CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE PODBIELSKI c. POLOGNE, 30 octobre 1998, 27916/95

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CEDH · 30 octobre 1998

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 30 oct. 1998, n° 27916/95
Numéro(s) : 27916/95
Publication : Recueil 1998-VIII
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Belziuk c. Pologne du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 573, § 49
Arrêt Duclos c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2180-81, § 55
Arrêt Proszak c. Pologne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2772, § 31
Arrêt Süßmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions ("Recueil") 1996-IV, pp. 1172-73, § 48
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-62817
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:1030JUD002791695
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Texte intégral

AFFAIRE PODBIELSKI c. POLOGNE

(12/1998/915/1127)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 1998


En l’affaire Podbielski c. Pologne[1],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B[2], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM.R. Bernhardt, président,
F. Matscher,
I. Foighel,
A.B. Baka,
J. Makarczyk,
E. Levits,
J. Casadevall,
P. van Dijk,
M. Voicu,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 août et 29 octobre 1998,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») le 26 février 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 27916/95) dirigée contre la République de Pologne et dont un citoyen de cet Etat, M. Janusz Podbielski, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 31 mars 1995 en vertu de l’article 25.

La requête du Gouvernement renvoie à l’article 48 de la Convention. Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

2.  Le 28 avril 1998, le président de la Cour a autorisé le requérant à présenter lui-même son mémoire à la Cour et à s’exprimer en polonais (articles 28 § 3 et 31 du règlement B).

3.  Le 2 mars 1998, le vice-président de la Cour à l'époque, M. R. Bernhardt, a décidé, en vertu de l’article 21 § 7 du règlement B et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, qu’une chambre unique devait être constituée pour examiner la présente espèce et l’affaire Styranowski c. Pologne[3].

4.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. Makarczyk, juge élu de nationalité polonaise (article 43 de la Convention), et M. Bernhardt, alors vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 2 mars 1998, M. Bernhardt a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Matscher, I. Foighel, A.B. Baka, E. Levits, J. Casadevall, P. van Dijk et M. Voicu (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

5.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, M. K. Drzewicki, le requérant et le délégué de la Commission, M. S. Trechsel, au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Le 25 mai 1998, la chambre, après avoir recueilli l'avis du requérant, du Gouvernement et du délégué de la Commission, a décidé de se passer d’audience en l’espèce, non sans avoir vérifié que se trouvaient remplies les conditions pour déroger ainsi à la procédure habituelle (articles 27 et 40).

6. Conformément aux ordonnances du président, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 29 juin et celui du Gouvernement le 2 juillet 1998. L’agent du Gouvernement et le requérant ont déposé, le 10 juillet 1998 pour le premier, le 15 juillet pour le second, des observations complémentaires sur leurs mémoires respectifs. Le 10 août 1998, le délégué de la Commission a soumis ses observations sur les mémoires et observations présentés par l'agent du Gouvernement et par le requérant.

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Homme d’affaires né en 1949, le requérant réside à Świdnica, en Pologne.

8.  Le 25 mai 1992, il assigna la commune de Świdnica devant le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Wałbrzych afin d’obtenir le paiement de travaux de construction que son entreprise avait effectués en exécution d’un contrat daté du 18 février 1991, ainsi que des pénalités pour inexécution du
contrat par la défenderesse. Le 7 septembre 1992, le tribunal régional de Wałbrzych rendit un jugement déclarant nulles et non avenues certaines clauses du contrat au motif qu’elles étaient contraires au droit civil.

9.  Le requérant attaqua la décision devant la cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Wrocław, qui l’infirma le 6 novembre 1992 et ordonna le réexamen de l’affaire. Le 1er février 1993, le tribunal régional de Wałbrzych fit droit à la demande de paiement du requérant et déclara nulle et non avenue une clause du contrat relative aux pénalités de retard. Attaqué tant par le requérant que par la commune de Świdnica, ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Wrocław le 27 avril 1993.

10.  Le 25 juin 1993, le médiateur, agissant au nom du requérant, introduisit devant la Cour suprême (Sąd Najwyższy) un pourvoi extraordinaire dans lequel il soutenait que l’arrêt du 27 avril 1993 était manifestement contraire aux dispositions matérielles du droit civil et avait indûment restreint la liberté contractuelle des parties.

