CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE COTLET c. ROUMANIE, 3 juin 2003, 38565/97

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 3 juin 2003

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 3 juin 2003, n° 38565/97
Numéro(s) : 38565/97
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Boyle c. Royaume-Uni, n° 9659/82, décision de la Commission du 6 mars 1985, Décisions et rapports 41, p. 91
Campbell c Diana c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1775, § 28
Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 228, § 60
Petra c. Roumanie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 2853, §§ 25-26, § 37, §§ 38-39, § 43
Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A n° 233, p. 16, § 34
Calogero Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A n° 61, p. 32, § 84
Stjerna c. Finlande, arrêt du 25 novembre 1994, série A n° 299-B, p. 61, § 38
X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A n° 91, p. 11, § 23
Messina c. Italie, arrêt du 2 février 1993, série A n° 257-H, § 31
López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, p. 56, § 58
Di Giovine c. Italie, n° 39920/98, § 25, § 26, arrêt du 26 juillet 2001, non publié
Farrant c. Royaume-Uni, n° 7291/75, décision de la Commission du 18 octobre 1985, D.R. 50, p. 5
Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, §§ 175-185, CEDH 2000-IV
Nikolova c. Bulgarie [GC], n° 31195/96, § 79, CEDH 1999-II
Öztürk c. Turquie [GC], n° 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI
Peers c. Grèce, n° 28524/95, § 82, CEDH 2001-III
Witold Litwa c. Pologne, n° 26629/95, § 88, CEDH 2000-III
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 8 en raison des délais d'acheminement du courrier ; Violation de l'art. 8 en raison de l'ouverture du courrier ; Violation de l'art. 8 en raison du refus de fournir le nécessaire pour la correspondance ; Violation de l'art. 34 ; Non-lieu à examiner l'art. 8+34 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-65680
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0603JUD003856597
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE COTLEŢ c. ROUMANIE

(Requête no 38565/97)

ARRÊT

STRASBOURG

03 juin 2003

DÉFINITIF

03/09/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Cotleţ c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
C. Bîrsan,
MmeV. Strážnická,
MM.R. Maruste,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki, juges,
M.M. O’Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mai 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38565/97) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Silvestru Cotleţ (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 16 novembre 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté devant la Cour par Me D. Mihai, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme C.I. Tarcea.

3.  Le requérant alléguait une atteinte à son droit au respect de sa correspondance, en violation de l’article 8 et de l’ancien article 25 (actuellement 34) de la Convention, en raison, notamment, des délais d’acheminement et de l’ouverture des courriers destinés aux organes de la Convention ou émanant de ceux-ci, ainsi que du refus des autorités de lui fournir du papier, des enveloppes et des timbres pour sa correspondance avec la Cour.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 10 octobre 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8.  Par une décision du 16 avril 2002, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable.

9.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10.  Le requérant, Silvestru Cotleţ, est un ressortissant roumain, né en 1964 et résidant à Gura-Humorului.

11.  Le 23 juillet 1992, le requérant fut reconnu coupable de meurtre et condamné par le tribunal départemental de Caraş-Severin à dix-sept ans d’emprisonnement. La Cour suprême de Justice confirma ce jugement par un arrêt définitif du 20 janvier 1993.

12.  Après sa condamnation, le requérant fut incarcéré à la prison de Drobeta Turnu-Severin. Il fut par la suite transféré dans les établissements pénitentiaires de Timişoara, Gherla, Jilava, Rahova, Craiova, Tg. Ocna et Mărgineni.

13.  Le requérant saisit la Commission le 16 novembre 1995. Sa lettre parvint au secrétariat de la Commission le 5 janvier 1996, dans une enveloppe à l’en‑tête du ministère de la Justice, envoyée de Bucarest. Le requérant informait la Commission qu’elle était pour lui « son dernier espoir ».

14.  Par lettre du 19 février 1996, le secrétariat de la Commission demanda au requérant de préciser ses griefs et de fournir des copies des décisions de justice pertinentes pour ses griefs. Il lui envoyait aussi en annexe le texte de la Convention et une notice explicative.

15.  Par lettre du 10 octobre 1996, le requérant répondit que la tardiveté de sa réponse était due aux formalités nécessaires pour l’obtention des copies des documents demandés. Il expliqua également qu’il ne pouvait fournir des copies de son dossier de la prison de Timişoara, car il n’avait pas assez d’argent pour les faire photocopier.


16.  Cette lettre parvint au secrétariat de la Commission le 16 décembre 1996, avec une lettre d’accompagnement datée du 26 novembre 1996 du chef de la Direction générale des établissements pénitentiaires, le général de division I.C. Les deux lettres parvinrent dans une enveloppe à l’en-tête du ministère de la Justice, envoyée de Bucarest.

17.  Par lettre du 17 janvier 1997, le secrétariat de la Commission demanda au requérant des explications au sujet du retard du courrier. Le requérant répondit par une lettre datée du 17 février 1997, expliquant que le retard dans sa correspondance avec la Commission ne lui était pas imputable et demanda de l’aide pour faire respecter l’article 8 de la Convention. Il confirmait avoir reçu la notice explicative que la Commission lui avait envoyée le 19 février 1996. Cette lettre parvint à la Commission le 27 mars 1997, avec une lettre d’accompagnement du 18 mars 1997 du chef de la direction des services pénitentiaires, I.C. Les deux lettres avaient été envoyées dans une enveloppe portant l’en-tête du ministère de la Justice, postée à Bucarest.

