CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE LILLY FRANCE c. FRANCE, 14 octobre 2003, 53892/00

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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www.revuedlf.com · 15 juin 2012

L'euro-compatibilité du rapporteur public, une nouvelle fois en question Par Laure Milano Alors que l'on pensait que la question de la conventionnalité de la transmission du rapport du conseiller rapporteur au seul rapporteur public était réglée, une requête introduite à Strasbourg relance le débat. Au regard des principes établis par la jurisprudence européenne concernant l'avocat général près la Cour de cassation, la condamnation est inévitable, à moins que la Cour ne profite de cette requête pour tempérer sa jurisprudence antérieure, ce qui serait souhaitable. On pouvait …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 oct. 2003, n° 53892/00
Numéro(s) : 53892/00
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II
Kress c. France [GC], n° 39594/98, 7 juin 2001, CEDH 2001-VI
Slimane-Kaïd c. France, n° 29507/95, arrêt du 25 janvier 2000
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-65912
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1014JUD005389200
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LILLY FRANCE c. FRANCE

(Requête no 53892/00)

ARRÊT

STRASBOURG

14 octobre 2003

DÉFINITIF

14/01/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Lilly France c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et deM. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 décembre 2002 et 23 septembre 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53892/00) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, la société anonyme Lilly France (« la requérante »), a saisi la Cour le 10 décembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me D. Foussard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait en particulier une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de transmission de la note du conseiller rapporteur devant la chambre commerciale de la Cour de cassation.

4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  Par une décision du 29 mai 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement irrecevable.

6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Par une décision du 3 décembre 2002, la chambre a déclaré le restant de la requête partiellement recevable.

EN FAIT

8.  La société requérante commercialise de nombreux médicaments dont le Dobutrex et le Vancocine, ce dernier étant fabriqué à partir de la molécule antibiotique appelée Vancomycine. A partir de l’année 1988, avec l’apparition sur le marché de concurrents à la Vancomycine, le brevet protégeant ce produit étant tombé dans le domaine public, la requérante mit en place un mécanisme de remises sur le prix du Dobutrex, remises liées à l’achat concomitant de la Vancomycine par les établissements publics hospitaliers.

9.  La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes (ci-après la « DGCCRF ») diligenta une enquête. Au cours de celle-ci, les fonctionnaires entendirent à deux reprises, à savoir les 17 juillet 1991 et 6 février 1992, les responsables du service juridique, du marché hospitalier et le pharmacien adjoint de la société requérante.

10.  Le 15 avril 1992, le rapport d’enquête de la DGCCRF reprocha à la requérante d’avoir abusé de la position dominante qu’elle occupait sur le marché du Dobutrex afin de préserver ses parts de marché sur la Vancocine. La requérante se voyait reprocher d’avoir fortement majoré le prix du Dobutrex de 1987 à 1992, avant d’accorder aux utilisateurs une remise de prix, laquelle constituait un avantage financier fictif qui ne correspondait pas à une réalité économique et faussait les règles du code des marchés publics.

11.  Par une lettre enregistrée le 12 août 1992, le ministre de l’Economie et des Finances saisit le Conseil de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la requérante sur le marché des spécialités pharmaceutiques susmentionnées et destinées aux hôpitaux.

12.  Le 15 juin 1994, par lettre recommandée avec accusé de réception, le président du conseil de la concurrence notifia à la requérante les griefs établis par le rapporteur permanent auprès du conseil de la concurrence, lequel concluait à un abus de position dominante.

13.  Le 2 août 1994, la requérante transmit ses observations en réponse. Elle écrivit notamment que les conclusions du rapporteur se fondaient :

« Sur la base du rapport administratif établi par la [DGCCRF] et sans avoir entendu les représentants de Lilly France ni, semble-t-il, recueilli l’opinion d’experts médicaux (...) »

14.  Le 23 novembre 1995, le président du conseil de la concurrence notifia à la requérante un nouveau rapport. La requérante adressa ses observations le 26 janvier 1996.

15.  Le 6 février 1996, par lettre recommandée avec accusé de réception, le conseil de la concurrence convoqua la requérante pour sa séance du 5 mars 1996. La convocation précisait en outre que la requérante pouvait assister à la séance et demander à être entendue.

