CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE ZENTAR c. FRANCE, 13 avril 2006, 17902/02

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 13 avr. 2006, n° 17902/02
Numéro(s) : 17902/02
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A.M. c. Italie, no 37019/97, 14 décembre 1999, § 25
Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V
Bouilly c. France (no 2), no 57115/00, § 29, 24 juin 2003
Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36
Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, § 49
Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A no 191-A, § 37
Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 261-C, §§ 43-44
Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, §§ 49-51
Vidal c. Belgique (article 50), arrêt du 28 octobre 1992, série A no 235-E, § 9
Mayali c. France, no 69116/01, §§ 23-26, 35, 14 juin 2005
P.S. c. Allemagne, no 33900/96, 20 décembre 2001, §§ 22-24
Rachdad c. France, no 1846/01, § 19, 13 novembre 2003
Sejdovic c. Italie, [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 6-3-d ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédures nationale et de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-73338
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0413JUD001790202
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ZENTAR c. FRANCE

(Requête no 17902/02)

ARRÊT

STRASBOURG

13 avril 2006

DÉFINITIF

13/07/2006 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zentar c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
J.-P. Costa,
C. Bîrsan,
MmesM. Tsatsa-Nikolovska,
R. Jaeger,
M.E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17902/02) dirigée contre la République française dont M. Mustapha Zentar (« le requérant »), de nationalité algérienne, a saisi la Cour le 8 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Nino Parravicini, avocat au barreau de Nice. Le gouvernement défendeur (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Madame Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 16 décembre 2004, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1963 et réside à Nice.

A.  La genèse de l’affaire

5.  Le 9 octobre 1995, le commissariat de Nice avisa les services de police frontaliers d’avoir reçu un renseignement téléphonique anonyme dénonçant le passage ce jour là à la frontière italienne de quatre véhicules faussement immatriculés. Le dénonciateur – ultérieurement identifié en la personne de Dominique Sereir – fournissait les types de véhicules, leurs immatriculations ainsi que les heures et points de passage. La surveillance immédiatement mise en place permit d’identifier et d’interpeller un certain nombre d’individus, dont les trois frères du requérant (Mahmoud, Samir et Mourad Zentar), tous à bord ou porteurs de clés de véhicules déclarés volées en août et septembre 1995, lesquels étaient en outre munis de fausses plaques et disposaient de documents administratifs falsifiés.

B.  L’instruction

6.  Le 13 octobre 1995, un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nice ouvrit une information judiciaire principalement pour recel commis en bande organisée, vol, complicité, faux et usage commis dans un document administratif, usage de fausses plaques d’immatriculation et séjour irrégulier sur le territoire français.

7.  Très vite, dans le cadre de l’instruction qui s’ensuivit, les frères Zentar mirent en cause le dénommé Sereir, avec lequel ils étaient en conflit. Les investigations effectuées permirent de mettre à jour un vaste trafic international de voitures volées, opérant en France, en Italie et en Algérie au travers de trois filières étroitement imbriquées les unes aux autres. Dans un premier temps, deux réseaux se cristallisèrent : celui de Dominique Sereir et celui de Mourad Zentar, ce dernier s’étant émancipé du système Sereir et ayant développé son propre trafic. Par la suite, un troisième réseau fut identifié, dirigé par Mustapha Aouine, lui-même ancien associé de Mourad Zentar.

8.  En décembre 1995, quatre individus furent interpellés sur le port de La Spezia, en Italie, alors qu’ils convoyaient des véhicules utilitaires déclarés volés en juin et novembre 1995 à Paris ; il s’agissait de MM. Hebri, Ben Saïd, Abdoussemad et Gullac. Tous mirent en cause un certain Georges Tannous, et seul l’un d’entres eux, Leni Ben Saïd, reconnut sur une planche photographique présentée par la police le requérant, comme étant l’homme qui leur avait remis les véhicules et une carte de visite d’une société « Tannous Import Export », située au 43 rue Myrrha à Paris, indiquant un numéro de téléphone et de télécopie. Après enquête, il s’avéra que l’identité de Georges Tannous avait déjà été usurpée par un certain Mohamed Benani aux fins d’obtenir un crédit-bail pour l’achat d’une voiture. Ce dernier, en septembre 1996, avait d’ailleurs été interpellé puis placé en détention provisoire dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour escroquerie par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Créteil.

