CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE SAGGIO c. ITALIE, 25 octobre 2001, 41879/98

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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www.haas-avocats.com · 12 mars 2009

En matière de responsabilité contractuelle l'article 1149 du Code civil rappelle que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après » Par cet article, le législateur a entendu fixer un principe particulièrement protecteur visant à l'indemnisation de l'entier préjudice de la victime. Se posent toutefois plusieurs questions quant à la mise œuvre de ce principe. Première question : Comment évaluer l'assiette de ce préjudice ? Deux principaux postes d'indemnisation du …

 

CEDH · 25 octobre 2001

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 25 oct. 2001, n° 41879/98
Numéro(s) : 41879/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Affaire Størksen c. Norvège, requête n° 19819/92, décision de la Commission du 5 juillet 1994, Décisions et rapports (DR) 78-B, pp. 88-89 et 94-95
Arrêt Air Canada c. Royaume-Uni du 5 mai 1995, série A n° 316-A, p. 15, § 30
Arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2285-2286, §§ 92-94
Arrêt Ambruosi c. Italie du 19 octobre 2000, non publié, § 20
Arrêt Aydin c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1895, § 103
Arrêt Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52
Arrêt Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III
Arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, § 44, § 49 et § 54, CEDH 1999-V
Arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98, pp. 29-30, § 37
Arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330, § 106
Arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, p. 14, § 31
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-64324
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:1025JUD004187998
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SAGGIO c. ITALIE

(Requête n° 41879/98)

ARRÊT

STRASBOURG

25 octobre 2001

DÉFINITIF

25/01/2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Saggio c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.C.L. Rozakis, président,
A.B. Baka,
B. Conforti,
G. Bonello,
MmeV. Strážnická,
MM.P. Lorenzen,
M. Fischbach, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 septembre 1999, 10 juillet 2001 et 27 septembre 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 41879/98) dirigée contre l’Italie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Alfio Saggio (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 19 décembre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Bruno Micolano, avocat au barreau de Bologne. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza et son coagent, M. V. Esposito.

3.  Le requérant alléguait en particulier qu’il n’avait pas pu obtenir le paiement des sommes qui lui étaient dues et que le système judiciaire italien l’avait privé de toute tutelle juridictionnelle pour faire valoir son grief.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 14 septembre 1999, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7.  Le requérant a déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire, mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Le requérant fut employé en qualité de cadre auprès de la société à responsabilité limitée F. du 8 mai 1989 au 6 juillet 1995, date à laquelle il démissionna car il n'avait plus obtenu sa rétribution depuis janvier 1995.

9.  Le 7 juin 1995, le tribunal de Bologne déclara que la société F. n’était pas en mesure de faire face à ses dettes.

10.  Par un décret du 23 juin 1995, le ministre de l’industrie plaça la société F. en « administration extraordinaire » (amministrazione straordinaria), l’autorisa à continuer son activité productive pour une durée de deux ans et nomma trois commissaires liquidateurs. Cette décision, publiée dans le Journal Officiel (Gazzetta Ufficiale) du 28 juin 1995, fut communiquée au requérant par courrier du 19 février 1996, qui précisait également qu’aucune action en exécution ne pouvait être entamée à l’encontre de la société F. et que tout paiement des crédits n’aurait pu avoir lieu que lors de la répartition de l’actif.

11.  Le requérant a indiqué que la valeur de sa créance s’élève à 209 255 134 lires (environ 720 000 FF), somme due à titre de salaires non payés, traitement de fin de rapport et congés dont il n’avait pas bénéficié.

12.  Par une lettre du 8 avril 1999, la société F. informa le requérant que, sous réserve de vérifications ultérieures, il ressortait du dossier que l’ensemble de ses créances s’élevait à 203 954 032 lires (environ 690 000 FF), dont 144 679 032 lires représentaient une créance privilégiée.

13.  A une date non précisée, le requérant reçut, de la part d’un fond de garantie (fondo di garanzia presso l’INPDAI), la somme de 76 589 900 lires (environ 260 000 FF), à laquelle il avait droit à titre de traitement de fin de rapport. Le requérant devrait donc encore recevoir 127 364 132 lires (environ 431 500 FF).

