CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE ELLI POLUHAS DÖDSBO c. SUEDE, 17 janvier 2006, 61564/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 17 janv. 2006, n° 61564/00
Numéro(s) : 61564/00
Publication : Recueil des arrêts et jugements 2006-I
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Pannullo et Forte c. France, n° 37794/97, §35, CEDH 2001-X
Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 61, CEDH 2002-III
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusion : Non-violation de l'art. 8
Identifiant HUDOC : 001-72034
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0117JUD006156400
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ELLI POLUHAS DÖDSBO c. SUÈDE

(Requête no 61564/00)

ARRÊT

STRASBOURG

17 janvier 2006

DÉFINITIF

03/07/2006 


En l'affaire Elli Poluhas Dödsbo c. Suède,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Jean-Paul Costa, président,
András Baka,
Rıza Türmen,
Karel Jungwiert,
Mindia Ugrekhelidze,
Antonella Mularoni,
Elisabet Fura-Sandström, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2005,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 61564/00) dirigée contre le Royaume de Suède et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Elli Poluha (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 août 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est née en 1913 et décédée le 21 février 2003. Ses cinq enfants, qui sont ses seuls héritiers, ont décidé de maintenir la requête. Ils sont représentés devant la Cour par M. S.S. Poluha. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, Mme E. Jagander, du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante se plaignait, sur le terrain de l'article 8 de la Convention, du refus des autorités et du tribunal administratif départemental de l'autoriser à transférer l'urne contenant les cendres de son mari dans la concession de sa famille à Stockholm.

4.  La requête a initialement été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5.  Par une décision du 31 août 2004, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

6.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

7.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a ainsi été attribuée à la deuxième section telle que remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8.  En 1938, la requérante épousa un ressortissant autrichien d'origine ukrainienne, qui était arrivé en Suède la même année. Cinq enfants naquirent de cette union. La famille vécut à Fagersta, où le mari de la requérante travailla comme directeur commercial jusqu'à son décès, le 11 mai 1963. Les cendres du défunt furent placées dans un tombeau familial situé dans un cimetière de Fagersta. Le tombeau peut accueillir au moins huit autres urnes. Le contrat de concession doit expirer le 31 décembre 2019 mais sera automatiquement prorogé de vingt-cinq ans si un nouvel enterrement a lieu en cet endroit. Par ailleurs, la personne qui possédera le titre sur la concession au moment de l'expiration du contrat aura la possibilité de le reconduire.

9.  En 1980, la requérante s'installa à Västerås, à 70 kilomètres de Fagersta, pour se rapprocher de ses enfants, qui avaient déménagé dans l'intervalle.

10.  Le 15 août 1996, elle demanda aux organismes qui gèrent les cimetières (Västanfors-Västervåla Kyrkogårdsförvaltning) l'autorisation de transférer l'urne de son mari dans la concession, pouvant abriter trente-deux urnes, que sa famille détenait depuis 1945 à Stockholm, à 180 kilomètres de Fagersta. Les parents de la requérante y étaient enterrés ; l'intéressée avait exprimé le vœu d'y être inhumée elle aussi. Elle expliqua en outre qu'elle n'avait plus aucun lien avec Fagersta, que ses enfants étaient tous d'accord avec l'idée de déplacer l'urne de leur père, et qu'elle était convaincue que son mari ne s'y serait pas opposé.

11.  Le 16 septembre 1996, sa demande fut rejetée au motif que le droit de « reposer en paix », garanti par la loi sur les funérailles (Begravningslagen, 1990:1144), devait être respecté.

12.  La requérante forma un recours devant la préfecture de Västmanland (Länsstyrelsen i Västmanlands Län), qui confirma le refus.

13.  Elle saisit alors le tribunal administratif départemental de Västmanland (Länsrätten i Västmanlands Län) qui, par une décision du 5 septembre 1997, la débouta en ces termes :

« Selon l'article 6 du chapitre 1 de la loi sur les funérailles, la dépouille ou les cendres déposées dans un cimetière ne peuvent être retirées d'un tombeau pour être déposées dans un autre. Il peut toutefois être dérogé à cette règle si des raisons particulières le justifient et si le lieu où la dépouille ou les cendres doivent être emportées est précisé.

