CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE PAILOT c. FRANCE, 22 avril 1998, 32217/96

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 22 avril 1998

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 22 avr. 1998, n° 32217/96
Numéro(s) : 32217/96
Publication : Recueil 1998-II
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Silva Pontes c. Portugal, arrêt du 23 mars 1994, série A n° 286-A, p. 13, § 30
Pfeifer et Plankl c. Autriche, arrêt du 25 février 1992, série A n° 227, p. 16, § 37
Karakaya c. France, arrêt du 26 août 1994, série A n° 289-B, p. 43, §§ 30 et 34, p. 45, § 43
Vallée c. France, arrêt du 26 avril 1994, série A n° 289-A, p. 17, § 34, p. 18, § 38, p. 19, § 47
Martins Moreira c. Portugal, arrêt du 26 octobre 1988, série A n° 143, p. 16, § 44
X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A n° 234-C, p. 90, § 32, p. 91, § 36, p. 94, § 47
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire rejetée ; Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62716
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0422JUD003221796
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PAILOT c. FRANCE

(93/1997/877/1089)

ARRÊT

STRASBOURG

22 avril 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.


Liste des agents de vente

Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

  B-1000 Bruxelles)

Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher

  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)

Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat

  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye)


SOMMAIRE[1]

Arrêt rendu par une chambre

France – durée d'une procédure en réparation intentée par un hémophile infecté par le virus du sida à la suite de transfusions sanguines, au cours de laquelle un règlement amiable a été conclu devant la Commission

I.Article 6 § 1 de la Convention

A.Exception préliminaire du Gouvernement (irrecevabilité de la requête en raison du règlement amiable conclu devant la Commission au sujet d'une première requête portant sur la durée de la même procédure)

Seule la durée de la procédure jusqu'au jour de l'adoption du rapport entérinant le règlement amiable a été réglée.

Conclusion : rejet (unanimité).

B.Bien-fondé du grief

1. Période à considérer

Point de départ : lendemain de l’adoption du rapport de la Commission constatant la conclusion du règlement amiable.

Fin : prononcé de l'arrêt du Conseil d’Etat.

Résultat : un an et dix mois.

2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

Complexité de l'affaire : oui dans une certaine mesure, mais les données permettant de trancher la question de la responsabilité de l'Etat étaient disponibles depuis longtemps.

Comportement du requérant : n'a été à l'origine d'aucun retard.

Comportement des autorités nationales : enjeu de la procédure revêtant une importance extrême pour le requérant eu égard au mal qui le mine et exigeant une diligence exceptionnelle, nonobstant le nombre de litiges à traiter – une durée d’un an et dix mois après l’adoption du rapport de la Commission entérinant un règlement amiable pour obtenir un arrêt du Conseil d’Etat mettant un terme à une procédure qui avait déjà duré cinq ans et six mois jusqu’à la conclusion dudit règlement dépasse largement le délai raisonnable pour une affaire d’une telle nature.

Conclusion : violation (unanimité).

II.Article 50 de la Convention

A.Dommage moral

Accueil partiel de la demande.

B.Frais et dépens

Remboursement intégral.

Conclusion : Etat défendeur tenu de payer certaines sommes au requérant (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

26.10.1988, Martins Moreira c. Portugal ; 25.2.1992, Pfeifer et Plankl c. Autriche ; 31.3.1992, X c. France ; 23.3.1994, Silva Pontes c. Portugal ; 26.4.1994, Vallée c. France ; 26.8.1994, Karakaya c. France


En l'affaire Pailot c. France[2],

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A[3], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM.Thór Vilhjálmsson, président,

L.-E. Pettiti,

I. Foighel,

R. Pekkanen,

L. Wildhaber,

B. Repik,

P. Jambrek,

J. Casadevall,

P. van Dijk,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 janvier et 24 mars 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 22 septembre 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 32217/96) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Marc Pailot, avait saisi la Commission le 2 juillet 1996 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.


2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil, Me J.-A. Blanc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (article 30).