18.  Le 30 avril 1997, le secrétariat informa le requérant que son grief tiré du caractère prétendument inéquitable de la procédure ayant abouti à sa condamnation se heurtait à certains obstacles et lui demanda des précisions au regard du grief tiré de l’article 8 de la Convention, qu’il invoquait dans sa lettre précédente.

19.  Le 19 mai 1997, le requérant répondit que toutes les lettres envoyées par la Commission lui parvenaient ouvertes et qu’il était obligé de remettre aux autorités pénitentiaires ses lettres destinées à la Commission, dans une enveloppe ouverte. Ces lettres étaient ensuite envoyées à la direction des services pénitentiaires à Bucarest, où elles étaient enregistrées et envoyées à destination. Enfin, il se plaignait que le commandant de la prison avait « oublié » de lui remettre le texte de la Convention qui lui avait été envoyé en annexe à la lettre du secrétariat de la Commission du 19 février 1996. Il souligna que ce n’était qu’à la suite des autres lettres de la Commission et sur insistance du requérant que le commandant lui avait enfin remis le texte de la Convention.

20.  La lettre du 9 mai 1997 parvint à la Commission le 4 juillet 1997 avec une lettre d’accompagnement du directeur adjoint de la direction des services pénitentiaires, le colonel M.V. Les deux lettres avaient été envoyées ensemble de Bucarest, dans une enveloppe portant l’en-tête du ministère de la Justice.

21.  Le 22 août 1997, le requérant envoya à la Commission sa formule de requête. Le formulaire fut, lui aussi, envoyé de Bucarest avec un courrier d’accompagnement de la direction des services pénitentiaires dans une seule enveloppe, parvenue à la Commission le 20 octobre 1997.


22.  Plusieurs lettres du requérant des 8 mars, 16 septembre et 31 décembre 1999, 15 octobre, 11 novembre, 12, 4 et 21 décembre 2000 parvinrent à la Cour respectivement dans des enveloppes ordinaires fermées, dans des délais de une à deux semaines après leur envoi.

23.  Par lettre du 8 mars 1999, le requérant informa la Cour qu’il était empêché de lui donner de ses nouvelles en raison du refus des autorités de lui fournir du papier à écrire et des enveloppes. Il lui demandait son aide afin de remédier à cette situation et faisait valoir que c’était par l’intermédiaire d’un autre détenu qu’il était enfin arrivé à se procurer une enveloppe.

24.  Par lettre du 16 septembre 1999, le requérant s’excusa auprès de la Cour d’avoir été obligé, à défaut de timbre, de glisser sa lettre dans l’enveloppe d’un autre détenu qui écrivait à la Cour.

25.  Par lettre du 11 novembre 2000, envoyée de l’hôpital pénitentiaire de Tg. Ocna, le requérant accusait tout d’abord réception, le 8 novembre 2000, d’une lettre que le Greffe de la Cour lui avait envoyée le 27 octobre 2000 et soulignait qu’elle lui était parvenue dans une enveloppe ouverte.

Il faisait valoir aussi que l’introduction de sa requête à Strasbourg et sa correspondance avec le secrétariat des organes de la Convention avait éveillé l’hostilité des gardiens à son encontre. Il s’exprimait dans les termes suivants :

« en prison, les gardiens ne sont pas contents de ma correspondance avec vous et, pour cette raison, il paraît que je serai transféré et que je pourrai avoir d’autres problèmes encore ».

Il informait également la Cour qu’un autre détenu connaissant la langue française l’avait aidé à traduire le formulaire de requête, mais qu’il ne pouvait pas dévoiler le nom de la personne en cause, car elle aurait eu de ce fait des soucis avec la direction du pénitencier.

26.  Par lettre du 15 mai 2002, la direction pénitentiaire de Mărgineni, répondant à une demande de renseignements formulée par l’agent du Gouvernement roumain, confirmait tout d’abord que le requérant s’était trouvé successivement en détention au pénitencier de Mărgineni du 27 mars 1998 au 3 octobre 1999, du 27 juin au 19 juillet 2000 et du 29 mai 2001 au 13 janvier 2002.

Elle faisait valoir ensuite que, dans les périodes précités, les registres du pénitencier faisaient état que le requérant avait sur son compte la somme de 592 000 de lei et qu’il n’avait fait aucune demande en vue de l’obtention d’un éventuel financement qui lui aurait été nécessaire pour qu’il puisse introduire une requête auprès de la Cour. La direction du pénitencier exposait ensuite que, dans les périodes précitées, le requérant s’était adressé une seule fois auprès du ministère de la Justice, et ce pour solliciter la grâce, et que rien ne prouvait qu’il se serait adressé en outre à la Cour.

B.  Le droit interne pertinent

27.  Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Petra c. Roumanie (arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 2853, §§ 25-26).