D'après les travaux préparatoires à la loi (Prop. 1990/91:10, pp. 35-37), la décision concernant une demande de transfert d'une dépouille ou de cendres est soumise à des conditions strictes, eu égard au respect du droit du défunt de reposer en paix. Le vœu exprimé par le défunt de son vivant doit guider [une telle décision]. En règle générale, on partira du principe que le vœu, si le défunt en avait exprimé un, a été pris en compte au moment de l'enterrement. Pour pouvoir être autorisé, un transfert doit avant tout ne pas aller à l'encontre de la volonté exprimée par le défunt de son vivant. En outre, on peut d'ordinaire exiger que le défunt ait eu un certain lien avec l'endroit vers lequel il est envisagé de déplacer sa dépouille ou ses cendres.

En l'espèce, [le mari de la requérante] fut employé comme directeur commercial à l'usine de Fagersta jusqu'en 1958. Il décéda le 11 mai 1963, et l'urne contenant ses cendres fut placée dans le tombeau no 208/017, secteur no 208, à Västerfors. [Le mari de la requérante] était originaire d'Ukraine et de tradition catholique. Il n'avait apparemment pas exprimé de vœux concernant son enterrement.

Le tribunal administratif départemental décide ce qui suit :

Compte tenu de l'ensemble des circonstances, [le mari de la requérante] n'avait pas de liens naturels plus étroits avec Stockholm qu'avec Fagersta. Aucune autre raison justifiant de troubler la paix du tombeau au bout de trente-quatre années n'a été avancée. »

14.  La requérante demanda à la cour administrative d'appel de Stockholm (Kammarrätten i Stockholm), puis à la Cour administrative suprême (Regeringsrätten) l'autorisation de les saisir. Elles la lui refusèrent respectivement le 29 octobre 1997 et le 22 février 2000.

15.  L'intéressée décéda le 21 février 2003. Conformément à ses volontés, elle fut ensevelie dans le tombeau de sa famille à Stockholm.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16.  Les dispositions internes pertinentes en l'espèce figurent dans la loi de 1990 sur les funérailles (Begravningslagen, ci-après « la loi »), entrée en vigueur le 1er avril 1991. Le droit applicable auparavant était la loi de 1957 sur les services funéraires (Lagen om jordfästning m.m.).

Ce sont principalement les paroisses de l'Eglise de Suède qui gèrent les cimetières (chapitre 2, article 1, de la loi) ; elles prennent les décisions relatives entre autres aux tombes et à l'inhumation. Il revient aussi en premier lieu aux autorités ecclésiastiques de statuer sur les demandes de transfert de la dépouille ou des cendres d'un défunt (chapitres 5, 6 et 7 de la loi). Leurs décisions sont susceptibles d'un recours devant la préfecture (chapitre 11, article 6, de la loi). Les recours ultérieurs doivent être portés devant la cour administrative d'appel compétente et, moyennant autorisation, devant la Cour administrative suprême (chapitre 11, article 7, de la loi).

Les volontés qu'une personne a exprimées concernant sa crémation et son enterrement doivent dans la mesure du possible être respectées (chapitre 5, article 1, de la loi). La loi de 1957, qui était applicable lorsque le mari de la requérante est décédé, renfermait une règle analogue. En cas de litige entre les survivants quant au lieu de l'inhumation, c'est la préfecture qui tranche (chapitre 5, article 4, de la loi).

Une fois la dépouille ou les cendres inhumées, elles ne peuvent en principe être déplacées. L'autorisation d'un transfert peut toutefois être accordée s'il existe à cela des raisons particulières et si le lieu de destination a été clairement défini (chapitre 6, article 1, de la loi). Le tombeau ne doit alors pas être ouvert d'une façon qui endommagerait la dépouille ou les cendres (chapitre 2, article 13, de la loi).