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 26 septembre 1997, en présence du greffier, le président a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, I. Foighel, L. Wildhaber, B. Repik, P. Jambrek, J. Casadevall et P. van Dijk (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Ultérieurement, M. Ryssdal, empêché, a été remplacé à la présidence de la chambre par M. Thór Vilhjálmsson, et M. R. Pekkanen, suppléant, s’est vu appelé à siéger comme membre effectif (articles 5, 10, 22 et 24 § 1 du règlement A).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M.  Ryssdal avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), M. Y. Charpentier, l’avocat du requérant et le délégué de la Commission, M. J.-C. Geus, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 28 octobre et 5 décembre 1997 puis la réplique du requérant le 16 décembre 1997.

5.  Le 25 novembre 1997, la Commission avait fourni le dossier de la procédure suivie devant elle, comme le greffier le lui avait demandé sur les instructions du président.

6.  Le 28 janvier 1998, la chambre a décidé de ne pas tenir d’audience, après s’être assurée que se trouvaient réunies les conditions pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement A).

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.  Ressortissant français né en 1952, M. Jean-Marc Pailot est employé d’assurances. Il est hémophile et a été fréquemment perfusé.

8.  Un test pratiqué le 27 août 1985 révéla que le requérant avait été contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Depuis novembre 1994, il est classé au stade III de la contamination sur l'échelle du Centre de contrôle des maladies d'Atlanta, qui en compte quatre.

A.Les recours en réparation

1.Le recours administratif

9.  Le 23 décembre 1989, le requérant adressa au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale une demande préalable d'indemnisation tendant à se voir verser une somme de 2 500 000 francs français (FRF) en réparation des troubles de toute nature subis du fait de sa contamination. La demande fut rejetée le 30 mars 1990.

2.Le recours contentieux

a)Devant le tribunal administratif de Paris

10.  Le 30 mai 1990, M. Pailot saisit le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne d'un recours tendant à l’octroi d’une indemnité de 2 500 000 FRF, en compensation du préjudice provoqué par la carence de l'Etat à prendre les mesures propres à éviter sa contamination par le VIH. Le 14 décembre 1990, le tribunal transmit l'affaire au Conseil d'Etat qui, le 27 février 1991, désigna le tribunal administratif de Paris comme juridiction compétente. Ce dernier enregistra le recours le 18 mars 1991.

11.  Le 1er juin 1991, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube présenta un mémoire. L’affaire fut ensuite inscrite à l’audience du 3 avril 1992.

12.  Le 17 avril 1992, le tribunal administratif rendit un jugement avant dire droit énonçant que « la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 » et « (...) qu'il y a lieu, pour le tribunal, de condamner l'Etat à réparer l'intégralité du préjudice ».

Sur requête de M. Pailot, le tribunal ordonna une expertise médicale afin de déterminer si l’intéressé avait été contaminé au cours de cette période. Un expert fut désigné le même jour par le président du tribunal.

13.  Le rapport d’expertise, déposé le 23 décembre 1992, précisa :

« (...)

En 1985, [M. Pailot] a été destinataire de deux prescriptions de 6 concentrés de P.P.S.B. et de facteur IX d'une part le 2 mars 1985 et d'autre part le 27 août 1985 (…) correspondant de ce fait à la période de responsabilité du 12 mars au 1er octobre sus-définie, tout au moins en ce qui concerne la prescription du 27 août 1985. Toutefois, la date de perfusion des produits délivrés le 2 mars 1985 n'a pu être précisée avec certitude.

En date du 27 août 1985, la contamination par le V.I.H. est confirmée (…)

Etant donné que l’apparition des anticorps décelables par les examens biologiques (séroconversion) n’est détectable qu’après un délai de 6 à 12 semaines après la contamination (voire exceptionnellement plusieurs mois dans de rares cas), on peut considérer que M. Jean-Marc Pailot aurait pu être contaminé en mai ou juin 1985 (1er examen sérologique effectué en date du 27 août 1985).

(…)

En ce qui concerne la période dite de responsabilité de l'Etat (12 mars 1985 au 1er octobre 1985), il n’est pas impossible mais non certain que les produits délivrés début mars 1985 aient été injectés après le 12 mars 1985 entraînant une contamination avec séroconversion confirmée le 27 août 1985, ceci dans l’hypothèse où la contamination n’aurait pas été antérieure, ce qui est peu vraisemblable étant donné les produits sanguins dérivés reçus antérieurement.

