CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE HUART c. FRANCE, 25 novembre 2003, 55829/00

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Chronologie de l’affaire

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Maître Haddad Sabine · LegaVox · 29 juin 2016
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 25 nov. 2003, n° 55829/00
Numéro(s) : 55829/00
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-VI, p. 2276, § 52
Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 36, § 82
Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2774, § 40
Vocaturo c. Italie, arrêt du 24 mai 1991, série A no 206-C, p. 32, § 17
Gaillard c. France (déc.), no 47377/99, 11 juillet 2000
Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 18, CEDH 1999-I
Mifsud c. France (déc.) [GC] no 57220/00, CEDH 2002-VIII
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Irrecevable sous l'angle de l'art. 6 en ce qui concerne la première procédure
Identifiant HUDOC : 001-66022
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1125JUD005582900
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HUART c. FRANCE

(Requête no 55829/00)

ARRÊT

STRASBOURG

25 novembre 2003

DÉFINITIF

25/02/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Huart c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 novembre 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 55829/00) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Huguette Huart (« la requérante »), a saisi la Commission le 27 avril 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Étrangères.

3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

5.  Le 29 janvier 2002, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6.  La requérante est née en 1928 et réside à Villeurbanne.

A.  La procédure en séparation de corps

7.  Le 3 mai 1984, la requérante, mariée depuis 1952 à P.T., présenta devant le tribunal de grande instance de Laon une requête en séparation de corps. Par ordonnance de non-conciliation du 28 juin 1984, le juge aux affaires matrimoniales autorisa les époux à résider séparément.

8.  Le 12 juillet 1984, le tribunal de grande instance de Laon confia à la requérante l'administration provisoire des revenus de la communauté matrimoniale et fixa à 12 000 francs le montant de la pension alimentaire mensuelle due à P.T. Le 10 août 1984, la requérante fit appel. Le 5 mars 1985, la requérante assigna P.T. en séparation de corps. Une audience eut lieu le 4 juin 1985 devant la cour d'appel d'Amiens.

9.  Par un arrêt du 31 juillet 1985, la cour d'appel d'Amiens réduisit la pension alimentaire à 7 000 francs.

10.  Le 13 novembre 1985, la requérante fut avisée du changement d'avocat de P.T. Le 27 janvier 1986, l'audience de la mise en état fut renvoyée à la demande des parties. Par ordonnance du 3 juillet 1986, le juge de la mise en état confia l'administration de la communauté à P.T.

11.  Du 27 août 1986 au 4 décembre 1986, les parties échangèrent leurs conclusions. Par ordonnance du 9 janvier 1987, le magistrat condamna P.T. à verser à son épouse une pension alimentaire mensuelle de 3 000 francs ainsi qu'une contribution de 1 500 francs par mois pour l'entretien de leur fils à charge.

12.  P.T. déposa des conclusions le 28 avril 1987. Une audience fut fixée au 12 juin 1987, mais, en l'absence de conclusions en réponse de l'avocat de P.T., l'affaire fut reportée au 8 septembre 1987, puis au 29 septembre 1987. Le 13 octobre 1987, un jugement sur opposition à commandement fut rendu.

13.  Le 23 février 1988, le tribunal de grande instance de Laon prononça à l'encontre de P.T. la séparation de corps à ses torts exclusifs et le condamna à payer à la requérante, jusqu'à la liquidation effective du régime matrimonial, une pension alimentaire mensuelle de 3 100 francs, ainsi qu'une contribution de 1 550 francs pour l'enfant majeur étudiant. Par un arrêt du 14 janvier 1992, la cour d'appel d'Amiens fixa la pension alimentaire due à la requérante à 4 000 francs par mois.

B.  La procédure en liquidation - partage de la communauté de biens

14.  Le 17 juin 1988, un notaire fut désigné pour procéder à la liquidation de la communauté. Il dressa un procès-verbal de difficultés le 10 janvier 1989 et le transmit le 24 janvier au tribunal de grande instance de Laon.

15.  Le 22 mars 1989, P.T. demanda une conciliation. Le 27 avril 1989, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Laon demanda des informations supplémentaires au notaire.

16.  Le 19 juillet 1989, les parties furent convoquées à l'audience du 6 septembre 1989 et une nouvelle demande d'information fut adressée au notaire.

17.  Les parties comparurent le 11 octobre 1989 devant le juge chargé de la surveillance des opérations de liquidation de communauté (« le juge de la liquidation »). Par ordonnance du 16 février 1990, celui-ci ordonna trois expertises. Les rapports furent déposés les 17 avril, 24 septembre et 25 septembre 1990.