28.  D’après le Gouvernement, un arrêté no 2036/C ou no 2037/C, garantissant le secret de la correspondance des détenus, a été adopté le 24 novembre 1997 par le ministre de la Justice. Le Gouvernement n’a pas produit une copie de l’arrêté en question et il ne résulte pas des éléments fournis par le Gouvernement ou que la Cour a pu se procurer d’elle-même que celui-ci a été publié.

EN DROIT

I.  Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

29.  Le requérant se plaint d’entraves à sa correspondance avec les institutions de la Convention. Il invoque à cet égard l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

30.  La Cour relève que ce grief comporte trois branches : la première a trait aux délais d’acheminement du courrier du requérant destiné à la Commission ou à la Cour ; la deuxième concerne l’ouverture du courrier du requérant destiné à la Commission et à la Cour ou émanant de celles-ci ; la troisième porte sur le refus de l’administration du pénitencier de fournir au requérant le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour.


1  Sur le délai d’acheminement du courrier du requérant destiné à la Commission et à la Cour

A.  Arguments des parties

31.  Le requérant estime que les délais d’acheminement du courrier destiné à la Commission ou à la Cour portent atteinte au droit garanti par l’article 8 précité.

32.  Le Gouvernement admet que le requérant a subi une ingérence dans son droit au respect de sa correspondance avec la Commission en raison du délai d’acheminement du courrier destiné à la Commission et que ladite ingérence n’était pas prévue par une « loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Il renvoie sur ce dernier point à l’arrêt Petra c. Roumanie du 23 septembre 1998, dans lequel la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention, au motif que la loi roumaine ne remplissait pas l’exigence d’accessibilité de la loi, au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

Le Gouvernement souligne toutefois que le requérant n’a plus subi d’entrave au droit au respect de sa correspondance après le 24 novembre 1997, date à laquelle a été adopté un arrêté du ministre de la Justice (ci‑après « l’arrêté du ministre de la Justice »), garantissant l’acheminement immédiat et le secret du courrier des détenus.

B.  Appréciation de la Cour

33.  La Cour note d’emblée que cette branche du grief du requérant porte sur la période allant du 16 novembre 1995, date à laquelle le requérant a envoyé une première lettre à la Commission, au 20 octobre 1997, date à laquelle est parvenue à cette dernière la lettre du requérant du 22 août 1997. Elle relève que, pendant cette période, le courrier du requérant est parvenu à destination dans des délais compris entre un mois et dix jours minimum et deux mois et six jours maximum.

La Cour relève qu’après le 20 octobre 1997, les lettres du requérant lui parvinrent dans des délais normaux, généralement de une à deux semaines après leur envoi (paragraphe 22 ci-dessus). Partant, elle estime, sur la base des éléments fournis, qu’aucune ingérence ne saurait être décelée après le 20 octobre 1997 en raisons du délai d’acheminement du courrier du requérant destiné à la Cour.


34.  La Cour note ensuite qu’il n’est pas contesté que le retard dans l’acheminement du courrier du requérant entre les 16 novembre 1995 et 20 octobre 1997 constitue, en l’occurrence, une ingérence au droit au respect de sa correspondance, garanti par l’article 8 § 1 de la Convention, qui n’était pas prévue par une « loi », au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

35.  A cet égard, la Cour rappelle que, dans l’affaire Petra précitée, elle a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention au motif que « la loi roumaine n’indiquait pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités » (Petra, précité, § 38 in fine), et que « les dispositions internes applicables en matière de contrôle de la correspondance des détenus (...) laissent aux autorités nationales une trop grande latitude : ils se limitent notamment à indiquer, de façon très générale, le droit des condamnés de recevoir et d’envoyer du courrier et accordent aux directeurs des établissements pénitentiaires le pouvoir de garder toute lettre ou tout journal, livre ou magazine non appropriés à la rééducation du condamné. Le contrôle de la correspondance semble donc être automatique, indépendant de toute décision d’une autorité judiciaire et non assujetti à des voies de recours. Quant au règlement d’application, il n’est pas publié, de sorte que le requérant n’a pas pu en prendre connaissance » (Petra, précité, § 37).

36.  La Cour estime que rien en l’espèce ne permet de distinguer de ce point de vue la présente affaire de l’affaire Petra précitée. L’ingérence litigieuse étant fondée en l’occurrence sur les mêmes dispositions internes que celles déjà jugées comme étant incompatibles avec les exigences d’une « loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, la Cour conclut donc qu’elle n’était pas prévue par la « loi » et que, partant, il y a eu, sur ce point, une violation de l’article 8 de la Convention.

37.  Eu égard à la conclusion qui précède, la Cour n’estime pas nécessaire de vérifier en l’espèce le respect des autres exigences du paragraphe 2 de l’article 8, ni la qualité de « loi », au sens du paragraphe 2 précité, de l’arrêté du ministre de la Justice du 24 novembre 1997 auquel renvoie le Gouvernement, car postérieur aux faits constitutifs de cette branche du grief tiré de l’article 8 de la Convention.