(…) la date de contamination ne peut être précisée avec certitude. »

14.  Après avoir tenu une audience le 26 février 1993, le tribunal prononça, le 26 mars 1993, le jugement suivant :

« Sur les conclusions à fin de condamnation de l'Etat :

Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise que le lien de causalité entre la contamination V.I.H. du requérant et l’administration de produits sanguins dérivés, pendant la période de responsabilité de l'Etat comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, ne peut pas être regardé comme établi ; que, par la suite, les conclusions de la requête de M. Jean-Marc Pailot tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice subi du fait de cette contamination ne peuvent qu’être rejetées. »

b)Devant la cour administrative d’appel de Paris

15.  Le 9 avril 1993, l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat rendit trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une indemnité forfaitaire de deux millions de francs (paragraphe 39 ci-dessous).

16.  Invoquant cette jurisprudence, le requérant saisit le 4 juin 1993 la cour administrative d’appel de Paris.

17.  Le 28 août 1993, le ministre délégué à la Santé déposa son mémoire en défense : il y soutenait que la requête en appel était dirigée contre le seul jugement du 26 mars 1993 et que, dès lors, le jugement du 17 avril 1992 fixant la période de responsabilité de l'Etat du 12 mars au 1er octobre 1985 était devenu définitif.

18.  Le 3 novembre 1993, le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH informa la cour administrative d’appel que M. Pailot avait accepté son offre.


19.  Après avoir tenu une audience le 20 janvier 1994, la cour administrative d'appel prononça le 3 février 1994 un arrêt dans lequel elle suivit l'argumentation du ministre et rejeta la demande : il ne ressortait pas du dossier que le requérant eût reçu après le 12 mars 1985 des produits sanguins susceptibles d'être à l'origine de sa contamination.

c)Devant le Conseil d'Etat

20.  Le 1er avril 1994, l’intéressé forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.

21.  Le 1er juin 1994, il déposa un mémoire complémentaire. Il faisait valoir que sa requête en appel sollicitant que le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat fût fixé au 22 novembre 1984 critiquait implicitement mais nécessairement le jugement avant dire droit du 17 avril 1992, lequel avait fixé ce point de départ au 12 mars 1985. En conséquence, il demandait au Conseil d'Etat d’annuler l’arrêt de la cour administrative puis, par application de l’article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, de régler l’affaire au fond sans renvoi devant la cour administrative d’appel et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 000 FRF, diminuée de celle versée par le Fonds d’indemnisation.

22.  Le 27 mars 1995, la commission d’admission des pourvois en cassation rendit une décision favorable.

23.  Entre-temps, le 28 décembre 1994, M. Pailot avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête n° 26116/95. Le 28 juin 1995, elle adopta un rapport au sens de l’article 28 § 2  de la Convention, constatant que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire (paragraphe 42 ci-dessous).

24.  Les 13 et 19 octobre 1995 respectivement, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube et le Fonds d’indemnisation des transfusés présentèrent leurs observations.

25.  Le 30 octobre 1995, le Conseil d'Etat invita le ministre du Travail et des Affaires sociales à présenter ses observations sur le pourvoi du requérant. Le 15 décembre 1995, le ministre répondit que ledit pourvoi n'appelait pas d'observations de sa part.

26.  Le 26 décembre 1995, le requérant présenta ses observations.

27.  Le 3 janvier 1996, un rapporteur au Conseil d'Etat fut désigné.

28.  Le 19 janvier 1996, le requérant déposa certaines pièces. Les 17 janvier et 17 avril 1996, M. Pailot écrivit à la secrétaire de la cinquième sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, chargée de l’instruction, et au rapporteur désigné, pour attirer leur attention sur l’ancienneté et la lenteur de la procédure et sur l’urgence de l’affaire, compte tenu de son état de santé. Il n'a reçu aucune réponse.


29.  Le 2 juillet 1996, l’intéressé présenta devant la Commission une nouvelle requête (n° 32217/96), enregistrée le 10 juillet 1996, dans laquelle il exposait que la procédure était toujours pendante devant le Conseil d'Etat.

30.  Le 29 août 1996, le rapporteur au Conseil d'Etat déposa son rapport.

31.  Le 2 septembre 1996, le dossier fut affecté à un réviseur.

32.  Le 26 février 1997, un commissaire du Gouvernement fut désigné. L’affaire fut ensuite appelée à une séance du 19 mars 1997.