9.  Interrogé le 17 décembre 1996 sur les véhicules interceptés au port de La Spezia et sur la mise à jour du trafic de voitures impliquant les frères Zentar, M. Benani indiqua ne connaître que le requérant, Mustapha Zentar dit « Nino », qu’il avait hébergé pendant une courte période dans un local commercial qu’il louait au 43 rue Myrrha à Paris. Il précisa que c’était le requérant qui lui avait permis d’acheter les pièces d’identité volées et que selon lui, ce dernier, à son insu, avait pu utilisé l’identité de Georges Tannous ainsi que l’adresse du local commercial et les numéros de téléphone et télécopie correspondant pour les besoins du trafic de voitures.

10.  Entre-temps, suite à un contrôle d’identité opéré par la police de Gennevilliers, le requérant, en situation irrégulière sur le territoire français, fit l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière en date du 18 août 1996. Le requérant déposa un recours en vue de l’annulation dudit arrêté. Par un jugement du 21 août 1996, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête comme étant tardive ; par la suite, le requérant fut expulsé vers l’Algérie.

11.  Le 26 mai 1998, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nice en charge du dossier décerna un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant.

12.  Aux termes d’une ordonnance rendue le 26 février 1999 concernant une trentaine de mis en examen, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nice pour avoir, à Paris, courant 1995 et 1996, sciemment recelé en bande organisée trois véhicules utilitaires volés et fait usage de fausses plaques d’immatriculation ainsi que de documents administratifs falsifiés.

C.  La phase de jugement

13.  Par un jugement du 23 novembre 1999, le tribunal correctionnel, statuant par défaut à l’égard du requérant, le déclara coupable des faits reprochés et le condamna à quatre d’ans d’emprisonnement, décernant en outre un nouveau mandat d’arrêt à son encontre. De tous les mis en examen, le requérant, avec trois autres prévenus, écopa de la peine la plus lourde ; Mohamed Benani, quant à lui, fut condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis. En ce qui concerne le requérant, le tribunal précisa ce qui suit :

« Zentar Mustapha dit « Nino », dit « Tannous ».

Il était formellement mis en cause par Benani Mohamed (aux côtes D. 444, D. 445, D. 446) comme ayant participé au trafic de véhicules ainsi d’ailleurs que par Sereir Djelloul à la côte D. 192 ;

De même, il était formellement mis en cause à la côte D. 400 par un dénommé Hebri Ramdane (...) qui devait transporter des véhicules pour le compte [du requérant] ;

Il sera en conséquence retenu dans les liens de la prévention ; »

14.  A une date non précisée, le requérant retourna irrégulièrement en France où, le 12 août 2000, il fut interpellé par la police. Le même jour, après avoir eu connaissance du jugement du 23 novembre 1999, il forma opposition.

15.  Le 31 octobre 2000, le requérant comparut en personne à l’audience publique du tribunal correctionnel de Nice. Il y déposa des conclusions dans lesquelles il plaidait sa relaxe et, subsidiairement, demandait à être confronté avec MM. Lemi Ben Saïd et Mohamed Benani ; il y détaillait également les rouages du trafic de voitures, en précisant que ces informations avaient été recueillies par l’intermédiaire de son frère Mourad et de Mustapha Aouine, tous deux incarcérés avec lui à la maison d’arrêt de Nice.

16.  Le 14 novembre 2000, le tribunal vida son délibéré : il déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à deux ans d’emprisonnement. Il statua en ces termes :

« (...)

