CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GERARD BERNARD c. FRANCE, 26 septembre 2006, 27678/02

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 26 sept. 2006, n° 27678/02
Numéro(s) : 27678/02
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 11 juillet 2002
Jurisprudence de Strasbourg : Bouchet c. France, no 33591/96, § 40, 20 mars 2001
Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, par. 35
Matznetter c. Autriche, arrêt du 10 novembre 1969, série A no 9, pp. 32-33, § 9
Clooth c. Belgique, arrêt du 12 décembre 1991, série A no 225, p. 15, § 40
Leutscher c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 436, § 31
Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, p.37, § 98
Neumeister c. Autriche, arrêt du 27 juin 1968, série A no 8, p. 39, §§ 9, 10
Dumont-Maliverg c. France, nos 57547/00 et 68591/01, §§ 68, 69, 31 mai 2005
Gombert et Gochgarian c. France, nos 39779/98 et 39781/98, §§ 39, 48, 13 février 2001
Gosselin c. France (déc), no 66224/01, 6 avril 2004
Gosselin c. France, no 66224/01, 13 septembre 2005
I.A. c. France du 23 septembre 1998, Recueil 1998 VII, pp. 2978 2979, §§ 102, 104
Labita c. Italie [GC], no 26772/95, CEDH-2000, § 152
Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35
Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, CEDH 2002-VIII
Zannouti c. France, no 42211/98, § 43, 31 juillet 2001
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 5-3 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-77015
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0926JUD002767802
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÉRARD BERNARD c. FRANCE

(Requête no 27678/02)

ARRÊT

STRASBOURG

26 septembre 2006

DÉFINITIF

26/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Gérard Bernard c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
MmesA. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de M.S. Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 27678/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gérard Bernard (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 juillet 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 25 août 2005, la deuxième section a décidé de communiquer le grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

4.  Le requérant, M. Gérard Bernard, est né en 1961 et réside à Lorient.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. La genèse et le contexte de l'affaire

5.  Le 28 septembre 1999, à Plévin dans le Finistère, plusieurs personnes commirent un vol à main armée dans le dépôt de la société « SA Titanite ». Les auteurs, au nombre de six à huit, repartirent à bord de véhicules stationnés devant les entrepôts de ladite société. Ils emportèrent avec eux 7 725 kilogrammes de dynamite, 400 kilogrammes de nitrate, 11 kilomètres de cordeau détonnant, 4 612 détonateurs électriques, 1 142 détonateurs pyrotechniques ainsi que deux téléphones cellulaires. Les investigations s'orientèrent aussitôt vers la branche militaire de l'organisation séparatiste basque Euzkadi Ta Askatasuna (ci-après « ETA », qui signifie Pays Basque et liberté).

L'affaire qui s'ensuivit, dite « du vol d'explosifs de Plévin », donna lieu à un arrêt rendu le 29 juin 2005 par la cour d'assises spéciale de Paris. Elle fut instruite parallèlement à un autre dossier, dit des « attentats et tentatives d'attentats commis en Bretagne entre 1993 et 2000 », qui aboutit à un arrêt du 26 mars 2004 de la cour d'assises spéciale de Paris.

B. Le déroulement de l'instruction et la phase de jugement de l'affaire du vol d'explosifs de Plévin

6.  Le 30 septembre 1999, trois membres présumés de l'ETA (MM. J.B. Arreche, A. Perurena Pascual et J.F. Segurola Mayoz) furent arrêtés à Idron, dans les Pyrénées-Atlantiques, en possession d'une partie des matériaux dérobés au dépôt de la société « SA Titanite », à savoir 2 525 kilogrammes de dynamite et 2 096 détonateurs.

7.  Une information judiciaire fut ouverte le 4 octobre 1999. Le Gouvernement souligne que les investigations qui s'ensuivirent allaient conduire à l'interpellation et la mise en examen de vingt et une personnes, à la découverte de plusieurs logements, caves, et véhicules qui se révélèrent par la suite avoir été utilisés dans le cadre de la préparation et du vol commis à Plévin, ainsi que pour permettre la fuite des auteurs. Il soutient que plus de vingt commissions rogatoires furent ordonnées et huit expertises diligentées, parmi lesquelles certaines étaient parfois très complexes dans la mesure où elles portaient sur les engins explosifs, les armes et munitions, les documents administratifs découverts sur les personnes, dans les véhicules, maisons et appartements, sur le matériel informatique, etc. Il avance qu'au regard des faits nouveaux apparus au cours de l'instruction, sept réquisitoires supplétifs furent délivrés, le 13 novembre 1999, le 17 décembre 1999, les 18 et 20 janvier 2000, le 23 mai 2000, les 3 et 9 octobre 2000.