33.  Par un arrêt du 23 avril 1997, le Conseil d'Etat annula les jugements du tribunal administratif et l'arrêt de la cour administrative d'appel. Appliquant l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987 (paragraphe 21 ci-dessus), il déclara l'Etat responsable de la contamination de M. Pailot, par les motifs suivants :

« Considérant que la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ; que la séropositivité de M. Pailot a été révélée le 27 août 1985 ; que, dès lors, la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard de M. Pailot en raison des conséquences dommageables des transfusions qu'il a reçues au cours de la période précitée ; qu'il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation des jugements du tribunal administratif de Paris en date des 17 avril 1992 et 26 mars 1993 rejetant sa demande d'indemnisation  (…) »

L'Etat fut condamné à verser au requérant la somme de 2 000 000 FRF, moins 1 037 750 FRF versés par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles et 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles, soit un solde de 862 250 FRF, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 1989, capitalisables à compter du 1er juin 1994.

34.  L'Etat a payé au requérant le capital de 862 250 FRF en juillet 1997 mais pas, à ce jour, les intérêts.

B.La demande présentée au Fonds d’indemnisation

35.  Parallèlement, le requérant avait saisi le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessous).

36.  Le 8 septembre 1992, le Fonds décida de lui allouer une indemnité de 1 517 000 FRF, dont 1 137 750 FRF payables par tiers sur trois ans et 379 250 FRF à la déclaration de la maladie. Furent déduits de cette offre les 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles.

37.  Le 28 janvier 1993, le Fonds versa 1 037 750 FRF à M. Pailot.

ii.LE MÉCANISME D’INDEMNISATION

A.La législation

38.  La loi du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d'ordre social » a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. Son article 47 dispose :

« I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après.

II. (...)

III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation.

(...)

IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang.

(...)

Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent.

Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

(...)

V.Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...)

(...)

VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours.  Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds.

VII. (...)

VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris.

IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute.

Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.

Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive.

X.Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

XI.(...)

XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure.

XIII. (...)

XIV. (...) »

B.La jurisprudence

39.  Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida « que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 » (paragraphe 15 ci-dessus).

III.Le droit procédural pertinent

A.Le régime applicable en l'espèce

40.  A l'époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel contenait notamment les dispositions suivantes :

Article R.102

« Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet.

(...) »

Article R.129

« Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. »

Article R.142

« Immédiatement après l'enregistrement de la requête introductive d'instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur.

Sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé, s'il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. »

Article R.150

« Lorsque l'une des parties ou l'administration appelée à produire des observations n'a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure.


En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé.

Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n'est pas observé, la juridiction statue. »

Article R.151

« Lorsqu'elle concerne une administration de l'Etat, la mise en demeure est adressée à l'autorité compétente pour représenter l'Etat ; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s'il a été constitué. »

Article R.182

« Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d'instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. »

B.Le régime actuel

41.  Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 s'applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d'application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessus) :

« Titre II

Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée

Article 15

Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.

Article 16

Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée.

Article 17

Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance.

Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation.  Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour.

Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds.

Article 18

Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe.

Article 19

(...)

Article 20

Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...) »

iv.LA REQUÊTE N° 26116/95 à LA COMMISSION européenne DES DROITS DE L’HOMME

42.  Le 28 décembre 1994, M. Pailot avait saisi la Commission d’une requête, enregistrée le 4 janvier 1995 sous le n° 26116/95, dans laquelle il se plaignait de la longueur de la procédure en indemnisation litigieuse et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. Le 28 juin 1995, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a constaté, en vertu de l’article 28 de la Convention :

« (…)

Le 8 mars 1995, le représentant du requérant a fait savoir que celui-ci était prêt à accepter une somme de 200 000 FF (deux cent mille francs) au titre du dommage moral, somme à laquelle devraient s’ajouter les frais et dépens exposés devant la Commission, le tout devant être payé dans le délai d’un mois suivant le rapport de la
Commission. Le 3 mai 1995, il a précisé que les frais se montaient à 23 270 FF et a également demandé que des intérêts soient versés en cas de retard dans le paiement. Par lettre du 24 mai 1995, l’agent du Gouvernement a fait savoir que son Gouvernement acceptait de transiger sur la base de ces propositions.

