CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE COSSEC c. FRANCE, 14 décembre 2004, 69678/01

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 déc. 2004, n° 69678/01
Numéro(s) : 69678/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 14 mai 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 32
Vermeulen c. Belgique, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 34
Borgers c. Belgique, arrêt du 30 octobre 1991, série A n° 214-B §§ 28-29
Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II
Crochard et six autres c. France, n°s 68255/01, § 13, 3 février 2004
Fontaine et Bertin c. France, n°s 38410/97 et 40373/98, §§ 64-67, 8 juillet 2003
Slimane-Kaïd (n° 2), n° 48943/99, § 17, 27 novembre 2003
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-67717
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1214JUD006967801
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE COSSEC c. FRANCE

(Requête no 69678/01)

ARRÊT

STRASBOURG

14 décembre 2004

DÉFINITIF

06/06/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Cossec c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmesA. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 69678/01) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Marie-Louise Cossec (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 14 mai 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.

3.  Le 9 mars 2004, la deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l'iniquité de la procédure devant la Cour de cassation au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

5.  La requérante est née en 1931 et réside à Guipavas.

6.  Le 10 mars 1992, l'époux de la requérante, Vincent C., décéda, laissant pour lui succéder sa veuve et ses enfants, Marie-France C., Patricia C., Thierry C. et Nicole D. Dans ses dispositions testamentaires du 10 avril 1984, Vincent C. avait révoqué la donation qu'il avait consentie à la requérante le 11 mars 1983, et qui portait sur la totalité de la masse héréditaire en usufruit.

7.  Le de cujus faisant l'objet d'un redressement fiscal, les enfants Thierry et Nicole renoncèrent, par actes signés respectivement les 20 et 26 mars 1992 au greffe du tribunal de grande instance de Brest, à la succession de leur père.

8.  Par la suite, l'administration fiscale ayant accordé un dégrèvement et abandonné les procédures qu'elle avait engagées devant le tribunal administratif de Rennes, Nicole D., par une lettre recommandée datée du 20 mai 1992 et adressée au notaire en charge du dossier, décida de rétracter sa renonciation et d'accepter formellement ladite succession.

9.  Le 25 septembre 1992, Marie-France C. assigna Nicole D. devant le tribunal de grande instance de Brest aux fins de voir juger que, dès lors qu'elle avait accepté la succession antérieurement à la rétractation de sa sœur, la rétractation de cette dernière était devenue définitive.

10.  Par un jugement du 20 janvier 1993, ledit tribunal déclara valable la rétractation de la renonciation faite par Nicole D., constata que la donation entre époux, révoquée le 10 avril 1984, avait été postérieurement rétablie par un acte sous seing privé signé par le défunt et datée du 28 avril 1991, dont la requérante produisait une photocopie, et ordonna les opérations de liquidation partage de la succession de Vincent C.

11.  Par un arrêt du 31 octobre 1995, la cour d'appel de Rennes réforma partiellement le jugement entrepris. Elle déclara valable et définitive la renonciation effectuée par Nicole D. à la succession de son père, et dit que la requérante n'était pas rétablie dans ses droits à donation ; sur ce dernier point, la cour considéra que la photocopie de l'acte sous seing privé du 28 avril 1991 produite par la requérante n'était pas probante.

12.  Par un arrêt du 24 février 1998, la première chambre civile de la Cour de cassation cassa et annula l'arrêt du 31 octobre 1995, mais seulement en ce qu'il avait déclaré définitive la renonciation de Nicole D. à la succession de son père ; elle renvoya les parties devant la cour d'appel de Rennes autrement composée. La Haute juridiction statua également sur le pourvoi incident de la requérante, laquelle, représentée par un avocat aux Conseils, faisait grief à la cour d'appel de Rennes d'avoir refusé de prendre en considération la photocopie de l'acte sous seing privé du 28 avril 1991 ; la Cour de cassation estima à cet égard que la juridiction d'appel, en retenant que le défunt avait révoqué dans ses dispositions testamentaires la donation consentie à la requérante, avait légalement justifié sa décision, et « que le moyen qui s'attaqu[ait] à des motifs surabondants ne [pouvait] donc être accueilli ».

13.  Le 10 novembre 2000, Patricia C. déposa à son tour une requête en suspicion légitime tendant à obtenir le renvoi de l'instance devant une autre juridiction que la cour d'appel de Rennes. Par un arrêt du 21 décembre 2000, la Cour de cassation rejeta ladite requête.