16.  Par décision du 5 mars 1996, le conseil de la concurrence retint le caractère anticoncurrentiel de la pratique de couplage des achats de Dobutrex et de Vancomycine avec remise pratiquée par la requérante, estimant que la pratique consistant à offrir une prime de fidélité à ceux de ses clients qui pouvaient être tentés de devenir également clients d’entreprises concurrentes sur un autre marché était prohibée par l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Il lui infligea une sanction pécuniaire de trente millions de francs et ordonna la publication de la décision aux frais de la requérante dans deux revues médicales.

17.  Par déclaration du 22 mai 1996, la requérante forma un recours en annulation et réformation devant la cour d’appel de Paris. Au soutien de son appel, elle contesta l’abus de position dominante qui lui était reproché, critiqua l’analyse retenue contre elle et invoqua notamment la violation des droits de la défense, aux motifs que le rapport du rapporteur et la décision du conseil de la concurrence reposaient exclusivement sur l’enquête des agents de la DGCCRF, outre le fait que ni le représentant de la société, ni ses collaborateurs n’avaient été entendus. A titre subsidiaire, elle contesta le montant de l’amende et l’absence de motivation de la sanction de publication.

18.  Par arrêt du 6 mai 1997, après audience du 18 mars 1997, la cour d’appel de Paris rejeta le recours en ce qu’il portait sur la sanction pécuniaire prononcée à l’encontre de la requérante, mais annula la décision en ce qu’elle avait ordonné une mesure de publication. La cour d’appel releva notamment que :

« l’engagement d’une phase d’enquête par le rapporteur n’est pas obligatoire (...). En l’espèce, Lilly France a bénéficié d’une instruction et d’une procédure contradictoire ; (...) en effet, ses responsables ont été auditionnés par les enquêteurs de la DGCCRF ; (...) elle a reçu notification des griefs, a pu consulter le dossier et faire valoir ses arguments par voie de mémoires ; (...) le rapporteur a analysé, de manière précise et systématique, l’ensemble des moyens et des documents produits par elle ; (...) en vertu du pouvoir d’appréciation que lui accorde la loi quant à la conduite de l’investigation, il a pu estimer qu’il n’avait nul besoin d’entendre les représentants de la société ; (...) celle-ci a reçu en temps utile le rapport du rapporteur et a été mise en mesure de présenter ses observations. »

19.  A hauteur d’appel, la requérante fut représentée par son avoué et assistée de trois avocats.

20.  Le 22 mai 1997, la requérante forma un pourvoi en cassation par l’intermédiaire d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et produisit un mémoire ampliatif le 22 octobre 1997. Le 30 avril 1999, la requérante produisit un document intitulé « réplique et observations complémentaires ».

21.  Par arrêt du 15 juin 1999, après audience du 4 mai 1999, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

22.  La requérante se plaint de l’absence de transmission de la note du conseiller rapporteur devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle (...). »

23.  Le Gouvernement constate que la Cour européenne a déjà jugé que la transmission de la note du conseiller rapporteur à l’avocat général uniquement était constitutive d’un déséquilibre contraire aux dispositions de l’article 6 (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, et Slimane-Kaïd c. France, no 29507/95, 25 janvier 2000). Il relève cependant l’amorce d’une nouvelle réflexion sur les procédures suivies devant les cours suprêmes dans une opinion partiellement dissidente commune à une minorité importante de juges, concernant une affaire relative à la participation du commissaire du Gouvernement à la procédure devant le Conseil d’Etat (Kress c. France [GC], no 39594/98, 7 juin 2001, CEDH 2001-VI). Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Cour quant au bien-fondé de ce grief.

24.  La requérante, tout en maintenant ses demandes, prend acte de ce que le Gouvernement s’en rapporte à la sagesse de la Cour.

25.  La Cour rappelle que la question de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur au justiciable ne soulève un problème au regard de l’article 6 que dans la mesure où ledit rapport a été communiqué à l’avocat général avant l’audience (Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité ; Pascolini c. France, no 45019/98, 26 juin 2003).

