CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE SÖDERBÄCK c. SUÈDE, 28 octobre 1998, 24484/94

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 28 octobre 1998

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 28 oct. 1998, n° 24484/94
Numéro(s) : 24484/94
Publication : Recueil 1998-VII
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Johansen c. Norvège du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1008-1009, § 78
Arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, pp. 19-20, § 51, pp. 20-21, § 55
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'Art. 8
Identifiant HUDOC : 001-62806
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:1028JUD002448494
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE SÖDERBÄCK c. SUÈDE

(113/1997/897/1109)

ARRÊT

STRASBOURG

28 octobre 1998


En l’affaire Söderbäck c. Suède[1],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B[2], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

M.Thór Vilhjálmsson, président,
MmeE. Palm,
MM.I. Foighel,
R. Pekkanen,
J.M. Morenilla,
L. Wildhaber,
D. Gotchev,
M. Voicu,
V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 juin et 24 septembre 1998,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 15 décembre 1997 et par le gouvernement du Royaume de Suède (« le Gouvernement ») le 13 février 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 24484/94) dirigée contre la Suède et dont un ressortissant de cet Etat, M. Per Söderbäck, avait saisi la Commission le 17 décembre 1991 en vertu de l’article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) ; la requête du Gouvernement renvoie à l’article 48. Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 8 de la Convention.


2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 35 § 3 d) du règlement B, le requérant a sollicité l'autorisation de se faire représenter par la personne qui l'avait défendu devant la Commission, mais qui ne remplit pas les conditions citées à l'article 31 § 1. M. R. Bernhardt, alors vice-président de la Cour, ayant refusé d'accéder à sa demande, le requérant a désigné un conseil correspondant aux exigences prévues.

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour décédé depuis (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 31 janvier 1998, M. Bernhardt a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir MM. I. Foighel, R. Pekkanen, J.M. Morenilla, L. Wildhaber, D. Gotchev, M. Voicu et V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B). Par la suite, M. Thór Vilhjálmsson, élu vice-président de la Cour, a remplacé M. Bernhardt à la présidence de la chambre (article 21 § 6, second alinéa, du règlement B).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt avait consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 23 et 24 avril 1998 respectivement. Le 8 juin 1998, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué soumettrait ses observations à l’audience.

5.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 24 juin 1998, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

–pour le Gouvernement
MmeE. Jagander, directrice, ministère
des Affaires étrangères,agent,
M.A. Dereborg, conseiller juridique, ministère
de la Justice,
MmeY. Osvald, conseillère juridique, ministère
des Affaires étrangères,conseillers ;

–pour la Commission
M.M.A. Nowicki,délégué ;

–pour le requérant
MM. B. Sandström, avocat,conseil,
  R. Lind,conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Nowicki, M. Sandström et Mme Jagander, ainsi qu'en leurs réponses à des questions posées par plusieurs juges à titre individuel.

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  M. Söderbäck, né en 1957 et résidant à Stigtomta, occupe depuis 1987 un emploi de chauffeur d'autobus.

7.  Le requérant rencontra K.W. en 1980. Ils étaient amis, mais sans entretenir de liaison stable. Le 19 septembre 1982, K.W. donna naissance à une fille, M., dont le requérant est le père. Celui-ci se rendit une fois à la maternité pour voir K.W. et l'enfant. Au cours des mois suivants, il vit M. au domicile de K.W. à deux reprises. Il assista également au baptême de l'enfant. Au printemps 1983, il s'occupa de M. pendant une heure environ. Il n'eut pas d'autres contacts avec sa fille pendant cette année-là.

Comme l'indique un rapport du conseil social (socialnämnden) de Nyköping, cité ci-dessous (paragraphe 13), K.W. pensait que le requérant abusait de l'alcool et qu'il ne convenait pas qu'il voie sa fille autrement que quand il était sobre. Le requérant affirme qu'il a renoncé à voir M. en partie à cause des obstacles dressés par K.W. et en partie du fait de ses difficultés professionnelles. En outre, il avait eu des problèmes de boisson.

8.  Selon le requérant, ces problèmes disparurent lorsqu'il rencontra A.H. en 1984. Celle-ci avait un fils de deux ans. Ils s'installèrent ensemble en janvier 1985.

