CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE JUSSY c. FRANCE, 8 avril 2003, 42277/98

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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Michèle Bauer,avocat Bordeaux · LegaVox · 26 avril 2019

michelebaueravocatbordeaux.fr · 18 avril 2019

Mettre en oeuvre la responsabilité de l'Etat pour “lenteur” de la Justice: mode d'emploi. La justice est lente. Cette phrase, les avocats l'entendent tous les jours, elle est prononcée par nos clients, elle est devenue habituelle et banale. Nos clients en souffrent. Lorsqu'un salarié saisit le Conseil de Prud'hommes, il doit s'attendre à des délais longs, en moyenne d'un an devant le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux s'il n'y a pas départage. En effet, à Bordeaux, on peut espérer obtenir une date devant le Conseil de Prud'hommes, section départage dans un délai de 2 ans alors que …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 8 avr. 2003, n° 42277/98
Numéro(s) : 42277/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Vocaturo c. Italie, arrêt du 24 mai 1991, série A no 206-C, p. 32, § 17
Obermeier c. Autriche, arrêt du 28 juin 1990, série A no 179, p. 23, § 72
X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A no 234-C, p. 90, § 32
Buchholz c. Allemagne, arrêt du 6 mai 1981, série A no 42, p. 16, §§ 50 et 52
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
J.F. c. France (déc.), no 39616/98, 20 avril 1999, non publiée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire
Identifiant HUDOC : 001-65561
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0408JUD004227798
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE JUSSY c. FRANCE

(Requête no 42277/98)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2003

DÉFINITIF

08/07/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies

à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Jussy c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 juillet 2002 et 18 mars 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 42277/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Janny Jussy (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 3 février 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante se plaignait en particulier de la durée d'une procédure prud'homale.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Par une décision du 9 juillet 2002, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

9.  La requérante est née en 1952 et réside à Istres.

10.  Embauchée en qualité de caissière le 26 octobre 1986 par le supermarché E devenu CL, la requérante fut licenciée alors qu'elle se trouvait momentanément affectée au service « coffre » : par lettre du 15 janvier 1993, son employeur lui signifia son licenciement pour faute grave pour « non-respect des procédures et des documents de suivi dans les espèces pour remise en banque ».

11.  Le 22 janvier 1993, elle saisit le conseil de prud'hommes de Martigues. Elle sollicitait l'annulation de son licenciement et sa réintégration dans la société ou, à défaut, diverses indemnités et des dommages et intérêts pour préjudice moral.

12.  L'audience devant le bureau de conciliation eut lieu le 3 mars 1993. L'affaire fut renvoyée devant le bureau de jugement et fixée successivement aux audiences des 3 juin, puis 28 octobre 1993. L'affaire fut plaidée lors de l'audience du 28 octobre 1993. Par jugement avant dire droit du 2 décembre 1993, le conseil de prud'hommes ordonna la comparution personnelle des parties ainsi que celle de divers témoins. La comparution personnelle des parties eut lieu le 10 janvier 1994. Le 17 février 1994, le conseil de prud'hommes constata que les conseillers prud'homaux n'avaient pu se départager et renvoya l'affaire à l'audience du 16 mai 1994, sous la présidence du juge départiteur.

13.  Par jugement du 30 mai 1994, le conseil de prud'hommes jugea que la requérante avait commis une faute dans le cadre des procédures de vérification des recettes du supermarché. La juridiction considéra cependant que ce comportement n'était pas d'une gravité suffisante pour être qualifié de faute lourde, même si le licenciement avait bien une cause réelle et sérieuse. La société CL fut donc condamnée à payer diverses indemnités de licenciement à la requérante, mais cette dernière fut déboutée de ses demandes pour licenciement abusif.

14.  Le 7 juin 1994, le jugement fut notifié à la requérante qui interjeta appel le 21 juin suivant. Le 2 juin 1997, le greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence avisa les parties que l'affaire serait plaidée à l'audience du 7 octobre 1997. Par arrêt du 18 novembre 1997, la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence confirma le jugement attaqué.

15.  Le 5 décembre 1997, la requérante forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Elle déposa un mémoire ampliatif le 25 février 1998. Par arrêt du 14 juin 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que le moyen ne tendait qu'à inviter la Cour de cassation à procéder à un nouvel examen des faits sans invoquer la violation d'aucune règle de droit.