2.  Sur l’ouverture du courrier du requérant destiné à la Commission et à la Cour ou émanant de celles-ci

A.  Arguments des parties

38.  Le Gouvernement ne conteste pas le fait qu’avant le 24 novembre 1997, le requérant a subi une ingérence à son droit au respect de sa correspondance en raison de l’ouverture du courrier destiné à la Commission ou émanant de celle-ci. Se remettant sur ce point à la sagesse de la Cour, il admet que ladite ingérence n’était pas prévue par une « loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, tel que la Cour l’a déjà constaté dans l’arrêt Petra précité pour des faits similaires aux faits de l’espèce.

Le Gouvernement souligne toutefois qu’après le 24 novembre 1997, à la suite de l’adoption d’un arrêté du ministre de la Justice – no 2036/C ou no 2037/C – garantissant le secret de la correspondance des détenus, le requérant n’a plus subi d’entrave au droit au respect de sa correspondance. Il fait valoir que de nombreuses mesures ont été adoptées par la Direction générale des prisons pour mettre en œuvre ledit arrêté : d’une part, une lettre circulaire a été envoyée dans chaque prison, attirant l’attention sur l’importance du respect, par le personnel de la prison, du droit à la correspondance des détenus ; d’autre part, ledit arrêté est désormais présenté à chaque nouveau détenu, qui apprend ainsi quels sont ses droits et ses devoirs en la matière.

39.  Le requérant conteste les allégations du Gouvernement selon lesquelles après le 24 novembre 1997 il n’aurait plus subi d’entrave au droit au secret de sa correspondance. Il renvoie sur ce point à la lettre de la prison de Mărgineni du 15 mai 2002 adressée à l’agent du Gouvernement, qui fait état de ce qu’entre 1998 et 2002, le requérant n’aurait pas formulé de demande de financement pour envoyer une requête à la Cour et qu’il a envoyé une seule demande au ministre de la Justice pour demander la grâce. Il estime que ladite lettre constitue une preuve du fait que l’administration pénitentiaire a continué de tenir un registre de la correspondance des détenus et qu’elle a continué de lire ses courriers même après le 24 novembre 1997. Il souligne, enfin, que l’administration de la prison avait forcément lu sa lettre adressée audit ministre dès lors qu’elle était au courant de son contenu.


B.  Appréciation de la Cour

1.  Période allant jusqu’au 24 novembre 1997

40.  La Cour relève qu’il n’est pas contesté en l’espèce que l’ouverture du courrier du requérant destiné à la Commission ou émanant de celle-ci avant le 24 novembre 1997 constitue, en l’occurrence, une ingérence au droit au respect de sa correspondance. Elle relève en outre que ladite ingérence est antérieure au 23 septembre 1998, date à laquelle la Cour a estimé dans l’arrêt Petra précité que l’article 8 de la Convention avait été méconnu par les autorités au motif que les dispositions internes applicables ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 2 l’article 8 de la Convention (Petra, précité, §§ 38-39).

41.  Or, l’ingérence litigieuse étant fondée en l’occurrence sur les mêmes dispositions internes que celles déjà jugées comme ne répondant pas aux exigences d’une « loi », la Cour conclut que rien en l’espèce ne permet de distinguer de ce point de vue la présente affaire de l’affaire Petra précitée.

42.  Partant, l’ingérence litigieuse n’étant pas prévue par une « loi », la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention de ce chef.

2.  La période après le 24 novembre 1997

43.  Pour ce qui est du respect du secret de la correspondance du requérant après le 24 novembre 1997, la Cour se voit placée devant une controverse entre les parties, dans la mesure où le Gouvernement nie l’existence de toute ingérence après la date à laquelle le ministre de la justice a adopté l’arrêté garantissant le secret de la correspondance des détenus, fait contesté par le requérant. Dans ces circonstances, il incombe tout d’abord à la Cour de trancher cette controverse sur la base de l’ensemble du dossier en sa possession (Messina c. Italie, arrêt du 2 février 1993, série A no 257‑H, § 31)


44.  La Cour relève qu’il résulte de la lettre du 15 mai 2002 de la direction du pénitencier de Mărgineni que les autorités de cet établissement ont continué, même après le 24 novembre 1997, de contrôler la correspondance du requérant, en particulier son objet et ses destinataires. Elle note à cet égard que les autorités pénitentiaires étaient au courant de ce que qu’entre 1998 et 2002, le requérant n’avait pas envoyé de requête à la Cour et qu’il avait envoyé une seule demande au ministre de la Justice pour demander la grâce (paragraphe 26 ci-dessus). Plus encore, elle note que le requérant s’est plaint dans sa lettre du 11 novembre 2000 que celle du Greffe de la Cour du 27 octobre 2000 lui était parvenue ouverte, fait que le Gouvernement ne conteste pas (paragraphe 25 ci-dessus).

Ces éléments permettent à la Cour d’ajouter foi aux allégations de l’intéressé. Elle estime donc que l’ingérence au droit au respect du secret de sa correspondance a continué même après la date de l’adoption de l’arrêté du ministre garantissant le secret de la correspondance de détenus.

45.  Cette ingérence emporte violation de l’article 8 de la Convention, à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », qu’elle poursuive un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, qu’elle soit, de plus, « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre (voir les arrêts Silver et autres c.. Royaume-Uni du 25 mars 1992, série A no 233, p. 16, § 34, et Calogero Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 32, § 84, Campbell c Diana c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1775, § 28).

