CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GRANATA (N° 2) c. FRANCE, 15 juillet 2003, 51434/99

  • Gouvernement·
  • Délai raisonnable·
  • Injonction·
  • Mise en état·
  • Recours·
  • Pièces·
  • Enfant·
  • Violation·
  • Partie·
  • État

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 15 juill. 2003, n° 51434/99
Numéro(s) : 51434/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A n° 66, § 36
Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 55
Erkner et Hofauer, arrêt du 23 avril 1987, série A n° 117, § 68
Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A n° 213, § 57
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, § 45, CEDH 2000-VII
Giummarra et autres c. France (déc.), n° 61166/00, 12 juin 2001
Kudla c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 152, § 156, § 159, CEDH 2000-XI
Mifsud c. France [GC] (déc.), n° 57220/00, § 17, CEDH 2002-VIII
Nouhaud et autres c. France, n° 33424/96, §§ 44-45, 9 juillet 2002, non publié
Vermeersch c. France, n° 39273/98, § 35, 22 mai 2001
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-65777
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0715JUD005143499
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GRANATA (no 2) c. FRANCE

(Requête no 51434/99)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juillet 2003

DÉFINITIF

15/10/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Granata c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 51434/99) dirigée contre la République française. M. Giovanni Granata (« le requérant »), ressortissant italien, a saisi la Cour le 16 juin 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par M. Philippe Bernardet, sociologue. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 23 avril 2002, la deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la procédure de divorce et de l'absence de recours interne effectif au travers duquel le requérant aurait pu formuler son grief relatif à cette durée. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

4.  Le requérant est né en 1939 et réside à Aix-en-Provence.

5.  Le requérant contracta mariage le 29 septembre 1972 avec B.T. Le couple adopta quatre enfants.

6.  Le 9 novembre 1990, B.T. introduisit une requête en séparation de corps devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence.

Le 22 octobre 1990, le juge aux affaires familiales fit convoquer les parties le 12 février 1991 pour la tentative de conciliation. A leur demande, celle-ci fut renvoyée au 19 mars 1991. Le 19 mars 1991, les époux comparurent devant le juge aux affaires familiales. Par ordonnance du même jour, le magistrat constata l'échec de la tentative de conciliation et autorisa les époux à résider séparément. Il confia l'autorité parentale conjointement au père et à la mère, fixa la résidence habituelle des enfants chez la mère, accorda au père un droit de visite et d'hébergement et fixa sa part contributive à l'entretien et à l'éducation des enfants.

7.  Le 7 juin 1991, B.T. assigna le requérant devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour voir prononcer la séparation de corps.

8.  Par conclusions incidentes du 17 octobre 1991 déposées devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, le requérant dénonça le départ de son épouse avec les enfants pour la région d'Angers et sollicita, notamment, l'attribution du domicile conjugal situé à Aix-en-Provence et le transfert de la résidence habituelle des enfants à son profit. Acquiesçant à la demande concernant la jouissance du domicile conjugal, B.T. s'opposa aux autres prétentions du requérant et sollicita reconventionnellement une augmentation du montant de la pension alimentaire et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants. Le 24 octobre 1991, B.T. déposa ses conclusions d'incident.

Les débats se tinrent à l'audience du 6 décembre 1991 puis l'affaire fut mise en délibéré.

Par ordonnance du 20 décembre 1991, le juge de la mise en état donna acte à B.T. de son accord pour l'attribution à son mari du domicile conjugal, rejeta la demande de transfert de la résidence habituelle des enfants, augmenta les montants de la pension alimentaire et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants et modifia le droit de visite du requérant.

9.  Le 17 janvier 1992, le juge de la mise en état délivra une injonction de conclure au requérant. Le 16 avril 1992, le requérant communiqua des pièces à B.T. Le 11 juin 1992, un nouvel avocat se constitua dans l'intérêt de B.T. Le 12 juin 1992, une injonction itérative de conclure fut délivrée au requérant. Les 2 et 15 octobre 1992, les parties se communiquèrent des pièces. Les 4 et 7 janvier 1993, le requérant communiqua des pièces à B.T.