8.  Le 4 octobre 1999, deux des trois personnes arrêtées le 30 septembre 1999 furent mises en examen et placées en détention provisoire, pour vol d'explosifs et recel de vol de plusieurs véhicules motorisés commis en bande organisée avec usage ou menace d'armes en relation avec une entreprise terroriste, détention d'explosifs, d'armes prohibées, de faux documents administratifs et usage de fausses plaques d'immatriculation, et pour association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme. Elles étaient soupçonnées d'avoir été accueillies du 23 au 27 septembre 1999 en Bretagne par deux membres présumés de l'Armée Révolutionnaire Bretonne (ci-après « A.R.B. ») et hébergées, avec l'aide du requérant, chez MM. H. Richard et R. Le Faucheux. Deux autres membres présumés de l'ETA, MM. A. Oyarzabal Chapartegui et B.F. Martinez Vergara, furent par la suite interpellés et placés en détention provisoire respectivement les 23 septembre 2001 et 1er juin 2004.

9.  Entre le 4 octobre et le 17 décembre 1999, sept membres présumés de l'A.R.B. (dont le requérant) furent interpellés, mis en examen et placés en détention provisoire. Deux autres membres (MM. P. Laizé et S. Philippe), interpellés en mai 2000 dans le cadre du dossier « attentats et tentatives commis en Bretagne entre 1993 et 2000 », ne firent pas l'objet d'un placement en détention provisoire dans la présente affaire, et un autre membre (C. Georgeault) fut placé en détention le 3 octobre 2000. Tous furent mis en examen pour recel de vol commis en bande organisée avec usage ou menace d'armes en relation avec une entreprise terroriste, complicité de vol et association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme – soit isolément, soit cumulativement. Parmi ces dix personnes, les sept individus placés en détention provisoire entre octobre et décembre 1999 furent remis en liberté assortie d'un contrôle judiciaire le 14 octobre 1999 (M. J.C. Grall), le 25 janvier 2000 (M. R. Le Faucheux), le 29 septembre 2000 (M. B. Grimault), le 22 décembre 2000 (M. D. Riou), le 19 juin 2001 (M. A. Solé), le 10 juin 2002 (M. A. Vannier) et le 21 octobre 2002 (le requérant), et une personne placée en détention le 3 octobre 2000 fut remise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire le 26 septembre 2002 (M. C. Georgeault).

10.  En ce qui concerne le requérant, celui-ci fut interpellé le 9 novembre 1999 lors d'un contrôle routier alors qu'il se rendait au Pays Basque ; il était porteur de deux armes de poings prohibées. Placé en garde à vue, il affirma ignorer que les basques étaient venus en Bretagne pour commettre un vol d'explosif, reconnaissait savoir que les basques devaient réaliser une opération qui allait « faire du bruit », mais contesta appartenir à l'A.R.B. Il reconnut être détenteur de deux pistolets de calibre 9 millimètres acquis au marché noir tout en précisant ne les avoir jamais utilisés autrement que pour s'exercer au tir.

11.  Par une ordonnance du 13 novembre 1999, il fut mis en examen des chefs « d'association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme, infractions à la législation sur les armes, recel de vol commis en bande organisée précédé ou accompagné ou suivi de violences sur autrui et avec usage ou menace d'armes, détention d'explosifs, toutes infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l'intimidation ou la terreur », puis placé sous mandat de dépôt le même jour.

12.  Le 6 janvier 2000, le requérant fut auditionné par le juge d'instruction, devant lequel il confirma les déclarations faites au cours de sa garde à vue, ajoutant que c'était d'initiative et par mesure de sécurité qu'il avait mis à disposition des basques deux logements, sans pour autant révéler l'identité de la personne lui ayant annoncé l'arrivée de ces derniers.

13.  Le 19 mai 2000, le requérant fut entendu par le juge. Il précisa que son rôle s'était limité à fournir les logements et à faire disparaître les explosifs. Il refusa d'indiquer ce qu'il était advenu des explosifs non retrouvés et admit que leur utilisation, lors d'une tentative d'attentat contre la poste de Rennes et lors des attentats contre les restaurants Mc Donald's de Pornic et de Quévert en avril 2000, au cours duquel une employée avait trouvé la mort, ne pouvait être exclue.

14.  Lors de son interrogatoire le 10 novembre 2000, le requérant contesta les déclarations de témoins auditionnés au cours de l'information judiciaire selon lesquelles il avait été vu, le soir des faits, en compagnie d'un certain Denis Riou dans plusieurs bars de Lorient et avait évoqué un dépôt d'explosif puis indiqué « qu'on allait parler d'eux ».

15.  Interrogé le 26 avril 2001, le requérant, tout en déniant son appartenance à l'A.R.B., expliquait qu'il entendait poursuivre la lutte pour l'indépendance de la Bretagne par « tous les moyens », à travers une « lutte culturelle, politique et syndicale ».

16.  Le 21 décembre 2001, le requérant fut de nouveau entendu. Il reconnaissait que les explosifs, qui avaient été restitués par l'A.R.B. en cours d'information, étaient effectivement ceux qui se trouvaient dans la cave d'Hugues Richard qu'il fit évacuer.