Le texte de l'article 1 du chapitre 6 de la loi est fondé sur le respect du caractère sacré de la tombe. C'est également pourquoi les dispositions concernant le transfert de la dépouille ou des cendres sont restrictives ; le tombeau d'un défunt doit demeurer en paix et ne peut être dérangé que dans des circonstances particulières. Selon les travaux préparatoires à la loi (projet de loi 1990/91:10, p. 35), le transfert de la dépouille ou des cendres peut être autorisé si une erreur a été commise au moment de l'inhumation, si le mari et la femme ou bien les parents et leur jeune enfant doivent être réunis ou, dans certains cas, s'il y a lieu de permettre à un réfugié ou un immigré de rapatrier dans son pays d'origine la dépouille ou les cendres d'un proche. La décision de transfert doit s'appuyer sur les volontés exprimées par le défunt. Lorsque ces volontés ne sont pas connues, il faut prendre en compte les liens du défunt avec le lieu où il est enterré. En règle générale, le transfert ne doit pas être autorisé si le défunt est enterré dans un endroit où il a passé une grande partie de sa vie active. Si, au contraire, le tombeau se situe dans un lieu où le défunt n'a vécu que temporairement, le transfert peut être autorisé.

En outre, le défunt doit avoir un lien avec l'endroit où l'on envisage de transporter sa dépouille ou ses cendres. Selon les travaux préparatoires (ibidem, pp. 36-37), tel est le cas, par exemple, si le défunt avait grandi dans le lieu en question, s'il y avait de la famille, si un tombeau familial ou encore une résidence secondaire s'y trouvait. S'agissant d'un couple, on peut autoriser le déplacement de la dépouille ou des cendres du conjoint décédé en premier afin que mari et femme soient réunis dans un même tombeau, en particulier lorsque celui qui est décédé en dernier ne peut, pour une raison donnée, être enterré au même endroit que son conjoint. Il faut notamment tenir compte, à cet égard, des vœux exprimés par le dernier décédé quant à un lieu commun d'enterrement.

17.  En 1994, la Cour administrative suprême a statué sur plusieurs affaires concernant l'interprétation de l'article 1 du chapitre 6 de la loi (RÅ 1994 ref. 93 I-IV). Il ressort de ses arrêts qu'elle se livre à une interprétation restrictive. Ainsi, le fait que les proches survivants ont déménagé, que le tombeau se trouve loin de leur nouveau domicile ou qu'ils ne disposent pas de transports publics pour se rendre au cimetière ne sont pas jugés des motifs suffisants pour justifier le transfert de la dépouille ou des cendres. Dans trois affaires, la Cour administrative suprême a conclu, sur la base des travaux préparatoires à la loi et des arguments formulés dans les demandes, que les motifs invoqués ne suffisaient pas à justifier l'autorisation de transfert. Ces affaires concernaient respectivement une fiancée, un mari et une fille voulant faire déplacer le cercueil de leur fiancé, épouse ou père. Par contre, dans une autre affaire, portant sur la demande d'une mère de transférer le cercueil de son enfant dans le cimetière où son défunt mari se trouvait inhumé, la Cour administrative suprême a estimé qu'il existait des raisons suffisantes pour autoriser le transfert de la dépouille de l'enfant.

Dans l'une des affaires susmentionnées, la demanderesse souhaitait faire déplacer le cercueil de son père pour l'enterrer dans le même cimetière que celui choisi par sa mère, récemment décédée. La Cour administrative suprême releva que le père de la demanderesse avait vécu et travaillé à Malmö et s'y trouvait enterré dans le tombeau familial de son grand-père. Compte tenu des liens du père avec cette ville, la cour estima qu'il n'y avait pas lieu de supposer qu'une erreur avait été commise au moment de l'inhumation et jugea qu'aucune autre raison ne suffisait à justifier le transfert de la dépouille trente ans après le décès.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

18.  La requérante allègue que le refus de l'autoriser à transférer l'urne contenant les cendres de son mari dans la concession de sa famille à Stockholm est contraire à l'article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la défense de l'ordre (...) à la protection (...) de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

19.  Le Gouvernement ne conteste pas que le refus d'autoriser le transfert de l'urne d'un cimetière à un autre a constitué une ingérence dans la vie privée de la requérante. Il soutient toutefois que l'ingérence était prévue par la loi, qu'elle poursuivait des buts légitimes et était justifiée au regard de l'article 8 § 2 de la Convention.