10.  Le 8 janvier 1993, le requérant forma une demande reconventionnelle en divorce.

Par conclusions des 13 et 20 janvier 1993, il saisit le juge de la mise en état aux fins de se voir attribuer la résidence des enfants. Le 10 septembre 1993, une injonction de conclure fut délivrée à B.T., qui déposa ses conclusions en réponse le 8 octobre 1993. Le 4 octobre 1993, un nouvel avocat se constitua dans l'intérêt de B.T. Les parties se communiquèrent des pièces les 7 octobre, 8 octobre et 3 novembre 1993. Une audience de mise en état se tint le 5 novembre 1993. Le 17 janvier 1994, une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Les parties se communiquèrent des pièces les 25, 26, 27, 28 janvier, et les 1er et 23 février 1994. B.T. déposa des conclusions additionnelles le 4 février 1994, auxquelles le requérant répondit le 9 février suivant.

L'ordonnance de clôture fut rendue le 25 février 1994 et les débats en chambre du conseil se tinrent le 16 mars 1994. La date du délibéré fut fixée au 12 mai 1994, puis prorogée au 14 septembre, puis au 21 septembre 1994.

11.  Par jugement du 21 septembre 1994, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence prononça le divorce aux torts partagés, dit que l'autorité parentale serait exercée en commun par les deux parents et que la résidence habituelle des enfants serait fixée chez la mère. Il fixa le droit de visite et d'hébergement du père, sa contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants et une prestation compensatoire à verser à B.T.

12.  Le 10 novembre 1994, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. L'avocat de B.T. se constitua le 9 janvier 1995. Le requérant déposa ses conclusions le 9 mars 1995. Le 2 mai 1995, une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Le 22 mai 1995, le conseiller de la mise en état prit, à l'égard du requérant, une ordonnance d'injonction de communiquer. Les 25 juillet et 4 septembre 1995, le requérant communiqua des pièces à la partie adverse. Le 7 novembre 1996 une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Les 15 novembre, 26 novembre et 3 décembre 1996, les parties se communiquèrent des pièces. Le 18 novembre 1996, B.T. déposa des conclusions.

Le 17 décembre 1996, l'ordonnance de clôture fut reportée à la demande du requérant. Les 24 et 31 décembre 1996, le requérant déposa des conclusions et communiqua des pièces. Les débats se tinrent le 16 janvier 1997. Le prononcé de l'arrêt fut fixé au 27 février 1997 puis prorogé au 27 mars 1997.

13.  Par arrêt du 27 mars 1997, la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma le jugement déféré en toutes ses dispositions.

14.  Le 9 juillet 1997, le requérant se pourvut en cassation.

Le dossier arriva à la Cour de cassation le 12 septembre 1997. Le 31 octobre 1997, le requérant produisit un mémoire ampliatif. Un mémoire en défense fut déposé par la partie adverse le 15 décembre 1997.

Le 1er juillet 1998, le conseiller rapporteur fut désigné. Il déposa son rapport le 1er septembre 1998. L'avocat général fut désigné le 16 octobre 1998.

L'audience eut lieu le 13 janvier 1999.

15.  Par arrêt du 11 février 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

16.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

17.  Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention. Il souligne à cet égard que le requérant avait la possibilité de soumettre son grief tiré de la durée de la procédure aux juridictions françaises dans le cadre d'une action en responsabilité fondée sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire. Une récente évolution de la jurisprudence interne démontrerait le caractère « effectif » d'un tel recours.

