CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE LAIDIN c. FRANCE (N° 2), 7 janvier 2003, 39282/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 7 janv. 2003, n° 39282/98
Numéro(s) : 39282/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, § 55, Recueil 1996-VI
Pélissier et Sassi c. France, arrêt du 25 mars 1999 [GC], n° 25444/94, CEDH 1999-II
Kudla c. Pologne, arrêt du 26 octobre 2000 [GC], n° 30216/96, § 152, § 156, § 159
Philis c. Grèce (n° 2), arrêt du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35
König c. Allemagne, arrêt du 28 juin 1978, série A n° 27, p. 29, § 88
Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, CEDH 2000-VII, § 45
Giummarra et autres c. France, décision du 12 juin 2001, n° 61166/00
Lutz c. France, n° 48215/99, 26 mars 2002 § 20
Mifsud c. France [GC] (déc.), n° 57220/00, § 17, 11 septembre 2002
Nouhaud c. France, n° 33424/96, 9 juillet 2002, §§ 44-45
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (Article 35-3 - Ratione materiae) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative ; Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)
Identifiant HUDOC : 001-65414
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0107JUD003928298
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LAIDIN c. FRANCE (No 2)

(Requête no 39282/98)

ARRÊT

STRASBOURG

7 janvier 2003

DÉFINITIF

07/04/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Laidin c. France (no 2),

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

 MM. A.B. Baka, président,
  J.-P. Costa,
  Gaukur Jörundsson,
  K. Jungwiert,
  V. Butkevych,
 Mme W. Thomassen,
 M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 mai 2000 et 10 décembre 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 39282/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Monique Laidin (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 15 août 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée devant la Cour par M. P. Bernardet, sociologue. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Agent du Gouvernement.

3.  La requérante se plaignait en particulier de la durée de six procédures qu'elle avait diligentées suite à ses internements et de l'absence de recours en droit interne de nature à accélérer ces procédures.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 9 mai 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.

7.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

8.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

9.  La requérante est née en 1935 et réside à Chateauneuf (Vendée).

A.  Les procédures administratives consécutives aux internements de la requérante

10.  La requérante fit l'objet de quatre procédures d'internement successives.

11.  Elle fut internée pour la première fois le 2 mai 1966, dans le cadre d'un placement volontaire au centre hospitalier spécialisé de Maison Blanche. Le 11 novembre 1974, elle fut amenée par la police au centre prophylactique d'orientation et d'accueil (CPOA) du centre hospitalier spécialisé de Sainte-Anne, où un médecin décida son transfert au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Ville d'Evrard où elle fut admise en placement volontaire jusqu'au 8 janvier 1975.

12.  Le 12 novembre 1979, la requérante fut admise en hospitalisation libre au CHS de Ville d'Evrard. A l'issue de son hospitalisation, le 24 décembre 1979, elle fut admise en post-cure dans une maison de repos où elle séjourna plusieurs mois.

13.  Le 22 février 1985, le commissaire de police de Saint-Ouen ordonna le transfert de la requérante au CPOA de Sainte-Anne. Celle-ci fut ensuite à nouveau hospitalisée au CHS de Ville d'Evrard du 22 février au 19 avril 1985.

14.  A la suite de ces internements, la requérante présenta de nombreux recours devant les juridictions administratives.

1.  Première procédure

15.  S'agissant de son deuxième internement, la requérante déposa le 17 mars 1989 un recours tendant à l'annulation de la mesure de transfert d'office par la police au CHS de Sainte-Anne.

16.  Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal administratif de Paris estima que l'urgence justifiant la mesure était établie par certificat médical et rejeta la requête.

17.  La requérante déposa le 29 octobre 1990 un recours contre cette décision devant le Conseil d'Etat. Le 18 décembre 1990, le Groupe information asiles (GIA) fit une demande d'intervention. Il produisit des observations les 4 et 9 avril 1991. Le 4 mai 1991, la requérante produisit des pièces nouvelles.

18.  Le 15 mai 1991, l'aide juridictionnelle fut refusée à la requérante.

Celle-ci produisit de nouvelles pièces les 12 septembre 1991 et 14 mai 1993.

19.  Par arrêt du 31 juillet 1996 notifié le 25 septembre 1997, le Conseil d'Etat annula ledit jugement en ce qu'il avait omis de statuer sur une partie de la demande de la requérante et rejeta la demande au fond.

