CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE ANTONETTO c. ITALIE, 20 juillet 2000, 15918/89

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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www.lantheaume-avocat.fr · 20 février 2023

Partie 2 – Le droit Dans la première partie de ce poste de blog, nous avions expliqué l'attitude de la préfecture du Rhône, qui a décidé de ne plus respecter les jugements rendus par le tribunal administratif de Lyon en matière de contentieux des étrangers. Nous en venons désormais au cadre juridique qui prévoit ce que peut faire un tribunal en cas de difficulté d'exécution d'un jugement qu'il a rendu. De manière plus générale, nous évoquons l'appréciation par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), d'une part, de l'absence de respect par une administration d'une décision de …

 

CEDH · 20 juillet 2000

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Partie 2 – Le droit Dans la première partie de ce poste de blog, nous avions expliqué l'attitude de la préfecture du Rhône, qui a décidé de ne plus respecter les jugements rendus par le tribunal administratif de Lyon en matière de contentieux des étrangers. Nous en venons désormais au cadre juridique qui prévoit ce que peut faire un tribunal en cas de difficulté d'exécution d'un jugement qu'il a rendu. De manière plus générale, nous évoquons l'appréciation par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), d'une part, de l'absence de respect par une administration d'une décision de …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 20 juill. 2000, n° 15918/89
Numéro(s) : 15918/89
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, pp. 850-851, § 50
Arrêt Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, n° 31524/96, du 30 mai 2000, § 63
Arrêt E.P. c. Italie, n° 31127/96, du 16 novembre 1999, § 80
Arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, Série A n° 56, p. 18, § 53
Arrêt Hornsby c. Grèce (art. 50) du 1er avril 1998 Recueil 1998, § 18
Arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40, p. 511, § 41
Arrêt Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 58, CEDH 1999-II
Arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, § 63 in fine, CEDH 1999-V
Arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98, pp. 29-30, § 37
Arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 26, § 69
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'Art. 6-1 ; Violation de P1-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-63575
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:0720JUD001591889
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ANTONETTO c. ITALIE

(Requête n° 15918/89)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juillet 2000

DÉFINITIF

20/10/2000

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire Antonetto c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.C.L. Rozakis, président,
A.B. Baka,
B. Conforti,
G. Bonello,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
MM.E. Levits,
A. Kovler, juges,

et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2000,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 15918/89) dirigée contre l’Italie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Irma Antonetto (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 31 août 1989 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requérante est décédée le 20 novembre 1993. L'« Associazione Culturale Italiana » (A.C.I.), héritière de la requérante, a exprimé son désir de poursuivre la procédure devant la Cour.

2.  La requérante est représentée par Me Federico Sorrentino, avocat au barreau de Rome (Italie). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Umberto Leanza et par son co-agent, M. Vitaliano Esposito.

3.  La requérante alléguait la violation de l’article 6 de la Convention du fait de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d’un l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle alléguait également que l’immeuble dont elle n’a pas pu obtenir la démolition l'a privée de la lumière et de la vue dont elle jouissait auparavant et a donc réduit la valeur de sa propriété.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 16 décembre 1999, la Cour a déclaré la requête recevable.

Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A.Les faits antérieurs au 1er août 1973

7.  La requérante était propriétaire d'une maison sise à Turin. En 1964, la ville de Turin autorisa la construction d'un immeuble d'habitation de plusieurs étages sur un terrain voisin de la propriété de la requérante (permis de construire n° 541 du 5 mars 1964 et variation n° 226 du 9 septembre 1964). La construction de cet immeuble fut terminée courant 1967.

8.  Estimant que le permis de construire qui avait été accordé était illégal, la requérante l'attaqua devant le Conseil d'Etat par recours du 4 septembre 1966. Par un arrêt du 17 octobre 1967, déposé au greffe le 12 décembre 1967, le Conseil d'Etat annula le permis de construire en se fondant sur trois motifs : la distance légale de 6 mètres entre les voies publiques et l'immeuble n'était pas respectée, l'immeuble dépassait la hauteur maximum prévue par le plan d'occupation des sols de la ville (la construction était de 15,70 mètres au lieu de 15 mètres), l'immeuble dépassait le volume de construction maximum autorisé dans la zone considérée.