14.  Par un arrêt du 12 janvier 2001, la cour d'appel de Rennes, statuant en tant que juridiction de renvoi, déclara définitive la renonciation de Nicole D. à la succession de son père, et rejeta l'ensemble des demandes plus amples ou contraires à cette décision et à celles précédentes dans leurs dispositions devenues irrévocables. Sur le premier point, la cour considéra que la date du 20 mai figurant sur la rétractation invoquée par Nicole D. n'était pas certaine, et ne pouvait donc être opposable à la requérante.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

15.  La requérante dénonce l'iniquité de la procédure devant la première chambre civile de la Cour de cassation en raison de la présence de l'avocat général lors du délibéré. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

16.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

17.  Le Gouvernement convient que dans plusieurs arrêts, la Cour a considéré que la seule présence de l'avocat général au délibéré était incompatible avec l'article 6 § 1 (voir Fontaine et Bertin c. France, nos 38410/97 et 40373/98, 8 juillet 2003 et Quesne c. France, no 65110/01, 1er avril 2004). Il souligne que la Cour de cassation française a modifié les modalités d'instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans l'affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II). Il précise cependant que ces mesures n'étaient pas en vigueur à l'époque où la requérante s'est pourvue en cassation et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief ».

18.  La requérante invite la Cour à conclure à une violation de l'article 6 § 1.

19.  La Cour constate que l'avocat général, qui n'est pas membre de la formation de jugement, assiste habituellement au délibéré, sans toutefois prendre part aux débats.

20.  En l'espèce, le Gouvernement ne prétend pas que l'affaire fut plaidée et que l'avocat général n'assista pas au délibéré. La Cour tient donc pour acquis que l'avocat général était présent au délibéré.

21.  Ceci étant, elle rappelle que, sur le fondement notamment de la théorie dite « des apparences », elle a jugé contraire à l'article 6 § 1 la participation de l'avocat général au délibéré de la Cour de cassation de Belgique, avec voix consultative (arrêt Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A no 214-B §§ 28-29, et arrêt Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 34), et la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour Suprême portugaise, quand bien même il n'y disposait d'aucune voix consultative ou autre (Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 32). Elle en a déduit que la seule présence de l'avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation est incompatible avec l'article 6 § 1 de la Convention (voir arrêts Fontaine et Bertin c. France, nos 38410/97 et 40373/98, §§ 64-67, 8 juillet 2003, et Slimane-Kaïd (no 2) no 48943/99, § 17, 27 novembre 2003).

22.  Relevant que le Gouvernement ne prétend pas que la procédure s'est déroulée autrement en l'espèce, s'agissant d'une chambre civile de la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Crochard et six autres c. France, nos 68255/01 et suivants, § 13, 3 février 2004), la Cour ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente.

23.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence de l'avocat général lors du délibéré de la première chambre civile de la Cour de cassation française.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

25.  La requérante réclame 2 839 048 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu'elle aurait subi, résultant de pertes de loyers. Elle réclame également 76 500 EUR au titre du préjudice moral prétendument subi.

26.  Le Gouvernement juge ces demandes excessives, faisant observer que les sommes sollicitées sont sans lien avec le grief soulevé. Il estime en conséquence que, dans l'hypothèse où la Cour jugerait que les dispositions de l'article 6 ont été méconnues en l'espèce, le simple constat de violation des dites dispositions serait une réparation suffisante du préjudice invoqué.

27.  La Cour ne saurait spéculer sur la conclusion à laquelle la Cour de cassation aurait abouti dans le cas où l'article 6 § 1 n'aurait pas été méconnu ; il convient en conséquence de rejeter la demande de la requérante en ce qu'elle tend à la réparation de « pertes de loyers » et d'un préjudice économique dont elle fait état. S'agissant du dommage moral, la Cour l'estime suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle parvient (voir l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précité, en son dispositif, point 3).

B.  Frais et dépens

28.  La requérante demande 10 000 EUR pour les frais et dépens, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agit des frais exposés devant les juridictions internes et/ou devant la Cour. Sans plus de détails, la requérante ne fournit aucune facture d'honoraires d'avocat.

29.  Le Gouvernement considère que seuls les frais et dépens exposés devant la Cour doivent éventuellement être pris en compte, et propose une somme de 500 EUR sur la base des justificatifs produits.

30.  La Cour estime le montant réclamé excessif. En ce qui concerne les frais encourus devant la Cour, elle juge raisonnable d'allouer à la requérante, qui n'était pas représentée par un avocat, la somme de 500 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

31.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare le restant de la requête recevable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la présence de l'avocat général lors du délibéré de la Cour de cassation ;

3.  Dit :

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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