CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE CLINIQUE DES ACACIAS ET AUTRES c. FRANCE, 13 octobre 2005, 65399/01 et autres

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 13 oct. 2005, n° 65399/01 et autres
Numéro(s) : 65399/01, 65405/01, 65407/01, 65406/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 5 décembre 2000
Jurisprudence de Strasbourg : ABPB c. France, no 38436/97, 21 mars 2002
Andret et autres c. France (déc), no 1956/02, 25 mai 2004
Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997-I, fasc. 29, p. 108, § 24
Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 438, § 40
Krcmár et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000
Skondrianos et autres c. Grèce, nos 63000/00 et 74291/01 et 74292/01, 18 décembre 2003, §§ 29 et 30
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-70604
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2005:1013JUD006539901
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CLINIQUE DES ACACIAS ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01)

ARRÊT

STRASBOURG

13 octobre 2005

DÉFINITIF

13/01/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Clinique des Acacias et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

 MM. B.M. Zupančič, président,

  J. Hedigan,
  J.-P. Costa,
  L. Caflisch,
  C. Bîrsan,
  V. Zagrebelsky,
 Mme R. Jaeger, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 novembre 2004 et 22 septembre 2005,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouvent quatre requêtes (nos 65399/01 et 65406/01, 65405/01 et 65407/01) dirigées contre la République française et dont la clinique des Acacias[1], la polyclinique du parc Rambot, la clinique Grégoire et la clinique du Val de Sambre (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 5 décembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes sont représentées par Me J.-M. de Forges, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Les requérantes alléguaient en particulier que le fait, pour la Cour de cassation, d’avoir soulevé un moyen d’office pour rejeter leurs pourvois en cassation, avait violé leur droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4.  Les requêtes ont été attribuées à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  La chambre a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du règlement).

6.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). Les présentes requêtes ont été attribuées à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Par une décision du 18 novembre 2004, la chambre a déclaré les requêtes partiellement recevables.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Les requérantes sont des établissements de santé privés, dont les sièges se trouvent en France.

9.  Elles étaient liées, au moment des faits à l’origine du litige, aux caisses régionales d’assurance maladie (« CPAM ») par des conventions passées en application de l’article L.162-22 du code de sécurité sociale (paragraphe 24 ci-dessous) alors en vigueur (un arrêté du 29 juin 1978 a approuvé la convention type de l’hospitalisation privée). Ces conventions avaient été complétées par des avenants tarifaires, homologués par arrêté préfectoral, qui fixaient les tarifs des prestations fournies par les requérantes. Sur la base de ces conventions de droit privé, les requérantes facturaient aux caisses d’assurance maladie un forfait journalier pour les frais de séjour et de soins ainsi qu’un complément pour frais de salle d’opération (« FSO »). Aux termes de l’article R.162-32 du code de la sécurité sociale (ibidem), abrogé par un décret du 3 décembre 1992, le montant de ce complément devait être fixé selon des modalités définies par un arrêté conjoint du ministre de la Santé, du ministre de la Sécurité sociale et du ministre chargé du Budget. Ce fut l’objet de l’arrêté ministériel du 28 décembre 1990 (paragraphe 25 ci-dessous). Ce dernier fut abrogé par l’article 2 de l’arrêté ministériel du 13 mai 1991 (paragraphe 26 ci-dessous) puis annulé par le Conseil d’Etat le 13 mai 1994, pour incompétence de son auteur :

« Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que les tarifs de responsabilité des caisses sont fixés par voie conventionnelle ; que l’article R 162-32-2o n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d’attribuer conjointement au ministre chargé de la santé, au ministre chargé de la sécurité sociale et au ministre chargé du budget le pouvoir de fixer directement et unilatéralement le montant du complément afférent aux frais de salle d’opération qui est un des éléments des tarifs de responsabilité ; que l’arrêté attaqué du 28 décembre 1990 prévoit que le complément afférent aux frais de salle d’opération est obtenu en multipliant une valeur monétaire de ce complément, fixée par voie conventionnelle, par un coefficient déterminé par divers facteurs ; que cet arrêté ne se borne pas à définir les modalités de fixation du montant du complément afférent aux frais de salle d’opération ou d’accouchement mais fixe directement ledit montant, et par suite le tarif de responsabilité conventionnel ; qu’il est par suite entaché d’incompétence ; (...) »

10.  L’article 1 de l’arrêté du 13 mai 1991, entré en vigueur le 19 mai 1991, introduisit un abattement ayant pour effet de minorer des deux cinquièmes les versements effectués par les caisses de sécurité sociale. Ce deuxième arrêté fut abrogé avec effet du 1er avril 1992, puis annulé par un arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996, ainsi libellé :