9.  L'arrêt du Conseil d'Etat fut notifié aux parties défenderesses, c'est-à-dire les titulaires du permis de construire et la ville de Turin, et passa en force de chose jugée. La requérante en demanda alors l'exécution, c'est-à-dire la destruction des parties de l'immeuble construites contrairement à la loi, ce qui impliquait, au cas où il ne serait pas possible de détruire une partie seulement de l'immeuble concerné, la destruction de l'immeuble tout entier. La municipalité de Turin ne s'exécuta pas.

10.  Par conséquent, le 13 mai 1969 la requérante l'assigna devant le Conseil d'Etat en exécution de l'arrêt du 12 décembre 1967 (giudizio di ottemperanza). Par un arrêt du 17 février 1970, le Conseil d'Etat déclara que la municipalité était tenue d'exécuter le jugement, bien que le maire fût libre de choisir le moyen (démolition partielle ou totale) de s'y conformer ; le Conseil d'Etat ordonna en outre, pour le cas de non-exécution de l'arrêt dans un délai de 90 jours, la nomination d'un commissaire ad acta.

11.  La commune de Turin ne s'exécuta pas, en raison d'une prétendue réduction de la hauteur de l'immeuble en question et d'une nouvelle délibération, adoptée par le Conseil municipal le 20 avril 1970, et excluant la nécessité, en l'espèce, de respecter la distance légale de 6 mètres entre les voies publiques et l'immeuble.

12.  Le 7 octobre 1970, la requérante saisit à nouveau le Conseil d'Etat, demandant que la commune de Turin fût obligée d'exécuter l'arrêt du 12 décembre 1967. Par un arrêt partiel du 4 juillet 1972, le Conseil d'Etat annula la délibération du Conseil municipal du 20 avril 1970, et déclara que le seul moyen de remettre l'immeuble en conformité avec le droit de l'urbanisme était la démolition des parties excédentaires et, dans le cas où cela aurait compromis la stabilité de l'édifice, de l'immeuble tout entier ; il estima toutefois nécessaire l'acquisition de documents ultérieurs, et ordonna à la municipalité de les fournir dans un délai de 40 jours. Par un arrêt du 20 mars 1973, le Conseil d'Etat ordonna enfin à la Commune de Turin la démolition de l'immeuble.

B.Les faits postérieurs au 1er août 1973

13.  La ville de Turin ne s'étant pas exécutée, la requérante l'assigna alors à nouveau le 14 décembre 1973 devant le Conseil d'Etat ; ce dernier, par un arrêt du 11 avril 1975, ordonna la démolition de l'immeuble dans un délai de 60 jours et à défaut la nomination d'un commissaire ad acta.

14.  Le 14 août 1975, la ville de Turin mit en demeure les copropriétaires de l'immeuble litigieux (qui avaient acquis leurs appartements après la date à laquelle le Conseil d'Etat avait rendu son arrêt) de procéder à la démolition des parties de l'immeuble qui n'étaient pas conformes aux règles d'urbanisme. En date du 30 avril 1976, la ville de Turin rendit une ordonnance de démolition de l'immeuble. Cette ordonnance fit l'objet d'un recours des propriétaires de l'immeuble devant le tribunal administratif régional (TAR), puis devant le Conseil d'Etat, qui le rejetèrent par un jugement du 11 avril 1978 et par un arrêt du 24 octobre 1980 respectivement.

15.  La municipalité de Turin chargea alors ses organes techniques d'accomplir les travaux nécessaires ; le 29 décembre 1981, elle annonça une adjudication pour les travaux de démolition partielle de l'immeuble. Aucune entreprise n'ayant participé à l'adjudication, par un acte du 12 mars 1984, le maire infligea aux titulaires du permis de construire une simple amende.