Réunie le 28 juin 1995, la Commission a constaté que les parties étaient parvenues à un accord sur les termes d’un règlement. Elle a estimé en outre, eu égard à l’article 28 § 1 b) de la Convention, que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspirait du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention.

(…) »

Le texte de la déclaration d’acceptation du règlement amiable, signée par le requérant, est ainsi rédigé :

« Je reconnais que le versement de ces sommes constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices allégués dans ma requête et couvrira également la totalité des frais d'avocat et autres engagés par moi dans cette affaire.

J’accepte donc de me désister de cette instance et de renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l'Etat français devant les juridictions nationales et internationales. »

PROcÉDURE DEVANT LA COMMISSION

43.  M. Pailot a saisi la Commission le 2 juillet 1996. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 § 1 de la Convention exige le respect.

44.  La Commission a retenu la requête (n° 32217/96) le 15 janvier 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt[4].

CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR

45.  Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour « de reconnaître, à titre principal, que le règlement amiable conclu avec M. Pailot a nécessairement impliqué pour lui la renonciation non équivoque à toute
action ultérieure contre l'Etat  pour la durée de la procédure » et, à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

46.  De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50,  de 200 000 FRF en réparation du tort moral et de 42 210 FRF pour frais et dépens.

EN DROIT

I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 de la convention

47.  M. Pailot se plaint de la durée de l'examen de l'action en réparation qu'il a engagée contre l'Etat. Il allègue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

48.  La Commission souscrit en substance à cette thèse tandis que le Gouvernement la combat.

A.Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

49.  Le Gouvernement soutient, comme déjà devant la Commission, que la requête est irrecevable en raison du règlement amiable conclu devant la Commission le 28 juin 1995 au sujet de la première requête (n° 26116/95). Il expose que dans la déclaration d’acceptation du règlement amiable qu’il a signée (paragraphe 42 ci-dessus), M. Pailot s’est désisté non simplement de l’instance mais a renoncé de façon non équivoque à toute action ultérieure contre l'Etat français pour la durée de la procédure alors pendante. Il ajoute que la volonté du requérant s’est clairement exprimée, qu’il n’a formulé aucune réserve et que l’acceptation du Gouvernement lui-même était subordonnée à l’assurance que M. Pailot renonçait à engager toute action sur les mêmes fondements.

50.  M. Pailot soutient, pour sa part, que la déclaration d’acceptation qu’il a signée se réfère à sa requête introduite devant la Commission le 28 décembre 1994 (paragraphe 42 ci-dessus) et qu’il n’a nullement renoncé à poursuivre l'Etat français pour la durée ultérieure de la procédure ni à demander d’indemnisation pour le préjudice futur, éventuel et inconnu qu’il pourrait subir en raison de ladite durée.

51.  Compte tenu de la spécificité de la présente affaire, la Cour estime qu’une analyse rigoureuse s’impose afin de déterminer la portée de la déclaration d’acceptation du règlement amiable signée par M. Pailot.

A l’instar de la Commission, la Cour attache un grand poids à la formulation même de ladite déclaration ; il en ressort clairement que le requérant affirme se désister de l’instance introduite le 28 décembre 1994 devant la Commission et « renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l'Etat français devant les juridictions nationales et internationales » (paragraphe 42 ci-dessus). Or les termes « de ce chef » visent expressément la durée excessive dénoncée dans la première requête et, par conséquent, la partie de la procédure interne à l’état où elle se trouvait au jour de la conclusion du règlement amiable ; ils excluent donc toute procédure ultérieure comme celle qui fait l’objet de la présente affaire devant la Cour.

52.  Il serait du reste peu vraisemblable que le requérant se soit résigné à souscrire à une proposition de règlement amiable si la conséquence en était que l’issue de la procédure pourrait être impunément retardée. La Cour rappelle à ce sujet sa jurisprudence constante selon laquelle la renonciation à un droit garanti par la Convention – pour autant qu’elle soit licite – doit se trouver établie de manière non équivoque (voir, entre autres, l'arrêt Pfeifer et Plankl c. Autriche du 25 février 1992, série A n° 227, p. 16, § 37) et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

53.  Il y a donc lieu d’écarter l’exception.

B.Sur le bien-fondé du grief

1.Période à considérer

54.  Le Gouvernement estime que la période à considérer a débuté le 29 juin 1995, soit le lendemain de l’adoption du rapport de la Commission constatant la conclusion du règlement amiable (paragraphe 42 ci-dessus).