« Considérant qu’aux termes de l’article R. 162-40 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté attaqué la commission paritaire nationale est chargée d’émettre un avis : 1o sur toute question intéressant les rapports entre les caisses et les établissements d’hospitalisation privés mentionnés à l’article R. 162-27 ; qu’en vertu de ces dispositions la commission paritaire nationale devait être consultée avant l’intervention de l’arrêté interministériel du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements d’hospitalisation régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et n’est d’ailleurs pas contesté que la commission paritaire nationale de l’hospitalisation privée, saisie par une lettre du ministre des affaires sociales et de la solidarité datée du 17 avril 1991 , qui ne contenait d’ailleurs aucune indication de délai, s’est réunie le 16 mai 1991, soit postérieurement à la date de la signature de l’arrêté attaqué ; (...) que, par suite l’arrêté intervenu avant que l’avis exigé par les dispositions réglementaires susrappelées ait été donné, a été pris sur une procédure irrégulière et est par suite entaché d’illégalité ;

(...)

DÉCIDE

Article 1er : L’article 1er de l’arrêté du ministre des affaires sociales et de la solidarité et du ministre délégué au budget et du ministre délégué à la santé du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements d’hospitalisation régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale est annulé. »

11.  Considérant que des abattements avaient été illégalement opérés par les caisses d’assurances maladie, les requérantes sollicitèrent le reversement de sommes pour la période du 19 mai 1991 au 31 mars 1992, date d’abrogation de l’arrêté du 13 mai 1991, en invoquant l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996.

12.  Les caisses d’assurance maladie refusèrent de payer aux requérantes les sommes litigieuses et répondirent qu’il convenait de surseoir au paiement dans l’attente d’un dispositif de régularisation sur le point d’être mis en place par la caisse nationale.

13.  Le 27 décembre 1996, le Parlement adopta une loi de validation (paragraphe 27 ci-dessous) des actes pris en application de l’article 1 annulé de l’arrêté du 13 mai 1991.

14.  Les requérantes saisirent les tribunaux des affaires de sécurité sociale de plusieurs demandes afin « de tirer les conséquences des arrêts du Conseil d’Etat et d’obtenir le remboursement des compléments de FSO retenus par les caisses ».

15.  Par différents jugements, les tribunaux des affaires de sécurité sociale déboutèrent les requérantes au motif que l’article 34 de la loi du 27 décembre 1996 avait validé les facturations et versements en tant qu’ils résultaient de l’application de l’arrêté du 13 mai 1991. En fonction des sommes en jeu, les requérantes firent appel ou se pourvurent directement en cassation.

16.  Les requérantes formèrent des pourvois en cassation, en reprochant aux jugements d’avoir méconnu l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en niant l’existence de la protection due à des créances patrimoniales nées de l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 4 mars 1996 et en refusant de constater que, en l’espèce, aucune considération, y compris de nature financière, ne pouvait justifier la validation opérée par l’article 34 de la loi du 27 décembre 1996. Elles conclurent que le refus d’examiner si la loi de validation ne les avaient pas privées d’un recours effectif, permettant que l’atteinte au droit à la protection de leur bien soit contestée, avait violé les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

17.  Plus particulièrement, la polyclinique du Parc Rambot fit valoir, dans son mémoire ampliatif devant la chambre sociale de la Cour de cassation ce qui suit :

«  (...) Or, en l’espèce, à la date des faits litigieux – remboursements de frais engagés entre le 19 mai 1991 et le 1er avril 1992, durée d’application effective de l’arrêté du 13 mai 1991 emportant un abattement des 2/5e des forfaits de salle d’opération – seul l’arrêté du 28 décembre 1990 régissait la détermination dudit forfait, hors tout abattement, puisque ledit arrêté du 13 mai 1991 a fait l’objet d’une annulation par le Conseil d’Etat, le 4 mars 1996. [La requérante] avait donc, à cette date du 4 mars 1996, un droit acquis à la propriété des sommes qui auraient dû lui être versées, correspondant à l’abattement illégalement appliqué.

A l’époque considérée, en effet – mai 1991 à avril 1992 – était en vigueur l’article R. 162-32 (abrogé par décret du 3 décembre 1992) prévoyant (...) un complément afférent aux frais de salle d’opération dont le montant sera fixé par un arrêté (...). Ce fut l’arrêté du 28 décembre 1990 (...). Certes, l’arrêté ministériel du 13 mai 1991, entré en vigueur le 19 mai 1991, est venu modifier ces modalités de calcul, en introduisant un abattement de 2/5e des versements effectués par les caisses. Cependant, cet arrêté – abrogé le 1er avril 1992 – a été annulé par arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996. Partant, l’application qui en a été faite pendant sa période de validité apparente – entre le 19 mai 1991 et le 1er avril 1992 – était donc illégale et devait donner lieu à compensation, c’est-à-dire à remboursement, en faveur des établissements de soins, de la différence entre les sommes perçues au titre du complément F.S.O calculé selon l’arrêté du 13 mai 1991 et les sommes qui auraient dû être perçues selon l’arrêté du 28 décembre 1990. »