18.  Le 7 juin 1991, la requérante contesta ces expertises. Le juge de la liquidation transmit les observations de la requérante à P.T. le 28 juin 1991.

19.  Le 18 septembre 1991, les parties furent convoquées à l'audience du 9 octobre 1991. A cette audience, le juge de la liquidation constata la non-conciliation et renvoya l'affaire devant le tribunal de grande instance de Laon, à l'audience du 17 décembre 1991.

20.  Le 19 mai 1992, P.T. déposa des conclusions sur le rapport d'expertise rendu le 17 avril 1990. La requérante déposa les siennes le 21 mai 1992.

21.  Le tribunal de grande instance de Laon tint audience le 16 juin 1992. Par jugement du 11 août 1992, il ordonna un complément d'expertise comptable, dans un délai de quatre mois. Il attribua à P.T. un immeuble de la communauté, moyennant un prix de 828 500 francs à réactualiser à la date la plus proche du partage. Il le déclara en outre redevable à la requérante d'une indemnité d'occupation depuis juin 1989, dont le paiement n'interviendrait que dans le cadre des opérations de partage définitif de la communauté. Enfin, le tribunal ordonna la vente d'un second immeuble appartenant aux époux. L'expert fut saisi le 8 décembre 1992 et accepta sa mission le 14 décembre.

22.  Le 12 février 1993, la requérante fit appel du jugement du 11 août 1992. Le 8 mars 1993, elle consigna la provision des frais d'expertise et limita, le 14 juin 1993, son appel à l'attribution de l'immeuble à P.T. Elle assigna P.T. à personne le 24 juin 1993.

23.  Le 13 décembre 1993, le tribunal adressa un rappel à l'avocat de P.T., en raison de difficultés rencontrées par l'expert pour se faire communiquer ses observations.

24.  Le 27 mai 1994, l'expert déposa un complément d'expertise.

25.  Le 21 septembre 1995, le requérant constitua avoué et déposa ses conclusions le 2 octobre 1995.

26.  L'audience de la cour d'appel eut lieu le 3 novembre 1995. Par un arrêt du 19 janvier 1996, elle confirma le jugement du 11 août 1992.

27.  Le 30 avril 1996, l'affaire fut réinscrite au rôle du tribunal de grande instance de Laon, à la demande de la requérante. Prévue le 22 novembre 1996, l'audience de la mise en état fut renvoyée, sur demande des parties, aux 24 janvier 1997, 28 février 1997, puis 28 mars 1997.

28.  Le 24 mars 1997, un projet de partage et de liquidation fut soumis aux parties par le notaire. Le 22 avril 1997, le notaire déposa un procès-verbal de difficultés, le nouveau projet d'état liquidatif ayant été refusé par P.T.

29.  Le 23 mai 1997, les parties sollicitèrent le renvoi de l'examen de l'affaire. Le 11 juin 1997, l'affaire fut renvoyée à la mise en état pour conclusions de P.T.

30.  Le 26 septembre 1997, le tribunal de grande instance adressa à P.T. une injonction de conclure pour le 24 octobre 1997. A cette date, le tribunal rendit un avis de clôture pour le 23 janvier 1998, à défaut de conclusions. A la demande de P.T., l'audience de la mise en état fut renvoyée au 27 février 1998. Ce dernier déposa ses conclusions le 27 février 1998 et l'audience fut renvoyée au 27 mars puis au 22 mai et finalement au 26 juin 1998, à la demande de la requérante. Celle-ci déposa ses conclusions le 27 mai 1998. L'audience de la mise en état fut renvoyée, à la demande de P.T., au 25 septembre 1998. La requérante déposa des conclusions additionnelles le 11 septembre 1998. Le 25 septembre 1998, une injonction de conclure fut délivrée à P.T. pour le 28 octobre 1998. Il déposa ses conclusions le 27 octobre 1998. Le 27 novembre 1998, une ordonnance de clôture fut rendue et l'audience fut fixée pour le 5 janvier 1999.

31.  Par jugement du 1er juin 1999, le tribunal de grande instance de Laon fixa les montants des avoirs de la communauté, les sommes dues à la requérante à titre de pension alimentaire et de prestation compensatoire et renvoya les parties devant le notaire pour l'établissement de l'état liquidatif définitif. Le 18 août 1999, le greffe de la cour d'appel d'Amiens établit un certificat de non-appel.