46.  S’agissant de la légalité de l’ingérence, la Cour, en l’absence d’indications plus précises fournies par les parties, part de l’idée que le contrôle de la correspondance du requérant s’est fondé, à la différence de l’affaire Petra précitée, sur l’arrêté que le ministre de la Justice aurait adopté le 24 novembre 1997, garantissant le secret de la correspondance des détenus. A supposer que tel n’était pas le cas, il appartenait au Gouvernement défendeur d’indiquer la disposition de loi éventuelle sur laquelle s’étaient appuyées les autorités nationales pour soumettre à contrôle la correspondance du détenu (Di Giovine c. Italie, no 39920/98, § 25, arrêt du 26 juillet 2001, non publié).

47.  Or, la Cour relève tout d’abord certaines incohérences dans les observations du Gouvernement à l’égard de l’arrêté du 24 novembre 1997, dans la mesure où celui-ci est parfois identifié sous le no 2036/C, parfois sous le no 2037/C. De surcroît, il ne résulte nullement des éléments fournis par le Gouvernement ou que la Cour a pu se procurer d’elle-même que l’arrêté en question a été publié. Dans ces conditions, et à la lumière de sa jurisprudence en la matière (Petra, précité, § 37 ; Di Giovine, précité, § 26 ; Peers c. Grèce, no 28524/95, § 82, CEDH 2001‑III et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 175‑185, CEDH 2000‑IV), la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’était pas prévue par une « loi », au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

48.  Eu égard à la conclusion qui précède, la Cour n’estime pas nécessaire de vérifier en l’espèce le respect des autres exigences du paragraphe 2 de l’article 8 et conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

3.  Sur le refus de l’administration du pénitencier de fournir au requérant le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour

A.  Arguments des parties

49.  Le requérant est d’avis que le refus de l’administration pénitentiaire, après le 24 novembre 1997, de lui fournir le nécessaire en enveloppes, timbres et papier à écrire pour s’adresser à la Cour emporte une violation de l’article 8 précité. Il estime que ce fait a été rendu possible en raison du manque de précision et d’accessibilité de la réglementation applicable.

50.  Le Gouvernement conteste la réalité des allégations du requérant et estime qu’elles sont manifestement mal fondées. Il fait valoir qu’en vertu de l’arrêté du ministre de la Justice du 24 novembre 1997, il incombe aux détenus ou à leur famille d’acheter les enveloppes et les timbres nécessaires pour leur correspondance et que, lorsque les détenus ne possèdent pas les moyens financiers nécessaires, les dépenses sont supportées par les administrations pénitentiaires. Dans ce cas, le requérant est tenu faire une demande par écrit auprès de l’administration du pénitencier. Or, le Gouvernement souligne qu’il ne résulte pas des registres du pénitencier de Mărgineni que le requérant aurait fait une telle demande et relève qu’en tout état de cause, il n’aurait pas pu en bénéficier gratuitement, car il avait sur son compte la somme de 592 000 lei.

51.  Le Gouvernement fait valoir en outre que, selon les informations fournies par la Direction générale des Pénitenciers, il est loisible aux détenus qui remplissent les conditions prévues par « le règlement » de se voir octroyer gratuitement deux enveloppes par mois. Le Gouvernement n’a toutefois pas identifié la réglementation en question.

52.  Le requérant souligne que la condition à laquelle fait référence le Gouvernement est illogique : le détenu qui a besoin de papier et d’enveloppes ne saurait être tenu de le demander par écrit, sur un papier qu’il ne possède pas de surcroît. Il s’agit là, de l’avis du requérant, d’une restriction injustifiée à ce que le droit au respect de sa correspondance puisse être mis en pratique. Le requérant souligne qu’il s’est vu essuyer un refus à toutes ses demandes de fournitures adressées oralement au commandant de la prison, au motif que seules des enveloppes affranchies pour la Roumanie, et non pas pour l’étranger, étaient disponibles.


53.  Le requérant souligne que le Gouvernement cite une certaine réglementation, sans toutefois l’identifier, en vertu de laquelle les détenus pourraient se voir octroyer gratuitement deux enveloppes par mois. Or, il relève qu’à l’évidence, les enveloppes ne sont pas suffisantes pour pouvoir exercer son droit à la correspondance.

54.  S’agissant de l’allégation du Gouvernement selon laquelle il aurait eu sur son compte la somme de 590 000 de lei, il souligne qu’il s’agit d’une modeste somme d’argent – l’équivalent de 18 euros, qu’il a eue sur son compte une courte période de temps, en août et septembre 1998 et qui représentait le bénéfice acquis à la suite de la vente de ses tableaux et icônes à une exposition. Il souligne avoir demandé des timbres et enveloppes lorsqu’il n’avait plus les moyens de se les procurer, à savoir après avoir acheté, avec l’argent qu’il avait sur son compte, des choses élémentaires pour l’usage habituel (des cigarettes, du savon, de la nourriture et seq.).