14.  Cependant, il ressort d’une note rédigée par les commissaires liquidateurs de la société F. que le montant global des dettes de celle-ci, qui a depuis longtemps cessé toute activité productive, s’élève à environ 1.104 milliards de lires (un milliard étant environ 3 387 000 FF). Pour faire face à ces dettes, la société en question dispose de la propriété de certains immeubles (qui sont cependant en partie hypothéqués et en partie font l’objet d’actions révocatoires). Les commissaires liquidateurs sont en train d’essayer de récupérer certaines créances non payées, dont la plus importante s’élève à 200 milliards de lires. Dans leur note, les commissaires liquidateurs déclarent ne pas être en mesure de prévoir s’il y aura des répartitions de l’actif en faveur du requérant, cette possibilité étant conditionnée par l’issue des procédures de récupération des créances et par les exigences du rétablissement d’une protection identique pour tous les créanciers (par condicio creditorum). Le requérant estime fort probable qu’aucun autre paiement ne sera fait en sa faveur.

15.  Selon les informations fournies par le Gouvernement le 26 février 2001, la procédure d’administration extraordinaire était, à cette date, encore pendante devant les commissaires liquidateurs.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

16.  A l’époque des faits, la procédure d’administration extraordinaire était réglementée par la loi n° 95 du 3 avril 1979 (ci-après indiquée comme « loi Prodi ») ainsi que par les articles 195 et suivants du décret  royal n° 267 du 16 mars 1942 (ci-après indiqué comme « loi de la faillite »). Elle s’appliquait principalement aux entreprises commerciales ayant un nombre d’employés non inférieur à trois cents et dont la masse des créances s’élevait à 35 000 000 000 lires (environ 120 690 000 FF) ou plus, dépassant cinq fois la valeur du capital social versé. L’application de l’administration extraordinaire excluait la possibilité de déclarer la faillite de l’entreprise, qui était autorisée à continuer son activité productive pour une durée déterminée, en tout cas non supérieure à cinq ans (article 2 §§ 1 et 2 de la loi Prodi).

17.  La procédure était précédée d’une phase préalable devant le tribunal civil, qui déclarait que l’entreprise n’était pas en mesure de faire face à ses dettes. L’administration extraordinaire proprement dite était ensuite prononcée par le ministre de l’industrie et dirigée par un ou trois commissaires liquidateurs (article 1 §§ 5 et 6 de la loi Prodi). Ces derniers étaient chargés de vérifier l’état des créances et d’arrêter un « programme de récupération » (piano di risanamento - article 2 §§ 4 et 5 de la loi Prodi) visant à sauvegarder la valeur technique, commerciale et productive de l’entreprise en difficulté ainsi que les postes de travail.

18.  Au cours de la procédure d’administration extraordinaire, aucun créancier ne pouvait introduire devant les juridictions judiciaires des demandes individuelles en exécution visant à attaquer directement le patrimoine de la société débitrice (articles 201 et 51 de la loi de la faillite). Toute créance, même privilégiée, devait être d’abord vérifiée selon la procédure arrêtée aux articles 207 et 209 de la loi de la faillite, qui, en leurs parties pertinentes, se lisent ainsi :

« Dans un délai d’un mois à partir de sa nomination, le commissaire liquidateur communique à chaque créancier (...) le montant de la valeur de sa créance résultant des documents comptables de l’entreprise (...). Dans un délai de quinze jours à partir de la réception de la communication susmentionnée, les créanciers (...) peuvent adresser au commissaire d’observations ou de demandes. »

« (...) Dans un délai de quatre-vingt-dix jours à partir du décret ordonnant l’administration extraordinaire, le commissaire rédige un état des créances acceptées et rejetées (...) et le dépose au greffe du tribunal (...). Suite au dépôt au greffe, l’état des créances dévient exécutoire. »

19.  Le(s) commissaire(s) se chargeai(en)t ensuite de la liquidation de l’actif (articles 210 et 211 de la loi de la faillite) et de la répartition aux créanciers des sommes obtenues (article 212 de la loi de la faillite). Aux termes de l’article 213 de la loi de la faillite, le bilan final de la liquidation et le plan de répartition aux créanciers étaient déposés au greffe du tribunal. Dans un délai de vingt jours à partir de la communication de ce dépôt, les créanciers avaient la faculté de contester le bilan et le plan de répartition devant le tribunal civil (paragraphe 2 de l’article 213 précité).