32.  Le 3 décembre 1999, le notaire adressa à la requérante un nouveau projet de partage et liquidation de la communauté, accompagné d'un pouvoir établi en sa faveur pour sa mise en œuvre.

33.  Par courrier du 27 décembre 1999, l'avocat de la requérante informa le notaire du refus de la requérante de signer un tel pouvoir, rappelant que le jugement du tribunal de grande instance de Laon du 1er juin 1999 était passé en force de chose jugée et qu'il n'était donc plus question d'établir un projet amiable, mais qu'il appartenait au notaire de convoquer les parties pour signature d'un état liquidatif établi en vertu du jugement précité. P.T. contesta également ce projet.

34.  Suite au nouveau procès-verbal de difficultés dressé par le notaire le 9 février 2000, les parties furent convoquées devant le juge de la liquidation le 9 mai 2000. Lors de cette audience, P.T. fit une offre de conciliation et l'affaire fut renvoyée au 20 juin 2000. Par lettre du 31 mai 2000, l'avocat de la requérante informa le tribunal de grande instance de Laon que sa cliente refusait la proposition faite par P.T. et qu'elle sollicitait l'homologation pure et simple du jugement rendu le 1er juin 1999.

35.  A l'audience du 20 juin 2000, le juge de la liquidation dressa un procès verbal de non-conciliation et renvoya l'affaire en juridiction au 3 octobre 2000.

36.  En raison de l'absence de P.T. à l'audience du 20 juin 2000, l'avocat de la requérante l'assigna, le 17 août 2000, devant le tribunal de grande instance de Laon aux fins d'obtenir l'homologation du compte établi par le notaire sur la base du jugement du 1er juin 1999, et de le voir condamné à verser 50 000 francs à titre de dommages et intérêts.

37.  Par jugement du 7 novembre 2000, le tribunal de grande instance de Laon homologua le dernier état liquidatif établi par le notaire et condamna P.T. à verser la somme de 25 000 francs à la requérante à titre de dommages et intérêts, du fait de la lenteur de la procédure directement liée à son attitude. Le 27 décembre 2000, le greffe de la cour d'appel d'Amiens délivra à la requérante un certificat de non-appel.

38.  Par courrier du 19 février 2001, la requérante informa le greffe de la Cour qu'elle avait perçu sa part sur le partage de la liquidation de la communauté.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

Article 2 du nouveau code de procédure civile

« Les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis ».

Article 3 du nouveau code de procédure civile

« Le juge veille au bon déroulement de l'instance ; il a le pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

39.  La requérante allègue que la durée des procédures a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

1.  Sur l'exception préliminaire tirée du défaut de qualité de victime de la requérante

40.  A titre principal, le Gouvernement explique que le tribunal de grande instance de Laon a condamné P.T. à verser à la requérante une somme de 25 000 francs à titre de dommages et intérêts estimant que la requérante avait subi un préjudice incontestable « du fait de la lenteur de la procédure directement liée à l'attitude de P.T. ». Il estime en conséquence que la requérante ne peut plus être considérée comme une victime au sens de l'article 34 de la Convention.

41.  La Cour rappelle, tout d'abord, qu'elle n'est compétente que pour examiner les requêtes portant sur des allégations de violations par l'une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Elle rappelle, ensuite, que par « victime », l'article 34 de la Convention désigne la ou les victimes directes ou indirectes de la violation alléguée. Ainsi, doit être considérée comme victime, au sens de cet article, toute personne alléguant une violation, par un État contractant, d'une des dispositions de la Convention ou de ses Protocoles. Par conséquent, seule une reconnaissance puis la réparation, par les autorités nationales, de la violation, par un État, de la Convention, peut faire perdre la qualité de victime à un requérant.

Ainsi, en l'espèce, pour que la requérante puisse être considérée comme n'étant plus victime d'une éventuelle violation par l'État français, de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, il faudrait qu'une décision interne ait reconnu l'imputabilité des retards de la procédure aux autorités compétentes et ait réparé cette violation.

Or, la Cour note qu'en l'espèce, le tribunal de grande instance de Laon n'a indemnisé la requérante qu'en raison du comportement de P.T., partie à la procédure litigieuse. La requérante peut, dès lors, encore se prétendre victime au sens de l'article 34 de la Convention.