11.  Le 7 octobre 1993, la Cour suprême rejeta le pourvoi. Tout en reconnaissant que, contrairement à la jurisprudence antérieure, développée dans le contexte d’une économie planifiée, le code civil autorisait les parties à inclure des clauses prévoyant des pénalités pour retard dans l’exécution d'obligations contractuelles, elle considéra qu’en l’espèce c’était à bon droit que les juridictions inférieures avaient déclaré les clauses en question nulles et non avenues, les pénalités prévues étant excessives et disproportionnées à la valeur du contrat.

12.  Le 28 janvier 1994, la Cour suprême rouvrit, à la demande du requérant, la procédure relative au pourvoi extraordinaire. Elle modifia son arrêt du 7 octobre 1993 et cassa en partie les deux décisions attaquées des 1er février et 27 avril 1993, ordonnant le réexamen par le tribunal régional de Wałbrzych de l’intégralité des demandes du requérant, exception faite de la somme allouée à l’intéressé par ladite juridiction dans sa décision du 1er février 1993. Elle déclara que les décisions antérieures avaient violé des dispositions matérielles du droit civil, se livra à une appréciation juridique de la question des pénalités dues par la défenderesse pour inexécution du contrat et de celle de l’éventuelle indemnisation du préjudice ainsi causé à l’entreprise du requérant, expliqua pourquoi et comment les dispositions matérielles pertinentes du droit civil devaient être appliquées en l’espèce et donna des directives pour la suite de la procédure, déclarant que la juridiction de première instance devait établir la valeur des demandes.

13.  Entre le 6 juin et le 20 juillet 1994, le tribunal régional de Wałbrzych et la cour d’appel de Wrocław examinèrent les demandes de dispense des frais de procédure soumises par le requérant.


14.  Par un jugement du 20 février 1995, le tribunal régional de Wałbrzych condamna la commune à verser des pénalités de retard au requérant, mais celles prévues au contrat lui paraissant excessives il en réduisit le montant à 1 844 300 000 anciens zlotys. Par ailleurs, estimant que le requérant n'avait pas démontré que le préjudice subi par son entreprise fût supérieur au montant des pénalités mises à la charge de la défenderesse, il rejeta la demande de dommages-intérêts formée par l’intéressé au titre du préjudice résultant du retard de paiement imputable à la commune.

15.  Le 30 mars 1995, le requérant attaqua la décision précitée, soutenant que le tribunal n’avait pas procédé à certaines constatations de fait essentielles pour l’issue de l’affaire et qu’il avait commis des erreurs de procédure.

16.  Entre le 12 avril et le 25 mai 1996, les juridictions de première et deuxième instances examinèrent la demande de dispense des frais de procédure afférents au recours dont le requérant les avait saisies.

17.  Le 31 août 1995, la cour d’appel de Wrocław infirma le jugement du 20 février 1995 pour autant qu’il avait rejeté la demande de dommages-intérêts et ordonna le réexamen de celle-ci au motif que la juridiction de première instance n’avait pas suivi l’avis juridique ni les directives de la Cour suprême à cet égard et qu'elle avait mal défini la mission de l'expert désigné par elle.

18.  Le 23 octobre 1996, le tribunal régional de Wałbrzych débouta le requérant de sa demande d’indemnisation. Le 29 novembre 1996, l’intéressé le saisit d'un recours adressé à la cour d'appel de Wrocław et demanda à être dispensé des frais de procédure.

19.  Le 3 janvier 1997, le tribunal régional de Wałbrzych dispensa l’entreprise du requérant de l’ensemble des frais de procédure, à l’exception des premiers 20 000 zlotys (PLN), et rejeta sa demande pour le surplus. L’intéressé attaqua la décision devant la cour d’appel de Wrocław qui, le 13 février 1997, rejeta son recours, estimant que l’entreprise avait les moyens d’assumer lesdits frais.

20.  Le 9 mars 1997, le requérant renouvela auprès du tribunal régional de Wałbrzych sa demande de dispense des frais de procédure, alléguant qu’au cours de l'instance, qui se prolongeait, la situation financière de son entreprise s’était détériorée. Le 14 avril 1997, le tribunal le dispensa de la partie des frais excédant 10 000 PLN. Le 9 juin 1997, la cour d’appel de Wrocław rejeta le recours formé par le requérant contre cette décision.

