CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE REY ET AUTRES c. FRANCE, 5 octobre 2004, 68406/01 et autres

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 5 oct. 2004, n° 68406/01 et autres
Numéro(s) : 68406/01, 68412/01, 68408/01, 68410/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 20 février 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A n° 66, § 36
Ruotolo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A n° 230-D, p. 39, § 17
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
Pellegrin c. France [GC], n° 28541/95, § 66, CEDH 1999-VIII
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Frais et dépens (procédure de la Convention) - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-66866
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1005JUD006840601
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE REY ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 68406/01, 68408/01, 68410/01 et 68412/01)

ARRÊT

STRASBOURG

5 octobre 2004

DÉFINITIF

02/02/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Rey et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 septembre 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouvent quatre requêtes (nos 68406/01, 68408/01, 68410/01 et 68412/01) dirigées contre la République française et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. Jean-Pierre Rey, Pierre François Amedro et Jean Bréard et Mme Yvonne Galabert (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 février 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Me B. Favreau, avocat au barreau de Bordeaux. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.

3.  Le 20 octobre 2003, la Cour a décidé de joindre les requêtes et de les communiquer au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu'elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4.  Les requérants sont nés respectivement en 1940, 1944, 1944 et 1942 et résident à Bordeaux.

5.  Les requérants sont, respectivement, directeur général, directeur délégué, directeur adjoint et agent comptable de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde (« CPAM-Gironde »), organisme privé chargé de la gestion d'un service public.

6.  Le 27 mars 1995, un protocole d'accord relatif à la situation des personnels de direction des organismes du régime général de la sécurité sociale fut signé. Il opérait une classification entre les divers organismes de la sécurité sociale et déterminait pour les agents de direction un coefficient minimal permettant de fixer leur rémunération.

7.  Par délibération du 4 juillet 1995, le conseil d'administration de la CPAM-Gironde, appliqua ce protocole d'accord à l'égard des quatre requérants et leur accorda une majoration de points en raison des sujétions particulières inhérentes à leurs tâches et des responsabilités exigées d'eux dans leurs fonctions. Par une décision du 3 août 1995, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales d'Aquitaine annula cette délibération.

8.  Le 14 septembre 1995, les requérants saisirent le tribunal administratif de Bordeaux d'un recours en annulation de cette décision. Le 2 octobre 1995, la caisse primaire d'assurance maladie introduisit également un recours en annulation. Les deux affaires furent jointes.

9.  Le défendeur déposa un premier mémoire le 19 décembre 1995, auquel les requérants répondirent le 14 juin 1996. Un second mémoire en défense fut déposé le 29 juillet 1996, communiqué le lendemain aux requérants, qui estimèrent que ce mémoire n'appelait aucune réponse supplémentaire. Les requérants déposèrent un mémoire récapitulatif le 2 juillet 1997, constatant que l'affaire n'évoluait pas.

10.  Par un jugement du 6 novembre 1997, notifié le 26 février 1998 aux parties, le tribunal administratif de Bordeaux annula la décision litigieuse. 

11.  Le 7 mai 1998, le ministre de l'emploi et de la solidarité interjeta appel. Le 17 août 1998, un mémoire des requérants fut communiqué pour la réplique. Le 6 septembre 2001, un rapporteur fut désigné.

12.  Par un arrêt du 5 février 2002, devenu définitif le 6 avril 2002, la cour administrative d'appel rejeta le recours du ministre de l'emploi et de la solidarité.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

14.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

15.  La période à considérer a débuté le 14 septembre 1995 et s'est terminée le 5 février 2002. Elle a donc duré six ans, quatre mois et vingt-et-un jours, pour deux instances.

A.  Sur la recevabilité

16.  Le Gouvernement estime que l'article 6 § 1 de la Convention n'est pas applicable en l'espèce, en raison des compétences et responsabilités particulières des requérants au sein de cet organisme privé chargé de la gestion d'un service public.

17.  Les requérants contestent la position du Gouvernement, estimant ne pas occuper des emplois impliquant une participation à l'exercice de la puissance publique.

18.  La Cour rappelle que sont seuls soustraits au champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention les litiges des agents publics dont l'emploi est caractéristique des activités spécifiques de l'administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques (Pellegrin c. France [GC], no 28541/95, § 66, CEDH 1999-VIII).

19.  En l'espèce, la Cour constate que les requérants occupaient les postes de directeur général, directeur délégué, directeur adjoint et agent comptable de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, organisme privé chargé de la gestion d'un service public. Cet organisme fait l'objet d'un contrôle de tutelle ministériel. Pourtant, l'agent comptable est placé sous l'autorité administrative du directeur, qui assure le fonctionnement de l'organisme sous le contrôle du conseil d'administration. En conséquence, on ne saurait considérer que les requérants agissaient en tant que détenteurs de prérogatives de puissance publique chargés de la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques au sens de l'arrêt Pellegrin précité.

20.  Par voie de conséquence, l'article 6 § 1 trouve à s'appliquer.

21.  La Cour constate en outre que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

B.  Sur le fond

22.  Les requérants estiment que la durée de la procédure a dépassé le délai raisonnable.

23.  Le Gouvernement constate que les requérants ont mis un an pour produire un mémoire devant le tribunal administratif après réception de celui du défendeur et que ce tribunal a statué sur les requêtes en à peine plus de deux ans. De plus, il estime que l'enjeu, relatif en l'espèce à une majoration de rémunération, n'était pas de nature à exiger une diligence particulière. Il estime en conséquence que la procédure n'a pas dépassé le délai raisonnable.

24.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour rappelle qu'une diligence particulière s'impose pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A no 230-D, p. 39, § 17).

25.  La Cour estime que la présente affaire ne présentait aucune complexité particulière. Elle relève, par contre, une importante période d'inactivité imputable à la cour administrative d'appel (voir paragraphes 11-12 ci-dessus).

26.  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

28.  Les requérants réclament chacun 8 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi.

29.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

30.  La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle leur accorde, à chacun, 4 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

31.  Les requérants demandent également 3 000 EUR, chacun, pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes devant la Cour.

32.   Le Gouvernement conteste ces prétentions.

33.  Lorsqu'elle constate une violation de la Convention, la Cour peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu'ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36). La Cour concluant exclusivement à une violation du droit des requérants à voir leur cause entendue dans un « délai raisonnable », tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce s'agissant des frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Il y a donc lieu de rejeter la demande des requérants de remboursement des frais engagés dans la procédure interne.

34.  De plus, la Cour constate que les prétentions des requérants au titre des frais engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour ne sont ni ventilées ni accompagnées des justificatifs nécessaires. Aucune somme ne saurait, en conséquence, leur être allouée à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

35.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare les requêtes recevables ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka              Greffière              Président

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