Après l’interpellation de Zentar Mourad, son frère Zentar Mustapha alias Nino prenait la relève. Trois convoyeurs, Hebri Ramdam, Ben Saïd Leni et Boudim Adboussemad, interpellés sur le port de la Spézia alors qu’ils convoyaient une Citroën volée le 27 juin 1995 à Paris, un Peugeot Bonus volé le 21 novembre 1995 à Paris et un Jumpo volé le 16 novembre 1995 à Levallois, mettaient en cause un dénommé Tannous George qui s’avérait être un nom usurpé par Zentar Mustapha et son ami Benani.

Le nommé Ben Saïd reconnaissait sur photo [le requérant] comme étant l’homme leur ayant remis les trois véhicules sus-indiqués.

Dans un premier temps, la fausse identité de Tannous avait été utilisée par Benani Mohamed dans le cadre d’escroquerie au leasing faisant l’objet d’une information judiciaire à Créteil.

Dans le cadre du présent dossier, le local et le fax utilisés par [le requérant] étaient fournis par Benani, ce qui permettait d’expédier les trois véhicules interceptés à la Spézia.

Nonobstant les déclarations [du requérant], il apparaissait que Benani lui avait acheté une pièce d’identité. Il reconnaissait avoir hébergé [le requérant] dans un local dont il disposait, que ce dernier avait utilisé la fausse identité que lui-même avait pu obtenir à savoir celle de Tannous contestant cependant être malgré les invraisemblances au courant des faits reprochés au [requérant].

Zentar Mustapha dit Nino dit Tannous était formellement mis en cause par Benani Mohamed aux côtes D. 444, D. 445, D. 446 comme ayant participé au trafic de véhicules ainsi d’ailleurs que par Sereir Djelloul à la côte D. 192.

De même, il était formellement mis en cause à la côte D. 400 par un dénommé Hebri Ramdam qui devait transporter des véhicules pour le compte [du requérant].

Nonobstant ses nombreuses mises en cause et les éléments objectifs, Zentar Mustapha continuera tout au long de l’audience à nier les faits qui lui sont reprochés pour autant outre les mises en cause visées aux côtes également D. 399 et D. 400, D. 445, D. 446, D. 448, D. 455 et D. 585, [le requérant] n’hésitera pas à écrire au Président de la 6ème Chambre Correctionnelle, le 9 octobre 2000 pour expliciter d’une façon particulièrement précise et circonstanciée l’ensemble des conditions dans lesquelles les trafics des véhicules volés s’effectuaient. Ceci établit s’il en était encore besoin la parfaite connaissance du réseau et des circonstances dans lesquelles les trafics incriminés s’effectuaient.

Ces précisions ne peuvent être que l’œuvre d’un organisateur de réseau.

En conséquence, [le requérant] sera reçu en son opposition, déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et en répression condamné à deux ans d’emprisonnement.

(...) »

17.  Le 15 novembre 2000, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Il déposa à l’audience publique du 3 janvier 2001 des conclusions. Au principal, le requérant plaidait sa relaxe pure et simple, dénonçant, d’une part, les invraisemblances de l’instruction qui était selon lui essentiellement à charge et, d’autre part, alléguant sa complète extranéité aux faits reprochés, soutenant qu’il était en fait victime d’un « règlement de comptes » entre son frère Mourad et Dominique Sereir. A titre subsidiaire, invoquant notamment l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention et citant la jurisprudence de la Cour, le requérant sollicitait un supplément d’information et une confrontation avec les témoins à charge Leni Ben Saïd et Mohamed Benani.

18.  Par un arrêt du 7 février 2001, la cour d’appel confirma le jugement attaqué et ordonna son maintien en détention. Elle motiva ainsi sa décision :

« (...) Sur la culpabilité,

Attendu que pour déclarer coupable et condamner [le requérant] (...), les premiers juges, dans une analyse détaillée, argumentée en fait et en droit, que la Cour entend adopter expressément ont justement relevé qu’après l’interpellation de son frère Mourad, Mustapha « avait pris la relève » ; que trois convoyeurs des véhicules volés (...) avaient mis en cause un dénommé Tannous Georges qui devait s’avérer être un nom usurpé par [le requérant] ; que l’un de ces convoyeurs, Ben Saïd Lemi, l’avait formellement reconnu comme étant l’individu se faisant appeler Tannous (...) ; qu’il a, en outre, été formellement mis en cause par Benani Mohamed (...) qui a reconnu avoir lui-même utilisé cette identité pour commettre une escroquerie au leasing et a déclaré que [le requérant], surnommé « Nino », qui avait eu connaissance de cette fausse identité alors qu’il l’hébergeait, à sa demande, dans un studio sis au 43, Rue Myrrha à Paris 18ème, en avait fait usage à son tour pour les besoins du trafic de véhicules volés qu’il gérait ;