18.  Le requérant conteste cette thèse.

19.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes et qu'elle a déjà eu à se prononcer sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire au regard de cette exigence. Au vu de l'évolution jurisprudentielle dont fait état le Gouvernement, la Cour a jugé que le recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire permet de remédier à une violation alléguée du droit de voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001), quel que soit l'état de la procédure au plan interne (Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, 11 septembre 2002). Elle a précisé que ce recours avait acquis, à la date du 20 septembre 1999, le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention, parvenant en conséquence à la conclusion que tout grief tiré de la durée d'une procédure judiciaire, introduit devant elle après le 20 septembre 1999 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d'un recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, est en principe irrecevable, quel que soit l'état de la procédure au plan interne. En l'espèce, le requérant a saisi la Cour le 16 juin 1999 et n'était donc pas tenu d'exercer ce recours préalablement.

20.  Il y a donc lieu de rejeter l'exception.

21.  Ceci étant, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

22.  Le Gouvernement affirme que l'affaire ne présentait pas une grande complexité juridique mais qu'elle s'avéra délicate en raison du comportement des parties. Au stade de la conciliation, les parties auraient sollicité le renvoi de l'audience de conciliation, puis B.T. aurait presque attendu l'expiration du délai légal avant d'assigner le requérant en séparation de corps. Devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance, le requérant aurait attendu un an avant de déposer ses conclusions malgré deux injonctions de conclure, de même qu'une injonction de conclure aurait dû être délivrée à B.T. Devant la cour d'appel, le requérant n'aurait communiqué ses pièces à la partie adverse qu'après une injonction de communiquer du conseiller chargé de la mise en état. Enfin, le requérant aurait sollicité le report de l'ordonnance de clôture pour présenter de nouvelles écritures. Selon le Gouvernement, les juridictions saisies statuèrent dans des délais raisonnables. Il relève que le juge de la mise en état délivra plusieurs injonctions de conclure aux parties et notamment au requérant. Devant la cour d'appel, les autorités auraient usé de leurs pouvoirs pour obliger les parties à communiquer leurs pièces. Le Gouvernement ne relève aucune période de latence devant la Cour de cassation. Le Gouvernement en conclut que la durée de la procédure est pour l'essentiel imputable au comportement des parties, qui multiplièrent les demandes de renvoi, les incidents de procédure et déposèrent, notamment devant les juges du fond, de nombreuses pièces et conclusions.

23.  Le requérant estime quant à lui que la multiplication des conclusions des parties et des sommations de communiquer ne sauraient expliquer certains délais exclusivement imputables aux autorités judiciaires. Ainsi, ne seraient pas justifiés le délai de quatre mois écoulé entre l'ordonnance du 22 novembre 1999 et l'ordonnance de renvoi du 12 février 1991, le fait que le juge de la mise en état n'adressa son injonction de conclure à B.T. que le 10 septembre 2003 et le fait que le délibéré dura plus de six mois après la date d'audience devant le tribunal de grande instance. De même, devant la cour d'appel, rien n'expliquerait le délai de latence d'un an et deux mois entre le 4 septembre 1995 et le 7 novembre 1996. Devant la Cour de cassation, le délai de six mois et demi pris pour la désignation d'un conseiller rapporteur serait déraisonnable. Le requérant estime que le report de clôture qu'il sollicita n'eut aucun effet significatif sur le délai d'instruction de l'affaire. Le requérant insiste enfin sur la nature particulière de l'affaire qui impliquait une certaine célérité.

24.  La période à considérer a débuté le 9 novembre 1990 et pris fin le 11 février 1999. La procédure a donc duré huit ans et trois mois pour trois degrés d'instance.

25.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

26.  La Cour considère que l'affaire ne présentait pas de difficulté particulière.

27.  La Cour rappelle que l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties : il leur incombe « d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis », de sorte que leur comportement a une influence particulière sur le déroulement de la procédure. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable ; l'article 3 du même code prescrit d'ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l'instance et l'investit du « pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ».

28.  La Cour rappelle que le comportement du requérant constitue un élément objectif, non imputable à l'Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s'il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l'article 6 § 1 de la Convention (Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 213, § 57 ; Erkner et Hofauer, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, § 68).

