CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE KADRI c. FRANCE, 27 mars 2001, 41715/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 27 mars 2001, n° 41715/98
Numéro(s) : 41715/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt J.B. c. France du 26 septembre 2000, n° 33634/96, § 18
Arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999 [GC], n° 25444/94, CEDH 1999-II, § 67
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-63914
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0327JUD004171598
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KADRI c. FRANCE

(Requête n° 41715/98)

ARRÊT

STRASBOURG

27 mars 2001

DÉFINITIF

27/06/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.


En l’affaire Kadri c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM W. Fuhrmann, président,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 septembre 2000 et 13 mars 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 41715/98) dirigée contre la France et dont un ressortissant de cet Etat, Mr Hocine Kadri (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 juin 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Eric Planchat, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant se plaignait de la durée d’une procédure fiscale et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). Elle a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

5.  Le 14 mars 2000, la Cour a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement en l’invitant à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci. Le Gouvernement a présenté ses observations le 31 mai 2000 et le requérant y a répondu le 9 juin 2000.

6.  Par une décision du 26 septembre 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Le requérant était gérant de deux sociétés qui exploitaient deux restaurants à Fontainebleau. Ces sociétés firent l’objet de vérifications de comptabilité. Du 22 mars au 14 octobre 1982, le requérant fit l’objet d’une vérification approfondie de sa situation fiscale d’ensemble portant sur les années 1979 à 1981.

8.  A l’issue de ces vérifications, un avis de redressement lui fut notifié le 25 octobre 1982 avec taxations d’office sur des montants de 868 900 FRF (pour l’année 1979), 295 540 FRF (pour l’année 1980) et 969 470 FRF (pour l’année 1981). Un second avis en date du 24 janvier 1983, faisant suite à une demande de justification de la part de l’administration fiscale, porta le montant retenu pour l’année 1981 à 2 266 460 FRF.

9.  Des impositions supplémentaires furent mises en recouvrement le 30 septembre 1983 assorties d’une pénalité de mauvaise foi de 100 % : 931 736 FRF, dont majoration de 465 868 FRF pour l’année 1979 ; 239 098 FRF, dont majoration de 119 549 FRF pour 1980 et 1 142 872 FRF, dont majoration de 571 436 FRF pour l’année 1981.

10.  Le 13 mars 1986, le requérant adressa une réclamation administrative pour contester le bien-fondé des impositions supplémentaires mises à sa charge. Devant le silence de l’administration, il saisit le tribunal administratif de Versailles le 13 février 1987.

11.  Le 27 avril 1988, l’administration fiscale présenta un mémoire dans lequel elle fit valoir son accord pour prononcer une réduction d’impôt de 909 776 FRF au titre de l’année 1979. Les 12 août et 4 septembre 1992, le requérant présenta un mémoire en réplique puis un mémoire complémentaire.

12.  Le 22 mars 1995, le requérant présenta un mémoire auquel l’administration répondit le 27 août 1997. Dans ce dernier mémoire, celle-ci fit état de différents dégrèvements au titre des années 1980 et 1981 et substitua des intérêts de retard aux pénalités de mauvaise foi.

13.  Le 2 janvier 1998, le requérant adressa un courrier au greffe du tribunal demandant la fixation d’une audience.

14.  Par un jugement du 3 mars 1998, notifié le 18 mai, le tribunal fit partiellement droit à la requête du requérant en accordant la décharge de certaines impositions contestées et en réduisant la base de l’impôt au titre de l’année 1981 à la somme de 906 982 FRF.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

15.  Le requérant dénonce la durée de la procédure devant le tribunal administratif de Versailles et allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

A.  Période à prendre en considération

16.  La procédure a débuté par la réclamation préalable en date du 13 mars 1986 et s’est terminée par la notification, le 18 mai 1998, du jugement rendu le 3 mars de la même année (voir la décision sur la recevabilité du 26 septembre 2000). Elle a donc duré douze ans, deux mois et cinq jours.

B.  Sur l’observation de l’article 6 § 1 de la Convention

17.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999 [GC], n° 25444/94, CEDH 1999-II, § 67, et plus récemment, l’arrêt J.B. c. France du 26 septembre 2000, n° 33634/96, § 18).

18.  Le Gouvernement admet que la durée litigieuse ne peut être expliquée ni par la complexité de l’affaire ni par le comportement du requérant ; il s’en remet à la sagesse de la Cour.

19.  La Cour prend acte de la déclaration du Gouvernement. Elle considère que la juridiction administrative concernée n’a pas fait preuve de la diligence requise.

20.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

22.  Le requérant réclame six millions de francs français (FRF) dont un million six cent mille au titre du préjudice matériel.

23.  Le Gouvernement estime que 40 000 FRF suffirait à réparer le préjudice moral. Quant au préjudice matériel, il considère qu’il n’est pas lié à la procédure contentieuse et qu’en tout état de cause, le requérant avait la possibilité de réclamer au juge administratif l’indemnisation d’un éventuel préjudice matériel, ce qu’il s’est abstenu de faire.

24.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l’article 6 § 1 et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait à souffrir  et rejette en conséquence les prétentions de ce dernier à ce titre. En revanche, la Cour juge que le requérant a subi un tort moral du fait de la durée de la procédure litigieuse. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 50 000 FRF à ce titre.

B.  Frais et dépens

25.  Le requérant réclame 35 880 FRF au titre des frais exposés pour les besoins de la procédure devant la Cour.

26.  Le Gouvernement considère cette demande excessive.

27.  La Cour ne partage pas l’opinion du Gouvernement et accorde la somme réclamée.

C.  Intérêts moratoires

28.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit 

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 50 000 (cinquante mille) francs français pour dommage moral, et 35 880 (trente-cinq mille huit cent quatre-vingts) francs français pour frais et dépens,

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

3.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 mars 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dolléw. fuhrmann
GreffièrePrésident

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