18.  Dans le cadre du pourvoi de la clinique des Acacias, la caisse maladie régionale du Nord, dans son mémoire en réplique, rappela :

« La clinique des Acacias a produit courant mars 2000 des observations complémentaires qui soulèvent de façon nouvelle la question de l’application de l’article 2 de l’arrêté du 13 mai 1991. En tout état de cause, on peut constater, comme le rappelle la clinique des Acacias, que cet article 2 n’a pas été annulé par le Conseil d’Etat. Or cet article a pour effet d’abroger l’arrêté du 28 décembre 1990. Dès lors, les caisses disposaient du pouvoir d’imposer unilatéralement leur tarif. »

19.  De même, dans le cadre du pourvoi de la clinique du Val de Sambre, la caisse primaire d’assurance maladie de Maubeuge, dans son mémoire en défense, précisa que l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996 s’est borné à

 « annuler l’article 1er de l’arrêté du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale, en se gardant bien d’enjoindre à l’administration de verser auxdits établissements les sommes auxquelles ils auraient eu droit si cet arrêté annulé n’avait pas été appliqué. Dans ces conditions, cet arrêt n’a pu à lui seul faire naître au profit de la clinique une quelconque créance, ni même la moindre espérance légitime de voir se concrétiser une telle créance ».

20.  Par une série d’arrêts du 8 juin 2000 rédigés en des termes identiques, la Cour de cassation rejeta ces pourvois :

« (...) Attendu que si c’est à bon droit, comme le soutient exactement le pourvoi, que l’article 6 § 1 de la Convention s’oppose à l’application de l’article 34 de la loi du 27 décembre 1996, il ne s’ensuit pas pour autant que la prétention [des requérantes] soit fondée ;

Attendu qu’en effet, en application de l’article R. 162-32 du code de la sécurité sociale alors en vigueur, les tarifs de responsabilité des organismes de sécurité sociale comprenaient un complément afférent aux frais de salle d’opération, dont le montant devait être fixé selon des modalités définies par un arrêté interministériel ; que si l’arrêté du 28 décembre 1990 a fixé à titre temporaire à compter du 1er janvier 1991 les modalités nécessaires au calcul du complément, il a été abrogé par l’article 2 de l’arrêté du 13 mai 1991, dont l’article 1er a modifié les règles de détermination dudit complément ; que l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 4 mars 1996 n’ayant annulé que les seules dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 13 mai 1991, a laissé subsister l’abrogation de l’arrêté du 28 décembre 1990 ; qu’il en résulte que pour la période du 19 mai 1991 au 3 décembre 1992, date d’abrogation de l’article R.162-32 précité, aucun texte réglementaire n’a fixé le montant du complément afférent aux frais de salles d’opérations ; que, dès lors, [les cliniques qui ont] perçu, pendant la période litigieuse, le complément afférent aux frais de salle d’opération, dont le principe était reconnu par l’article R.162-32 précité, ne disposait, à la suite de l’annulation de l’arrêté du 13 mai 1991, d’aucun droit au versement de la différence entre ce qu’elle avait reçu et ce qu’elle aurait dû recevoir si l’arrêté du 28 décembre 1990 n’avait pas été abrogé ;

D’où il suit qu’abstraction faite des motifs tirés de l’article 34 de la loi du 27 décembre 1996, la décision attaquée se trouve légalement justifiée par ces motifs de pur droit ».

21.  A l’encontre d’autres jugements, les requérantes firent appel. Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, par exemple, la polyclinique du Parc Rambot fit directement et expressément référence à la série d’arrêts de la Cour de cassation du 8 juin 2000, pour démontrer l’application non-rétroactive de la loi du 27 décembre 1996 et pour contrer le moyen de la Cour de cassation selon lequel il n’existait aucune réglementation relative aux modalités de fixation des FSO pendant la période litigieuse. La requérante spécifia que l’arrêté du 28 décembre 1990 n’avait pas fixé les modalités de calcul des FSO, mais leur montant, qui relevait pourtant du domaine conventionnel, raison pour laquelle il avait été annulé par un arrêt du 13 mai 1994 du Conseil d’Etat ignoré de la Cour de cassation, ainsi que cela résultait de ses décisions du 8 juin 2000.

22.  Par un arrêt du 12 décembre 2000, la cour d’appel rappela que l’arrêté du 13 mai 1991 avait été annulé, mais expliqua :

« (...) que l’article R. 162-32 du code de la sécurité sociale disposait que le montant du complément afférent aux frais de salle d’opération était fixé selon les modalités définies par un arrêt interministériel.