2.  Deuxième procédure

20.  S'agissant de son premier internement au CHS de Maison Blanche, la requérante saisit le tribunal administratif de Paris le 16 mars 1988, d'une demande visant à voir annuler la décision d'admission en placement volontaire prise par le directeur du CHS de Ville d'Evrard le 2 mai 1966.

21.  Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal fit droit à ses conclusions et annula la décision comme étant illégale.

22.  Le 12 décembre 1990, le CHS fit appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris.

23.  Le 19 décembre 1990, le président de la cour administrative d'appel de Paris rendit une ordonnance transférant la requête au Conseil d'Etat.

24.  Les 18 avril, 4 mai et 13 juin 1991 ainsi que les 18 février 1992 et 19 mars 1993, la requérante produisit de nouvelles pièces.

25.  Par arrêt du 31 juillet 1996, notifié le 25 septembre 1997, le Conseil d'Etat joignit la requête à la première procédure pour statuer par une seule décision. Il rejeta la demande du CHS.

3.  Troisième procédure

26.  S'agissant de son troisième internement, la requérante demanda le 8 novembre 1990 au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision d'admission au CHS du 12 novembre 1979.

27.  Elle produisit des mémoires les 9 octobre 1992, 24 mai 1993 et 3 février 1994.

28.  Le 7 juillet 1995, le tribunal administratif de Paris rendit un jugement joignant ce recours à deux autres requêtes déposées ultérieurement (voir cinquième procédure ci-dessous). Il annula cette décision comme étant dépourvue de base légale et alloua à la requérante 2 000 francs français (FRF) au titre des frais pour ses trois recours.

4.  Quatrième procédure

29.  S'agissant de son dernier internement, la requérante présenta un recours le 27 octobre 1988 devant le tribunal administratif tendant à obtenir l'annulation du titre exécutoire émis son encontre, en vue du recouvrement des frais d'hospitalisation mis à sa charge.

30.  Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal rejeta sa demande.

31.  Entre-temps, le 16 février 1989, la requérante avait déposé une nouvelle demande devant le tribunal administratif de Paris. Par ordonnance du 1er mars 1991, le président de section constata que cette nouvelle demande était la même que celle ayant fait l'objet du jugement du 4 juillet 1990, qu'elle était donc sans objet et qu'il n'y avait lieu à y statuer.

32.  Le 6 novembre 1990, la requérante fit appel contre le jugement du 4 juillet 1990. Le 29 janvier 1991, l'aide juridictionnelle lui fut refusée. Une nouvelle demande d'aide juridictionnelle fut rejetée le 22 avril 1992.

33.  Le 30 avril 1992, l'affaire fut rayée du rôle. Le 4 septembre 1992, la requérante déposa de nouvelles pièces. Le 22 septembre 1992, l'affaire fut à nouveau rayée du rôle.

34.  Le 14 octobre 1992, l'avocat de la requérante produisit son mémoire, le représentant du défendeur déposa le sien le 17 novembre 1992.

35.  La cour administrative d'appel de Paris rendit le 11 mai 1993 un arrêt rejetant la demande de la requérante.

5.  Cinquième procédure

36.  Le 8 novembre 1990, la requérante déposa devant le tribunal administratif une demande d'annulation, d'une part, de la décision du commissaire de police en date du 22 février 1985 ordonnant son placement, d'autre part, de la décision du directeur du CHS de Ville d'Evrard l'admettant ce même jour dans son établissement.

37.  Elle déposa des pièces les 12 mars 1991, 19 octobre 1992 et 24 mai 1993.

38.  Le 7 juillet 1995, le tribunal administratif de Paris rendit un jugement joignant ces deux recours à celui déposé le 8 novembre 1990 (voir troisième procédure ci-dessus). Il annula ces deux décisions comme étant dépourvues de base légale et alloua à la requérante 2 000 FRF au titre des frais pour les trois recours.

B.  La procédure judiciaire en responsabilité civile

39.  Après avoir été licenciée de son travail pour inaptitude définitive au mois de septembre 1987, la requérante présenta cinq recours indemnitaires devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Considérant avoir fait l'objet d'internements illégaux et abusifs, de soins inapropriés et néfastes et de pression morale de la part de son employeur, la requérante assigna par actes des 6, 7, 9 et 23 juin et 18 juillet 1989, en responsabilité et dommages et intérêts, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, les directeurs des CHS de Ville d'Evrard et de Maison Blanche, la maison de repos, treize médecins dont le médecin du travail, une assistante sociale, son ancien employeur et l'agent judiciaire du Trésor.

