaux nécessitant un nouvel internement » (paragraphe 18 ci-dessus). En principe, la commission était aussi fondée à différer la libération du requérant afin de permettre aux autorités de trouver un foyer correspondant au mieux à ses besoins et lui fournissant le meilleur cadre pour réussir sa réadaptation.

65.  En ce qui concerne les conditions accompagnant la libération de M. Johnson, il convient de noter que celle prévoyant qu'il reste sous la surveillance du Dr Cameron, psychiatre, et de M. Patterson, travailleur social (paragraphe 19 ci-dessus), ne l'aurait pas empêché de quitter immédiatement l'hôpital de Rampton pour reprendre une vie normale ; elle ne saurait donc soulever une question au titre de l'article 5 § 1 de la Convention.

66.  Cependant, la commission a imposé au requérant de résider dans un foyer et a repoussé sa libération jusqu'à ce que des dispositions satisfaisantes aient pu être prises à cette fin, sans être en mesure de garantir que celui-ci serait placé en un lieu adapté dans un délai raisonnable. Il incombait aux autorités de trouver un foyer acceptant d'accueillir le requérant. Il faut noter qu'on attendait d'elles qu'elles règlent cette question dans les meilleurs délais (paragraphe 44 ci-dessus). Alors qu’elles faisaient leur possible pour rechercher un lieu d'accueil, elles n'ont pu y parvenir en raison des réticences exprimées par certains foyers et de l'attitude négative du requérant devant les propositions qui lui étaient faites (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Elles devaient également compter avec le faible nombre de places disponibles. Un foyer convenable aurait certes pu être trouvé sans trop tarder si le requérant avait envisagé sa réadaptation de manière plus positive. Cela ne démontre cependant en rien la fausseté du constat selon lequel ni la commission ni les autorités ne possédaient les pouvoirs nécessaires pour contraindre à respecter cette condition dans un délai raisonnable. De plus, le requérant ne pouvait obtenir le contrôle de son maintien en détention qu'au plus tôt un an après celui effectué en juin 1989 (paragraphe 44 ci-dessus). Il ne pouvait demander à la commission de reconsidérer les termes de la condition de résidence en foyer entre deux contrôles ; la commission n'était pas non plus habilitée à surveiller à intervalles réguliers, en dehors des contrôles annuels, ce qu'il en était de la recherche d'un foyer ni à modifier l'ordonnance de libération conditionnelle différée en fonction des difficultés rencontrées par les autorités. Même si le ministre avait la possibilité de soumettre à n’importe quel moment le dossier du requérant à la commission (paragraphe 44 ci-dessus), il était peu probable qu'il prît cette mesure car, lors de la réunion de la commission de janvier 1993, les autorités étaient encore opposées à une libération non précédée d'un séjour en foyer (paragraphe 33 ci-dessus).

67.  Dans ces circonstances, force est de conclure que la condition de résidence en foyer émise par la commission en juin 1989 a entraîné un report indéfini de la sortie du requérant de l'hôpital de Rampton, notamment parce qu'après octobre 1990, celui-ci n'a pas continué à coopérer avec les autorités pour rechercher un foyer, excluant par là toute possibilité de satisfaire à cette condition. Lors de ses contrôles de 1990 et 1991, la commission a certes repris entièrement l'étude du dossier, mais elle était tenue d'ordonner une prolongation de la détention puisque la condition mise à la libération par la commission de 1989 n'avait pas encore été respectée.

Compte tenu de la situation créée par la décision émanant de cette dernière commission et de l'absence de garanties adéquates, notamment un contrôle juridictionnel assurant que la libération du requérant ne soit pas retardée de manière excessive, il y a lieu de considérer que la prolongation de l’internement après le 15 juin 1989 ne saurait se justifier au regard de l'article 5 § 1 e) de la Convention (paragraphe 63 ci-dessus).

Partant, la Cour conclut que le maintien du requérant en détention après le 15 juin 1989 a emporté violation de l'article 5 § 1 de la Convention.

68.  Vu cette conclusion, la Cour n'entend pas examiner la thèse du requérant selon laquelle la condition de résidence en foyer constituait en soi une violation de l'article 5 § 1 de la Convention étant donné qu'elle n'a jamais été mise en œuvre (paragraphe 52 ci-dessus).

iI.sur lA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'article 5 § 4 DE LA CONVENTION

69.  M. Johnson allègue en outre que sa détention a enfreint l'article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

70.  Il fait valoir que la commission de 1989 a émis une ordonnance de libération conditionnelle différée sans jouir des pouvoirs judiciaires nécessaires pour s'assurer du respect des dispositions prévues. Elle n'avait pas compétence pour obliger un foyer à accueillir M. Johnson (paragraphe 52 ci-dessus) ni pour imposer une date limite pour le respect de cette condition. La commission ne bénéficiait donc pas des pouvoirs d'un tribunal aux fins de l'article 5 § 4.