16.  En mai 1984, la requérante s'adressa alors une nouvelle fois au Conseil d'Etat qui, par l’arrêt n° 6 du 11 janvier 1985, confirma que la ville de Turin était tenue de se conformer à l'arrêt du 12 décembre 1967, et que cette obligation consistait à rétablir - par le biais de la démolition de l'immeuble - l'ordre juridique violé par la construction litigieuse. Il souligna à cet égard que l'imposition d'une amende par la ville de Turin ne pouvait valoir exécution.

17.  Ni la municipalité, ni le commissaire ad acta, nommé à l'échéance du délai imparti à la municipalité, ne s'exécutèrent.

18.  Le 28 juillet 1985, la requérante s'adressa alors, une nouvelle fois, au Conseil d'Etat, qui par arrêt n° 233 du 24 avril 1986 confirma que la ville était tenue de faire exécuter la démolition de l'immeuble. Il souligna à cet égard que les dispositions de l'article 43 de la loi n° 47 de 1985 - qui permettaient de régulariser les constructions abusives même en présence de sanctions administratives non exécutées - ne pouvaient trouver application en l'espèce, l'exécution de l'arrêt ne constituant pas une sanction administrative au sens de la loi précitée.

19.  Le refus de procéder à cette régularisation fit l'objet d'un recours devant le TAR de la part des propriétaires de l'immeuble concerné. Par un jugement du 9 avril 1987, le TAR rejeta ledit recours.

20.  Par la suite, à la demande d'exécution formulée par la requérante, la ville et le commissaire ad acta entre-temps nommé firent valoir l'article 12 bis de la loi n° 68 du 13 mars 1988, qui étendait la possibilité de régularisation des abus en matière de construction au cas où l'irrégularité était constatée par une décision judiciaire.

21.  La requérante saisit à nouveau le Conseil d'Etat. Par un arrêt du 1er mars 1989, le Conseil d'Etat rejeta le recours de la requérante, estimant que la situation litigieuse était couverte désormais par l'article 12 bis de la loi du 13 mars 1988 n°68.

22.  En application de la loi du 13 mars 1988, le 26 mai 1988 la municipalité de Turin accorda aux propriétaires de l'immeuble un permis de construire permettant d'en régulariser la situation. En octobre 1988, la requérante introduisit une instance devant le TAR, visant l'annulation dudit permis de construire. Cette instance fut rejetée par le TAR dans un jugement du 16 avril 1993 et un appel contre ce jugement est toujours pendant devant le Conseil d'Etat.

EN DROIT

i.SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

23.  Invoquant le droit à une protection judiciaire effective, la requérante se plaint de l'impossibilité d'obtenir l'exécution de l'arrêt du Conseil d'Etat, d'abord en raison du refus de la municipalité de se conformer à l'arrêt, ensuite de manière définitive suite à l'adoption de la loi de 1988 permettant la régularisation des abus en matière de construction. Elle invoque l’article 6 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

24.  Le Gouvernement affirme qu’en droit italien le droit à l’exécution d’un arrêt ayant acquis la force de la chose jugée peut être restreint par des intérêts publics qui s’y opposent. La municipalité de Turin, en accordant aux propriétaires de l'immeuble un permis de construire permettant d'en régulariser la situation, a tenu compte des intérêts publics tels que protégés par la loi de 1988. Ainsi le TAR, en rejetant la demande de la requérante, dans son jugement du 16 avril 1993, a tenu compte des intérêts publics primant sur le droit de la requérante à l’exécution de l'arrêt du Conseil d'Etat.

25.  La requérante soutient au contraire que l’administration publique a l’obligation de se conformer aux décisions judiciaires ayant acquis la force de la chose jugée. De surcroît, la requérante souligne que son droit à l’exécution de l’arrêt du Conseil d’Etat n’a pas été sacrifié au nom d’un intérêt public, mais pour protéger les intérêts des particuliers occupant l’immeuble bâti illégalement.