La Cour relève en premier lieu qu'on ne saurait reprocher au requérant d'avoir fait usage des diverses possibilités procédurales que lui ouvrait le droit interne. En revanche, la Cour estime devoir tenir compte de ce que les échanges de conclusions et de pièces entre les parties contribuèrent à rallonger la procédure devant les juridictions du fond. Ainsi, les parties échangèrent régulièrement des conclusions et pièces pendant deux ans et huit mois devant le tribunal de grande instance, et deux ans et deux mois devant la cour d'appel.

29.  Il convient cependant de rappeler que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, § 55) et, notamment, garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, Frydlender précité, § 45).

La Cour relève d'abord que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance délivra deux injonctions de conclure au requérant et une injonction de conclure à la partie adverse, et que le conseiller de la mise en état de la cour d'appel délivra au requérant une injonction de communiquer des pièces. En revanche, il ne ressort ni des observations des parties ni des pièces du dossier que ces magistrats aient, au cours de la procédure, fixé aux parties des délais pour conclure et échanger leurs pièces.

Par ailleurs, la Cour relève que la procédure a duré quatre mois et dix jours au stade de la conciliation, trois ans trois mois et quatorze jours en première instance, deux ans quatre mois et dix-sept jours devant la cour d'appel et un an, sept mois et deux jours devant la Cour de cassation. Elle estime que les retards imputables aux parties ne suffisent à expliquer ni ces délais, ni la durée globale de la procédure. Elle relève des périodes de latence qui ne sauraient être imputées au requérant, et qui ne sont aucunement justifiées par le Gouvernement. En particulier, après les débats en chambre du conseil du 16 mars 1994, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence ne rendit son arrêt que le 21 septembre 1994, soit plus de six mois plus tard. En outre, devant la cour d'appel, entre le 4 septembre 1995 et le 7 novembre 1996, soit pendant plus d'un an et deux mois, aucun acte ne fut pris, aucune conclusion ni pièce ne fut échangée entre les parties et le conseiller de la mise en état n'intervint pas pour mettre fin à cette inactivité. Enfin, devant la Cour de cassation, suite au dernier dépôt de mémoire de la partie défenderesse le 15 décembre 1997, le conseiller rapporteur ne fut désigné que le 1er juillet 1998, soit plus de six mois et demi plus tard.

30.  La Cour considère, au vu de ce qui précède et eu égard à la durée globale de la procédure, que la cause du requérant n'a pas été entendue dans un délai raisonnable.

31.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

32.  Le requérant se plaint également du fait qu'en France il n'existe aucune juridiction à laquelle l'on puisse s'adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l'article 13 de la Convention.

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Sur la recevabilité

33.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

34.  Le Gouvernement estime qu'il existe une disposition en droit interne français permettant de réparer les dommages causés par les durées de procédures judiciaires anormalement longues, à savoir l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire. Relevant qu'il s'agit d'un recours efficace et effectif, le Gouvernement conclut que les exigences de l'articles 13 de la Convention sont satisfaites.

35.  Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.

36.  La Cour rappelle que dans l'arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI), elle a jugé que l'article 13 de la Convention « garantit [un droit à] un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6 § 1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable ». Il résulte tant de l'arrêt Kudła précité que de la décision Mifsud c. France ([GC] (déc.), no 57220/00, CEDH 2002–VIII ) que, pour être effectif, un recours doit permettre soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir aux justiciables une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła, § 159, Mifsud, § 17 précités).

La Cour souligne qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette question dans l'affaire Nouhaud et autres c. France (no 33424/96, §§ 44-45, 9 juillet 2002, non publié). La Cour rappelle que, s'agissant des procédures judiciaires, elle a considéré que le recours de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire avait, à la date du 20 septembre 1999, acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention (Mifsud précitée). Force est de constater que cette date est postérieure à la date d'introduction de la présente requête devant la Cour. Or, c'est à la date d'introduction de la requête devant la Cour que l'« effectivité » du recours au sens de l'article 13 doit être appréciée, à l'instar de l'existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, ces deux dispositions présentant « d'étroites affinités » (Kudła précité, § 152).