71.  La Commission estime que le grief du requérant sur le terrain de l'article 5 § 4 ne soulève aucune question distincte eu égard à sa conclusion au titre de l'article 5 § 1. Le Gouvernement conteste la conclusion tirée par la Commission quant à l'article 5 § 1 mais approuve la manière dont elle traite de la doléance relative à l'article 5 § 4.

72.  La Cour constate que les questions posées par le requérant sous l'angle de cette disposition ont déjà été examinées avec le grief tiré de l'article 5 § 1. Comme la Commission, elle conclut que la plainte tirée de l'article 5 § 4 ne suscite aucune question distincte.

iII.sur l'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

73.  Le requérant prie la Cour de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention, ainsi libellé :

« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision pise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »

A.Dommage moral

74.  M. Johnson réclame 100 000 livres sterling (GBP) en réparation du dommage résultant de l'irrégularité de sa détention entre le 15 juin 1989 et le 12 janvier 1993. Il s'est efforcé de justifier ce montant en invoquant les sommes allouées par les tribunaux anglais en cas d'emprisonnement abusif. Se référant à la réparation accordée au requérant en l'affaire Loukanov c. Bulgarie (arrêt du 20 mars 1997, Recueil 1997-II), il a suggéré devant la Cour que celle-ci ne lui accorde pas une somme inférieure à 43 000 GBP eu égard à la durée de sa détention.

75.  Le délégué de la Commission attire l'attention de la Cour sur le fait que la jurisprudence interne citée par le requérant se rapporte à des cas d'emprisonnement abusif ne pouvant se comparer aux circonstances de l'espèce. En effet, l'internement du requérant après le 15 juin 1989 était conforme au droit interne, à savoir la loi de 1983 sur la santé mentale.

76.  Le Gouvernement estime qu'un constat de violation de la Convention constituerait une satisfaction équitable. Si la Cour devait allouer une réparation, il conviendrait en tout état de cause que cette dernière reste modeste étant donné que la durée de la détention était largement due au comportement du requérant.


77.  S'il est vrai que celui-ci a fait un séjour d'une durée excessive dans une institution psychiatrique de haute sécurité après que l’on eut prouvé de manière concluante qu'il ne souffrait plus de maladie mentale, on doit aussi reconnaître que le retard avec lequel il a été élargi ne saurait être entièrement attribué aux autorités. Tout d'abord, il fallait inévitablement un certain temps pour trouver un foyer adapté à la situation du requérant (paragraphe 64 ci-dessus). Ensuite, l'attitude négative de celui-ci à l'égard de sa réadaptation n'a pas facilité la tâche des autorités et, après octobre 1990, il a refusé de continuer à les aider à chercher une place dans un foyer. Compte tenu de tous ces facteurs, la Cour décide de lui allouer la somme de 10 000 GBP.

B.Frais et dépens

78.  Le requérant demande 39 221,50 GBP, taxe sur la valeur ajoutée comprise, en remboursement des frais et dépens exposés pour la procédure devant les institutions de la Convention. Il a bénéficié de l'assistance judiciaire du Conseil de l'Europe.

79.  Le délégué de la Commission ne se prononce pas au sujet de la somme réclamée. Le Gouvernement propose un maximum de 25 000 GBP, arguant que certains des frais n'étaient ni nécessaires ni raisonnables.

80.  Après avoir examiné le décompte détaillé des frais soumis par le requérant, la Cour estime que la somme maximale proposée par le Gouvernement représente un montant équitable. Elle accorde donc au requérant 25 000 GBP, moins la somme versée par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire non prise en compte dans cette somme.

C.Intérêts moratoires

81.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable au Royaume-Uni à la date d'adoption du présent arrêt est de 8 % l'an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITé,

1.Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;

2.Dit que le grief tiré de l'article 5 § 4 de la Convention ne soulève aucune question distincte ;

  1. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 (dix mille) livres sterling pour dommage moral ;


b)que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, pour frais et dépens, 25 000 (vingt-cinq mille) livres sterling, taxe sur la valeur ajoutée comprise, moins 30 226 (trente mille deux cent vingt-six) francs français à convertir en livres sterling au taux applicable à la date de prononcé du présent arrêt ;

c)que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 8 % l'an, à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

  1. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 24 octobre 1997.

Signé : Rolv Ryssdal

Président

Signé : Herbert Petzold
Greffier


[1]1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.

[2]Notes du greffier

.  L'affaire porte le n 119/1996/738/937. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[3].  Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

[4].  Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE JOHNSON c. ROYAUME-UNI, 24 octobre 1997, 22520/93