16.  Par exploit du 1er septembre 2000, la requérante cita la société CL à l'audience de jugement du 25 septembre 2000, en vue d'obtenir la révision du jugement du conseil de prud'hommes de Martigues du 30 mai 1994. Par jugement du 23 octobre 2000, le tribunal d'instance de Martigues constata que le recours en révision était dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel du 18 novembre 1997 et se déclara incompétent au profit de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Par arrêt du 27 mars 2002, la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence rejeta le recours en révision formé par la requérante, au motif que les faits relevés par celle-ci n'entraient dans aucun des cas légaux du recours en révision. La requérante forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt le 3 mai 2002 et sollicita le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour exercer ce recours. Par décision du 17 octobre 2002, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta cette demande faute de moyen de cassation sérieux.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17.  La requérante se plaint de la durée de la procédure prud'homale. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé en ses dispositions pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

18.  A titre liminaire, la Cour rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l'article 6 de la Convention est inapplicable à une procédure d'examen d'une demande tendant à la révision d'un procès (voir, mutatis mutandis, J.F. c. France, décision du 20 avril 1999, no 39616/98). En l'espèce, la procédure par laquelle la requérante a sollicité la révision de l'arrêt de la cour d'appel ne saurait donc être prise en compte dans le calcul du « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. En conséquence, la Cour confirme que la période à prendre en considération pour l'appréciation de la durée de la procédure a débuté le 22 janvier 1993 avec la saisine du conseil de prud'hommes et s'est terminée le 14 juin 2000 par l'arrêt de la Cour de cassation (voir la décision partielle sur la recevabilité de la requête du 9 juillet 2002). La procédure a donc duré sept ans, quatre mois et vingt‑trois jours, devant trois degrés de juridictions.


19.  Le Gouvernement estime que l'affaire ne présentait pas de difficultés particulières. Pour ce qui est du comportement des autorités internes, le Gouvernement estime qu'en statuant sans interruption de la procédure dans un délai d'environ un an et quatre mois, le conseil de prud'hommes a fait preuve de toute la diligence requise. En revanche, il reconnaît le caractère relativement long d'un délai de trois ans et cinq mois devant la cour d'appel. Il estime que les délais devant la Cour de cassation étaient longs et relève, en particulier, qu'après deux ans, le conseiller rapporteur n'avait pas encore été désigné. Eu égard à ces considérations, le Gouvernement déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief.

20.  La requérante estime, quant à elle, que les autorités judiciaires n'ont pas fait preuve de diligence dans cette procédure.

21.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

22.  La Cour relève que l'affaire ne présentait pas de complexité particulière.

23.  La Cour rappelle qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir Vocaturo c. Italie, arrêt du 24 mai 1991, série A no 206‑C, p. 32, § 17). Tel est d'autant plus le cas en matière de conflits du travail, qui, portant sur des points qui sont d'une importance capitale pour la situation professionnelle d'une personne, doivent être résolus avec une célérité toute particulière (cf. Obermeier c. Autriche, arrêt du 28 juin 1990, série A no 179, p. 23, § 72 ; Buchholz c. Allemagne, arrêt du 6 mai 1981, série A no 42, p. 16, §§ 50 et 52 et mutatis mutandis X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A no 234‑C, p. 90, § 32). Il s'agit en l'espèce d'une procédure par laquelle la requérante contestait son licenciement, et l'enjeu du litige exigeait donc une célérité des juridictions internes.

24.  La Cour relève ce qui suit : le Gouvernement admet que la durée de la procédure devant la cour d'appel était longue. En outre, au jour du dépôt de ses observations, le Gouvernement qualifiait de longue la procédure devant la Cour de cassation qui avait déjà duré deux ans sans que le conseiller rapporteur ait été désigné ; par la suite, la procédure devant la Cour de cassation a encore duré plus de six mois et demi avant que l'arrêt soit rendu, portant la durée totale devant cette juridiction à plus de deux ans et demi.


25.  Au vu de ce qui précède, et relevant de surcroît que le Gouvernement déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour pour l'appréciation de la durée de la procédure, la Cour considère, eu égard en particulier à l'objet du litige, que la durée de la procédure prud'homale est excessive .

26.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

28.  La requérante sollicite le paiement de la somme de 18 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

29.  Le Gouvernement estime que ces prétentions sont excessives et propose d'allouer la somme de 6 000 EUR.

30.  La Cour estime que la durée de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable a sans nul doute causé à la requérante un désagrément notable et une incertitude prolongée justifiant l'octroi d'une indemnité au titre du préjudice moral. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle alloue à la requérante la somme proposée par le Gouvernement, soit 6 000 EUR.

B.  Frais et dépens

31.  La requérante ne réclamant rien au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée.

C.  Intérêts moratoires

32.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 avril 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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