42.  Il convient donc de rejeter cette exception préliminaire.

2.  Sur l'exception préliminaire du Gouvernement tirée du défaut de respect de la règle des six mois en ce qui concerne la première procédure

43.  A titre subsidiaire, le Gouvernement considère qu'il résulte des faits que le prononcé de la séparation de corps et la liquidation de la communauté correspondent à deux contentieux distincts et indépendants.

Le Gouvernement distingue en conséquence trois procédures. La première procédure, relative au prononcé de la séparation de corps, a débuté le 3 mai 1984 et s'est achevée avec l'arrêt rendu le 14 janvier 1992 par la cour d'appel d'Amiens. Les deux autres procédures ont trait à la liquidation de la communauté. La première a débuté le 24 janvier 1989, date de la transmission du procès verbal de difficultés, et s'est terminée par le jugement rendu le 1er juin 1999. La seconde a débuté le 29 février 2000, date de la transmission d'un second procès verbal de difficultés, et s'est terminée par le jugement du 7 novembre 2000.

La première procédure, parfaitement indépendante des deux autres, étant terminée depuis 1992, le Gouvernement estime que le grief tiré de la violation, par la durée de cette procédure, de l'article 6 § 1 de la Convention, n'a pas été introduit dans le délai de six mois.

44.  La requérante n'a fait aucune observation à ce sujet.

45.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

Or, par « décision interne définitive » au sens de l'article 35 § 1, la Cour note qu'il faut entendre la décision définitive rendue selon le cours normal de l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus. En particulier, seul un recours « efficace et suffisant » peut être pris en considération à cet effet (voir, entre autres, l'arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-VI, p. 2276, § 52).

Dans le cas d'espèce, la Cour considère que l'objet de la première procédure était la séparation de corps de la requérante et de P.T., alors que l'objet des procédures subséquentes était la liquidation-partage de la communauté de biens ayant existé entre eux. Ces procédures tendaient, ainsi, à faire décider de deux contestations sur des « droits et obligations de caractère civil » différents. Il s'agit donc de deux contentieux différents et les procédures portant sur la liquidation-partage ne constituaient pas un recours efficace puisqu'une telle procédure n'offrait aucune possibilité de redresser la situation dont se plaint la requérante à l'égard de la première procédure.

Dans ces conditions, le jugement rendu le 7 novembre 2000 par le tribunal de grande instance de Laon homologuant l'état liquidatif du notaire ne saurait être pris en compte pour déterminer la date de la décision interne définitive, rendue dans le cadre de la procédure tendant à la séparation de corps, aux fins d'application du délai de six mois prescrit par l'article 35 § 1 de la Convention. La décision interne définitive de la première procédure est donc l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, rendu le 14 janvier 1992.

Or, la requête a été introduite le 27 avril 1998, soit plus de six mois après la date de cette décision.

46.  Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.


3.  Sur l'exception préliminaire du Gouvernement tirée du non épuisement des voies de recours internes.

47.  Le Gouvernement indique que la requérante a introduit sa requête le 13 mars 2000, soit postérieurement à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 janvier 1999, cité par la Cour dans sa décision Giummarra et autres c. France, du 12 juin 2001, et estime qu'elle aurait dû exercer le recours tiré de l'article L.781-1 du code de l'organisation judiciaire pour satisfaire aux conditions posées à l'article 35 § 1 de la Convention.

48.  La requérante conteste cette argumentation.

49.  La Cour rappelle que la date de l'introduction d'une requête est celle de la première lettre par laquelle le requérant formule, ne serait-ce que sommairement, les griefs qu'il entend soulever (Gaillard c. France (déc.), no 47377/99, 11 juillet 2000). Dans ces circonstances, la Cour estime que la requête doit être considérée comme ayant été introduite le 27 avril 1998.

50.  La Cour rappelle ensuite qu'elle a déjà eu à se prononcer sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire au regard de l'exigence d'épuisement des voies de recours internes. Elle a, en effet, estimé que ce recours a acquis le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention, à la date du 20 septembre 1999 (Mifsud c. France (déc.) [GC] no 57220/00, CEDH 2002-VIII). Elle a conclu, en conséquence, que tout grief tiré de la durée d'une procédure judiciaire introduit devant elle après le 20 septembre 1999 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d'un recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire est irrecevable, quel que soit l'état de la procédure au plan interne. En l'espèce, toutefois, la requérante a saisi la Cour le 27 avril 1998 et n'était donc pas tenue d'exercer ce recours préalablement.