40.  Les personnes ou établissements intimés déposèrent leurs conclusions entre le 20 juillet 1989 et le 8 juin 1990. La requérante déposa des conclusions le 24 mars 1990.

41.  Faute pour la requérante d'avoir conclu à nouveau après le dernier dépôt de conclusions des défendeurs, et après qu'une injonction de conclure lui ait été délivrée, l'affaire fut rayée du rôle le 15 novembre 1990. Après réinscription, l'affaire fut de nouveau rayée le 3 octobre 1991. Elle fut réinscrite au rôle après l'intervention du nouveau conseil de la requérante au titre de l'aide juridictionnelle.

42.  Le 16 novembre 1991, les cinq procédures furent jointes.

43.  La requérante déposa ses conclusions les 13 décembre 1991 et 17 janvier 1992. Le groupe information asile (GIA) déposa des conclusions en intervention volontaire le 24 mars suivant. Les défendeurs demandèrent, entre le 25 mars 1992 et le 21 avril 1992, des délais pour conclure. L'agent judiciaire du Trésor déposa ses conclusions les 23 avril et 20 mai 1992.

44.  Le 29 avril 1992, la requérante assigna un nouveau médecin. Ce dernier et la requérante furent convoqués le 21 mai 1992.

45.  Des ordonnances de jonction et de clôture furent rendues le 4 juin 1992.

46.  Par jugement du 9 juillet 1992, le tribunal se déclara incompétent pour connaître des demandes formées contre les établissements et médecins du service public à raison des traitements et soins administrés en dehors des périodes de placement et hospitalisation dans les centres hospitaliers spécialisés, et considéra qu'il n'était pas valablement saisi à l'encontre de cinq médecins et de la maison de repos.

47.  Le 16 septembre 1992, le conseil de l'un des défendeurs demanda un report d'audience. Deux autres défendeurs déposèrent leurs conclusions respectivement les 20 octobre et 2 novembre 1992.

48.  Le 13 novembre 1992, la requérante assigna trois nouveaux médecins en intervention forcée.

49.  Une audience de mise en état eut lieu le 26 novembre 1992.

50.  Les 5 janvier, 2 février et 17 mars 1993, des défendeurs demandèrent un délai pour conclure.

51.  Le 13 janvier 1993, la requérante réassigna un médecin. Elle déposa ses conclusions le 20 janvier 1993.

52.  Les 18 mars et 29 avril 1993, la requérante et trois défendeurs furent convoqués en vue de la jonction de la procédure à la procédure principale. Le 13 mai 1993, une ordonnance joignit les procédures.

53.  Le 1er juin 1993, la requérante régularisa son assignation à l'égard d'une maison de repos.

54.  Entre le 18 et le 29 juin 1993, la requérante et des défendeurs déposèrent des conclusions. Le 30 juin 1993, le conseil d'un défendeur présenta une demande de délai.

55.  Le 29 juillet 1993, la requérante et la société d'aide à la santé mentale furent convoquées.

56.  Le 13 septembre 1993, le directeur du CHS de Maison Blanche assigna le département de Paris en garantie. Le même jour, il déposa ses conclusions. Le 22 septembre 1993, il demanda le renvoi de l'audience.

57.  Le 23 septembre 1993, une ordonnance de jonction de procédure fut rendue concernant la société d'aide à la santé mentale.

58.  Des conclusions furent déposées par des défendeurs les 28 septembre et 23 novembre 1993. Le 29 novembre 1993, les parties furent convoquées à l'audience de mise en état du 20 janvier 1994.

59.  Le 28 décembre 1993, le département de Paris constitua avocat et sollicita un report d'audience. Il déposa des conclusions les 23 mars, 25 mai et 26 octobre 1994. D'autres défendeurs déposèrent des conclusions les 11 août et 24 octobre 1994.

60.  L'ordonnance de clôture fut rendue le 27 octobre 1994.

61.  L'audience eut lieu le 24 novembre 1994.

62.  Le 26 janvier 1995, le tribunal rendit son jugement au fond. Il estima que l'action était prescrite à l'encontre de l'Etat, du département et de la ville de Paris pour les hospitalisations de 1966, 1974, 1979 et 1985. Pour ce qui est de l'action dirigée contre les médecins, le tribunal ne releva aucune faute et rejeta les demandes. Il les rejeta également concernant l'employeur, le médecin du travail et l'assistante sociale.