55.  Le requérant allègue, enfin, que les frais encourus par les détenus pour la correspondance avec la Cour ne sont pas des « dépenses voluptoires », effectuées dans un intérêt purement personnel. La correspondance avec la Cour répond, de l’avis du requérant, à un intérêt général, à savoir celui de permettre à la Cour de rendre un jugement basé sur tous les éléments pertinents de fait et de droit dans un cas d’espèce. Or, cela implique entre autres la possibilité pour le requérant d’informer la Cour de tout nouvel élément ou de lui faire parvenir les éléments qu’il estime pertinents pour défendre sa cause. Pour cette raison, le requérant estime que les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir aux détenus la possibilité réelle de s’adresser à la Cour toutes les fois qu’ils en éprouvent le besoin.

B.  Appréciation de la Cour

56.  La Cour note que ce grief du requérant pose en l’espèce deux questions distinctes, bien qu’étroitement liées entre elles : celle, tout d’abord, de savoir si l’Etat avait une obligation positive de fournir au requérant le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour ; celle, ensuite, et le cas échéant, de savoir si l’Etat a manqué à une telle obligation.


1.  Sur la responsabilité de l’Etat pour manquement à une obligation positive

57.  La Cour note que le requérant se plaint en substance non pas d’un acte, mais de l’inaction de l’Etat. Elle rappelle à cet égard que, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif des droits gratis par l’article 8 précité (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 23, et Stjerna c. Finlande, arrêt du 25 novembre 1994, série A no 299-B, p. 61, § 38).

58.  Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la Cour a conclu à l’existence de ce type d’obligations à la charge d’un Etat lorsqu’elle a constaté la présence d’un lien direct et immédiat entre, d’une part, les mesures demandées par un requérant et, d’autre part, la vie privée et/ou familiale de celui-ci (voir, parmi d’autres, López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-C, p. 56, § 58 ; Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 228, § 60).

59.  En l’espèce, la Cour constate qu’un tel lien direct existe entre le droit revendiqué par le requérant, à savoir celui de se voir octroyer, par l’administration de la prison, des fournitures nécessaires pour sa correspondance avec la Cour, et, d’autre part, le droit du requérant au respect de sa correspondance, tel que garanti par l’article 8 de la Convention. En effet, le fait de disposer de fournitures comme du papier à écrire, des timbres et des enveloppes est inhérent à l’exercice, par le requérant, de son droit au respect de sa correspondance, garanti par l’article 8. Il incombe dès lors à la Cour d’examiner si les autorités ont manqué à l’obligation positive alléguée par le requérant.

2.  Sur la question de savoir si l’Etat a manqué à son obligation positive

60.  La Cour estime que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, les allégations du requérant formant cette troisième branche de son grief sous l’angle de l’article 8 ne sont pas dépourvues de fondement. En effet, elle relève que plusieurs lettres du requérant sont arrivées dans des enveloppes des autres détenus et que le requérant a constamment informé la Cour à ce sujet, lui demandant son aide (paragraphes 23-24 ci-dessus).


61.  La Cour rappelle à cet égard que l’article 8 de la Convention n’oblige pas les Etats à supporter les frais d’affranchissement de toute la correspondance des détenus, ni ne garantit aux détenus le choix du matériel à écrire (Boyle c. Royaume-Uni, no 9659/82, décision de la Commission du 6 mars 1985, Décisions et rapports 41, p. 91 et Farrant c. Royaume-Uni, no 7291/75, décision de la Commission du 18 octobre 1985, D.R. 50, p. 5). Toutefois, un problème pourrait surgir si, faute de moyens financiers, la correspondance d’un détenu a sérieusement été entravée (Boyle, précitée). De même, l’obligation faite aux détenus d’utiliser pour leur correspondance le papier réglementaire de la prison ne constitue pas une ingérence dans le droit au respect de la correspondance, pourvu que ce papier soit immédiatement disponible (Farrant, précitée).

62.  La Cour note que le Gouvernement, après avoir fait allusion à une réglementation en vertu de laquelle le requérant pourrait bénéficier de deux enveloppes gratuites par mois, a été en défaut de faire la preuve que ce dernier en aurait effectivement bénéficié.

63.  Plus encore, elle souscrit à l’argument de la partie requérante selon lequel les enveloppes ne sont pas suffisantes pour pouvoir exercer son droit à la correspondance. Or, la Cour note que, d’après le requérant, toutes ses demandes de fournitures, adressées oralement auprès du commandant de la prison, ont été rejetées au motif que seules des enveloppes affranchies pour la Roumanie, et non pas pour l’étranger, étaient disponibles, fait que le Gouvernement ne conteste pas.

64.  La Cour ne saurait accueillir davantage l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait omis de faire une demande écrite, dans la mesure où l’intéressé visait précisément l’obtention, parmi d’autres fournitures, du papier à écrire.