51.  Il convient donc de rejeter cette exception préliminaire.

52.  La Cour relève, par ailleurs, que le restant de la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité et qu'il soulève des questions complexes de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait, dès lors, être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et doit, par conséquent, être déclarée recevable.

B.  Sur le fond

1.  Période à prendre en considération

53.  Le Gouvernement estime qu'une première procédure relative à la liquidation-partage de la communauté a débuté le 24 janvier 1989, date de la transmission du procès verbal de difficultés et s'est terminée par le jugement du 1er juin 1999. Une seconde procédure a débuté par la transmission, le 29 février 2000, d'un second procès verbal de difficultés et s'est terminée par le jugement du 7 novembre 2000.

54.  La requérante se plaint d'une procédure qui a duré dix-sept ans.

55.  La Cour observe que la procédure de liquidation-partage de la communauté a connu une phase amiable, qui a pris fin par la rédaction d'un procès-verbal de difficultés. En l'absence d'accord entre les parties, il était nécessaire que l'affaire soit portée devant le tribunal, afin qu'il tranche. Dès lors, la Cour considère que la procédure en cause a débuté le 24 janvier 1989, date à laquelle le procès-verbal de difficultés a été dressé et a été transmis au juge.

La Cour observe ensuite que la contestation, opposant la requérante à P.T., n'a été effectivement vidée que le 27 novembre 2000, date du jugement d'homologation du dernier état liquidatif établi par le notaire.

56.  La période à prendre en considération a donc débuté le 24 janvier 1989 et s'est terminée le 27 novembre 2000. Elle a ainsi duré onze ans et dix mois.

2.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure

57.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit s'apprécier notamment à la lumière de la complexité de l'affaire et du comportement du requérant et des autorités compétentes. Dans les affaires concernant l'état des personnes, l'enjeu du litige pour le requérant est aussi un critère pertinent et une diligence particulière s'impose en outre eu égard aux éventuelles conséquences qu'une lenteur excessive peut avoir notamment sur la jouissance du droit au respect de la vie familiale (Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 18, CEDH 1999-I).

a)  Complexité de l'affaire

58.  Le Gouvernement relève que la liquidation de la communauté de la requérante et de P.T. s'est révélée particulièrement complexe en raison notamment de la contestation de la valeur de plusieurs immeubles dont l'un était loué et l'autre occupé par un des époux. La difficulté s'est trouvée accrue par la vente d'un fonds de commerce et d'un immeuble, la souscription de plusieurs emprunts et assurances vies et la mésentente des époux. Plusieurs expertises ont été nécessaires.

59.  La requérante ne présente aucune observation particulière sur ce point.

60.  La Cour admet que l'affaire en question revêtait une certaine complexité, vu la nature des biens à partager entre les parties, mais estime que celle-ci ne saurait à elle seule justifier la durée de la procédure en cause.


b)  Comportement de la requérante et de P.T.

61.  Le Gouvernement rappelle que l'examen de la cause dans un délai raisonnable est subordonné en matière civile à la diligence de l'intéressé et que seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure à l'inobservation du délai raisonnable. Il estime que les parties sont principalement responsables de la durée des procédures de liquidation-partage de la communauté, et spécialement P.T. qui aurait fait preuve d'un comportement particulièrement dilatoire. Le Gouvernement estime également que seul le comportement de ce dernier a rendu la seconde procédure nécessaire.

62.  La requérante ne formule aucune observation à ce sujet.

63.  La Cour rappelle que ce qui est exigé d'une partie dans une procédure civile est une diligence « normale » et que seules des lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure à l'inobservation du « délai raisonnable » (voir Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2774, § 40). Elle reconnaît que les parties, mais essentiellement P.T., ont contribué à ralentir la procédure, notamment en raison de leurs retards pour déposer leurs conclusions (voir §§ 20, 23, 25 et 30 ci-dessus), mais également de leurs demandes répétitives de renvoi de l'affaire à des audiences ultérieures (voir §§ 27, 29 et 30 ci-dessus). De plus, la nécessité de saisir le tribunal de grande instance d'une demande d'homologation de l'état liquidatif tel que résultant d'un jugement définitif daté du 1er juin 1999, ce qui a prolongé la procédure d'un an et cinq mois, est une conséquence de l'attitude de P.T. L'allongement de la procédure résulte également de l'utilisation par les parties de toutes les voies de recours que leur ouvrait le droit interne. Cela témoigne cependant de la complexité de la question posée et de l'enjeu du litige pour les parties. Bien qu'on ne puisse reprocher à la requérante d'avoir tiré pleinement parti des voies de recours internes, ce comportement constitue un fait objectif, non imputable à l'Etat défendeur et à prendre en compte pour répondre à la question de savoir si la procédure a ou non dépassé le délai raisonnable de l'article 6 § 1 de la Convention (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 36, § 82). Ces laps de temps ne sauraient donc être mis à la charge de l'Etat.

c)  Comportement des autorités compétentes

64.  Le Gouvernement considère que les autorités compétentes ont traité l'affaire avec toute la diligence requise et qu'aucune critique ne peut être formulée à leur encontre.