20.  La clôture de la procédure d’administration extraordinaire était prononcée, à la demande des commissaires ou d’office, par une autorité de contrôle (autorità di vigilanza - article 6 § 6 de la loi Prodi).

21.  La loi Prodi a été ensuite abrogée par un décret législatif n° 270 du 8 juillet 1999, entré en vigueur fin août 1999. Ce dernier a également introduit une nouvelle réglementation de la procédure d’administration extraordinaire, prévoyant notamment la possibilité pour tout créancier de contester devant les juridictions judiciaires les actes du commissaire liquidateur (article 17 du décret-loi n° 270 du 8 juillet 1999).

EN DROIT

1.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1

22.  Le requérant allègue qu’à cause de la lenteur de la procédure d’administration extraordinaire, il n’a pas pu obtenir le paiement des sommes qui lui étaient dues à titre de salaires non payés et congés dont il n’avait pas bénéficié. Dans sa décision sur la recevabilité de la requête, la Cour a estimé que ce grief doit être examiné sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.  Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

   Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

23.  Le Gouvernement observe que toute interférence avec le droit de propriété du requérant a été conforme à l’intérêt général et que les autorités nationales n’ont pas enfreint le juste équilibre requis en la matière entre les exigences de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

A.  Sur l’existence d’un « bien » au sens de l’article 1

24.  Selon la jurisprudence des organes de la Convention, un gain futur constitue un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole n° 1 si le gain a été acquis ou fait l’objet d’une créance exigible (arrêt Ambruosi c. Italie du 19 octobre 2000, non publié, § 20 ; voir aussi Størksen c. Norvège, requête n° 19819/92, décision de la Commission du 5 juillet 1994, Décisions et rapports (DR) 78-B, pp. 88-89 et 94-95).

25.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été employé en qualité de cadre auprès de la société à responsabilité limitée F. du 8 mai 1989 au 6 juillet 1995, et qu’il n’avait plus obtenu sa rétribution depuis janvier 1995 (paragraphe 8 ci-dessus). De plus, le 8 avril 1999, ladite société a informé le requérant que l’ensemble de ses créances, vérifiées dans le cadre de la procédure d’administration extraordinaire, s’élevait à 203 954 032 lires italiennes (paragraphe 12 ci-dessus). Le débiteur lui-même ayant reconnu le droit du requérant à obtenir le paiement d’une somme d’argent, la Cour considère que le requérant est titulaire d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole n° 1.

B.  Sur l’existence d’une ingérence

26.  La Cour estime qu’il y a eu ingérence dans le droit de propriété du requérant tel que l’article 1 du Protocole n° 1 le garantit. En effet, suite à l’adoption de la procédure d’administration extraordinaire, son « bien » a été géré par un organe de l’Etat et l’intéressé s’est trouvé, pendant un certain temps, dans l’impossibilité d’exiger le paiement de sa créance.

C.  La règle applicable

27.  L’article 1 du Protocole n° 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes (arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98, pp. 29-30, § 37, et Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, § 44, CEDH 1999-V) : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (arrêt Air Canada c. Royaume-Uni  du 5 mai 1995, série A n° 316-A, p. 15, § 30).

28.  La Cour note qu’il n’y a eu en l’espèce ni expropriation de fait ni transfert de propriété, car le droit du requérant à recouvrir sa créance n’a jamais été mis en doute. L’application de la procédure d’administration extraordinaire s’analyse en une réglementation de l’usage des biens. Le second alinéa de l’article 1 du Protocole n° 1 joue donc en l’occurrence.