26.  La requérante allègue que la loi du 13 mars 1988, qui a prétendu résoudre les problèmes liés à l’inertie des organes administratifs devant les décisions des autorités judiciaires, a violé ses droits et rendu toutes ses démarches inefficaces.

27.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 (voir les arrêts Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, § 63 in fine, CEDH 1999-V, et Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40).

28.  Ces affirmations revêtent encore plus d'importance dans le contexte du contentieux administratif, à l'occasion d'un différend dont l'issue est déterminante pour les droits civils du justiciable. En introduisant un recours en annulation devant la plus haute juridiction administrative de l'Etat, celui-ci vise à obtenir non seulement la disparition de l'acte litigieux, mais aussi et surtout la levée de ses effets. Or, la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l'obligation pour l'administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par une telle juridiction. La Cour rappelle à cet égard que l'administration constitue un élément de l'Etat de droit et que son intérêt s'identifie donc avec celui d'une bonne administration de la justice. Si l'administration refuse ou omet de s'exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l'article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdraient toute raison d'être (cf. arrêt Hornsby précité, § 41).

29.  En l’espèce, pendant plus de quatorze ans à compter de la date de reconnaissance par l’Italie de la compétence de la Cour pour les recours individuels (1er août 1973) - à cette date le comportement mis en cause durait déjà depuis 6 ans (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, Série A n° 56, p. 18, § 53) - et en dépit de cinq arrêts en exécution, la ville de Turin a refusé de se conformer à l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 octobre 1967 ordonnant la démolition totale ou partielle de l’immeuble litigieux. En s'abstenant pendant cette longue période de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont, en l'occurrence, privé les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.

30.  Il est vrai, comme le Gouvernement le souligne, que l’entrée en vigueur de la loi n° 68 du 13 mars 1988 a étendu la possibilité de régularisation des abus en matière de construction au cas où l'irrégularité était constatée par une décision judiciaire, privant ainsi d’effet les décisions judiciaires définitives qui, comme dans le cas d’espèce, n’avaient pas été exécutées. La Cour n’estime cependant pas nécessaire de se pencher sur la question ultérieure de savoir si à partir du 13 mars 1988 le comportement de l’administration était justifiable, car si la municipalité de Turin s’était conformée, comme elle aurait dû, à l’arrêt du Conseil d’Etat de 1967, la loi en question n’aurait eu aucun impact sur la situation de la requérante.

Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1

31.  La requérante allègue que l’immeuble dont elle ne peut obtenir la démolition l'a privée de la lumière et de la vue dont elle jouissait auparavant et a donc réduit la valeur de sa propriété. Elle conteste le choix de privilégier des propriétaires de l’immeuble irrégulier. Elle invoque l’article 1 du Protocole n° 1, qui se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

32.  Le Gouvernement soutient que la construction de l’immeuble des voisins de la requérante ne violait aucun droit de celle-ci, d’autant plus qu’auparavant au même endroit il existait un vieil immeuble à peine plus petit que celui qui l’a remplacé. De ce fait, la requérante n’a subi aucun préjudice matériel.

A.La règle applicable

33.  Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1 du Protocole n° 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes (arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98, pp. 29-30, § 37) : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première.

34.  En l’espèce, la Cour observe que le refus des autorités administratives de se conformer à l’arrêt du Conseil d’Etat a eu comme conséquence le maintien en l’état de l’immeuble construit irrégulièrement, alors que cet immeuble privait partiellement de vue et de lumière la maison de la requérante en en réduisant ainsi la valeur. Dans ces circonstances, les autorités italiennes sont responsables de l’ingérence dans le droit de propriété de la requérante ; l’ingérence en question ne constitue ni une expropriation ni une réglementation de l’usage des biens, mais relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1.

B.L’observation de l’article 1 du Protocole n° 1

35.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole n° 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux Etats le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (arrêts Belvedere Alberghiera c. Italie, 31524/96, 30.05.2000, § 63, Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, pp. 850-851, § 50) et implique le devoir de l’Etat ou d’une autorité publique de se plier à un jugement ou un arrêt rendus à leur encontre (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Hornsby précité, p. 511, § 41). Il s’ensuit que la nécessité de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 26, § 69) ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et n’était pas arbitraire (cf. arrêt Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 58, CEDH 1999-II).