Attendu que l’existence d’un tel texte est le préalable nécessaire à toute fixation du montant du complément, fût-elle de nature conventionnelle, puisqu’il doit en fixer les modalités.

Attendu que seuls deux arrêtés, ceux précités du 28 décembre 1990 et du 13 mai 1991, sont intervenus en application de l’article R. 162-32 du code de la sécurité sociale.

Qu’ils ont tous deux été annulés et sont donc considérés comme n’étant jamais intervenus.

Attendu que par suite, contrairement à ce que [la requérante] soutient, les avenants tarifaires conclus sur la base de l’arrêté du 28 juin 1978 et fixant conventionnellement le montant du complément litigieux ne peuvent utilement être pris en considération en l’absence du texte prévu par l’article R.162-32 fixant les modalités de fixation de ce montant et nécessairement préalable en application même de cet article.

Attendu qu’aucun texte réglementaire n’a donc déterminé les modalités de fixation du montant du complément de frais de salle d’opération ».

La requérante ne se pourvut pas en cassation, estimant qu’en raison de la jurisprudence de la Cour de cassation, un tel recours n’était pas efficace.

23.  Par des arrêts des 7 décembre 2000 et 31 mai 2001, la Cour de cassation rejeta les pourvois de deux des requérantes (clinique Grégoire et polyclinique Rambot) formés à l’encontre d’autres jugements rendus par les tribunaux des affaires de sécurité sociale en se conformant à l’analyse développée dans les arrêts du 8 juin 2000.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1.  Code de sécurité sociale

24.  Les dispositions pertinentes en vigueur au moment des faits, sont les suivantes :

Article L. 162-22, tel qu’en vigueur jusqu’au 1er août 1991

(modifié par une loi du 18 janvier 1991 et abrogé par une ordonnance

du 24 avril 1996 ; il n’est plus en vigueur depuis le 1er juillet 1997)

« (...) Des conventions à durée déterminée, pour chaque discipline, sont passées entre les caisses régionales d’assurance maladie et les établissements privés de soins de toute nature. (...) Ces conventions fixent les tarifs d’hospitalisation auxquels sont soignés les assurés sociaux dans ces établissements ainsi que les tarifs de responsabilité des caisses. Ces tarifs d’hospitalisation comprennent les frais d’analyses et d’examens de biologie médicale.

La durée des conventions mentionnées à l’alinéa précédent ne peut être inférieure à cinq ans.

Ces conventions n’entrent en vigueur qu’après leur homologation par l’autorité administrative. (...)

Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’application des alinéas qui précèdent et notamment les modalités de la suspension ou de la dénonciation des conventions par les caisses et les cas et conditions dans lesquels l’autorité administrative peut suspendre les effets de l’homologation. La décision de refus d’homologation doit être motivée.

A défaut de convention ou si les tarifs conventionnels n’ont pas été homologués, les caisses fixent des tarifs de responsabilité applicables auxdits établissements. Ces tarifs sont homologués dans les mêmes conditions que les tarifs conventionnels. »

Article R. 162-32

« Les tarifs de responsabilité mentionnés à l’article R. 162-22 ci-dessus comprennent :

2o) un complément afférent aux frais de salle d’opération ou d’accouchement des services de chirurgie et de maternité, indépendant de la durée d’hospitalisation, et dont le montant sera fixé selon les modalités qui seront définies par un arrêté conjoint du ministre chargé de la santé, du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ; (...) ».

  1. Arrêté du 28 décembre 1990 fixant les modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements d’hospitalisation régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale

25.  Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 1

« Dans les établissements d’hospitalisation régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale, le complément afférent aux frais de salle d’opération est obtenu en multipliant une valeur monétaire de ce complément, fixée par voie conventionnelle, par un coefficient a calculé selon la formule suivante (...) »

Article 2

« Le présent arrêté s’applique à titre temporaire à compter du 1er janvier 1991. Il prendra fin à la date d’entrée en vigueur de nouvelles modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération ».

  1. Arrêté du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements d’hospitalisation régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale

26.  L’arrêté contient les clauses ci-après :

Article 1

« Pour le calcul du complément afférent aux frais de salle d’opération dans les établissements de soins privés régis par l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale, la cotation des actes d’anesthésie est affectée d’un coefficient égal à trois cinquièmes. »

Article 2

« L’arrêté du 28 décembre 1990 susvisé est abrogé. »

4. Loi no 96-1160 du 27 décembre 1996 (loi de financement de la sécurité sociale pour 1997)

27.  Son article 34 est ainsi rédigé :

« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les facturations des établissements de santé privés régis par l’article L.162-22 du code de la sécurité sociale aux organismes d’assurance maladie et les versements y afférents, effectués au titre du complément afférent aux frais de salle d’opération visé à l’article R. 162-32 du code précité, sont validés en tant qu’ils résultent de l’application de l’arrêté du 13 mai 1991. »

5. Nouveau code de procédure civile (NCPC)

28.  Il contient plusieurs dispositions relatives au respect du principe du contradictoire par le juge.

a) Dispositions communes à toutes les juridictions

Article 12

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge la mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé. »

Article 16

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

b) Dispositions particulières à la Cour de cassation

Article 620

« La Cour de cassation peut rejeter le pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné ; elle le peut également en faisant abstraction d’un motif de droit erroné mais surabondant.