D.  Le respect des conditions du second alinéa

1.  But de l’ingérence

29.  La Cour reconnaît que la procédure d’administration extraordinaire vise à assurer une gestion équitable des biens de l’entreprise en liquidation, en vue de garantir une protection identique pour tous les créanciers. Il s’ensuit que l’ingérence en question poursuivait de buts légitimes conformes à l’intérêt général, à savoir une bonne administration de la justice et la protection des droits d’autrui.

2.  Proportionnalité de l’ingérence

30.  La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence, notamment celle dont l’examen relève du second paragraphe de l’article 1, doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (arrêts Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III, et Immobiliare Saffi c. Italie, précité, § 49).

31.  La Cour estime qu’en principe un système de suspension temporaire du paiement des créances d’une entreprise commerciale en crise autorisée à continuer son activité productive dans l’intérêt de l’économie nationale, n’est pas critiquable en soi, vu notamment la marge d’appréciation autorisée par le second alinéa de l’article 1. Cependant, un tel système emporte le risque d’imposer aux créanciers une charge excessive quant à la possibilité de recouvrir leurs biens et doit donc prévoir certaines garanties de procédure pour veiller à ce que la mise en œuvre du système et son incidence sur le droit de propriété des particuliers ne soient ni arbitraires ni imprévisibles (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Immobiliare Saffi c. Italie, précité, § 54).

32.  Or, la Cour fait observer que le système italien en vigueur à l’époque des faits souffrait d’une certaine rigidité : en effet, une fois entamée la procédure d’administration extraordinaire, aucun créancier ne pouvait introduire devant les juridictions judiciaires des demandes individuelles en exécution visant à attaquer directement le patrimoine de la société débitrice, toute créance, même privilégiée, devant être d’abord vérifiée par les commissaires liquidateurs (paragraphe 18 ci-dessus). Seul le dépôt, par ces derniers, du bilan final de la liquidation et du plan de répartition ouvrait aux créanciers la possibilité de contester, devant le tribunal civil, les sommes qui leur avaient été accordées (paragraphe 19 ci-dessus). De plus, les créanciers ne disposaient d’aucun moyen effectif pour contrôler l’activité des commissaires liquidateurs ou pour solliciter l’accomplissement des tâches qui leur étaient confiées.

33.  La Cour doit cependant vérifier si, compte tenu de l’état financier de la société F. et des circonstances particulières du cas d’espèce, la durée de la procédure d’administration extraordinaire a violé le droit de propriété du requérant.

34.  A cet égard, il convient d’observer que la société F. a depuis longtemps cessé son activité productive et que le montant global de ses dettes s’élève à environ 1.104 milliards de lires. La masse active du patrimoine est constituée par certains immeubles, en partie hypothéqués, et par des créances, dont le paiement est incertain et dont le montant est en tout cas largement inférieur à l’ensemble des passivités (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour note que le requérant a déjà obtenu le versement de plus d’un tiers de la somme qu’il sollicitait (voir paragraphe 13 ci-dessus). Pour ce qui est de ses possibilités de recouvrir le restant de celle-ci, la Cour observe que les commissaires liquidateurs estiment que la question de savoir si le requérant obtiendra d’autres paiements en sa faveur est conditionnée par l’issue des procédures qu’ils ont engagées afin des récupérer les créances de la société F. (paragraphe 14 ci-dessus). Le requérant lui-même estime fort probable qu’aucun paiement ne sera fait en sa faveur.

35.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la cause principale du retard dans le paiement de la créance du requérant n’est pas la longueur ou la nature de la procédure de liquidation, mais plutôt le manque de ressources financières du débiteur et les difficultés de récupérer ses créances, des circonstances qu’on ne saurait mettre à la charge de l’Etat. Ce dernier n’a donc pas enfreint, dans le cas d’espèce, l’équilibre qui doit exister en la matière entre la protection du droit des particuliers au respect de leurs biens et les exigences de l’intérêt général.

Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1.

2.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

36.  Le requérant allègue qu’il n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses droits devant une instance nationale capable de lui offrir un redressement approprié. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »

37.  Le Gouvernement note que le requérant doit d’abord soumettre ses prétentions au commissaire liquidateur, et qu’il pourra contester l’état des créances devant les juridictions judiciaires après le dépôt au greffe de ce dernier. En tout cas, il aura droit à l’octroi d’une somme au titre de la dévalorisation de la monnaie.