17.  Le 14 octobre 2002 eut lieu l'interrogatoire récapitulatif du requérant.

18.  Le 26 septembre 2003, la juge d'instruction rendit une ordonnance de mise en accusation et de renvoi, devant la cour d'assises spéciale de Paris, des quinze membres présumés de l'ETA et de l'A.R.B. (dont le requérant). Par un arrêt du 23 janvier 2004, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance entreprise.

19.  Le 2 juillet 2004, le président de la cour d'assises de Paris ordonna un supplément d'information aux fins d'interroger M. Benito Martinez Vergara suite à son arrestation le 1er juin 2004, sur mandat d'arrêt.

20.  Par un arrêt du 29 juin 2005, la cour d'assises de Paris spécialement composée condamna le requérant à six ans d'emprisonnement pour les faits qui lui étaient reprochés. Ce dernier ne releva pas appel du jugement.

C. La phase de la procédure relative à la détention provisoire du requérant

1. Les ordonnances de placement et de prolongation de la détention

21.  Le 13 novembre 1999, le requérant fut placé en détention provisoire pour les motifs suivants :

« Attendu que la personne (...) encourt une peine criminelle,

Attendu que les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes (...).

Attendu que la détention provisoire de la personne mise en examen est l'unique moyen :

- de conserver les preuves ou les indices matériels

- d'empêcher une pression sur les témoins

- d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices

- de mettre fin à l'infraction ou pour prévenir son renouvellement

- de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice

- de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public qu'a provoqué l'infraction en raison de sa gravité

En ce que : Il résulte de la procédure que [le requérant] a apporté en connaissance de cause une aide logistique importante à un commando de l'organisation de l'E.T.A. qui avec l'aide de gens implantés en Bretagne a perpétré un vol à main armée d'une quantité extrêmement importante d'explosifs, que [le requérant] a été amené à abriter dans les locaux qu'il avait mis à la disposition des auteurs des faits une partie des explosifs dérobés pendant une brève période, que par ailleurs il s'est avéré qu'il était lui-même en possession de deux armes prohibées certes anciennes mais dont l'une était approvisionnée de munitions récentes, que ces faits eu égard à leur nature et au contexte dans lequel ils ont été commis ont apporté un trouble très grave à l'ordre public, que si [le requérant] s'est expliqué de manière détaillée sur sa participation personnelle il apparaît nécessaire qu'il puisse être interrogé sans que préalablement il ne soit en contact avec d'autres protagonistes de l'affaire étant précisé que tous les participants n'ont pas encore été identifiés et arrêtés, qu'enfin après les faits il a pris la fuite pour prévenir une arrestation qu'il craignait, qu'en l'état de l'information la détention apparaît strictement nécessaire. (...). »

22.  Par une ordonnance du 6 novembre 2000, le magistrat instructeur prolongea la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois à compter du 13 novembre 2000. Elle est ainsi rédigée :

« Attendu (...) que si [le requérant] s'est expliqué de manière détaillée sur sa participation personnelle il reconnaît dans le cadre de celle-ci avoir lui-même pris les contacts nécessaires pour faire évacuer par des membres de son organisation plus de 300 kg d'explosifs qui se trouvaient dans la cave d'Hugues Richard, que les faits eu égard à leur nature et au contexte dans lequel ils ont été commis ont apporté un trouble très grave à l'ordre public et toujours actuel, ces explosifs n'ayant pas été retrouvés et se trouvant en possession de l'A.R.B., qui a fait depuis le vol à diverses reprises usage d'explosifs en provenance du vol de Plévin ; qu'en l'état de l'information la détention apparaît donc toujours strictement nécessaire pour ce motif aussi bien que pour prévenir la réitération au sein de son organisation de faits à caractère terroriste, organisation dont il n'a pas donné le nom mais dont laisse à penser qu'il s'agit de l'A.R.B., que pour éviter toutes concertations frauduleuses avec les personnes non identifiées et dont il a refusé de communiquer l'identité qu'il a sollicitées pour assurer l'évacuation des explosifs (...). »

Le juge, pour justifier la détention du requérant, reprit les motifs susmentionnés dans l'ordonnance du 13 novembre 1999, y ajoutant la protection du mis en examen ainsi que le trouble à l'ordre public provoqué par l'infraction en raison des circonstances de sa commission et de l'importance du préjudice causé. Il évalua le délai d'achèvement de l'information à quelques mois. Par un arrêt du 17 novembre 2000, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance déférée.