63.  Le GIA fit appel de ce jugement le 10 mai 1995. Les défendeurs constituèrent avoué entre le 26 mai et le 29 juin 1995. L'affaire fut rayée le 5 janvier 1996, faute pour le GIA d'avoir conclu dans les délais impartis.

64.  Le 7 mai 1996, la demande d'aide juridictionnelle présentée le 29 février précédent par la requérante fut rejetée car celle-ci n'avait pas fourni les pièces demandées. Le 4 juin 1996, la requérante obtint l'aide juridictionnelle totale pour faire appel du jugement de première instance devant la cour d'appel de Paris.

65.  Elle déposa des conclusions le 21 avril 1997. Le département de Paris déposa les siennes le 2 mai 1997.

66.  Le 4 décembre 1997, une injonction de conclure fut adressée au directeur du CHS de Ville d'Evrard.

67.  Le 21 janvier 1998, le conseil de l'agent judiciaire du Trésor somma la requérante de lui fournir les pièces produites à l'appui de son appel. Le conseil du CHS de Ville d'Evrard fit de même et déposa ses conclusions le 21 avril 1998.

68.  Le département de Paris déposa des conclusions signifiées le 2 mai 1997 et le CHS de Ville d'Evrard déposa les siennes qui furent signifiées le 21 avril 1998.

69.  Le 15 novembre 1999, la requérante fut informée de ce qu'un nouveau représentant avait été désigné au titre de l'assistance juridictionnelle.

70.  Par conclusions d'incident du 3 mai 2000, le CHS de Ville d'Evrard invoqua l'irrecevabilité de l'appel formé par le GIA et, par voie de conséquence, l'irrecevabilité de l'appel formé par la requérante. L'incident d'irrecevabilité fut plaidé à l'audience du 20 octobre 2000.

71.  Il semble ressortir des pièces du dossier qu'en novembre 2000, la cour d'appel de Paris déclara l'appel irrecevable.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

72.  La requérante se plaint de la durée de ces procédures. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur l'exception préliminaire du Gouvernement

73.  S'agissant des première, deuxième, troisième et cinquième procédures, le Gouvernement soutient que les dispositions de l'article 6 § 1 ne leur sont pas applicables, faute de caractère patrimonial des demandes qui visaient uniquement à voir annuler des décisions de placement ou d'admission en établissement psychiatrique.

74.  La requérante conteste que l'article 6 § 1 ne soit pas applicable en l'espèce et soutient qu'en application de l'arrêt Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-V), le droit à la liberté a un caractère civil.

75.  La Cour rappelle que la notion de droits et obligations de caractère civil ne peut être interprétée par référence au droit interne de l'Etat défendeur ; il faut lui attribuer une interprétation autonome à la lumière de l'objet et du but de la Convention. (voir König c. Allemagne , arrêt du 28 juin 1978, série A no 27, p. 29, § 88). En conséquence, il n'est pas déterminant pour l'application de l'article 6 § 1 de savoir si les litiges qui font l'objet de la présente affaire sont considérés comme relevant du droit privé ou du droit administratif. Cela ne signifie pas que la législation de l'Etat concerné soit sans importance. Pour déterminer si un droit doit ou non être considéré comme étant « de caractère civil » au sens de la Convention, il faut se référer à l'essence et aux effets de ce droit et non pas à sa classification juridique en vertu du droit interne de l'Etat concerné.

76.  La Cour constate qu'en l'espèce, les problèmes posés aux tribunaux portaient sur le point de savoir si les décisions de placer la requérante en hôpital psychiatrique étaient légales dans leur forme. Les litiges devant les juridictions françaises se portaient donc en substance sur la légalité de la privation de liberté. Or le droit à la liberté, qui se trouvait en jeu, a un caractère civil (Aerts c. Belgique précité, § 59). L'issue de l'instance était donc déterminante pour des droits de caractère civil, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

77.  Il y a donc lieu de rejeter l'exception préliminaire du Gouvernement.

B.  Sur le fond des griefs

78.  Le Gouvernement ne fait aucune observation au fond sur les procédures pour lesquelles il oppose l'exception préliminaire.