Elle peut, sauf disposition contraire, casser la décision attaquée en relevant d’office un moyen de pur droit. (...) »

Article 1015

« Le président doit avertir les parties des moyens de cassation qui paraissent pouvoir être relevés d’office et les inviter à présenter leurs observations dans le délai qu’il fixe ».

Par une décision d’Assemblée nº 21-893 en date du 5 juillet 1985 le Conseil d’Etat statuant au contentieux a décidé que le présent article, en tant qu’il limite aux moyens de cassation l’obligation faite au président d’avertir les parties des moyens qui peuvent être soulevés d’office, même s’ils ne sont pas d’ordre public, était contraire au principe d’égalité.

6. Doctrine

29.  Le précis Dalloz (Procédure civile) (27e édition) de Jean Vincent et Serge Guinchard contient les développements suivants (nos 520, 615-1, 617 à 620, 621, 623) :

« Un moyen de pur droit est un moyen qui, en raison de la manière dont les prétentions ont été exposées en fait et en droit, a été implicitement invoqué; « les parties, en précisant l’objet de leur demande et en exposant les faits qui lui servent de fondement, ont mis le juge en demeure de se prononcer conformément à la loi, en lui laissant le soin de rechercher lui-même, comme c’est son devoir le texte applicable ». On parle de moyen de pur droit parce que le moyen ne peut prendre pour fondement aucun fait qui n’ait été déjà présenté devant les juges. (...)

La Cour de cassation distinguait, jusqu’à une époque récente, le moyen (de droit) relevé d’office et le moyen se trouvant nécessairement « dans la cause ou le débat » ; le premier fait appel à une règle juridique dont les parties n’ont pas dans leur conclusions envisagé l’application ; le second était constitué, par exemple, par la restitution aux faits spécialement invoqués par les parties, de leur véritable qualification ou encore par l’applicabilité ou le rejet de la règle invoquée par une partie pour un motif non allégué par celle-ci. La distinction était importante puisque seuls les moyens relevés d’office avaient donné lieu à des difficultés quant à l’application ou non du principe du contradictoire, les secondes y échappant au prétexte qu’ils étaient nécessairement dans la cause. Mais cette dernière expression semble abandonnée (...).

En ce qui concerne le respect par le juge de ce principe lorsqu’il relève d’office un moyen de droit des résistances se sont manifestées en législation, des hésitations se sont révélées en jurisprudence et en doctrine pour aboutir finalement à l’annulation des articles 12 alinéa 3 et 16 alinéa 1 du nouveau code par le Conseil d’Etat (CE, 12 octobre 1979). (...)

Lorsque le juge relève d’office des moyens de droit, qu’ils soient purs ou mélangés de fait, la question se pose de savoir s’il doit en informer les parties et les inviter à en débattre contradictoirement ; si l’on s’en tient au caractère absolu de la contradiction, la réponse semble aller de soi : le juge doit observer lui-même ce principe.

Pourtant à la suite de modifications dans la rédaction initiale des textes issus des décrets du 9 septembre 1971 et du 20 juillet 1972, la jurisprudence a hésité sur la portée de cette obligation lorsqu’est entré en vigueur le nouveau code ; la doctrine dans son ensemble a protesté contre des modifications qui réduisaient le champ d’application du principe du contradictoire. Suite à l’annulation, par le Conseil d’Etat, de l’article 16 alinéa 1 (et de l’article 12 alinéa 3, en tant qu’il dispensait le juge d’observer le contradictoire lorsqu’il relevait d’office un moyen de pur droit, un décret no 81-500 du 12 mai 1981 donna à l’article 12 alinéa 3 sa rédaction actuelle [voir, § 28 ci-dessus] ; cela signifie que, dès lors que le juge décide d’appliquer une règle de droit autre que celle invoquée par les parties, il doit respecter le contradictoire en sollicitant les observations des parties. (...) Mais pour les première et deuxième chambres civiles, le juge n’avait pas à respecter le contradictoire lorsqu’il relevait d’office des moyens de pur droit et d’ordre public, en l’occurrence des fins de non recevoir de l’article 125 (Cass. Civ.,1ere 16 janvier 1980). En revanche, la chambre commerciale exigeait le respect du contradictoire dans de telles hypothèses (com. 31 janvier 1981). En chambre mixte et par deux arrêts, la Cour de cassation affirma solennellement que le principe du contradictoire devait être respecté, même pour les moyens d’ordre public (ch. Mixte 10 juillet 1981).