9.  En 1983, K.W. rencontra M.W. Ils commencèrent à cohabiter en mai 1983 et se marièrent en janvier 1989.

10.  Le requérant vit sa fille une seule fois en 1984. Il souhaitait avoir des contacts plus fréquents mais K.W. y était selon lui opposée. Toutefois, le requérant vit sa fille de temps à autre entre 1984 et 1986, lorsque lui et A.H. emmenaient le fils de cette dernière chez sa nourrice, qui vivait non loin de celle de M. De plus, le requérant vit M. en juin 1986, lorsque celle-ci vint à l'anniversaire du fils de A.H.

11.  K.W. refusant prétendument tout contact entre M. et le requérant, celui-ci demanda en juin 1987 l'aide des services sociaux de Nyköping pour lui permettre de rendre visite à sa fille. Le requérant et K.W. se rencontrèrent une fois au bureau social en novembre 1987 pour examiner la question. K.W. exprima le souhait que le requérant ne fût pas encore
 

autorisé à voir sa fille. En 1988, le travailleur social chargé du dossier vit à d'autres reprises le requérant et K.W. séparément, mais aucune rencontre n'eut lieu entre le requérant et M. Ainsi qu'il ressort des observations pertinentes inscrites au journal, il prit contact avec l'autorité concernée au plus une fois tous les deux mois.

12.  En novembre 1988, M.W. demanda au tribunal de district (tingsrätten) de Nyköping l'autorisation d'adopter M. Refusant de consentir à l'adoption, le requérant demanda en février 1989 au tribunal de lui accorder un droit de visite. Le tribunal décida de consulter le conseil social de Nyköping (chapitre 4, article 10, du code parental – Föräldrabalken) et reporta l'examen de la question du droit de visite en attendant l'issue de la procédure d'adoption.

13.  Le conseil effectua une enquête au cours de laquelle il entendit le requérant (chapitre 4, article 10, du code parental), K.W. et M.W. Dans son avis du 31 octobre 1989, le conseil conclut que l'adoption de M. par M.W. ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant et recommanda en conséquence au tribunal de rejeter la demande de M.W. Le conseil s'était notamment appuyé sur les considérations ci-dessous.

Il releva en premier lieu que K.W. et M.W. vivaient ensemble depuis plus de six ans et étaient mariés depuis janvier 1989. Leur mariage paraissait stable et harmonieux. M.W. était devenu, psychologiquement parlant, le père de M., et éprouvait envers elle les mêmes sentiments que si elle était sa propre fille. M.W. jugeait souhaitable d'entériner cette situation grâce à une adoption qui conforterait la place de l'enfant au sein de la famille.

Le rapport signalait ensuite que le requérant semblait entretenir une relation stable avec A.H. et le fils de celle-ci. Il affirmait s'être toujours intéressé à sa fille mais, pendant quelques années, il n'avait pas eu l'énergie nécessaire pour la voir, en raison de ses difficultés personnelles. Il s'opposait à l'adoption et considérait que sa fille avait le droit de connaître son père naturel. Il se rendait compte que la relation avec sa fille devrait se construire avec précautions pendant un certain temps.

Le rapport contenait les remarques suivantes :

« Les enquêteurs sont d'avis que [M.], comme tous les enfants, a le droit de connaître ses origines. Il est également important qu'elle en soit informée le plus tôt possible. Dès lors, nous ne partageons pas l'opinion de [K.W.] et [M.W.] selon laquelle il est préférable pour [M.] d'attendre. Au contraire, nous croyons que selon toute probabilité, le fait de dire à [M.] à l'adolescence ou à l'âge adulte que [M.W.] n'est pas son père naturel sera pour elle une expérience traumatisante. Nous estimons également que [M.] a le droit de connaître son père et la famille de celui-ci. Nous ne partageons pas les craintes de [K.W.] et [M.W.] que [M.] s'éloigne de [M.W.], tout en sachant qu'il serait naturel qu'elle réagisse d'une façon ou d'une autre. Toutefois, nous sommes d'avis qu'il pourrait être bénéfique pour [M.] de connaître son père et la famille de celui-ci. L'amour filial qu'elle ressent pour [M.W.] n'en sera pas pour autant altéré et [M.W.] demeurera probablement toujours le père de [M.] sur le plan psychologique.