79.  Il estime manifestement mal fondés les griefs tirés de la durée des procédures à caractère indemnitaire, à savoir les recours présentés en vue d'obtenir d'une part l'indemnisation des préjudices que la requérante estime avoir subis à raison du caractère illégal de son internement et d'autre part le remboursement des frais d'hospitalisation mis à sa charge à la suite de son placement en milieu psychiatrique.

80.  D'une part, il relève que l'affaire présentait une complexité certaine en raison de la multiplicité des procédures et des parties, et de l'objet des procédures.

81.  D'autre part, il estime que la durée des procédures s'explique principalement par le comportement des parties. S'agissant de la procédure administrative ayant débuté le 27 octobre 1988 et s'étant achevée le 11 mai 1993 qui a duré quatre ans et demi, le Gouvernement estime que le délai de jugement devant le tribunal administratif, à savoir un an et un mois, n'est pas excessif, et que la durée de la procédure devant la cour administrative d'appel, qui est de deux ans et sept mois, est très convenable si l'on tient compte du fait que la requérante a présenté deux demandes d'aide juridictionnelles et qu'elle a produit un mémoire de dernière minute qui a rendu nécessaire un renvoi à une audience ultérieure. S'agissant de la procédure judiciaire, qui comportait cinq recours et qui a commencé le 6 juin 1989, le Gouvernement se réfère à l'article 2 du nouveau code de procédure civile qui laisse l'initiative de la procédure aux parties et à l'article 3 du même code qui prescrit au juge de veiller au bon déroulement de l'instance. Il estime que la chronologie atteste de l'absence de diligence de la requérante qui, à plusieurs reprises, n'a pas conclu dans les délais impartis, ce qui donna lieu à deux ordonnances de radiation. La requérante a en outre été à l'origine de plusieurs demandes de prorogation de délai et de renvois d'audiences, et les parties ont déposé trente-cinq mémoires en demande ou en défense au cours de la procédure judiciaire. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement estime que les parties ont grandement contribué à l'allongement de la procédure.

82.  Par ailleurs, il fait valoir que l'examen de la procédure ne fait apparaître aucune lenteur imputable aux autorités judiciaires. Ainsi, le juge de la mise en état a adressé des injonctions de conclure et, en l'absence de réponse des parties, ordonné la radiation de l'affaire.

83.  La requérante estime quant à elle que la chronologie de la procédure administrative fait apparaître des lenteurs imputables soit à la juridiction administrative soit aux administrations mises en cause.

84.  S'agissant de la procédure indemnitaire devant les juridictions civiles, elle ne nie pas que l'affaire présentait une certaine complexité. A supposer que l'on puisse lui reprocher quelques retards, force est cependant de constater que sa défense a été exercée dans le cadre de l'aide juridictionnelle, par des avocats désignés. Dès lors, ces retards ne sauraient exonérer l'Etat de sa responsabilité. Quant aux divers renvois d'audience invoqués par le Gouvernement, ils sont pour la plupart dus, selon la requérante, à l'Agent judiciaire du Trésor et aux établissements publics hospitaliers. S'agissant du comportement des autorités judiciaires, la requérante estime que le choix procédural pris par ces dernières a contribué à allonger la procédure.

85.  La Cour relève que les griefs de la requérante portent sur la durée des procédures suivantes : la première a débuté le 17 mars 1989 par la saisine du tribunal administratif en vue d'obtenir l'annulation de la mesure de transfert d'office prise par la police le 11 novembre 1994, et s'est achevée par l'arrêt du Conseil d'Etat du 31 juillet 1996 ; elle a duré sept ans, quatre mois et quatorze jours pour deux instances. La deuxième procédure en annulation de la décision d'admission en placement volontaire du 11 novembre 1974 du directeur du CHS de Ville Evrard a été introduite devant le tribunal administratif le 16 mars 1988, et a donné lieu à l'arrêt du Conseil d'Etat en date du 31 juillet 1996 ; elle a duré huit ans, quatre mois et quinze jours pour trois instances. La troisième procédure, tendant à l'annulation de la décision du directeur du CHS en date du 12 novembre 1979, a été introduite par la requérante devant le tribunal administratif le 8 novembre 1990, et s'est terminée par le jugement du tribunal administratif en date du 7 juillet 1995 ; elle a duré quatre ans et huit mois pour une instance. La quatrième procédure, par laquelle la requérante a sollicité l'annulation du titre exécutoire émis par le CHS relatif au forfait hospitalier, a commencé avec la saisine du tribunal administratif le 27 octobre 1988, et a donné lieu à l'arrêt de la cour administrative d'appel en date du 11 mai 1993 ; elle a duré quatre ans, six mois et quinze jours pour trois degrés d'instance. La cinquième procédure en annulation des décisions du commissaire de police et du directeur du CHS de Ville-Evrard en date du 22 février 1985 a débuté le 8 novembre 1990, et s'est achevée avec le jugement en date du 7 juillet 1995 par lequel le tribunal administratif joignait cette procédure avec la troisième procédure ; elle a donc duré, comme la troisième procédure, quatre ans et huit mois pour une instance. Quant à la procédure judiciaire composée de cinq recours en indemnisation, elle a débuté le 6 juin 1989 et s'est achevée en novembre 2000 ; elle a duré onze ans, quatre mois et vingt-cinq jours pour trois instances.