Domaine actuel du respect du contradictoire quant au relevé d’office des moyens de droit. L’obligation est générale, l’alinéa 2 [de l’article 16] éclairant l’alinéa 1er, ce denier énonce un principe que l’alinéa suivant applique aux moyens, aux explications et aux documents invoqués ou produits par les parties. Cela vaut pour tous les éléments que le juge est amené à prendre en considération en fait et en droit, qu’il s’agisse de moyens de procédure ou de fond, seraient-il de pur droit ou mélangés de fait et de droit (Civ 2, 29 avril 1998). Cela vaut aussi pour les fins de non recevoir qui avaient donné lieu à la jurisprudence contestable des première et deuxième chambres civiles ; tout est rentré dans l’ordre (Civ. 2e 29 novembre 2001).

Rares initiatives du juge échappant encore au principe du contradictoire. La formule de l’article 16 alinéa 3 (moyen de droit que le juge relève d’office) laisse la place a contrario à des initiatives du juge qui échappent au respect du contradictoire, dès lors que les deux conditions d’application de ce texte ne se trouvent pas réunies : soit parce que l’initiative du juge dans le droit ne constituerait pas un véritable « relevé d’office » ; soit jusqu’à une époque récente tout au moins et avec encore des incertitudes aujourd’hui, parce qu’il relèverait d’office un moyen qui ne serait pas un véritable moyen de droit, au prétexte qu’il serait déjà dans la cause ou dans le débat ; soit enfin, mais l’exception est prétorienne, hors conditions d’application de l’article 16, parce que le moyen serait bien de droit, mais serait lui-même tiré d’une violation des droits de la défense. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

30.  Les requérantes reprochent à la Cour de cassation d’avoir soulevé un moyen d’office dans les procédures ayant abouti aux arrêts du 8 juin 2000, en violation de leur droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

  1. Arguments des parties

1. Les requérantes

31.  Les requérantes affirment que le motif retenu par la Cour de cassation pour rejeter leurs pourvois, à savoir l’absence de texte réglementaire fixant le montant du complément aux frais de salle d’opération, n’a jamais été débattu avant qu’elle ne l’invoque sans en avoir préalablement informé les parties. Elles soutiennent qu’en plus d’être une erreur de fait (les textes réglementaires applicables à la fixation des FSO sont les décrets du 22 février 1973 et l’arrêté du 29 juin 1978 du fait des annulations successives par le Conseil d’Etat dans ses arrêts de 1994 et 1996), les parties, y compris les caisses défenderesses, n’ont jamais évoqué expressément la question de l’absence de texte réglementaire.

2. Le Gouvernement

32.  Le Gouvernement rappelle les principes énoncés par la Cour dans l’affaire Pélissier et Sassi c. France (arrêt du 25 mars 1999 ([GC], no 25444/94, CEDH 1999-II) et considère que bien qu’ayant trait à une requalification en matière pénale, les conclusions de la Cour, s’agissant de l’équité de la procédure, peuvent s’appliquer mutatis mutandis à l’obligation pour le juge de respecter le principe du contradictoire en matière civile.

33.  Il explique que la Cour de cassation était saisie d’un moyen unique tendant à écarter l’application de la loi du 27 décembre 1996. Dans les arrêts du 8 juin 2000, la Cour de cassation jugea qu’abstraction faite des motifs tirés de l’article 34 de cette loi, les décisions attaquées se trouvaient légalement justifiées par des motifs de pur droit. Ces motifs tenaient au rappel, selon le Gouvernement, de la portée de l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996, qui n’avait annulé qu’en partie l’arrêté du 13 mai 1991 sur l’abattement des deux cinquièmes des FSO.

En effet, seul l’article 1er dudit arrêté avait été annulé ; l’article 2 portant abrogation de l’arrêté du 28 décembre 1990 fut maintenu. Ainsi, pour la période du 19 mai 1991 (date d’entrée en vigueur de l’arrêté » du 13 mai 1991) au 3 décembre 1992 (date d’abrogation de l’article R. 162-32 du code de la sécurité sociale), il en résultait qu’aucun texte réglementaire n’avait fixé le montant du complément pour FSO. En l’absence de réglementation, les cliniques ne pouvaient se prévaloir du droit au paiement de la différence réclamée et la Cour de cassation a rejeté en conséquence les pourvois.