Les enquêteurs considèrent qu'il ne s'agit pas de dire quel est le « meilleur » père, mais qu’il s’agit plutôt du droit de connaître et de rencontrer ses ascendants. Nous ne jugeons donc pas qu'il convienne d'appuyer la demande d'adoption de M. formulée par M.W. »

14.  Le 12 décembre 1989, le tribunal tint une audience au cours de laquelle il entendit le requérant (chapitre 4, article 10, du code parental) et M.W. Par une décision du 22 décembre 1989, le tribunal autorisa M.W. à adopter M. en vertu de l'article 6 du chapitre 4 du code parental. Le tribunal motiva ainsi sa décision :

« L'enquête en l'espèce a montré que [M.] vit avec [K.W.] depuis sa naissance et que [M.W.] participe à l'éducation de [M.] depuis que celle-ci a huit mois. Selon les informations recueillies, [M.] considère [M.W.] comme son père. Il apparaît qu'à l'origine, [le requérant] a rencontré [M.] de temps à autre, mais les contacts entre eux ont par la suite pratiquement cessé. Dans ces conditions, on ne saurait considérer que le besoin qu'a M. d'avoir des contacts avec [le requérant] soit tel qu'il constitue un obstacle à l'adoption.

Par ces motifs, et considérant qu'il y a par ailleurs lieu de juger que l'adoption est dans l'intérêt de l'enfant, la demande est accueillie. »

15.  Le 5 février 1991, la cour d'appel de Svea (Svea hovrätt) confirma la décision du tribunal de district. Le 19 juin 1991, la Cour suprême (Högsta domstolen) refusa au requérant l'autorisation de la saisir.

II.LE Droit interne pertinent

16.  Le chapitre 6 du code parental contient des dispositions générales sur la garde et le droit de visite. L'article 3 dispose que dès la naissance, la garde d'un enfant est confiée à ses parents s'ils sont mariés, ou à sa mère si les parents ne sont pas mariés. Selon l'article 4, les parents non mariés peuvent, sur demande, exercer conjointement la garde.

En vertu de l'article 15 du chapitre 6, il incombe au gardien de l'enfant de répondre autant que faire se peut aux besoins de contacts de l'enfant, notamment avec un parent qui n'est pas investi de la garde. Si un parent dans cette situation se heurte à un refus de la part du gardien d'autoriser les visites, il peut saisir les tribunaux, qui doivent alors trancher la question du droit de visite dans le sens de l'intérêt de l'enfant.

17.  Le chapitre 4 du code parental comporte des dispositions générales sur l'adoption. L'article 3 prévoit qu'une personne mariée peut adopter l'enfant de son conjoint avec le consentement de ce dernier. En vertu de l'article 5 a), un mineur de dix-huit ans ne peut être adopté sans le consentement de ses parents. Toutefois, le consentement du parent qui n'est pas investi de la garde de l'enfant n'est pas requis.

Conformément à l'article 6 du chapitre 4, le tribunal compétent doit examiner s'il convient de procéder à l'adoption et ne l'autorise que si

l'adoption est favorable à l'enfant et si l'adoptant éventuel a élevé l'enfant ou a l'intention de le faire, ou s'il existe des raisons particulières militant en faveur de l'adoption, eu égard à la relation particulière entre l'adoptant et l'enfant.

Aux termes de l'article 8 du chapitre 5, un enfant adopté est considéré par la loi comme l'enfant de l'adoptant et non celui du parent naturel, sauf lorsque le parent naturel est le conjoint de l'adoptant. Lorsque tel n'est pas le cas, les parents naturels de l'enfant cessent de bénéficier du droit de visite du fait de l'adoption.

PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION

18.  M. Söderbäck a soumis sa requête (n° 24484/94) à la Commission le 17 décembre 1991. Il se plaignait de ce que la décision de permettre l'adoption de sa fille, sans son consentement, emportait violation en son chef du droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Il dénonçait également une violation de l'article 6 (droit à un procès équitable) au motif que le tribunal de district et la cour d'appel avaient enfreint la Constitution suédoise.