86.  Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir les arrêts Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999 [GC], no 25444/94, CEDH 1999-II et Philis c. Grèce (no 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35).

87.  La Cour relève en premier lieu, s'agissant de la quatrième procédure, que le tribunal de première instance a statué en un an et huit mois, et qu'il a entre-temps été ressaisi de la même demande par la requérante. La Cour note que la requérante a par la suite attendu quatre mois pour interjeter appel du jugement de première instance, et que la cour d'appel a ensuite statué en deux ans et demi.

88.  En conséquence, au vu des critères susrappelés et des décisions et arrêts prononcés dans des cas similaires, la Cour estime, au regard en particulier de la durée globale de cette procédure, que de tels délais sont raisonnables et n'emportent pas violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

89.  Il en va différemment de la durée des autres procédures. La Cour constate que les litiges présentaient une certaine complexité, et en particulier la procédure judiciaire en indemnisation. S'il est vraisemblable que le nombre de requêtes a quelque peu compliqué la gestion des dossiers par les juridictions, cette circonstance ne suffit pas à expliquer la durée des procédures dont il est question.

90.  Selon la Cour, la durée des première, deuxième, troisième et cinquième procédures est très essentiellement imputable aux autorités judiciaires. Elle note tout d'abord que les première et deuxième procédures ont respectivement duré cinq ans et neuf mois, et cinq ans et sept mois devant le Conseil d'Etat, et que la troisième et la cinquième procédures ont duré quatre ans et huit mois devant le tribunal administratif. Elle relève ensuite plusieurs périodes de latence pour lesquelles le Gouvernement n'apporte pas d'explication. Il ressort en effet de la chronologie produite par le Gouvernement notamment que, dans le cadre de la première procédure, aucun événement procédural notable ne s'est produit devant le Conseil d'Etat entre les deux dépôts de pièces complémentaires par la requérante les 12 septembre 1991 et 14 mai 1993, puis ensuite jusqu'à la séance du Conseil d'Etat du 12 juillet 1996 ; il en va de même dans le cadre de la deuxième procédure entre les dépôts d'observations complémentaires par la requérante en juin 1991, février 1992 et mars 1993, puis ensuite jusqu'à la séance du Conseil d'Etat du 12 juillet 1996. De la même manière s'agissant des troisième et cinquième procédures, le tribunal a prononcé son jugement le 7 juillet 1995, soit un an et cinq mois après la production du dernier mémoire, alors que déjà auparavant aucun événement notable ne s'était produit entre les dépôts de mémoires complémentaires de la requérante des 24 mai 1993 et 3 février 1994.

91.  Partant, il y a violation de l'article 6 § 1 de la Convention s'agissant de la durée des première, deuxième, troisième et cinquième procédures.

92.  S'agissant de la procédure en responsabilité civile, la Cour rappelle que l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties : il leur incombe « d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis », de sorte que leur comportement a une influence particulière sur le déroulement de la procédure. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable ; l'article 3 du même code prescrit d'ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l'instance et l'investit du « pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ». Il convient en outre de rappeler que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, § 55, Recueil 1996-VI) et, notamment, garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, CEDH 2000, § 45).