21.  Le 1er septembre 1997, le tribunal régional de Wałbrzych débouta le requérant d’une nouvelle demande de dispense des frais de procédure. L’intéressé attaqua la décision devant la cour d’appel de Wrocław, qui rejeta son recours le 16 octobre 1997.


22.  Le 17 décembre 1997, le tribunal régional de Wałbrzych écarta pour non-paiement des frais de procédure le recours formé par le requérant contre le jugement du 23 octobre 1996. Entre le 29 janvier 1998 et le 30 mars 1998, tant le tribunal régional que la cour d’appel examinèrent les demandes de dispense des frais de procédure introduites par l'intéressé. Le 29 mai 1998, la cour d’appel de Wrocław débouta celui-ci du recours qu'il avait introduit contre la décision du 17 décembre 1997.

23.  Le 30 juin 1998, le requérant a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Cette procédure est toujours pendante.

PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION

24.  M. Podbielski a saisi la Commission le 31 mars 1995. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui.

25.  La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 27916/95) le 15 avril 1997. Dans son rapport du 22 octobre 1997 (article 31), elle conclut, par treize voix contre deux, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[4].

CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR

26.  Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour de constater que les faits de l’espèce révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et l’invite à lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50.

27.  Dans le sien, le Gouvernement demande à la Cour de juger que l’article 6 § 1 n’a pas été violé en l’espèce.

En droit

I.Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la convention

28.  Le requérant soutient que la procédure civile engagée par lui ne s’est pas terminée dans un délai raisonnable comme l’eût voulu l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

29.  La Commission souscrit à la thèse du requérant, le Gouvernement estimant pour sa part que les faits de la cause ne révèlent aucune violation de ladite clause.

A.Période à considérer

30.  La Cour note que la période à prendre en considération pour apprécier la durée de la procédure au regard de l'exigence du « délai raisonnable » posée par l’article 6 § 1 a commencé non pas le 25 mai 1992, date de l'introduction par le requérant d'une procédure au civil devant le tribunal régional de Wałbrzych, mais le 1er mai 1993, date de la prise d'effet de la déclaration polonaise reconnaissant le droit de recours individuel aux fins de l’article 25 de la Convention.

Contrairement à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la période à prendre en considération s’est terminée le 23 octobre 1996, date à laquelle le tribunal régional de Wałbrzych aurait rendu le jugement définitif sur le fond de l'affaire, la Cour note que la procédure dans la cause du requérant se trouve toujours pendante, la décision définitive sur le pourvoi en cassation formé par l’intéressé n’ayant toujours pas été rendue. En conséquence, la procédure a duré jusqu’ici plus de six ans et cinq mois, dont cinq ans, cinq mois et vingt-neuf jours sont pris en considération par la Cour (paragraphes 8, 18 et 23 ci-dessus).

31.  Pour juger du caractère raisonnable ou non du laps de temps en question, la Cour tiendra compte de l’état où l’affaire se trouvait au 1er mai 1993 (voir, entre autres, l’arrêt Proszak c. Pologne du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2772, § 31).

B.Caractère raisonnable de la durée de la procédure

1.Thèses défendues devant la Cour

32.  Le requérant affirme que, relatives à un contrat simple, les questions soulevées par son action n’étaient pas complexes. Il critique le comportement des tribunaux qui, d’après lui, ont contribué à allonger la durée de la procédure en rendant des décisions erronées. L’affaire aurait pu être tranchée dès 1992, après la première audience devant le tribunal de première instance, et en tout état de cause en 1994, après que la Cour suprême eut donné des directives contraignantes concernant la suite de la procédure (paragraphes 8 et 12 ci-dessus). Le requérant invite la Cour à conclure que la durée excessive de la procédure doit être imputée au comportement des autorités judiciaires et qu'en conséquence il a été victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

33.  Le Gouvernement combat cette analyse. Il soutient que la durée de la procédure a été raisonnable, vu l’absence d’une quelconque nécessité pour les autorités nationales d’agir avec une diligence particulière et compte tenu du comportement des parties à la procédure. Il considère que l’affaire était particulièrement complexe eu égard, notamment, au volume des preuves, au besoin de commettre des experts, à la nature juridique des questions soulevées par l’action du requérant et à l’introduction d’amendements à la législation interne. Il estime de surcroît que si le requérant ne peut être tenu pour responsable de la totalité des retards survenus dans la procédure il a largement contribué à accroître la durée de celle-ci en usant à profusion de ses droits procéduraux. Le Gouvernement récuse également l’affirmation du requérant et de la Commission selon laquelle le tribunal de première instance a concouru à l'allongement de la durée de la procédure en omettant de se conformer aux directives données par la Cour suprême le 28 janvier 1994. Se référant au droit interne, il conteste en particulier la nature contraignante de ces directives (paragraphe 12 ci-dessus).