Qu’il convient, en outre, de relever que, selon Ben Saïd Lemi, « Tannous » leur avait remis à Villeneuve La Garenne, en mains propres, la carte grise de chaque véhicule, une clef unique et un papier à remettre à un transitaire italien, un certain Roberto, ainsi qu’une somme de 2 000 F en espèces et une autre couvrant les frais de route et une carte de visite d’une société située rue Myrrha à Paris ; que ces déclarations ont été confortées par la saisie de cette carte par les services de police italiens (...) ;

Qu’eu égard à ces déclarations et constatations, qui ne peuvent être le fruit de l’imagination des enquêteurs ou de rivaux soucieux de se venger d’une dénonciation quelconque et qui ne laissent aucun doute sur la participation active et volontaire de Mustapha Zentar au trafic de véhicules volés qui lui est reproché, il n’apparaît pas nécessaire de procéder à un supplément d’information ni à une confrontation avec les témoins à charge, tous de nationalité étrangère, en situation irrégulière pour certains sur le territoire national et dont on ne sait où ils résident aujourd’hui ; qu’il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité de l’intéressé ;

(...).»

19.  Citant notamment l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant forma un pourvoi en cassation.

20.  Le 11 décembre 2001, la Cour de cassation rejeta son pourvoi au motif suivant :

« Attendu que saisie par [le requérant] de conclusions sollicitant sa confrontation avec deux témoins, qui l’avaient mis en cause au cours de l’information à laquelle il n’avait pas participé étant en fuite, les juges ont rejeté cette demande aux motifs, notamment, que ces témoins sont de nationalité étrangère, en situation irrégulière sur le territoire national et « qu’on ne sait où ils résident aujourd’hui » ;

Attendu qu’en statuant ainsi les juges qui ont constaté l’impossibilité de faire comparaître les témoins dont l’audition était réclamée, ont justifié leur décision sans méconnaître les texte conventionnel invoqué au moyen lequel, dès lors, ne peut être accueilli ;

(...) »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans les arrêts Rachdad c. France (no 1846/01, § 19, 13 novembre 2003) et Mayali c. France (no 69116/01, §§ 23-26, 14 juin 2005).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

21.  Le requérant clame son innocence. Il se plaint d’avoir été injustement condamné sur le fondement exclusif de déclarations de deux témoins à charge (MM. Lemi Ben Saïd et Mohamed Benani) qu’il n’a pu, à aucun stade de la procédure, ni interroger ni faire interroger. En outre, il soutient, contrairement à ce qu’affirment la cour d’appel d’Aix-en-Provence et la Cour de cassation, que son principal accusateur (M. Mohamed Benani) était parfaitement localisable étant donné que lors de sa comparution le 23 novembre 1999 devant le tribunal correctionnel de Nice, il avait déclaré résider à une adresse précise à Paris, être marié et avoir six enfants. Le requérant invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, qui dispose :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

22.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

23.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

24.  Le Gouvernement, après avoir rappelé la jurisprudence pertinente de la Cour en matière d’audition de témoins, estime qu’il ressort de la procédure en cause qu’il était difficile de procéder aux confrontations demandées, en raison du fait que les témoins étaient tous de nationalité étrangère, pour certains en situation irrégulière sur le territoire national et dont on se savait où ils résidaient aujourd’hui. Il admet cependant qu’il n’y a pas eu de mesures particulières ordonnées permettant de retrouver lesdits témoins.