93.  En l'espèce, il est vraisemblable que les multiples assignations par la requérante et le nombre de conclusions échangées entre les parties furent source de retards notables. La requérante souligne cependant - sans être vraiment contredite par le Gouvernement - que l'essentiel de ce retard est essentiellement dû non à son propre comportement mais à celui de ses adversaires. A cet égard, il ressort effectivement du dossier que le comportement des autorités judiciaires n'est pas exempt de critiques. La chronologie de la procédure fournie par le Gouvernement montre notamment que les juges de la mise en état ne sont intervenus qu'à trois reprises pour accélérer la procédure : une injonction de conclure a été donnée à la requérante devant le tribunal de grande instance le 19 octobre 1990 et a été sanctionnée par une radiation ; devant la cour d'appel, l'affaire a été rayée le 5 janvier 1996 faute pour l'avocat d'une des parties adverses d'avoir conclu dans le délai imparti ; une injonction de conclure a été donnée à une autre des parties adverses le 4 décembre 1997. La Cour relève en outre que le Gouvernement ne fournit aucune explication quant à la durée - pourtant plus que notable (près de cinq ans et demi) - de la procédure devant la cour d'appel qui n'a pourtant eu qu'à se prononcer sur la question de la recevabilité de l'appel, à l'exclusion du fond.

94.  La Cour déduit de ce qui précède que la durée de la procédure civile s'explique partiellement par une certaine défaillance des autorités judiciaires qui n'ont pas entièrement joué leur rôle d'« arbitre ».

95.  Dans ces circonstances, et eu égard à la durée particulièrement longue de la procédure en responsabilité civile prise dans sa globalité (presque onze ans et cinq mois), la Cour conclut à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

96.  La requérante se plaint de ce qu'elle ne disposait pas, en droit français, d'un « recours effectif » de nature à accélérer les procédures. Elle invoque l'article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

97.  A titre principal, le Gouvernement estime que le litige ne saurait être examiné sous l'angle de l'article 13 dans la mesure où il entre dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention, qui constitue une lex specialis. A titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir que l'inexistence d'une voie de recours permettant d'accélérer la procédure ne saurait constituer un manquement aux dispositions de l'article 13 de la Convention.

98.  La requérante s'oppose à ces thèses.

99.  La Cour rappelle que dans l'arrêt Kudla c. Pologne du 26 octobre 2000 ([GC], no 30216/96, § 156), elle a jugé que l'article 13 de la Convention « garantit [un droit à] un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6 § 1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable ». Il résulte tant de l'arrêt Kudla précité que de la décision Mifsud c. France ([GC] (déc.), no 57220/00, 11.09.2002) que, pour être effectif, un recours doit permettre soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir aux justiciables une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudla, § 159, Mifsud, § 17 précités).

100.  La Cour rappelle qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette question tant dans le cadre de durées de procédures administratives que dans le cadre de durées de procédures judiciaires.

101.  Ainsi, s'agissant de griefs tirés de l'absence de recours internes de nature à accélérer une procédure administrative, la Cour a considéré dans l'arrêt Lutz c. France (no 48215/99, 26.03.2002 § 20) qu'« en tout état de cause, à la date d'introduction de la requête [le 18 octobre 1998], l'effectivité en pratique et en droit du recours [indemnitaire pour faute] invoqué par le Gouvernement n'était pas avérée ». La Cour relève que la présente espèce a été introduite antérieurement à la requête Lutz précitée. Or, c'est à la date d'introduction de la requête devant la Cour que l'« effectivité » du recours au sens de l'article 13 doit être appréciée, à l'instar de l'existence de voies de recours interne à épuiser au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, ces deux dispositions présentant « d'étroites affinités » (arrêt Kudla précité, § 152). Elle ne voit donc aucune raison de s'éloigner de la solution retenue par la Cour dans l'affaire Lutz. En conséquence, elle conclut qu'il n'existait à la date d'introduction de la requête aucun recours de nature à permettre à la requérante de faire valoir ses griefs tirés de la durée des procédures administratives, qu'il s'agisse de recours de nature à accélérer la procédure ou de recours indemnitaire, et conclut à la violation de l'article 13 de la Convention.

102.  De même, dans l'arrêt Nouhaud c. France (no 33424/96, 09.07.2002, §§ 44-45), la Cour a rappelé, s'agissant d'une procédure judiciaire, que « dans la décision Giummarra et autres c. France du 12 juin 2001 (no 61166/00), rendue sur une requête introduite en août 2000, elle a considéré que le recours de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire avait, à la date du 20 septembre 1999, acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention ». Cette jurisprudence a été confirmée par la Grande Chambre dans la décision Mifsud précitée s'agissant d'une requête introduite le 2 mai 2000. Force est de constater que les dates d'introduction de ces deux requêtes devant la Cour sont nettement postérieures à la date d'introduction de la présente requête. En conséquence, pour conclure en l'espèce à la violation de l'article 13 de la Convention s'agissant de la procédure judiciaire, il suffit à la Cour de constater qu'en tout état de cause, à la date d'introduction de la requête, il n'existait en droit interne aucun « recours effectif » permettant à la requérante de faire valoir ses griefs tirés de la durée de cette procédure.