Pour ces motifs notamment, le Gouvernement plaide la non-violation de l’article 6 § 1.

34.  La Commission a jugé du caractère raisonnable ou non de la durée de la procédure à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, en tenant compte de la complexité de celle-ci ainsi que du comportement du requérant et des autorités compétentes. D'après elle, l’affaire n’était pas particulièrement complexe puisqu’elle concernait l’interprétation d’un contrat et l’appréciation des demandes résultant de sa non-exécution. De même, la durée de la procédure ne pouvait s’expliquer par le comportement du requérant, celui-ci ne pouvant passer pour l’avoir sensiblement allongée. En outre, les principales questions juridiques soulevées par l’espèce avaient été résolues par l’arrêt de la Cour suprême du 28 janvier 1994, dans lequel des directives contraignantes avaient été données (paragraphe 12 ci-dessus). Au terme de son analyse, la Commission a conclu que les autorités nationales, et en particulier le tribunal régional de Wałbrzych, avaient contribué de manière substantielle à allonger la durée de la procédure en omettant de suivre les directives contraignantes de la Cour suprême. Pour ce motif, elle a constaté une violation de l’article 6 § 1.

2.Appréciation de la Cour

35.  La Cour rappelle que la procédure en cause dure à ce jour depuis plus de six ans et cinq mois (paragraphes 30-31 ci-dessus). Le requérant et le Gouvernement ont débattu des motifs expliquant la longueur de cette période en se référant aux critères établis par la Cour pour l’appréciation de la question de savoir si le « délai raisonnable » visé à l’article 6 § 1 de la Convention a été respecté, à savoir la complexité de la cause et le comportement du requérant et des autorités. La Cour jugera du caractère raisonnable ou non de la durée de la procédure incriminée sur la base des mêmes critères, en prenant comme point de départ les circonstances particulières de l’espèce et en ayant égard à ce qu’était l’enjeu pour le requérant (voir, entre autres, l’arrêt Süßmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, pp. 1172-1173, § 48). Elle fait observer à cet égard que, vu l’inflation galopante qui sévissait à l’époque, M. Podbielski avait un fort intérêt économique à ce qu’une décision définitive sur sa demande dirigée contre la commune intervînt dans un délai raisonnable.

a)Complexité de la cause

36.  La Cour considère que l’objet du litige n’était pas particulièrement complexe puisqu’il s'agissait de l’exécution de droits et obligations découlant d’un contrat simple. S’il est vrai que la nature évolutive du système juridique interne à l’époque pertinente et l’incertitude quant à la manière dont les tribunaux devaient aborder l’affaire vinrent compliquer l’interprétation des clauses pénales du contrat, il y a lieu de noter que les principales questions juridiques furent clarifiées par la Cour suprême le 28 janvier 1994 (paragraphe 12 ci-dessus). Dès lors, la complexité de l’objet de la cause ne saurait justifier la durée de la procédure.

b)Comportement du requérant

37.  Pour la Cour, si le requérant a peut-être contribué, dans une certaine mesure, à allonger la durée de la procédure par son comportement, par exemple en ne cessant de solliciter la dispense des frais de procédure (paragraphes 13, 16, 18-22 ci-dessus), cela ne saurait expliquer la durée totale de la procédure.

c)Comportement des autorités nationales

38.  La Cour note que l’action intentée au civil par le requérant le 25 mai 1992 n’a toujours pas fait l’objet d’une décision définitive (paragraphes 8 et 23 ci-dessus). Cette situation lui paraît avoir été causée, dans une large mesure, par les modifications législatives que le passage d’un système d’économie planifiée à un système d’économie de marché a rendues nécessaires ainsi que par la complexité des procédures engendrées par le litige, lesquelles empêchèrent une décision rapide sur la demande du requérant. La Cour rappelle néanmoins à cet égard que l’article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, y compris l'obligation de trancher les causes dans des délais raisonnables (voir, entre autres, l’arrêt Duclos c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2180-2181, § 55 in fine). En conséquence, les retards survenus dans la procédure doivent, pour l’essentiel, être imputés aux autorités nationales.