23.  Le 4 mai 2001, le juge des libertés et de la détention prolongea la détention du requérant pour une durée de six mois, reprenant les motifs avancés dans son ordonnance précédente, à l'exception de celui tiré de la protection du mis en examen. Le magistrat considéra en outre que la poursuite de l'information était nécessaire, « compte tenu des investigations restant à effectuer et dans l'attente du retour du dépôt des rapports des expertises encore en cours », et fixa le délai d'achèvement de la procédure d'information à « plusieurs mois », sans plus de précision. Cette ordonnance fut confirmée en appel par un arrêt du 25 mai 2001 de la chambre de l'instruction qui releva que le requérant, interrogé le 26 avril 2001, continuait à dénier son appartenance à l'A.R.B., indiquait qu'il entendait poursuivre la lutte pour l'indépendance de la Bretagne « par tous les moyens », et refusait d'indiquer les conditions dans lesquelles les explosifs avaient été évacués ainsi que le nom des personnes ayant participé au montage de l'opération ; la chambre précisa en outre que « les investigations, notamment techniques, se poursuivaient dans cette information complexe, tant en raison du nombre de participants aux faits que de l'identification tardive de certains mis en examen et de la particulière gravité des faits ». Le 22 août 2001, la Cour de cassation déclara non admis le pourvoi formé par le requérant.

24.  Par une ordonnance du 7 novembre 2001, la détention provisoire du requérant fut prolongée pour une durée de six mois supplémentaires pour les motifs exposés dans l'ordonnance précédente, sans mentionner toutefois la conservation des preuves ou indices matériels, le risque de pression sur les témoins et la nécessité de mettre fin à l'infraction. Le délai de clôture de l'instruction fut fixé à six mois. L'ordonnance releva également que l'information était en voie d'achèvement, que les garanties de représentation du requérant apparaissaient insuffisantes, compte tenu de la gravité des faits, de la lourdeur de la peine encourue, et qu'il se trouvait en fuite lors de son interpellation.

Le 20 novembre 2001, la chambre de l'instruction confirma l'ordonnance susmentionnée, aux motifs :

« qu'au regard de l'attitude de l'appelant qui se considère notamment dans les correspondances saisies et dans un article publié dans la revue proche de l'ETA comme détenu politique, qui estime que les faits qui lui sont reprochés s'inscriraient dans une lutte politique pour l'indépendance de la Bretagne, de sa volonté affichée de poursuivre cette lutte par tous les moyens (...), sa détention provisoire est l'unique moyen de prévenir le renouvellement d'infractions de même nature (...), d'éviter une concertation frauduleuse entre l'appelant et ses complices, étant rappelé que, détenu, Gérard Bernard a tenté de faire sortir clandestinement des documents de la maison d'arrêt et de garantir sa représentation en justice (...) ; Considérant qu'au regard de la gravité exceptionnelle des faits (...), de la complexité des investigations (...), la détention n'excède pas le délai raisonnable, d'autant qu'à la demande de l'avocat du mis en examen, son dernier interrogatoire, prévu le 6 novembre 2001 a dû être reporté (...). »

Le 29 janvier 2002, la Cour de cassation déclara non admis le pourvoi formé par le requérant.

25.  Enfin, le 2 mai 2002, le juge des libertés et de la détention rendit une nouvelle ordonnance de prolongation de la détention provisoire sur le fondement des mêmes motifs que ceux exposés dans l'ordonnance du 4 mai 2001. Le magistrat insista toutefois sur la nécessité d'assurer la représentation en justice du requérant qui avait été arrêté alors qu'il était en fuite, de prévenir la réitération de faits à caractère terroriste et d'éviter toute concertation frauduleuse avec ses complices ; sur ce dernier point, le juge releva que « son comportement pour faire sortir frauduleusement de la maison d'arrêt des documents relatifs à sa détention » en attestait. Le délai d'achèvement fut fixé à cinq mois.

2. Les demandes de mise en liberté présentées par le requérant.

26.  Le Gouvernement soutient que le requérant présenta cent soixante-dix-neuf demandes de mise en liberté au magistrat instructeur compétent, qui les transmit au juge des libertés et de la détention, ainsi qu'une demande d'élargissement directement à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Il précise que le requérant fit appel à quatre-vingt-dix-huit reprises des ordonnances rejetant ses demandes, et qu'il se pourvut soixante et une fois devant la Cour de cassation.

27.  Le requérant ne conteste pas ces chiffres. Il affirme avoir déposé plusieurs demandes aux fins de recouvrer la liberté, et fournit de nombreuses décisions s'y rapportant. Il produit seize ordonnances de rejet de mise en liberté (des 22 février 2000, 11 et 31 juillet 2000, 14 août 2000, 15 septembre 2000, 6 novembre 2000, 29 décembre 2000, 8 et 21 janvier 2001, 29 août 2001, 2 octobre 2001, 20 février 2002, 6 mars 2002, 6 juin 2002, 15 juillet 2002 et 27 septembre 2002), quatorze arrêts confirmatifs de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris (des 27 juillet 2000, 5, 8 et 15 décembre 2000, 9 avril 2001, 4 mai 2001, 6 août 2001, 21 septembre 2001, 2 octobre 2001, 25 janvier 2002, 21 juin 2002, 9 et 27 juillet 2002 et 16 août 2002) qui ne portent toutefois pas sur les ordonnances sus référencées, et trois décisions de non-admission du pourvoi du requérant rendues par la Cour de cassation (décision du 16 janvier 2002 déclarant le pourvoi, formé contre un arrêt – non produit – de la chambre de l'instruction du 13 novembre 2001, non admis ; et deux décisions du 28 mai 2002 déclarant les pourvois, formés contre deux arrêts – non produits – de la chambre de l'instruction des 15 et 22 mars 2002, non admis).