20.  En ce qui concerne les buts légitimes, le Gouvernement remarque que le principe du caractère sacré de la tombe correspond à une tradition ancienne, fondée sur la vénération des défunts, une valeur universelle observée dans la plupart des cultures. Ainsi, le caractère restrictif de la loi et son application stricte par les autorités publiques auraient pour but de prévenir les troubles et de protéger la morale de la société dans son ensemble. Pour le Gouvernement, pareille démarche restrictive est aussi un bon moyen d'empêcher que cette question ne soit à l'origine de conflits entre proches. En outre, les cimetières et autres lieux d'inhumation ne devraient pas être considérés comme des lieux temporaires de dépôt de la dépouille ou des cendres d'un défunt. Autrement dit, ce qui serait en jeu serait le droit des personnes en vie de se voir assurées qu'après leur décès leur dépouille sera traitée avec respect. Par conséquent, l'atteinte portée au droit de la requérante en l'espèce aurait également servi à protéger les droits d'autrui.

21.  Quant à la question de la nécessité de l'atteinte, le Gouvernement considère que les Etats doivent jouir d'une grande marge d'appréciation dans une situation comme celle-ci, où les autorités et les tribunaux doivent mettre en balance l'intérêt de l'individu au changement de cimetière et le rôle de la société consistant à veiller à ce que les tombes ne soient pas dérangées. Qui plus est, rien ne laisserait penser qu'en l'espèce le mari de la requérante n'ait pas été inhumé conformément à ses vœux. En effet, il a été enterré dans la région où il avait vécu et travaillé pendant vingt-cinq ans ; il s'était installé à Fagersta avec son épouse après leur mariage ; il y avait élevé cinq enfants, son tombeau était un tombeau familial, assez grand pour accueillir, le cas échéant, sa famille entière. Le Gouvernement observe également qu'après le décès de son mari en 1963 la requérante est demeurée à Fagersta jusqu'en 1980. De surcroît, rien, en l'espèce, n'aurait empêché qu'Elli Poluha fût enterrée dans le même cimetière que son mari.

22.  La requérante combat les arguments du Gouvernement et soutient que la concession de Stockholm est la « véritable » concession familiale, ce qui ressortirait notamment du fait qu'elle est perpétuelle alors que la concession de Fagersta ne serait que temporaire. En outre, les enfants de la requérante auraient des liens avec Stockholm mais plus avec Fagersta.

23.  La Cour rappelle que les notions de vie privée et de vie familiale sont des notions larges qui ne peuvent faire l'objet d'une définition exhaustive (voir, par exemple, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III, et Pannullo et Forte c. France, no 37794/97, § 35, CEDH 2001‑X). Elle se réfère à la décision de la Commission européenne des droits de l'homme selon laquelle le vœu du requérant de voir ses cendres dispersées sur sa propriété relevait de la première notion (X c. Allemagne, no 8741/79, décision de la Commission du 10 mars 1981, Décisions et rapports 24, p. 137). Toutefois, dans cette affaire, la Commission conclut que, compte tenu des choix personnels en cause, toute réglementation des inhumations ne pouvait être considérée comme constitutive d'une ingérence dans l'exercice de ce droit, et déclara donc la requête irrecevable.