d)Conclusion

39.  La Cour estime que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, une période de plus de six ans et cinq mois – dont cinq ans, cinq mois et vingt-neuf jours sont pris ici en considération – sans que soit intervenue une décision définitive ne peut passer pour raisonnable.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II.SUR L’Application de l’article 50 de la convention

40.  Le requérant réclame une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention, dont voici le texte :

« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »

A.Dommage matériel

41.  Le requérant sollicite une indemnité de 17 403 624 dollars américains à titre de compensation pour la perte financière qu'à ses dires la durée déraisonnablement longue de la procédure litigieuse lui a causée. Il explique qu'ayant résolu de se lancer dans la production de petits tracteurs, sa société avait investi dans des équipements de fabrication et consenti des frais de marketing. Or, du fait de la lenteur de la procédure, elle se serait vue privée des rentrées escomptées, ce qui aurait finalement conduit à son insolvabilité. En conséquence, une partie de ses biens seraient tombés entre les mains de ses créanciers et elle aurait subi une perte de chances sur le marché en expansion des petits tracteurs.

42.  Le Gouvernement juge exorbitant le montant sollicité par le requérant. Il invite la Cour à juger qu’un constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il lui demande de chiffrer l’éventuelle satisfaction équitable sur la base de sa jurisprudence relative aux affaires civiles où une diligence normale est requise.

43.  Le délégué de la Commission considère lui aussi que la demande du requérant est franchement excessive. Il estime que le montant d’une indemnité ne saurait être calculé à partir d’une spéculation sur l’issue de la procédure.

44.  La Cour note que la demande d’indemnité pour dommage matériel formulée par le requérant se fonde essentiellement sur une perte de chances commerciales, spéculatives par nature. Elle ne peut conjecturer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure si le requérant avait obtenu une décision définitive sur son action dans un délai raisonnable. En conséquence, elle rejette la demande.

B.Dommage moral

45.  Le requérant revendique également une indemnité pour dommage moral, qu’il laisse à la Cour le soin de chiffrer. Il soutient que la violation de ses droits lui a causé des difficultés financières qui, faute pour lui d’avoir pu honorer ses dettes, ont jeté le discrédit sur son nom commercial.

46.  Le Gouvernement invite la Cour à déclarer qu’un constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il lui demande de fixer le niveau de l’éventuelle réparation sur la base de sa jurisprudence relative aux affaires civiles où une diligence normale est requise.

47.  Pour le délégué de la Commission, une somme de 20 000 zlotys (PLN) pourrait être accordée de ce chef.

48.  Compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour, statuant en équité, alloue au requérant 20 000 PLN.

C.Frais et dépens

49.  Le requérant réclame également 133 000 PLN pour les frais d’avocat et les dépens encourus en rapport avec la préparation et la présentation de sa cause.

50.  Le Gouvernement juge cette demande excessive et invite la Cour à ne pas l’accueillir en entier.

51.  Pour le délégué de la Commission, une somme de 5 000 PLN pourrait être accordée de ce chef.

52.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, le remboursement des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Or la Cour note à cet égard que le requérant n’a pas fourni le détail des frais qu’il dit avoir consentis. Il y a donc lieu de rejeter sa demande (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Belziuk c. Pologne du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 573, § 49).

D.Intérêts moratoires

53.  D’après les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en Pologne à la date d’adoption du présent arrêt est de 33 % l’an.

Par ces motifs, la cour, à l’unanimité,

1.Dit que l’article 6 § 1 de la Convention a été violé ;

2.Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 20 000 (vingt mille) zlotys pour dommage moral ;

b) que cette somme sera à majorer d’un intérêt simple de 33 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

3.Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 30 octobre 1998.

Signé : Rudolf Bernhardt

Président

Signé : Herbert Petzold

Greffier


[1]Notes du greffier

.  L’affaire porte le n° 12/1998/915/1127. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[2].  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.

[3]. Affaire n° 9/1998/912/1124.

[4].  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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