65.  Dans ces circonstances, la Cour estime que les autorités ont manqué à leur obligation positive de fournir au requérant le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour et que, dès lors, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention de ce chef.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

66.  Le requérant se plaint d’une entrave à son droit de recours individuel garanti par l’article 34 (l’ancien article 25) de la Convention, qui est ainsi libellé :

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

67.  Le requérant fait valoir que l’introduction d’une requête auprès les organes de la Convention a éveillé l’hostilité des gardiens à son encontre, de la part desquels il a subi des pressions pour qu’il retire sa plainte. Il allègue en outre que le refus de l’administration pénitentiaire de lui fournir le nécessaire en enveloppes, timbres et papier à écrire pour s’adresser à la Cour, de même que les délais d’acheminement de son courrier et l’ouverture systématique de ses lettres destinées à la Commission et à la Cour et adressées par celles-ci a éveillé en lui des sentiments d’angoisse et de frustration, accentués par le fait qu’il se trouvait dans un espace clos, sans aucun contact avec sa famille ou avec le monde extérieur.

68.  Le Gouvernement souligne que le requérant n’a pas fourni sur ce point des preuves adéquates et indubitables et estime dès lors que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé.

69.  La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Commission, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs. Par le mot « presse[r] », il faut entendre non seulement la coercition directe et les actes flagrants d’intimidation des requérants déclarés ou potentiels, de leur famille ou de leur représentant en justice, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ceux-ci ou à les décourager de se prévaloir du recours qu’offre la Convention. Pour déterminer si des contacts entre les autorités et un requérant déclaré ou potentiel constituent des pratiques inacceptables du point de vue de l’article 34, il faut tenir compte des circonstances particulières de la cause. A ce propos, il faut envisager la vulnérabilité du plaignant et le risque que les autorités ne l’influencent (Petra, précité, § 43).

70.  Dans sa lettre adressée à la Cour le 11 novembre 2000, le requérant a exprimé ses craintes d’être transféré dans une autre prison ou de subir « d’autres problèmes encore » en raison du mécontentement des gardiens du fait de sa correspondance avec la Cour (paragraphe 25 ci-dessus), affirmations qui n’ont pas été démenties par le Gouvernement défendeur. De même, le requérant n’a pas voulu dévoiler le nom du détenu qui l’a aidé de peur que celui-ci ne rencontre de problèmes avec la direction pénitentiaire (paragraphe 25 ci-dessus).


71.  Selon la Cour, il peut s’agir là d’actes d’intimidation, qui, combinés, d’une part, avec l’omission de l’administration pénitentiaire de fournir au requérant les fournitures nécessaires pour sa correspondance avec la Cour, et, d’autre part, avec les délais d’acheminement et l’ouverture systématique et de ses lettres adressées à la Cour et à la Commission ou en provenance de celles-ci (paragraphes 28-58 ci-dessus) constituent en l’occurrence une forme de pression illicite et inacceptable ayant entravé le droit de recours individuel du requérant, au mépris de l’article 34 de la Convention. Cette conclusion s’impose d’autant plus en l’espèce eu égard à la vulnérabilité du plaignant, enfermé dans un espace clos et ayant, de ce fait, peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur.

72.  Partant, il y a eu violation de l’article 34 de la Convention.

3.  Sur la violation alléguée des articles 8 et 34 combinés de la Convention

73.  Le requérant allègue une atteinte aux articles 8 et 34 combinés de la Convention en raison des délais d’acheminement de sa correspondance de et en provenance des organes de la Convention et en raison du refus des autorités de lui fournir le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour.

74.  Compte tenu de la conclusion à laquelle elle a abouti aux paragraphes 59 et 72 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur ce grief du requérant.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

75.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


A.  Dommage

76.  Le requérant réclame 200 euros (EUR) au titre du dommage matériel. Il fait valoir qu’il a peint en prison plusieurs tableaux et icônes, dont une partie a été sélectionnée et envoyée à une exposition de peinture organisée à l’extérieur de la prison. Or, voyant systématiquement rejeter par les autorités ses demandes de papier, enveloppes et timbres, il n’aurait eu d’autre alternative que de céder six de ses tableaux à d’autres prisonniers, afin qu’ils lui fournissent le nécessaire pour sa correspondance ou pour qu’ils acceptent de faire acheminer ses lettres destinées à la Cour dans les mêmes enveloppes que celles qu’ils envoyaient eux-mêmes à la Cour.

Le requérant souligne qu’il lui était impossible de conclure des contrats de vente de ses tableaux avec les autres codétenus qui puissent constituer des preuves pour ses demandes au titre de l’article 41, compte tenu de ce qu’il était en détention et qu’il n’avait pas de papier à sa disposition.

77.  Il demande également 10 000 EUR pour le préjudice moral subi en raison du comportement des autorités qui ont lu et acheminé avec du retard son courrier de ou vers les organes de la Convention, qui l’ont privé de moyens nécessaires pour qu’il puisse continuer de correspondre avec la Cour et qui ont exercé de pressions sur lui, afin qu’il retire sa requête à Strasbourg. Il allègue que l’ouverture systématique de ses lettres et les délais de leur acheminement a éveillé en lui des sentiments d’angoisse, de frustration, d’incertitude et de découragement, accentués par le fait qu’il se trouvait dans un espace clos, sans aucun autre contact avec le monde extérieur. En lisant et faisant acheminer son courrier avec du retard, les autorités l’auraient soumis à des multiples restrictions à son droit de communiquer avec la Commission et la Cour. Ceci lui aurait causé des souffrances du fait qu’il se sentait isolé, humilié et sans défense à l’égard des autorités.