65.  La requérante maintient sa plainte pour lenteur abusive de la procédure.

66.  S'agissant du comportement des autorités judiciaires, la Cour rappelle que l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties : il leur incombe « d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis », de sorte que leur comportement a une influence particulière sur le déroulement de la procédure. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable ; l'article 3 du même code prescrit d'ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l'instance et l'investit du « pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ». La Cour réaffirme qu'il incombe aux États contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Vocaturo c. Italie, arrêt du 24 mai 1991, série A no 206-C, p. 32, § 17).

67.  En l'espèce, la Cour relève que les juges internes ont adressé un rappel à l'avocat de P.T., lorsque l'expert a rencontré des difficultés pour se faire communiquer des observations, lui ont fixé des délais pour conclure et, lorsqu'ils n'étaient pas respectés, lui ont délivré des injonctions de conclure (voir §§ 23 et 30 ci-dessus).

La Cour relève pourtant que les juridictions internes n'ont pas utilisé tous les moyens, dont elles disposaient, pour accélérer la procédure.

La Cour constate, en effet, que P.T. déposa des conclusions sur le premier rapport d'expertise plus d'un an après le dépôt de celui-ci, que la requérante ne déposa les siennes qu'après l'écoulement d'une nouvelle année (§ 20) et que P.T. ne constitua avoué devant la cour d'appel que le 21 septembre 1995 (§ 22 et 25), soit plus de deux ans après avoir été assigné à personne, sans que les juridictions internes ne fixent des délais ou ne délivrent des injonctions dans le but d'accélérer la procédure.

La Cour constate également que le tribunal de grande instance n'a adressé un rappel à l'avocat de P.T. que le 13 décembre 1993, soit un an après la saisine de l'expert (§ 23). Elle constate, de même, qu'après avoir adressé une injonction de conclure puis un avis de clôture à défaut de conclusion à P.T., le tribunal de grande instance a accepté de renvoyer l'examen de l'affaire à une audience ultérieure à la demande de ce dernier (§ 30). Elle constate, finalement, que la cour a fait droit aux multiples demandes successives de renvoi de l'affaire à des audiences ultérieures émanant des deux parties (§§ 27, 29 et 30).

La Cour considère, dès lors, que, compte tenu de l'enjeu du litige pour la requérante, les juridictions internes n'ont pas agi avec la diligence particulière, requise par l'article 6 § 1 de la Convention, pour garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.

68.  Au vu de ces considérations et des circonstances particulières de l'espèce, la Cour conclut que la cause de la requérante n'a pas été entendue dans un « délai raisonnable » et que, partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

70.  La requérante réclame globalement la somme de 15 245 EUR au titre des préjudices matériel et moral occasionnés par la durée de la procédure.

71.  Le Gouvernement propose une somme de 3 811,23 EUR en compensation du préjudice moral, seul préjudice en lien avec le grief tiré de la durée de la procédure.

72.  La Cour rappelle, tout d'abord, qu'elle conclut en l'espèce à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure administrative litigieuse. Seuls les préjudices causés par cette violation de la Convention sont en conséquence susceptibles de donner lieu à réparation.

73.  La Cour estime que le prolongement de la procédure au-delà du « délai raisonnable » a causé à la requérante un préjudice moral certain justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui alloue à ce titre 10 000 EUR.

B.  Frais et dépens

74.  La requérante réclame la somme de 15 690 EUR en remboursement des frais de justice exposés devant les juridictions internes.

75.  Le Gouvernement fait valoir que seuls seraient susceptibles d'être remboursés les frais effectivement engagés par la requérante devant la Cour.

76.  La Cour estime que la requérante ne réclamant rien au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée.

C.  Intérêts moratoires

77.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure en liquidation-partage de la communauté de biens, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 novembre 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE HUART c. FRANCE, 25 novembre 2003, 55829/00