36.  Le Gouvernement soutient que l’inexécution de l’arrêt du Conseil d’Etat a été rendue légale par la loi n° 68 du 13 mars 1988, qui étendait la possibilité de régularisation des abus en matière de construction au cas où l'irrégularité était constatée par une décision judiciaire.

37.  La requérante conteste la position du Gouvernement.

38.  La Cour constate que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 68 du 13 mars 1988 les abus en matière de construction constatées par une décision judiciaire ayant acquis la force de la chose jugée ne pouvaient pas être régularisés. Par conséquent, les autorités administratives devaient se conformer aux décisions judiciaires et ordonner, là où il y avait nécessité, comme dans le cas d’espèce, la démolition partielle ou totale des immeubles construits irrégulièrement. Le refus de donner exécution aux décisions judiciaires n’avait donc aucune base légale. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.

39.  Cette conclusion n’est pas entachée par la considération qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi n° 68 du 13 mars 1988, l’ingérence a acquit une base légale en droit interne.

Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1.

III.SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.Dommage matériel

41.  La requérante réclame la réparation du préjudice matériel subi et le chiffre, s’appuyant sur un rapport d’estimation établi par un architecte, à 100 000 000 lires italiennes (ITL) correspondant à la diminution de la valeur commerciale de sa propriété.

42.  Le gouvernement maintient qu’il manque tout lien de causalité entre les dommages réclamés et les violations alléguées.

43.  La Cour observe qu’en l’espèce l’ingérence en cause a trait à la diminution de valeur de la maison de la requérante (voir paragraphe 34 ci-dessus). La Cour, eu égard au constat figurant au paragraphe 38, estime dès lors qu’il y a lieu d’accorder à la requérante une somme à titre de dommage matériel. Le Gouvernement n’ayant pas contesté le montant des dommages alléguées par la requérante, la Cour accorde à celle-ci le montant revendiqué en entier.

B.Dommage moral

44.  La requérante demande aussi la réparation du préjudice moral en se remettant à la sagesse de la Cour.

45.  Le Gouvernement considère que le constat de violation constituerait en soi, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante.

46.  La Cour, tenant compte en particulier du profond sentiment d’injustice dû au fait que l’administration italienne ne s’est pas conformée aux arrêts du Conseil d’Etat (voir arrêt Hornsby c. Grèce (art. 50) du 1er avril 1998 Recueil 1998, § 18), estime équitable d’octroyer à la requérante 15 000 000 ITL.

C.Frais et dépens

47.  La requérante demande le remboursement des frais et honoraires exposés devant les juridictions internes à raison de 6 000 000 ITL pour chaque instance pour un total de dix instances (60 000 000 ITL). La requérante n’a pas fourni de justificatifs à l’appui de cette demande. Elle demande également le remboursement des frais et honoraires exposés devant la Commission et la Cour à raison de 24 352 000 ITL.

48.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

49.  Compte tenu du fait que la requérante n’a pas fourni de justificatifs à l’appui de sa demande relative aux frais et dépens exposés devant les juridictions nationales, la Cour écarte cette demande (E.P. c. Italie, 31227/96, 16.11.1999, § 80). Pour les frais et honoraires exposés devant les instances de Strasbourg, la Cour juge raisonnable d’octroyer à la requérante le montant réclamé en entier.

C.Intérêts moratoires

50.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,5 % l’an.

par ces motifs, la cour,

1.Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

2.Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 ;

3.Dit, à l’unanimité,

a)que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

–  100 000 000 ITL pour dommage matériel,

–  15 000 000 ITL pour dommage moral,

–  24 352 000 ITL pour frais et dépens,

b)que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

Fait en français puis communiqué par écrit le 20 juillet 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Erik FriberghChristos Rozakis
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE ANTONETTO c. ITALIE, 20 juillet 2000, 15918/89