Il souligne enfin qu’il a été obligé de s’abaisser devant d’autres prisonniers en faisant état de sa situation financière précaire, afin de leur demander des enveloppes ou des timbres ou qu’ils acceptent de glisser ses lettres dans leurs enveloppes. Ses sentiments d’incertitude, découragement et d’abandon auraient été très puissants, ainsi que le prouverait la phrase contenue dans sa lettre du 16 novembre 1995 adressée à la Commission, selon laquelle elle aurait été « sa dernière chance ».


78.  Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la demande du requérant au titre du dommage matériel. Il relève que le montant demandé est exagéré, car le coût d’une lettre vers la France ne dépasse pas trois euros. Il fait valoir en outre que le requérant n’aurait pas eu besoin de vendre ses tableaux, car il avait 592 000 de lei sur son compte.

S’agissant du dédommagement moral, le Gouvernement ne conteste pas que les détenus peuvent éprouver un sentiment d’inconfort en raison du fait que leurs lettres sont lues par l’administration de la prison. Cependant, il souligne que la lecture des lettres du requérant a eu lieu seulement entre les 15 novembre 1995 et 24 novembre 1997, car, à compter de cette dernière date, les autorités ont remédié la situation, en adoptant un arrêté garantissant le droit à une correspondance illimitée et non censurée.

Le Gouvernement estime que les allégations du requérant selon lesquelles il se serait abaissé devant les autres prisonniers en demandant des timbres et des enveloppes ne sont pas fondées, car, d’une part, il n’y a aucune preuve dans le dossier, et, d’autre part, il n’avait pas besoin de demander leur support financier compte tenu du fait qu’il exerçait un travail rémunéré en prison, ayant peint lors de sa détention, entre autres, les murs d’une église.

79.  S’agissant des préjudice matériel, la Cour relève que les sommes demandées sont en liaison directe avec la violation constatée par la Cour au paragraphe 65 ci-dessus et portant sur la troisième branche du grief du requérant tiré de l’article 8 de la Convention (paragraphes 46-58 ci-dessus). La Cour admet que l’intéressé n’a pas fourni de preuves pour étayer ses allégations selon lesquelles il aurait été obligé de vendre ou de céder certains de ses tableaux à d’autres codétenus en échange de fournitures nécessaires pour sa correspondance avec la Cour ou pour qu’ils acceptent de lui faire acheminer ses lettres adressées à la Cour. Toutefois, à cet égard, elle ajoute foi à l’argument du requérant selon lequel, vu sa qualité de détenu et le manque de fournitures, il lui aurait été difficile de conclure avec les autres détenus des contrats écrits de vente de ses tableaux, qui seraient susceptibles de constituer des éléments de preuve pour ses prétentions au titre de l’article 41. La Cour note, enfin, que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir avec certitude l’étendue du préjudice matériel effectivement subi par le requérant.


80.  S’agissant de la demande du requérant au titre du préjudice moral, la Cour estime que l’intéressé a subi un tort moral certain du fait de l’ouverture et du retard dans l’acheminement de son courrier avec la Commission et la Cour, de l’omission de l’administration pénitentiaire de lui fournir le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour et des pressions qu’elle a exercées sur le requérant, de nature à entraver son droit de recours individuel.

81.  Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue au requérant 2 500 EUR tout préjudice confondu.

B.  Frais et dépens

82.  Le requérant sollicite le remboursement des 4 290 EUR pour frais et dépens, qu’il ventile comme suit :

a)  180 EUR pour le frais encouru par ses avocats pour l’envoi des lettres à la Cour ;

b)  4 110 EUR pour les honoraires des avocats qui l’ont représenté dans la procédure devant la Cour.

83.  Le Gouvernement laisse à l’appréciation de la Cour la question des frais et dépens à octroyer au requérant, mais il souligne toutefois qu’il devrait être tenu compte du fait que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire de la Cour.

84.  La Cour a apprécié la demande à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II, Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 88, CEDH 2000-III).

85.  Appliquant ces critères à la présente espèce, et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer à l’intéressé 3 300 EUR pour ses frais et dépens, dont il convient de déduire les 920 EUR déjà versés par le Conseil de Europe au titre d’assistance judiciaire, qui n’ont pas été pris en compte dans la demande du requérant.

C.  Intérêts moratoires

86.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison des délais d’acheminement du courrier du requérant destiné à la Commission ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’ouverture du courrier du requérant destiné à la Commission et à la Cour ou émanant de celles-ci ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du refus de l’administration pénitentiaire de fournir au requérant le nécessaire pour sa correspondance avec la Cour ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 34 de la Convention ;

5.  Dit qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’atteinte alléguée aux droits garantis par les articles 8 et 34 combinés de la Convention ;

6.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cent euros) pour dommage matériel et moral, ainsi que 3 300 EUR (trois mille trois cent euros) pour frais et dépens, moins 920 EUR (neuf cent vingt euros) déjà perçus au titre de l’assistance judiciaire ;

b)  que ces montants sont à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement et qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ils seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juin 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O’BoyleNicolas Bratza
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE COTLET c. ROUMANIE, 3 juin 2003, 38565/97