37.  En conséquence, pour conclure en l'espèce à la violation de l'article 13 de la Convention, il suffit à la Cour de constater qu'en tout état de cause, à la date d'introduction de la requête, il n'existait en droit interne aucun « recours effectif » permettant au requérant de faire valoir son grief tiré de la durée de cette procédure.


III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

39.  Le requérant réclame 123 000 euros (EUR) dont 15 000 EUR au titre du « pretium doloris né du stress occasionné par la procédure de divorce » et 108 000 EUR au titre du préjudice moral.

40.  Le Gouvernement estime que le constat de violation des dispositions invoquées par le requérant constituerait une mesure de réparation suffisante, au regard du comportement du requérant dans la procédure interne.

41.  La Cour considère que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un tort moral certain, justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle alloue 1 000 EUR à ce titre ; elle estime en revanche qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux autres demandes du requérant relatives au dommage.

B.  Frais et dépens

42.  Le requérant demande le remboursement partiel des sommes exposées devant les deux premiers degrés de juridiction dans le cadre de la procédure interne. Il produit à cet égard diverses factures de ses avocats d'un montant total de 20 000 EUR. Il affirme, sans justifier ses allégations par des pièces pertinentes, que 5 % de ces sommes, à savoir 594 EUR, seraient « directement dues à la prise en charge de frais issus de la longueur de la procédure, soit parce que les conseils [du requérant] durent relancer les juridictions saisies afin de tenter de faire avancer l'affaire, soit parce que les temps de latence des juridictions furent mis à profit par la partie adverse, forçant les conseils du requérant à répliquer davantage ».

Le requérant demande également 1 919,90 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il produit des factures établies par la personne le représentant devant la Cour, M. Philippe Bernardet, portant la mention « TVA non facturée ».

43.  Le Gouvernement considère que seuls les frais et dépens exposés devant la Cour et dûment justifiés pourront éventuellement être pris en compte.

44.  Lorsqu'elle constate une violation de la Convention, la Cour peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu'ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36). La Cour concluant exclusivement à une violation du droit du requérant à voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » et de son droit à bénéficier d'un recours qui lui eût permis d'obtenir la sanction de ce droit, tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce s'agissant des frais et dépens engagés devant les juridictions internes. La Cour relève à cet égard que le requérant ne produit aucun justificatif de nature à établir ses allégations selon lesquelles les frais auraient été engagés à cette fin. Il y a donc lieu de rejeter la demande du requérant.

La Cour rappelle que, dans la phase de la procédure consécutive à la décision sur la recevabilité de sa requête, un requérant ne peut en principe être représenté devant elle que par un conseil habilité à exercer dans l'une des Parties contractantes (article 36 §§ 3 et 4 du règlement). La Cour en a déduit que, lorsque son représentant ne remplit pas cette condition (comme en l'espèce), un requérant peut obtenir le remboursement des frais de représentation engagés antérieurement à la décision sur la recevabilité mais pas de ceux engagés postérieurement (arrêt Vermeersch c. France, no 39273/98, § 35).

En l'espèce, la Cour ayant examiné en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire, le requérant est habilité à réclamer la totalité de ses frais de représentation, à supposer qu'ils soient justifiés et qu'ils soient raisonnables. Ceci étant, la Cour estime que le montant sollicité ne saurait être considéré comme raisonnable et décide d'allouer la somme de 1 000 EUR au requérant pour frais et dépens, toutes taxes comprises.

C.  Intérêts moratoires

45.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare le restant de la requête recevable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;


4.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juillet 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GRANATA (N° 2) c. FRANCE, 15 juillet 2003, 51434/99