24.  En l'espèce, le Gouvernement ne conteste pas que le refus d'autoriser le transfert de l'urne s'analyse en une atteinte à la vie privée de la requérante. La Cour estime qu'il n'est pas nécessaire de déterminer si un tel refus se rapporte à la notion de vie privée ou à la notion de vie familiale, telles qu'énoncées à l'article 8 de la Convention, mais part de l'hypothèse qu'il y a eu ingérence au regard de l'article 8 § 1.

25.  Dès lors, il convient de déterminer si cette ingérence était justifiée sous l'angle de l'article 8 § 2 ou, plus précisément, si les autorités et les juridictions internes pouvaient légitimement considérer que le refus de transférer l'urne était « nécessaire, dans une société démocratique » pour la défense de l'ordre, la protection de la morale et/ou des droits d'autrui. Cette appréciation implique la mise en balance de l'intérêt d'un particulier au transfert d'une dépouille ou de cendres et celui de la société au respect du caractère sacré de la tombe. La Cour estime que cette question est si importante et sensible que les Etats doivent se voir reconnaître une ample marge d'appréciation.

26.  Dans la présente affaire, d'une part, le transfert de l'urne semble, en pratique, être relativement facile et aucun intérêt de santé publique ne paraît être en jeu. D'autre part, rien ne montre que le mari de la requérante n'ait pas été enterré conformément à ses vœux, au contraire. Il faut en principe supposer qu'un tel vœu a été pris en compte au moment de l'enterrement. En outre, à l'époque pertinente, même si le mari de la requérante n'avait aucun lien avec Stockholm, lui-même, la requérante ou les deux ensemble auraient pu décider qu'il serait enterré avec sa belle-famille dans la concession située à Stockholm, détenue par la famille depuis 1945. Au lieu de cela, lorsque le mari décéda, en 1963, la famille acquit une concession à Fagersta et il y fut enterré. C'était la ville où il avait vécu vingt-cinq ans, depuis son arrivée en Suède, et où il avait travaillé et élevé ses enfants.

27.  Enfin, rien n'empêchait la requérante de reposer dans la même tombe que son mari, même si cela devait être à Fagersta, la ville où elle était demeurée jusqu'en 1980, soit pendant dix-sept ans après le décès de son conjoint.

28.  La Cour conclut que les autorités suédoises ont tenu compte de toutes les circonstances significatives et les ont soigneusement mises en balance. Pour refuser le transfert de l'urne, elles ont invoqué des raisons pertinentes et suffisantes. Elles ont agi dans les limites de l'ample marge d'appréciation qui était la leur en la matière.

29.  Partant, il n'y a pas eu violation des droits de la requérante au titre de l'article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Dit, par quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2006, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally DolléJean-Paul Costa
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente commune aux juges Türmen, Ugrekhelidze et Mularoni.

J.-P.C.
S.D.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TÜRMEN, UGREKHELIDZE ET MULARONI

(Traduction)

Nous regrettons de ne pouvoir nous rallier à l'avis de la majorité selon lequel il n'y a pas eu violation des droits de la requérante au titre de l'article 8 de la Convention.

En vertu de la législation interne, l'autorisation de transférer une dépouille ou des cendres peut être accordée s'il existe à cela des raisons particulières et si le lieu de destination a été clairement défini. Le tombeau ne doit alors pas être ouvert d'une façon qui endommagerait la dépouille ou les cendres.

Selon les travaux préparatoires à la loi de 1990 sur les funérailles, le transfert de la dépouille ou des cendres peut être autorisé si un homme et son épouse doivent être réunis, en particulier lorsque celui qui est décédé en dernier ne peut, pour une raison donnée, être enterré au même endroit que son conjoint. Il faut notamment tenir compte, à cet égard, des vœux exprimés par le dernier décédé quant à un lieu commun d'enterrement (paragraphe 16 de l'arrêt).

Le Gouvernement ne conteste pas que le refus d'autoriser le transfert de l'urne dans un autre cimetière a constitué une atteinte à la vie privée de la requérante. Il soutient toutefois que l'atteinte était prévue par la loi, qu'elle servait des buts légitimes et était justifiée au regard de l'article 8 § 2 de la Convention.