34.  Le Gouvernement affirme qu’en appliquant l’article 1015 du NCPC tant aux moyens de cassation qu’aux moyens de rejet, la Cour de cassation a retenu, ces dernières années, une interprétation large du terme « moyens de cassation » employé par l’article 1015 ; par ce terme, elle entend tout moyen soulevé au stade de la procédure en cassation et pas seulement les moyens de cassation au seul profit du demandeur. En l’espèce, il reconnaît que la Cour de cassation n’a pas averti les parties du moyen retenu mais précise qu’elle n’était pas tenue de le faire puisque ce moyen était déjà dans le débat. Ainsi, n’ayant soulevé d’office aucun moyen, la Cour de cassation n’était pas tenue de respecter les dispositions de l’article 1015 du NCPC. En effet, si elle a substitué un motif de pur droit à celui soulevé par les parties (article 620 du NCPC), le raisonnement juridique retenu faisait partie des débats et a de surcroît été spécialement invoqué par certaines des caisses défenderesses. En l’occurrence, la Cour de cassation a tiré des conséquences juridiques différentes de celles soulevées par les cliniques de l’analyse de l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 mars 1996. Ces dernières estimaient que l’abrogation de l’article 1er de l’arrêté du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément pour FSO justifiait leur recours. La Cour de cassation, elle, a considéré que le Conseil d’Etat n’ayant pas annulé l’article 2 du décret du 13 mai 1991 qui a abrogé l’arrêté du 28 décembre 1990, les cliniques ne pouvaient plus en conséquence prétendre se fonder sur ce dernier texte, dont l’abrogation a subsisté, pour réclamer le montant du complément pour FSO pendant la période litigieuse. Or cet argument a été spécialement formulé par deux des caisses défenderesses dont les mémoires devant la Cour de cassation font état de la question (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Pour les autres requérantes, il en est de même. S’agissant d’affaires connexes, le Gouvernement rappelle que la Cour de cassation a prononcé plusieurs jonctions d’instances et a rendu des arrêts identiques le même jour dans un souci de bonne administration de la justice. Les cliniques étant toutes représentées par le même avocat aux Conseils, la SCP Vier et Barthélémy, celle-ci ne pouvait par conséquent ignorer les arguments soulevés par certaines défenderesses lors du débat. Les observations des défenderesses ont été transmises à ce cabinet d’avocats qui a eu parfaitement connaissance de ces arguments et par ailleurs tout le loisir d’y répliquer.

35.  Il en résulte, selon le Gouvernement, que les arguments soulevés par les défenderesses étaient parfaitement connus des cliniques requérantes et ont un lien avec la motivation de l’arrêt du 8 juin 2000. Le Gouvernement en conclut que le principe du contradictoire a été respecté.

B.  Appréciation de la Cour

36.  La Cour n’aperçoit d’abord aucune méconnaissance du principe de l’égalité des armes dès lors qu’aucune des parties au litige n’a eu communication du moyen que la Cour de cassation entendait soulever d’office et n’a pu présenter d’observations.

37.  Toutefois, la notion de procès équitable comprend également le droit à un procès contradictoire qui implique le droit pour les parties de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de leurs prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir, parmi d’autres, Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997-I, fasc. 29, p. 108, § 24, et Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000).

38. Le juge doit respecter lui-même le principe du contradictoire, en particulier lorsqu’il prononce la déchéance d’un pourvoi en cassation pour un motif d’irrecevabilité retenu d’office (Skondrianos et autres c. Grèce, nos 63000/00 et 74291/01 et 74292/01, 18 décembre 2003, § 30).

39.  En l’espèce, la Cour de cassation a fait usage de son droit incontesté de soulever d’office un motif de pur droit pour rejeter les pourvois des requérantes. Seule la non-communication de cette intention aux requérantes pose problème.

40.  Bien que le Gouvernement indique que l’avertissement prévu par l’article 1015 du NCPC, du fait de son interprétation, s’impose à tous les moyens soulevés au stade de la procédure en cassation et pas seulement aux moyens de cassation, il considère que, en l’espèce, la soustraction du moyen à la contradiction s’explique par le fait que celui-ci figurait déjà dans le débat.

41.  La Cour ne saurait souscrire à cet argument. Outre que cette expression semble avoir eu une signification particulière au travers de la jurisprudence (paragraphe 29 ci-dessus), qui la distinguait finalement du moyen de pur droit, clairement en cause en l’espèce ainsi que l’expression utilisée par la Cour de cassation l’indique, la Cour observe que le moyen des requérantes concernait exclusivement la loi de validation de 1996, qui de l’avis même de la haute juridiction, s’opposait à l’article 6 § 1 de la Convention. Or, c’est au motif de l’absence de texte réglementaire fixant le montant du complément pour FSO pour la période du 19 mai 1991 au 3 décembre 1992 que le pourvoi des requérantes fut rejeté. Le motif ainsi substitué s’appuyait sur les conditions d’application des textes litigieux et en particulier sur la « survivance » de l’arrêté ministériel du 28 décembre 1990 du fait de son abrogation pour l’avenir seulement par l’article 2 de l’arrêté du 13 mai 1991 alors même que celui-ci avait été annulé, avec effet rétroactif, par le Conseil d’Etat en 1994. Force est de constater qu’un tel motif, fût-il incidemment suggéré par les défenderesses en l’espèce, pouvait prêter à controverse. Par ailleurs, il changeait les fondements juridiques des prétentions des requérantes tel qu’ils avaient été jusque là débattus (a contrario, ABPB c. France, no 38436/97, 21 mars 2002, où il n’est question que de correction, par le Conseil d’Etat, d’une erreur de droit visant à rétablir la position de droit et de fait établie contradictoirement devant la juridiction de première instance, § 33). Il n’était dès lors pas superfétatoire, de l’avis de la Cour, de le soumettre à la contradiction.