19.  La Commission a retenu la requête le 27 novembre 1996 dans la mesure où elle concernait le grief tiré de l'article 8 de la Convention et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 22 octobre 1997 (article 31), elle conclut à la violation de l'article 8 (dix voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[3].

CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR

20.  Lors de l'audience du 24 juin 1998, comme dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de la Convention.

21.  A la même occasion, le requérant prie de nouveau la Cour de conclure à la violation de l'article 8 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLéguée de l’article 8 de la convention

22.  Le requérant se plaint de ce que la décision du 22 décembre 1989 du tribunal de district autorisant M.W. à adopter sa fille M., et les arrêts de la cour d'appel et de la Cour suprême confirmant cette décision (paragraphes 14–15 ci-dessus) emportent violation de son droit au respect de sa vie familiale, tel que garanti à l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

23.  Le Gouvernement combat cette allégation, tandis que la Commission pense comme le requérant que la mesure en question a méconnu cet article.

24.  La Cour relève que nul ne conteste qu'au moment où l'adoption fut autorisée, il existait certains liens entre le requérant et M. Dans ces conditions, et sachant que les arguments que les parties lui ont soumis se rapportaient essentiellement à la question du respect de l'article 8, la Cour se propose de partir du principe que celui-ci s'applique en l'espèce.

25.  Partant, l'ordonnance d'adoption, qu'aucun des comparants ne conteste, s'analyse en une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale consacré par le paragraphe 1 de l'article 8 (voir l'arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, pp. 19–20, § 51). Pareille ingérence emporte violation de cet article sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l'article 8 et peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

26.  La Cour relève que le tribunal de district a décidé d'autoriser l'adoption en vertu de l'article 6 du chapitre 4 du code parental parce qu'il considérait que cela était dans l'intérêt supérieur de l'enfant (paragraphes 14 et 17 ci-dessus). La Cour ne doute pas que la mesure était « prévue par la loi » et visait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés de l'enfant. Il reste à déterminer si elle était « nécessaire dans une société démocratique ».


27.  Selon le Gouvernement, l'adoption de M. par M.W. revêtait bien un tel caractère de nécessité. La décision d'autoriser ou non l'adoption a dû être difficile à prendre pour les juridictions suédoises, mais rien ne permet de croire qu'elles ont mal apprécié la situation ou ont négligé l'un quelconque des intérêts légitimes en présence (paragraphe 14 ci-dessus).

28.  Le requérant, qui partage l'avis de la Commission, souligne notamment qu'en déconseillant l'adoption, le conseil social avait fait remarquer qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de connaître la véritable identité de son père naturel (paragraphe 13 ci-dessus).

29.  La Commission signale qu'à l'époque où le tribunal de district a rendu sa décision (22 décembre 1989), les problèmes qu'avait connus le requérant auparavant et qui expliquaient en partie le peu de contacts entre M. et lui, semblaient résolus (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Sa situation personnelle ne justifiait donc pas l'adoption de sa fille. Au lieu de cela, la décision a été motivée par le fait que l'adoptant, M.W., avait participé à l'éducation de l'enfant depuis que celle-ci avait huit mois, en conséquence de quoi elle le considérait comme son père (paragraphe 14 ci-dessus).

C'est pourquoi la Commission a estimé que l'adoption n'était pas suffisamment justifiée, même si elle s'appuyait sur des motifs pertinents, car il n'avait pas été démontré qu'elle correspondait à une exigence impérieuse servant l'intérêt supérieur de l'enfant. La Commission a fondé son raisonnement sur l'arrêt rendu par la Cour le 7 août 1996 en l'affaire Johansen c. Norvège (Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1008–1009, § 78).