Le Gouvernement souligne ensuite que le requérant n’a pas été condamné uniquement sur la base des témoignages de MM. Mohamed Benani et Leni Ben Saïd, mais également sur ses propres indications quant à l’organisation du réseau dans lequel il était soupçonné d’être impliqué. Toutefois, il admet que si ces explications ont revêtu une importance capitale pour les juges internes, elles ne constituaient pas à elles seules une preuve suffisante, et reconnaît que la condamnation de M. Zentar était fondée en grande partie sur les témoignages à charge de MM. Benani et Ben Saïd.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief.

25.  Le requérant invite la Cour à conclure à une violation de la Convention.

26.  Comme les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, § 49).

Ceci étant, la Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne, et qu’en principe il revient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, entre autres, Van Mechelen et autres précité, § 50).

Les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne saurait les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 commandent d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus tard (voir, par exemple, Van Mechelen et autres précité, § 51, et Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, § 49).

La Cour a au demeurant clairement établi que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l’article 6 lorsqu’une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur les dépositions d’un témoin que ni au stade de l’instruction ni pendant les débats l’accusé n’a eu la possibilité d’interroger ou faire interroger (voir, notamment, Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A no 191-A, § 37, Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 261-C, §§ 43-44, A.M. c. Italie, no 37019/97, 14 décembre 1999, § 25, et P.S. c. Allemagne, no 33900/96, 20 décembre 2001, §§ 22-24).

Ainsi, l’article 6 n’autorise les juridictions à fonder une condamnation sur les dépositions d’un témoin à charge que l’ « accusé » ou son conseil n’ont pu interroger à aucun stade de la procédure, que dans les limites suivantes : premièrement, lorsque le défaut de confrontation est dû à l’impossibilité de localiser le témoin, il doit être établi que les autorités compétentes ont activement recherché celui-ci aux fins de permettre cette confrontation ; deuxièmement, le témoignage litigieux ne peut en tout état de cause constituer le seul élément sur lequel repose la condamnation.

27.  En l’espèce, la Cour note qu’au cours de l’instruction judiciaire, le requérant, ayant été expulsé vers l’Algérie, ne fut jamais entendu par le magistrat compétent et ne put ni solliciter une mesure d’instruction particulière, ni être confronté à ses accusateurs ; on notera à cet égard que selon la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 décembre 2001, le requérant apparaît comme un individu en fuite, alors qu’il ressort du dossier qu’il se trouvait, à l’époque des faits, dans son pays d’origine suite à son expulsion. Par ailleurs, durant la phase de jugement, ses demandes d’audition répétées furent toutes rejetées. Il est ainsi constant que le requérant ne put, à aucun stade de la procédure, interroger ou faire interroger les témoins à charge en cause.

28.  Il revient donc à la Cour d’apprécier si la condamnation du requérant se fondait exclusivement ou à un degré déterminant sur les dépositions desdits témoins qu’il n’a pu interroger et, dans la négative, si les autorités compétentes ont activement recherché ces personnes aux fins de permettre leur confrontation avec le requérant, ou tout au moins de lui donner la possibilité de les faire interroger.

29.  Ce faisant, il est clair que les déclarations en question ne constituaient pas le fondement exclusif sur lequel les juges du fond ont basé la condamnation du requérant. En effet, il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Nice du 23 novembre 1999 rendu par défaut, et de celui du 14 novembre 2000, que deux autres témoignages (ceux de Djelloul Sereir et de Hebri Ramdam), ainsi que les propres déclarations du requérant explicitant l’organisation du réseau, ont été pris en compte. En revanche, en cause d’appel, les dépositions de MM. Ben Saïd et Benani, outre la saisie d’une carte de visite de la société « Tannous Import Export » par la police italienne, apparaissent comme étant les principaux éléments de preuve sur lesquels la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est fondée. Il est donc raisonnable de penser que les témoignages contestés ont joué un rôle décisif dans l’appréciation des juges du fond quant à la culpabilité du requérant puisque, d’une part, seul Lemi Ben Saïd reconnut formellement le requérant sur photographie comme étant l’homme se faisant appeler Georges Tannous et, d’autre part, Mohamed Benani (qui avait auparavant usurpé cette fausse identité dans le cadre d’une escroquerie au crédit) mettait sur le compte du requérant l’utilisation de son local commercial, de son numéro de téléphone et de télécopie pour les besoins du trafic de voitures. En outre, la Cour note que le Gouvernement admet que la condamnation du requérant a été fondée « en grande partie » sur les témoignages à charge des personnes susnommées.