42.  La Cour n’a pas à apprécier le bien-fondé des observations qu’auraient pu soumettre les requérantes si l’avertissement prévu à l’article 1015 du NCPC leur avait été donné, mais elle est d’avis, au vu de l’enjeu du litige, que la question de la portée des arrêts rendus par la Conseil d’Etat en 1994 et 1996 (abrogation ou annulation de l’arrêté du 28 décembre 1990), eût mérité qu’on leur donne la possibilité de répliquer au moyen soulevé par la Cour de cassation avant que celle-ci ne statue.

43.  N’ayant pas été informés de la substitution de motifs envisagée par la Cour de cassation, les requérantes, « prises au dépourvu », se sont vu priver d’un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Skondrianos et autres précité § 29, et, a contrario, Andret et autres c. France (déc), no 1956/02, 25 mai 2004, qui concernait une affaire dans laquelle la Cour de cassation avait informé les parties qu’une substitution de motifs était envisagée, et les requérants avaient pu répliquer avant que la Cour de cassation ne statuât). Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

45.  Au titre du préjudice matériel, les requérantes réclament les sommes correspondant à celles dont elles estiment avoir été irrégulièrement privées, auxquelles doivent s’ajouter les sommes équivalant aux intérêts de retard depuis leur première réclamation : 119 414,99 euros (EUR) (clinique des Acacias), 128 563,99 EUR (clinique du Val de Sambre), 510 775,35 EUR (polyclinique du Parc Rambot) et 99 343,66 EUR (clinique Grégoire).

46.  Le Gouvernement considère que le constat de violation est suffisant au titre de la satisfaction équitable dès lors que les requérantes ne peuvent prétendre au paiement du complément des prestations médicales.

47.  La Cour estime que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que les requérantes n’ont pas pu jouir des garanties de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue de la procédure dans le cas contraire (voir, par exemple, Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 438, § 40) ; il convient donc de rejeter les prétentions des requérantes en ce qu’elles se rapportent au préjudice matériel allégué. Quant au dommage moral, que les requérantes n’ont en tout état de cause pas expressément allégué, la Cour l’estime suffisamment réparé par le constat de violation.

B.  Frais et dépens

48.  La clinique des Acacias réclame au titre « des frais et honoraires d’avocats engagés pour sa défense » 14 677, 79 EUR. Elle fournit une note d’honoraire de 3 946 EUR au titre des frais engagés pour la procédure devant la Cour. La clinique du Val de Sambre demande 8 442,02 EUR à ce titre et produit une note d’honoraire de 1 823 EUR pour la procédure devant la Cour. La polyclinique du Parc Rambot réclame 18 496,49 EUR dont 1 823 EUR pour la procédure devant la Cour. La clinique Grégoire demande pour sa part le remboursement de 10 265,31 EUR dont 3 946 pour sa défense devant la Cour.

49.  Le Gouvernement considère que seuls les frais exposés pour la procédure devant la Cour doivent être remboursés, soit 3946 EUR pour la clinique des Acacias et la clinique Grégoire, 1 823 EUR pour la clinique du Parc Rambot et la clinique du Val de Sambre.

50.  La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable. Elle constate que les honoraires que les requérantes ont effectivement versés à leur avocat pour la procédure devant la Cour s’élèvent, selon les justificatifs produits, aux sommes indiquées ci-dessus. Partant, elle accorde les sommes de 3 946 EUR à la Cliniques des Acacias et à la clinique Grégoire et de 1 823 EUR à la polyclinique du Parc Rambot et à la clinique du Val de Sambre.

C.  Intérêts moratoires

51.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérantes ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 946 EUR (trois mille neuf cent quarante-six euros) (requêtes nos 65399/01 et 65405/01) et 1 823 EUR (mille huit cent vingt-trois euros) (requêtes nos 65406/01 et 65407/01) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
 Greffier Président


[1] Les droits de la Clinique des Accacias ont été repris après l’introduction de la requête par la S.A Polyclinique Vauban lors d’un regroupement de plusieurs établissements de santé.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE CLINIQUE DES ACACIAS ET AUTRES c. FRANCE, 13 octobre 2005, 65399/01 et autres