28.  Les 20 février et 28 août 2002, le requérant formula deux demandes d'élargissement, lesquelles furent rejetées respectivement par ordonnance les 27 février et 13 septembre 2002, reprenant l'intégralité des motifs de l'ordonnance du 4 mai 2001. S'agissant du motif tiré du trouble à l'ordre public, l'ordonnance de rejet du 13 septembre 2002 indiquait que les faits, par leur nature, leur gravité et leurs conséquences sur l'opinion nationale et internationale, étaient de nature à justifier la détention du requérant.

29.  Entre-temps, par une ordonnance du 20 février 2002, le juge des libertés et de la détention rejeta une demande antérieure de mise en liberté. Il releva qu'existaient des indices sérieux rendant vraisemblable l'implication du requérant, que les investigations en cours devaient être poursuivies pour permettre d'identifier l'ensemble des protagonistes de l'affaire et la responsabilité de chacun à la lumière notamment de la récente arrestation d'Asier Oyarzabal Chapartegui ; il estima que la détention du requérant était l'unique moyen de conserver les preuves et indices matériels, d'empêcher une concertation frauduleuse avec les co-auteurs ou complices, une pression sur d'éventuels témoins ainsi que d'éviter le renouvellement de l'infraction, et de mettre fin au trouble à l'ordre public provoqué en raison de la gravité des faits reprochés et des conséquences sur l'opinion publique nationale.

Sur appel du requérant, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 12 mars 2002, confirma l'ordonnance entreprise. La cour releva tout d'abord que le requérant avait trois enfants sur lesquels il exerçait l'autorité parentale, qu'il demeurait à Lorient sans emploi et avait pour seule ressource les allocations familiales. Elle estima ensuite que l'information était complexe, et fixa le délai d'achèvement de la procédure à cinq mois. Ceci exposé, la cour s'exprima comme suit :

« Considérant que les éléments de fait (...) et les aveux partiels du mis en examen constituent des indices graves et concordants rendant vraisemblable sa participation en qualité d'auteur aux faits (...) ;

Qu'au regard de l'attitude de l'appelant, qui se considère notamment dans des correspondances saisies et dans un article publié dans une revue proche de l'ETA comme détenu politique, qui estime que les faits qui lui sont reprochés s'inscriraient dans une lutte politique pour l'indépendance de la Bretagne, de sa volonté affichée de poursuivre cette lutte par tous les moyens, notamment « lutte culturelle, politique et syndicale », sa détention provisoire est l'unique moyen de prévenir le renouvellement d'infraction de même nature, infractions qui au regard du droit français ne peuvent avoir un caractère politique ;

Que cette mesure est également le seul moyen d'éviter une concertation frauduleuse entre l'appelant et ses complices, étant rappelé que, détenu, [le requérant] a tenté de faire sortir clandestinement des documents de la maison d'arrêt, ainsi que de garantir sa représentation en justice puisque, malgré ses charges de famille, il était au moment de son interpellation en fuite ;

Considérant que les faits (...) causent à l'ordre public un trouble exceptionnel et toujours persistant, auquel seule la détention est de nature à mettre fin ;

(...) ;

Que dans ces conditions, les obligations du contrôle judiciaire ne renferment manifestement pas la contrainte indispensable à la réalisation de ces finalités ; »

Le 6 mai 2002, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara non admis le pourvoi du requérant, motif pris de ce qu'aucun des moyens de cassation soumis à son examen n'était de nature à permettre l'admission dudit pourvoi.

30.  Le 21 octobre 2002, le magistrat en charge du dossier rendit une ordonnance de mise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire, prescrivant au requérant notamment de s'abstenir d'entrer en relation de quelque façon que ce soit avec tous les mis en examen. Le juge considéra que le maintien en détention n'était plus nécessaire à la poursuite de l'information, dans la mesure où celle-ci se trouvait en voie d'achèvement et que l'interrogatoire récapitulatif du requérant avait eu lieu le 14 octobre précédent. Le magistrat estima également que le requérant présentait des garanties de représentation suffisantes.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

31.  Le requérant dénonce la durée de sa détention provisoire qu'il juge excessive. Il allègue la violation de l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

32.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse pour les raisons exposées ci-après.