Ainsi, la marge d'appréciation ayant été outrepassée, l'adoption ne saurait passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

30.  La Cour rappelle que l'affaire Johansen traitait de la suppression des droits parentaux et des visites d'une mère dans le cadre du placement obligatoire et permanent de sa fille dans un foyer d'accueil en vue de l'adoption par la famille d'accueil. Cette mesure avait été décidée six mois environ après la naissance, période pendant laquelle la mère avait pu voir sa fille deux fois par semaine. L'arrêt souligne qu'il faut normalement considérer la prise en charge d'un enfant comme une mesure temporaire à suspendre dès que la situation s'y prête et que tout acte d'exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent naturel et l'enfant. Il considère que les mesures prises avaient une portée particulièrement grande en ce qu'elles ont totalement privé l'intéressée d'une vie familiale avec l'enfant et ne cadraient pas avec le but de réunir mère et fille. De telles mesures ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et ne peuvent se justifier que si elles s'inspirent d'une exigence primordiale touchant à l'intérêt supérieur de l'enfant (arrêt Johansen précité, § 78).


31.  La Cour estime qu'il y a lieu de distinguer l'espèce de l'affaire Johansen pour les raisons suivantes. S'il est vrai que l'adoption autorisée en l'occurrence, comme les mesures incriminées en l'affaire Johansen, a eu pour effet juridique de priver le requérant de toute vie familiale avec sa fille, le contexte en diffère sur des points importants. En effet, ce cas ne porte pas sur la coupure des liens unissant une mère et son enfant placé dans une famille d'accueil, mais de ceux existant entre un père naturel et une enfant ayant vécu avec sa mère depuis sa naissance. Il ne s'agit pas non plus d'un parent qui a eu la garde de l'enfant ou qui s'en est occupé à un autre titre. En conséquence, la Cour juge qu'il ne convient pas de suivre dans la présente affaire le raisonnement adopté dans l'arrêt Johansen.

32.  La Cour fait en outre observer qu'au cours de la période considérée les contacts entre le requérant et l'enfant furent peu fréquents et limités ; lorsque l'adoption fut autorisée, père et fille ne s'étaient pas vus depuis un assez long moment. Certes, cette situation était dans une certaine mesure due au fait que la mère de l'enfant s'opposait à ces rencontres, d'une part, et aux problèmes personnels du requérant, d'autre part (paragraphes 7, 10–11 ci-dessus). Cependant, s'il apparaît que ces problèmes se trouvèrent résolus fin 1984, le requérant attendit juin 1987, alors que l'enfant avait quatre ans et neuf mois, pour demander aux services sociaux de l'aider à obtenir un droit de visite.

33.  De plus, l'enfant vivait avec sa mère depuis sa naissance et avec son père adoptif depuis l'âge de huit mois (paragraphe 9 ci-dessus). Ce dernier avait participé à l'éducation de M., qui le considérait comme son père (paragraphe 14 ci-dessus). Ainsi, lorsque le tribunal de district autorisa l'adoption en décembre 1989, il existait des liens familiaux de facto entre le père adoptif et la mère depuis cinq ans et demi, jusqu'à leur mariage en janvier 1989, et entre lui et M. depuis six ans et demi. L'adoption consolida et officialisa ces liens (paragraphe 14 ci-dessus). Pour prendre sa décision, le tribunal de district avait pris en compte non seulement l'enquête menée par le conseil social mais aussi les témoignages en audience du requérant et du père adoptif (arrêt Keegan précité, pp. 20–21, § 55), de sorte qu'il était mieux placé que les juges européens pour établir un juste équilibre entre les intérêts contradictoires en présence. La cour d'appel et la Cour suprême confirmèrent ensuite son jugement (paragraphes 14–15 ci‑dessus).

34.  Dans ces conditions, et eu égard à la manière dont les juridictions internes ont apprécié l'intérêt supérieur de l'enfant, ainsi qu'au caractère limité des liens existant entre M. et le requérant pendant la période considérée, la Cour est convaincue que la décision n'a pas outrepassé la
marge d'appréciation. Etant donné les buts recherchés par la décision d'autoriser l'adoption, on ne saurait dire que les conséquences néfastes de cette mesure sur les relations unissant le requérant et l'enfant étaient disproportionnées.

35.  Partant, il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, à l'unanimité,

Dit qu’il n'y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 28 octobre 1998.

Signé : Thór Vilhjálmsson

Président

Signé : Herbert Petzold

Greffier


[1]Notes du greffier

.  L’affaire porte le n° 113/1997/897/1109. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[2].  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.

[3].  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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