La Cour rappelle également que le rapport se compose de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second, une analyse juridique de l’affaire et un avis sur le mérite du pourvoi (voir Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, § 105). De l’avis de la Cour, si le second volet du rapport, destiné au délibéré, peut (à l’instar du projet d’arrêt) rester confidentiel tant à l’égard des parties que de l’avocat général, le premier volet, non couvert par le secret du délibéré, doit être communiqué, le cas échéant, dans les mêmes conditions aux parties et à l’avocat général.

26.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.


II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

28.  La société requérante demande l’octroi d’une somme de 4 589 852 euros (EUR) au titre de son préjudice matériel, soit 4 573 471 EUR pour la sanction pécuniaire prononcée à son encontre et 16 381 EUR pour les frais de publication de la décision de condamnation.

29.  Le Gouvernement considère que les sommes réclamées correspondent au montant de la sanction infligée par le Conseil de la concurrence et sont sans lien avec le grief tiré de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation.

30.  La Cour estime qu’aucun lien de causalité ne se trouve établi entre la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et les divers préjudices matériels allégués par la requérante. Il convient donc d’écarter les prétentions formulées à ce sujet.

B.  Frais et dépens

31.  La société requérante sollicite 160 301 EUR pour les sommes exposées par elle en 1996, 1997, 1998 et 2000.

32.  Le Gouvernement considère que sont inclus dans cette somme des honoraires qui ne présentent aucun lien avec la présente procédure ou qui concernent la procédure suivie devant les juridictions internes. Il estime que seuls les frais et dépens exposés devant la Cour peuvent éventuellement être pris en compte.

33.  Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, notamment, Slimane-Kaïd c. France, précité). Tel n’étant pas le cas en l’espèce, cette partie des doléances de la requérante doit donc être rejetée.

S’agissant du recours porté devant elle, la Cour constate que la requérante produit une note d’honoraires de son avocat, d’un montant de 42 210 francs français, soit 6 434,87 EUR. Dès lors, la Cour alloue cette somme à la requérante au titre des frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

34.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 434,87 EUR (six mille quatre cent trente-quatre euros et quatre-vingt-sept centimes) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 octobre 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. EarlyA.B. Baka
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée dissidente de Mme W. Thomassen.

A.B.B.
T.L.E.


OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE THOMASSEN

Pour les mêmes raisons que celles que j’ai exprimées dans l’affaire Fontaine et Bertin c. France (nos 38410/97 et 40373/98, arrêt du 8 juillet 2003, pp. 20-21), je ne partage pas l’avis de la majorité selon lequel l’article 6 de la Convention a été violé en raison de ce que le rapport du conseiller rapporteur à la Cour de cassation n’est transmis qu’à l’avocat général près cette juridiction.

Dans la présente affaire, je suis surtout en désaccord avec la majorité parce qu’elle donne pratiquement une directive à la Cour de cassation, en ce sens que cette dernière doit envoyer le premier volet du rapport du conseiller rapporteur aux parties à la procédure (§ 25 de l’arrêt). Je trouve cela préoccupant car, à mon avis, le principe du contradictoire n’est même pas en jeu, dans la mesure où le premier volet ne contient qu’un résumé de l’affaire et qu’il s’agit d’un document rédigé par un juge qui appartient à la formation de jugement.

Cette décision s’inscrit dans la série des arrêts concernant la position des avocats généraux près les plus hautes juridictions des Etats européens qui connaissent le système de la cassation.

Pour les affaires civiles, la Cour, dans l’arrêt Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, (Recueil des arrêts et décisions 1996‑I) a décidé que l’impossibilité pour le requérant de répondre aux conclusions des avocats généraux avant la clôture de l’audience « a méconnu son droit à une procédure contradictoire », lequel « implique en principe la faculté de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter » (§ 33).

Depuis cet arrêt et l’arrêt Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, (série A no 214‑B) qui l’a précédé pour les affaires pénales, la Cour a affirmé[1] que, pour bénéficier d’un « examen équitable de leur cause dans le cadre d’un procès contradictoire », les parties à l’instance de cassation doivent recevoir communication des conclusions du ministère public ou, du moins, du « sens » de ces conclusions. Cette communication doit leur permettre d’apprécier s’il y a lieu d’y répondre et de préparer leur éventuelle réplique, oralement ou par une note de délibéré.

Dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil 1998‑II) la Cour a examiné un autre élément de la procédure de cassation, à savoir le rapport du conseiller rapporteur qui se compose de deux volets, le premier contenant un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second une analyse juridique de l’affaire et un avis sur le fond du pourvoi et qui, en France, est communiqué à l’avocat général afin qu’il puisse préparer ses conclusions.

Dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, la Cour a conclu que : « étant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet de celui-ci, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour M. Reinhardt et M. Slimane‑Kaïd, le déséquilibre ainsi créé, faute d’une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable » (§ 105)[2].

L’application de ce raisonnement à la présente affaire n’est pas convaincante. A mon avis, l’essentiel dans l’arrêt Reinhardt et Slimane‑Kaïd est l’importance des observations contenues dans le second volet du rapport qui peuvent servir à l’avocat général pour établir ses conclusions. En effet, ces conclusions peuvent être considérées, dans la logique de la jurisprudence Borgers et Vermeulen, comme un document qui est soumis au juge en vue de l’influencer et qui, par voie de conséquence, doit être connu des parties et doit pouvoir faire l’objet de commentaires de leur part. Or, on ne peut soutenir que le premier volet du rapport du conseiller rapporteur qui, au moment des faits dans la présente affaire, ne contenait qu’un résumé de l’affaire, aurait pu servir à l’avocat général pour influencer les juges. Autrement dit, le principe du contradictoire n’était pas en cause et ne peut, à mon sens, fonder la conclusion de la majorité selon laquelle ce premier volet aurait dû être envoyé aux parties.

Le fait que l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd ait conduit la Cour de cassation française à modifier sa pratique ne m’amène pas à conclure autrement. La pratique actuellement en vigueur à la Cour de cassation est que le deuxième volet du rapport du conseiller rapporteur n’est plus envoyé à l’avocat général et que le premier volet est communiqué tant à l’avocat général qu’aux parties à la procédure de cassation. Cela ne m’empêche pas d’être de l’avis que la Cour, en principe, ne devrait pas obliger les juridictions nationales à communiquer aux parties à la procédure des documents préparatoires rédigés par un juge qui appartient à la formation de jugement. Ces documents font partie du processus décisionnel de la juridiction, qui devrait avoir une grande marge d’appréciation pour décider si la communication de ses notes préparatoires à des personnes, y compris les parties, extérieures au processus décisionnel, est en conformité avec une bonne administration de la justice.

Je considère que l’application du raisonnement de l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd n’est pas non plus convaincante en ce qui concerne le second volet, comme je l’ai expliqué dans l’affaire Fontaine et Bertin précitée. Même si les deux volets du rapport sont uniquement envoyés à l’avocat général qui, comme la Cour l’a reconnu dans sa jurisprudence, n’est pas partie à la procédure et exerce une fonction spéciale dans l’instance de cassation, l’article 6 ne sera à mon avis pas violé si les parties ont pu suffisamment prendre connaissance des conclusions de l’avocat général, dans lesquelles le contenu du rapport du conseiller rapporteur est incorporé, et si elles ont eu également la possibilité d’y réagir.

Pour ces raisons, je n’ai pas pu suivre la majorité dans sa conclusion, à savoir que « si le second volet du rapport (...) peut rester confidentiel tant à l’égard des parties que de l’avocat général, le premier volet, non couvert par le secret du délibéré, doit être communiqué (...) dans les mêmes conditions aux parties et à l’avocat général » (§ 24 de l’arrêt).


[1]. Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I ; Bulut c. Autriche, arrêt du 22 février 1996, Recueil 1996‑II ; Van Orshoven c. Belgique, arrêt du 25 juin 1997, Recueil 1997‑III ; K.D.B. c. Pays-Bas, arrêt du 27 mars 1998, Recueil 1998‑II ; J.J. c. Pays-Bas, arrêt du 27 mars 1998, Recueil 1998‑II ; et, mutatis mutandis, Kress c. France [GC], no 39594/98, CEDH 2001‑VI.

[2]. Pour un résumé récent de la jurisprudence de la Cour relative aux Cours de cassation, voy. Ph. Gérard, « Retour sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la Cour de cassation. Plaidoyer pour un revirement », in Liber amicorum Pierre Marchal, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 53 et suiv.

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