A.  Sur la recevabilité

33.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Période à prendre en considération

34.  Les parties estiment que la période à considérer a débuté le 13 novembre 1999, jour du placement en détention du requérant, pour s'achever le 21 octobre 2002 par sa libération et son placement sous contrôle judiciaire. La Cour rappelle que le point de départ du calcul de la détention visée coïncide avec le jour de l'arrestation de l'intéressé (voir Gombert et Gochgarian c. France, nos 39779/98 et 39781/98, § 39, 13 février 2001). En l'espèce, la Cour considère donc que la détention litigieuse a débuté le 9 novembre 1999, jour de l'interpellation du requérant, et s'est achevée le 21 octobre 2002. Elle a donc duré deux ans, onze mois et treize jours.

2.  Le caractère raisonnable de la durée de la détention

a.  Thèses des parties

35.  Le Gouvernement considère tout d'abord que les motifs ayant conduit les juridictions internes à maintenir le requérant en détention provisoire étaient à la fois suffisants et pertinents. Il souligne l'existence d'éléments concordants de nature à justifier le caractère raisonnable de la détention au regard de l'article 5 § 3. Il s'agit : du fait d'avoir aidé à l'hébergement des auteurs du vol ainsi qu'au recel de 300 kg d'explosifs, du refus persistant de révéler l'identité de ceux pour lesquels il avait fait disparaître les explosifs volés (ce qui justifiait la détention afin d'éviter une concertation frauduleuse avec les complices qui étaient pour certains en fuite – comme M. Asier Oyarzabal Chapartegui), du trouble exceptionnel à l'ordre public en raison de la participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes et de recels d'explosifs dont une partie avait été utilisée à plusieurs reprises pour commettre des attentats dont l'un mortel, et enfin de l'attitude du requérant qui affichait au cours des interrogatoires sa volonté de poursuivre par tous les moyens la lutte pour l'indépendance de la Bretagne, qui n'hésitait pas à tenter de faire sortir clandestinement des documents de la maison d'arrêt, et qui était en fuite lors de son interpellation.

Sur la conduite de l'instruction, le Gouvernement estime que compte tenu de la réelle complexité et de la particularité de l'affaire, toute la diligence a été apportée à la conduite de l'instruction. Il affirme que les liens entre le vol d'explosifs commis à Plévin et de nombreuses autres infractions également instruites à Paris, notamment un attentat contre un restaurant Mc Donald ayant entraîné la mort d'une jeune femme, ont conduit le magistrat instructeur à ordonner la jonction de nombreux procès-verbaux, que l'ampleur de la tâche a nécessité la désignation d'un deuxième juge d'instruction dans cette affaire le 5 mai 2000, que plus de vingt commissions rogatoires ont été ordonnées et exploitées et huit expertises diligentées, que sept réquisitoires supplétifs ont été délivrés au cours de l'instruction, que le nombre de mis en examen qui était de vingt et un a entraîné plus de soixante-dix interrogatoires et confrontations, et enfin que le comportement du requérant n'est pas étranger à la durée de sa détention provisoire. A cet égard, le Gouvernement relève que celui-ci s'est plusieurs fois contredit dans ses déclarations et a refusé de répondre à certaines questions, que son avocat a sollicité le report de ses interrogatoires prévus les 18 mai 2000 et 6 novembre 2001, que le requérant a été longuement entendu à six reprises les 6 janvier, 19 mai et 10 novembre 2000, les 26 avril et 21 décembre 2001 et le 14 octobre 2002, et enfin qu'il n'a jamais révélé pour le compte de quelles personnes ou organisations il avait agi.

36.  Le requérant conteste quant à lui les motifs pour lesquels il fut maintenu en détention provisoire. Il réfute le fait d'avoir aidé à l'hébergement des auteurs du vol et au recel de 300 kg d'explosifs, et souligne à cet égard que l'accusation se basait en partie sur les déclarations d'un co-accusé, M. H. Richard, lequel, atteint d'une grave pathologie mentale, fut placé sous tutelle et bénéficia d'une ordonnance de non-lieu en janvier 2004. Quant au trouble persistant à l'ordre public résultant du fait que les explosifs volés à Plévin auraient été utilisés dans l'attentat mortel de Quévert, le requérant relève que lors des deux procès d'assises ayant abouti aux arrêts des 26 mars 2004 et 29 juin 2005, l'accusation ne put prouver ce lien de causalité, les quatre auteurs présumés de ce crime ayant été acquittés lors du procès du 26 mars 2004, et fait observer en outre qu'il ne fit l'objet d'aucune poursuite pour complicité par fourniture de moyens dans l'attentat précité. S'agissant de son comportement au cours de l'instruction, le requérant explique sa volonté de poursuivre la lutte pour l'indépendance de la Bretagne par un militantisme culturel, syndical (il est membre du « comité lorientais de lutte pour l'emploi » qui fait partie intégrante du syndicat « confédération générale du travail ») et politique (il est membre du parti indépendantiste et socialiste breton « Emgann ») dans le respect des lois de la République française. Le requérant précise ensuite la nature des documents qu'il tenta de faire sortir de la maison d'arrêt : il s'agissait selon lui de « trois documents significatifs portant sur les refus de mise en liberté » qui ne sont pas couverts par le secret de l'instruction et pour lesquels il ne fit l'objet d'aucune procédure, pénale ou disciplinaire.