38.  Le requérant observe que seul l’état de créances peut être attaqué devant les juridictions judiciaires et fait valoir qu’il ne dispose, en droit italien, d’aucun moyen efficace pour accélérer la procédure d’administration extraordinaire.

39.  La Cour observe que l’essence du grief du requérant porte sur l’impossibilité de soumettre à une instance nationale, avant le dépôt de l’état de créances, une demande en paiement des sommes dues ou de contester les actes du commissaire liquidateur. De ce fait, elle estime davantage indiqué d’examiner ce grief sous l’angle de l’obligation plus générale, que l’article 13 de la Convention fait peser sur les Etats, d’offrir un recours effectif permettant de se plaindre de violations de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2285-2286, §§ 92-94).

3.  SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

40.  L’article 13 de la Convention est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

41.  Aux termes de la jurisprudence de la Cour, l'article 13 garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger, pour les plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention ou de ses Protocoles, un recours interne habilitant l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l'obligation découlant de l'article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention. Toutefois, le recours exigé doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'Etat défendeur (arrêts Aydin c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1895, § 103, et Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330, § 106 ; quant au caractère « défendable » du grief fondé sur la Convention, voir les arrêts Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52, et Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, p. 14, § 31).

42.  En l’espèce, le requérant avait un grief défendable sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1.

43.  Il avait donc droit de soumettre son grief à une instance nationale capable de lui offrir un redressement approprié. Cependant, suite à l’adoption de la procédure d’administration extraordinaire, pendant environ quatre ans et deux mois le requérant n’a pu saisir aucune autorité pour faire valoir son droit à recouvrir ses créances ou pour contester les actes du commissaire liquidateur, ne disposant en même temps d’aucun moyen effectif pour solliciter l’examen de son dossier.

44.  De ce fait, la Cour estime que les règles régissant la procédure d’administration extraordinaire jusqu’à fin août 1999, assorties de la longueur de la vérification de l’état des créances, ont entravé de manière injustifiée son droit de disposer d’un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention.

Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

4.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

45.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

46.  Le requérant sollicite le versement de 20 000 000 lires italiennes à titre de préjudice moral. Il allègue en outre qu’une procédure judiciaire rapide et efficace lui aurait permis d’encaisser dans un délai raisonnable le restant de la somme qui lui est due. Cette dernière s’élève à 127 364 132 lires italiennes, ce qui correspondrait au préjudice matériel subi.

47.  Le Gouvernement estime que le simple constat de la violation de la Convention fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante aux sens de l’article 41 de la Convention.

48.  La Cour observe que le montant de 127 364 132 lires italiennes, réclamé par le requérant à titre de préjudice matériel, fait l’objet de la procédure nationale d’administration extraordinaire, laquelle était, à la date des dernières informations, encore pendante. La Cour ne saurait spéculer, à ce stade, sur les résultats auxquels cette procédure pourra aboutir et souligne qu’en tout état de cause la violation de la Convention ne conditionne pas, en soi, la formation de l’état de créances par les commissaires liquidateurs et que le requérant pourra éventuellement bénéficier d’une somme pour compenser la dévalorisation de la monnaie. Il y a partant lieu de rejeter la demande formulée à titre de préjudice matériel. Par ailleurs, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui octroyer 10 000 000 lires italiennes.

B.  Frais et dépens

49.  Le requérant sollicite le remboursement des frais et dépenses pour la procédure devant les organes de la Convention. Il demande 6 919 320 lires italiennes.

50.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

51.  Eu égard aux éléments en sa possession et à la pratique en la matière, la Cour décide d’allouer au requérant le montant sollicité.

C.  Intérêts moratoires

52.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 3,5 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes : 10 000 000 (dix millions) lires italiennes pour dommage moral et 6 919 320 (six millions neuf cent dix-neuf mille trois cent vingt) lires pour frais et dépens ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 3,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 octobre 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Erik FriberghChristos Rozakis
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE SAGGIO c. ITALIE, 25 octobre 2001, 41879/98