30.  En tout état de cause, même à supposer que la culpabilité du requérant n’ait pas été fondée dans une mesure déterminante sur les déclarations litigieuses, force est de constater que les autorités internes, comme le reconnaît le Gouvernement, n’effectuèrent aucune démarche en vue de localiser les deux témoins à charge considérés. S’agissant en particulier de Mohamed Benani, il ressort du dossier, comme le souligne à juste titre le requérant, que ce témoin était localisable dans la mesure où à l’audience du 23 novembre 1999 devant le tribunal correctionnel de Nice, il avait déclaré résider à une adresse précise à Paris, ce qui laisse présumer que les autorités nationales disposaient des éléments nécessaires pour se lancer à sa recherche. Bref, l’impossibilité d’interroger les témoins à charge doit être regardée en l’espèce comme imputable aux autorités nationales. Au surplus, la Cour note que le parquet aurait pu se fonder sur l’article 560 du code de procédure pénale et requérir un agent de la police judiciaire pour chercher plus activement les témoins en cause (voir, sur ce point, Mayali précité, § 35).

31.  En conclusion, le requérant n’a pas eu une occasion suffisante et adéquate de contester les déclarations des témoins sur lesquelles sa condamnation a été fondée. Vu l’importance particulière que revêt le respect des droits de la défense dans le procès pénal, la Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

33.  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, qui tiendrait à l’impossibilité d’obtenir un titre de séjour en France suite à sa condamnation pénale, et à l’inscription sur son casier judiciaire de cette condamnation. Au titre du préjudice moral, il réclame 300 000 EUR.

34.  Le Gouvernement estime les prétentions du requérant non fondées et disproportionnées. Pour ce qui est du préjudice matériel, il considère qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice allégué. S’agissant du dommage moral, il estime que l’éventuel constat de la violation constituerait une réparation suffisante.

35.  La Cour estime d’abord que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Sejdovic c. Italie, [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006‑...). La Cour rappelle ensuite que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d’une méconnaissance de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention : la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas joui de toutes les garanties de l’article 6 (voir, par exemple, Delta précité, § 48). Elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure litigieuse aurait abouti si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu. En outre, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les préjudices matériels dont le requérant fait état, de sorte qu’il y a lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir par exemple, mutatis mutandis, Vidal c. Belgique (article 50), arrêt du 28 octobre 1992, série A no 235-E, § 9). Elle juge néanmoins que le requérant a incontestablement subi un dommage moral. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie la somme de 3 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

36.  Le requérant demande également 8 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence et ceux encourus devant la Cour. Il produit à cet égard deux notes d’honoraires émises par son avocat d’un montant de 457, 35 EUR pour l’une et de 1 196 EUR pour l’autre.

37.  Le Gouvernement constate que le montant demandé n’est justifié qu’à hauteur de 1 653, 35 EUR par la production de deux notes d’honoraires. Il propose en conséquence de verser cette somme au requérant, dans l’hypothèse où la Cour conclurait à une violation de la Convention.

38.  La Cour rappelle que lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu’ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36, et Bouilly c. France (no 2), no 57115/00, § 29, 24 juin 2003). Elle rappelle également qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l’espèce, la Cour constate que la somme réclamée n’est justifiée qu’à hauteur de 1 653, 35 EUR. Par conséquent, elle alloue au requérant 1 653, 35 EUR, TVA comprise, pour frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

39.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 1 653, 35 EUR (mille six cent cinquante-trois euros trente-cinq centimes) pour frais et dépens, taxe sur la valeur ajoutée comprise, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE ZENTAR c. FRANCE, 13 avril 2006, 17902/02