S'agissant de la conduite de l'instruction, le requérant note qu'un seul juge d'instruction, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, a été en charge de l'affaire dite « du vol d'explosifs de Plévin », que le dernier réquisitoire supplétif date du 9 octobre 2000, soit deux ans et douze jours avant sa mise en liberté, et qu'il n'est pas responsable des vingt et une interpellations et mises en examen alors que seules quinze personnes ont fait l'objet au final d'un renvoi devant la cour d'assises spéciale de Paris. Pour ce qui est de son comportement prétendument obstructif, le requérant explique d'abord son refus de répondre à certaines questions par l'exercice de son droit à ne pas s'auto-incriminer. Enfin, il précise que l'audition prévue le 6 novembre 2001 a été reportée à la demande de son avocat au 21 décembre 2001 et que celle du 18 mai 2000 a eu lieu le lendemain, le 19 mai 2001. Le requérant considère que sa détention est devenue abusive à compter de la fin du mois de décembre 2000.

b.  Appréciation de la Cour

37.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence d'une exigence d'intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans ces décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, les arrêts Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35 ; I.A. c. France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, pp. 2978‑2979, § 102 ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, CEDH-2000, § 152 ; Bouchet c. France, no 33591/96, § 40, 20 mars 2001 ; Zannouti c. France, no 42211/98, § 43, 31 juillet 2001).

38.  La Cour relève en l'espèce que les juridictions compétentes invoquèrent, outre la persistance des soupçons pesant sur le requérant, plusieurs motifs dans leurs décisions pour ordonner la prolongation de la détention ou rejeter les demandes de mise en liberté : la conservation des preuves et indices matériels, un risque de pression sur les témoins et les victimes, un risque de concertation frauduleuse avec ses complices, la prévention du renouvellement ou de la réitération de l'infraction, mettre fin à l'infraction, la garantie du maintien du requérant à la disposition de la justice et le trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public. Or, une durée de détention provisoire de près de trois ans doit être accompagnée de fortes justifications (voir mutatis mutandis Gosselin c. France, no 66224/01, 13 septembre 2005).

39.  Avant d'examiner la pertinence et la suffisance des motifs retenus, la Cour observe que seul celui tiré du risque de concertation frauduleuse figure dans chacune desdites décisions, mais que les autres motifs ne s'y retrouvent pas avec la même constance.

i.  Les besoins de l'instruction résultant du risque de destruction des preuves et indices matériels, de pression sur les témoins et les victimes et de concertation frauduleuse avec les complices supposés du requérant

40.  Pour ce qui est du motif tiré de la nécessité de conserver les preuves et indices matériels, il apparaît dès le placement initial du requérant en détention provisoire le 13 novembre 1999. Il figure ensuite dans les décisions des 6 novembre 2000 et 4 mai 2001, puis n'est plus mentionné dans l'ordonnance du 7 novembre 2001 et l'arrêt confirmatif du 20 novembre 2001 ainsi que dans l'ordonnance du 20 février 2002 et l'arrêt confirmatif du 12 mars 2002, pour réapparaître de nouveau dans l'ordonnance de prolongation de la détention du 2 mai 2002.

S'agissant du motif tiré du risque de pression sur les témoins et les victimes, il apparaît également dès le 13 novembre 1999, puis est présent dans les décisions du 6 novembre 2000, 4 mai 2001 et 20 février 2002 et 2 mai 2002. Il n'est plus mentionné en revanche dans l'ordonnance du 7 novembre 2001 et l'arrêt confirmatif du 20 novembre 2001, et disparaît dans l'arrêt du 12 mars 2002 confirmant l'ordonnance de rejet du 20 février 2002.

41.  La Cour s'explique mal comment ces motifs ont pu fluctuer de la sorte. S'ils se concevaient aisément en début d'instruction, ils perdirent de leur pertinence au fil de l'avancement des investigations, dans la mesure où à la fin de l'année 2001 au plus tard – date à laquelle le reste des explosifs détenus par l'A.R.B. avait été restitué – l'essentiel des indices matériels avait été recueilli et l'ensemble des témoins et victimes entendus. En outre, la Cour relève que les décisions critiquées ne font état d'aucune considération susceptible d'étayer le fondement de ces deux motifs au regard des circonstances de la cause.

42.  La Cour note par ailleurs que le risque de concertation frauduleuse avec ses complices, constamment repris par les juridictions, est essentiellement motivé par le refus de révéler l'identité de la personne qui assura l'évacuation des explosifs de la cave d'H. Richard dans les décisions des 6 novembre 2000 et 2 mai 2002, d'une part, et par la tentative de faire sortir clandestinement de la maison d'arrêt « des documents » dans les décisions des 20 novembre 2001, 12 mars 2002 et 2 mai 2002, d'autre part.

