CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE CHESNAY c. FRANCE, 12 octobre 2004, 56588/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 12 oct. 2004, n° 56588/00
Numéro(s) : 56588/00
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 9 mars 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Berger c. France, n° 48221/99, § 48, CEDH 2002-X
Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 105
Pascolini c. France, n° 45019/98, 26 juin 2003
Perez c. France [GC], n° 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-67022
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1012JUD005658800
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CHESNAY c. FRANCE

(Requête no 56588/00)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2004

DÉFINITIF

12/01/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Chesnay c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 56588/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Denis Chesnay (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 mars 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me D. Foussard, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 16 septembre 2003, la deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré de l'absence de communication au requérant du rapport du conseiller rapporteur. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

4.  Le requérant est né en 1948 et réside à Gavray.

5.  Le 20 avril 1995, un lieutenant et un brigadier chef de police se rendirent chez le requérant, dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction, afin d'interpeller le fils de celui-ci. Une altercation suivie d'une rixe intervint entre le requérant et les policiers. A cette occasion, ils furent blessés tous les trois.

6.  Ces faits donnèrent lieu à deux procédures, l'une diligentée par le requérant et sur laquelle porte la présente requête, l'autre dirigée contre lui.

1.  La première procédure

7.  Par jugement du 2 décembre 1997, le tribunal correctionnel de Coutances déclara le requérant coupable de violences avec armes en récidive sur deux personnes dépositaires de l'autorité publique, un lieutenant et un brigadier chef de police. Il le condamna à la peine de quatre ans d'emprisonnement, dont deux ans et six mois avec sursis.

8.  Par arrêt du 30 mars 1998, la cour d'appel de Caen confirma la condamnation et précisa que le lieutenant de police, menacé par le requérant qui avait lancé une hache dans sa direction, ce qui avait sectionné ses vêtements après avoir blessé le brigadier chef, avait agi en état de légitime défense.

2.  La deuxième procédure, objet de la présente requête

9.  Le 4 avril 1997, le requérant déposa plainte en se constituant partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Coutances contre, d'une part, le lieutenant de police des chefs de témoignage mensonger, falsification de traces ou indices, violences volontaires et, d'autre part, le brigadier chef de police des chefs de faux témoignage et complicité de violences. Dans cette plainte, il fit valoir des expertises techniques laissant apparaître que des indices avaient été falsifiés par les deux policiers, et que les allégations de ces derniers quant aux événements du 20 avril 1995 étaient en contradiction avec la réalité.

10.  Le 8 octobre 1998, le juge d'instruction rendit une ordonnance de non-lieu. Le requérant en interjeta appel le 12 octobre 1998.

11.  Par arrêt du 3 février 1999, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen confirma l'ordonnance déférée. Le requérant, représenté par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, se pourvut en cassation.

12.  Par arrêt du 14 septembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.


EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13.  Le requérant se plaint de l'absence de communication du rapport du conseiller rapporteur devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

14.  Le Gouvernement estime, à titre principal, que le grief doit être rejeté comme étant incompatible ratione materiae.

15.  Le requérant ne se prononce pas sur cette question.

16.  La Cour rappelle qu'une plainte avec constitution de partie civile rentre dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention, sauf dans les hypothèses de « vengeance privée », d'actio popularis ou de renonciation, établie de manière non équivoque, par la victime de l'exercice de son droit d'intenter l'action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu'en vue de l'obtention d'une réparation symbolique ou de la protection d'un droit à caractère civil (Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I).

17.  Les circonstances de l'espèce étant étrangères aux hypothèses évoquées au paragraphe précédent, la procédure rentre donc dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention. Partant, l'exception d'incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

18.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.

B.  Sur le fond

19.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour, les mesures actuellement en vigueur au sein de la Cour de cassation ne l'ayant pas été au moment des faits.

20.  Le requérant se plaint de ce que ni lui-même ni son avocat aux Conseils n'ont reçu communication du rapport du conseiller rapporteur avant l'audience, alors que ce document avait été fourni à l'avocat général.

21.  La Cour rappelle que la question de l'absence de communication du rapport du conseiller rapporteur au justiciable ne soulève un problème au regard de l'article 6 que dans la mesure où ledit rapport a été communiqué à l'avocat général avant l'audience (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II ; Pascolini c. France, no 45019/98, 26 juin 2003). Tel est le cas en l'espèce.

22.  La Cour rappelle également que le rapport se composait de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second, une analyse juridique de l'affaire et un avis sur le mérite du pourvoi (voir Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, § 105). De l'avis de la Cour, si le second volet du rapport, destiné au délibéré, peut (à l'instar du projet d'arrêt) rester confidentiel tant à l'égard des parties que de l'avocat général, le premier volet, non couvert par le secret du délibéré, doit être communiqué, le cas échéant, dans les mêmes conditions aux parties et à l'avocat général.

23.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

25.  Le requérant réclame 150 000 francs français (FRF), soit 22 867,35 euros (EUR) au titre du préjudice qu'il aurait subi.

26.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

27.  La Cour estime que le tort moral est suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle est parvenue (paragraphe 22 ci-dessus ; Berger c. France, no 48221/99, § 48, CEDH 2002-X).

B.  Frais et dépens

28.  Le requérant demande également 50 000 FRF, soit 7 622,45 EUR pour les frais de procédure.

29.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

30.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, le requérant ne produit pas de note d'honoraires. Néanmoins, compte tenu des diligences écrites manifestement accomplies par l'avocat du requérant, la Cour, statuant en équité comme le veut l'article 41, lui accorde 1 500 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

31.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare le restant de la requête recevable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE CHESNAY c. FRANCE, 12 octobre 2004, 56588/00