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

103.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »


A.  Dommage

104.  La requérante demande, au titre de la satisfaction équitable, 200 000 FRF pour assurer un « effet dissuasif » à l'arrêt, 100 000 FRF au titre du préjudice moral, 200 000 FRF au titre du pretium doloris et 50 000 FRF au titre du « stress » occasionné.

105.  Le Gouvernement estime que la satisfaction équitable n'est nullement une sanction infligée aux Etats mais une exacte compensation des préjudices subis par les requérants. Il affirme que la demande présentée par la requérante au titre de son préjudice moral est en tout état de cause surévaluée. Il propose de lui allouer la somme de 20 000 FRF au titre du préjudice moral.

106.  La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain du fait de la durée des première, deuxième, troisième et cinquième procédures administratives et de la durée de la procédure civile. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l'article 41, elle octroie à ce titre 13 000 EUR (euros) à la requérante.

B.  Frais et dépens

107.  La requérante sollicite la somme de 10 000 FRF au titre des frais engagés devant les juridictions internes. Quant aux frais exposés devant les organes de la Convention, la requérante demande que le Gouvernement soit appelé à les prendre en charge à hauteur de 18 000 FRF, « compte tenu du fait que l'intégralité des griefs de sa requête initiale n'a pas été retenue ». Elle produit copie de deux factures d'honoraires de son représentant devant les organes de la Convention, d'un montant total de 25 500 FRF se décomposant comme suit : 12 000 FRF pour l'introduction de la requête devant la Commission, 8 500 FRF pour les courriers et mémoires produits après la communication de la requête au Gouvernement et 5 000 FRF au titre des observations sur le fond après recevabilité et l'exposé des prétentions pour la satisfaction équitable.

108.  Le Gouvernement estime que les sommes réclamées au titre des frais exposés devant les juridictions internes ne sauraient être allouées à la requérante dans la mesure où elles sont sans lien avec la durée des procédures. S'agissant des frais de procédure devant les organes de la Convention, le Gouvernement considère que la somme de 18 000 FRF est excessive et propose de rembourser une partie des frais effectivement engagés par la requérante « sous réserve de la production des justificatifs correspondants et à la condition que (...) l'actuel représentant de la requérante justifie de sa qualité ».

109.  La Cour rappelle que les frais exposés devant les juridictions nationales ne peuvent être pris en compte que s'ils ont été engagés par les requérants pour faire redresser la violation de la Convention constatée. Elle relève en outre en l'espèce que la requérante avait été admise au bénéfice de l'aide judiciaire totale ou partielle pour la plupart des procédures. Elle note par ailleurs que la requérante ne justifie nullement les frais invoqués.

110.  S'agissant des frais réclamés au titre de la procédure devant les organes de la Convention, la requérante, qui était représentée par M. Bernardet, sociologue de profession, produit copie de factures d'honoraires qui ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, en application de l'article 293B du code général des impôts. La Cour rappelle, qu'en application de l'article 36 § 4 a) de son règlement, un requérant ne peut être représenté, dans la procédure consécutive à une décision sur la recevabilité, que par un conseil habilité à exercer dans l'une quelconque des Parties contractantes. Ceci n'est pas le cas de M. Bernardet. Toutefois, la Cour admet que la requérante a dû engager des frais pour la procédure devant les organes de la Convention, en particulier avant la recevabilité de sa requête. En conséquence, la Cour décide, statuant en équité, d'allouer la somme totale de 1 000 EUR pour les frais relatifs aux actes antérieurs à la décision sur la recevabilité.

C.  Intérêts moratoires

111.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1.  Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la quatrième procédure administrative ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée des première, deuxième, troisième, et cinquième procédures administratives et la durée de la procédure civile ;

4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;

5.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage moral;

ii.  1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 S. Dollé A.B. Baka
 Greffière Président

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE LAIDIN c. FRANCE (N° 2), 7 janvier 2003, 39282/98