Quant aux buts légitimes invoqués par le Gouvernement (paragraphe 20 de l'arrêt), nous sommes profondément convaincus que le principe du caractère sacré de la tombe est d'une importance majeure et doit être respecté. Toutefois, nous avons peine à voir en quoi le transfert de l'urne du mari de la requérante de la concession de Fagersta à la concession familiale à Stockholm pouvait porter atteinte à ce principe. Le transfert demandé se serait fait d'un lieu sacré à un autre lieu sacré, sans risque d'atteinte à l'ordre ou à la morale. Il n'y avait aucun conflit familial, la requérante et ses cinq enfants, les seuls héritiers, étant d'accord pour un transfert. Même si nous souscrivons à l'idée que le transfert de la dépouille ou des cendres doit être strictement réglementé pour que leur respect soit garanti, rien dans les circonstances de l'espèce ne nous donne à penser que la requérante et ses enfants considéraient les cimetières et les tombeaux comme des lieux temporaires de dépôt pour les cendres du défunt. Le caractère sacré de la tombe et le respect dû aux défunts peut se manifester sous différentes formes, par exemple une visite sur la tombe ou le dépôt de fleurs. Dès lors, on ne peut guère dire selon nous que l'atteinte aux droits de la requérante au titre de l'article 8 poursuivait un but légitime.


Cela étant, même à supposer que l'atteinte aux droits de la requérante au regard de l'article 8 puisse passer pour avoir poursuivi un ou plusieurs buts légitimes, les arguments du Gouvernement (paragraphe 21 de l'arrêt) et de la majorité (paragraphes 26 et 27 de l'arrêt) concernant la « nécessité de l'ingérence dans une société démocratique » ne nous paraissent pas convaincants.

Comme la majorité le souligne, le transfert de l'urne paraît, d'un point de vue pratique, être relativement facile et aucun intérêt de santé publique ne semble être en jeu ; les autorités internes n'ont en effet jamais invoqué de telles raisons, le mari de la requérante étant décédé trente-quatre ans avant que le tribunal administratif départemental ne rendît sa décision, le 5 septembre 1997, et les cendres du défunt se trouvant dans une urne.

Il est vrai que rien n'indique que le mari de la requérante n'ait pas été enterré conformément à ses vœux. Néanmoins, il est également vrai que la requérante n'a exprimé aucun souhait quant au lieu de repos de son mari et la loi de 1990 sur les funérailles prévoit qu'une attention particulière doit être accordée aux vœux de l'époux survivant quant au lieu d'inhumation commun.

La requérante et ses enfants vivaient à Fagersta lorsque le mari décéda, en mai 1963. Nous comprenons sans peine que la requérante ait décidé à l'époque de faire enterrer son mari dans la ville où elle et ses enfants demeuraient, dans la mesure où il était aisé pour toute la famille de se rendre au cimetière. Les enfants ayant grandi, la requérante s'installa en 1980 à Västeras pour s'en rapprocher. En 1996, ayant choisi d'être enterrée dans la concession familiale de Stockholm, elle demanda aux organismes qui gèrent les cimetières, puis aux juridictions internes, d'autoriser le transfert de l'urne de son mari dans cette concession, en précisant qu'elle n'avait plus de liens avec Fagersta, que tous ses enfants étaient d'accord avec le transfert et que son mari ne s'y serait pas opposé.

En outre, la concession de Stockholm est une concession familiale, le contrat en est irrévocable, alors qu'à Fagersta il n'est que temporaire.

Compte tenu de ce qui précède, nous considérons que l'intérêt de la requérante à voir les cendres de son époux transférées dans la tombe familiale à Stockholm devait l'emporter sur l'intérêt public invoqué par le Gouvernement.

Nous concluons donc que, même à supposer que l'atteinte aux droits de la requérante au titre de l'article 8 poursuivît des buts légitimes, elle n'était pas nécessaire, dans une société démocratique. Dès lors, nous estimons qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.

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