55.  Telle est aussi l'opinion de la Commission.

56.  D’après le requérant, la période à considérer a commencé le 4 janvier 1995, date de l’enregistrement de sa première requête à la Commission ayant donné lieu à un règlement amiable (paragraphe 42 ci-dessus) et dans la mesure où celui-ci ne couvrirait que la durée de la procédure jusqu’à cette date.

57.  La Cour rappelle que pour apprécier le caractère raisonnable de la durée d’une procédure, tant la Commission qu’elle-même prennent en considération la durée effective de celle-ci jusqu'au jour de l'adoption du rapport ou de l'arrêt.


Or la présente affaire, telle qu’elle est déférée devant la Cour, porte sur la procédure postérieure à la conclusion du règlement amiable (paragraphe 51 ci-dessus). Il échet donc de retenir comme point de départ du délai le 29 juin 1995, lendemain de l'adoption du rapport de la Commission constatant la conclusion dudit règlement.

58.  M. Pailot soutient que la procédure n'est toujours pas terminée, dans la mesure où l’arrêt du Conseil d'Etat du 23 avril 1997 (paragraphe 33 ci-dessus) n’a pas été intégralement exécuté. Il n’a en effet reçu que le principal de l’indemnité mais non, à ce jour, les intérêts.

59.  Avec le Gouvernement et la Commission, la Cour constate que ledit arrêt annulait les jugements du tribunal administratif de Paris et l'arrêt de la cour administrative d'appel, déclarait l'Etat responsable de la contamination de M. Pailot et, à la différence des affaires Martins Moreira c. Portugal (arrêt du 26 octobre 1988, série A n° 143, p. 16, § 44) et Silva Pontes c. Portugal (arrêt du 23 mars 1994, série A n° 286-A, p. 13, § 30), fixait le montant de l’indemnisation due, mettant ainsi un terme à la procédure interne.

60.  La procédure litigieuse s'étend donc sur un an et dix mois.

2.Caractère raisonnable de la durée de la procédure

61.  Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur ce dernier point, l'enjeu du litige pour l'intéressé entre en ligne de compte (arrêts X c. France du 31 mars 1992, série A n° 234-C, p. 90, § 32, Vallée c. France du 26 avril 1994, série A n° 289-A, p. 17, § 34, et Karakaya c. France du 26 août 1994, série A n° 289-B, p. 43, § 30).

a)Complexité de l'affaire

62.  D'après M. Pailot, l'affaire ne présentait pas la moindre complexité, car les critères de la responsabilité de l'Etat dans la contamination des hémophiles avaient été dégagés depuis les arrêts de principe rendus par l’assemblée de contentieux du Conseil d'Etat (paragraphes 15 et 39 ci-dessus).

63.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point tandis que la Commission se rallie pour l'essentiel à la thèse du requérant.

64.  La Cour considère que, même si l'affaire revêtait une certaine complexité, ce fait ne pouvait justifier à lui seul la longueur de la procédure en question dans la mesure où les données permettant de trancher la question de la responsabilité de l'Etat étaient disponibles depuis longtemps (arrêts X c. France, Vallée et Karakaya précités, respectivement p. 91, § 36, p. 18, § 38, et p. 43, § 34).

b) Comportement du requérant

65.  La Cour constate que le Gouvernement n’a pas formulé d’observations à cet égard. Elle note que le requérant a tenté à deux reprises d’accélérer la procédure en date des 17 janvier et 17 avril 1996, mais sans succès (paragraphe 28 ci-dessus).

c) Comportement des autorités nationales

66.  M. Pailot critique la lenteur de la procédure devant le Conseil d'Etat, où l’affaire a été pendante pour plus de trois ans, dont un an et dix mois depuis l’adoption du rapport de règlement amiable.

67.  La Commission souscrit en substance à la thèse du requérant et précise qu’en l’espèce le problème n’est pas celui de savoir si des retards anormaux sont imputables à la juridiction saisie, mais si celle-ci a fait preuve d’une « diligence exceptionnelle ».

68.  A l'instar de la Commission, la Cour estime que l'enjeu de la procédure litigieuse revêtait une importance extrême pour le requérant, eu égard au mal qui le mine : infecté en 1985, il a été classé dès 1994 au stade III et avant-dernier de la contamination (paragraphe 8 ci-dessus). Bref, une diligence exceptionnelle s'imposait en l'occurrence, nonobstant le nombre de litiges à traiter, d'autant qu'il s'agissait d'un débat dont le gouvernement connaissait les données depuis plusieurs années et dont la gravité ne pouvait lui échapper (voir les arrêts X c. France, Vallée et Karakaya précités, respectivement p. 94, § 47, p. 19, § 47, et p. 45, § 43).

69.  A cet égard, plusieurs délais signalés par le requérant et la Commission semblent anormalement longs :

i.un laps de temps de presque sept mois – dont quatre à partir de l’adoption du rapport de la Commission constatant le règlement amiable – entre la décision favorable de la commission d’admission des pourvois en cassation le 27 mars 1995 et la présentation d’observations par la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube et le Fonds d’indemnisation des transfusés les 13 et 19 octobre 1995 respectivement (paragraphe 24 ci-dessus) ;

ii.une période de sept mois – dont quatre à partir de l’adoption du rapport de la Commission constatant le règlement amiable – entre la transmission de la requête par la commission d’admission des pourvois en cassation à la section du contentieux du Conseil d'Etat le 27 mars 1995, et la communication de cette dernière le 30 octobre 1995 au ministre du Travail et des Affaires sociales afin qu’il présente ses observations (paragraphe 25 ci-dessus) ;


iii.un délai de plus d’un an et trois mois entre le dernier acte de procédure accompli par une partie le 19 janvier 1996 (paragraphe 28 ci-dessus) et le prononcé de l’arrêt le 23 avril 1997.

70.  La Cour note en outre que la procédure avait déjà duré cinq ans et six mois jusqu’à l’adoption du rapport de la Commission entérinant le règlement amiable, et qu’après ladite adoption, le requérant a encore attendu un an et dix mois pour obtenir un arrêt du Conseil d'Etat mettant un terme à ladite procédure.

d) Conclusion

71.  Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause et notamment à la situation de l’intéressé, la Cour ne saurait estimer « raisonnable » le laps de temps écoulé en l’espèce.

72.  En résumé, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

II.SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

73.  Aux termes de l'article 50 de la Convention,

« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »

A.Dommage moral

74.  M. Pailot sollicite 200 000 FRF pour préjudice moral.

75.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur cette question. Quant au délégué de la Commission, il appuie la demande du requérant.

76.  La Cour constate que le montant réclamé par M. Pailot correspond au montant des indemnités allouées par la Cour aux requérants dans les affaires Vallée et Karakaya précitées, où la durée des procédures à prendre en considération était de plus du double.

Elle estime que l'intéressé a subi un tort moral incontestable. Prenant en compte les divers éléments pertinents et statuant en équité comme le veut l'article 50, elle lui alloue 150 000 FRF.

B.Frais et dépens

77.  Le requérant réclame en outre 42 210 FRF pour les frais et dépens qu'il a supportés devant les organes de la Convention.


78.  Le Gouvernement ne se prononce pas et le délégué de la Commission trouve justifiée la demande du requérant.

79.  La Cour juge raisonnables les prétentions de l'intéressé et les accueille en entier.

C.Intérêts moratoires

80.  D’après les renseignements dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal en France à la date d’adoption de l’arrêt est de 3,36 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, à l'unanimitÉ,

1.Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;

2.Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.Dit

a)que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 150  000 (cent cinquante mille) francs français pour dommage et 42 210 (quarante deux mille deux cent dix) francs français pour frais et dépens ;

b)que ces montants seront à majorer d’un intérêt non capitalisable de 3,36 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

4.Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 22 avril 1998.

Signé : Thór Vilhjálmsson

Président

Signé :Herbert Petzold

Greffier


[1].  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.

[2]Notes du greffier

.  L'affaire porte le n° 93/1997/877/1089. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[3].  Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

[4].  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera pas dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et des décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE PAILOT c. FRANCE, 22 avril 1998, 32217/96