La Cour rappelle d'abord qu'un « accusé » a le droit de se taire et de contester les faits qui lui sont reprochés, et que l'on ne peut fonder le maintien en détention uniquement sur le fait que l'intéressé nie sa culpabilité ou refuse de répondre aux questions qui lui sont posées, dans la mesure où il est présumé innocent tout au long de la procédure d'instruction (voir Dumont-Maliverg c. France, nos 57547/00 et 68591/01, § 68, 31 mai 2005). En outre, les aveux passés et réitérés par le requérant dès son interpellation et les nombreuses inculpations ordonnées dans les premières semaines de l'instruction réduisirent considérablement le risque de collusion avec les co-inculpés qui – la Cour le souligne – furent rapidement remis en liberté assortie d'un contrôle judiciaire (voir supra § 9). La Cour relève également que l'arrestation le 23 septembre 2001 d'Asier Oyarzabal Chapartegui, présenté par le Gouvernement comme étant l'homme qui fut hébergé par le requérant, diminua davantage ce risque. Quant au risque de collusion tiré de la tentative de faire sortir par le requérant « des documents » de la maison d'arrêt, la Cour relève que les décisions s'y rapportant ne précisent ni leur nature ou contenu ni leur destinataire, de sorte que le caractère menaçant les besoins de l'instruction peut prêter à discussion. Bref, ces faits ne suffisent pas à caractériser un risque sérieux de collusion frauduleuse mettant à mal le bon déroulement de l'information judiciaire.

ii.  La nécessité de prévenir le renouvellement de l'infraction et/ou d'y mettre fin

43.  La Cour relève que le motif tiré de la nécessité de mettre fin à l'infraction apparaît de manière inconstante tout au long des décisions rendues par les juridictions internes. Il figure d'abord alternativement au côté de celui tiré de la prévention du renouvellement de l'infraction dès l'ordonnance de placement en détention du 13 novembre 1999, puis n'est plus mentionné dans la décision du 6 novembre 2000, pour réapparaître de nouveau le 4 mai 2001 et le 2 mai 2002. C'est donc par intermittence que les autorités judiciaires ont invoqué ce motif, sans en expliciter les raisons, ce qui fragilise le fondement de la détention du requérant à cet égard. En tout état de cause, la Cour note que les juridictions compétentes n'ont jamais étayé ce motif en se référant notamment aux circonstances précises de la cause. Dès lors la nécessité de mettre fin à l'infraction ne pouvait servir de fondement à la détention provisoire.

44.  Pour ce qui est du renouvellement de l'infraction, la Cour rappelle que des éléments concrets telle que la nocivité de l'inculpé peuvent avoir de l'importance pour les juges (voir Matznetter c. Autriche, arrêt du 10 novembre 1969, série A no 9, pp. 32-33, § 9). Elle rappelle également que la gravité d'une infraction peut conduire les autorités à placer et laisser un suspect en détention provisoire pour empêcher de nouvelles infractions, si les circonstances de l'affaire, comme les antécédents et la personnalité de l'intéressé, rendent le danger plausible et la mesure adéquate (Clooth c. Belgique, arrêt du 12 décembre 1991, série A no 225, p. 15, § 40).

La Cour note en l'espèce que les juridictions étayèrent ce motif seulement à compter de l'interrogatoire du 26 avril 2001, au cours duquel le requérant afficha sa volonté de poursuivre la lutte pour l'indépendance de la Bretagne « par tous les moyens » à travers une lutte « culturelle, politique et syndicale ». Dans les arrêts confirmatifs des 25 mai 2001, 20 novembre 2001 et 12 mars 2002, il est en effet mentionné que l'attitude du requérant, en ce qu'il se considérait comme un détenu politique et affichait aux cours des interrogatoires successifs à celui du 26 avril 2001 sa volonté de lutter pour une Bretagne indépendante, rendait strictement nécessaire son maintien en détention pour prévenir la réitération d'infractions de même nature. Toutefois, la Cour estime que ces propos étaient peu significatifs, dans la forme comme dans le fond, et qu'ils ne suffisaient pas à caractériser une dangerosité du requérant – lequel n'avait de surcroît aucun antécédent judiciaire – rendant le danger plausible et la mesure adéquate (voir Dumont-Maliverg c. France précité, § 69). Si le risque de renouvellement de l'infraction constituait sans nul doute un facteur pertinent dans les premiers temps de l'information, il perdit nécessairement de sa pertinence au fil du temps, et ne justifiait pas à lui seul une aussi longue détention provisoire.

iii.  La nécessité de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice

45.  Toutes les décisions relatives à la détention provisoire du requérant retiennent ce motif, à l'exception de l'ordonnance du 20 février 2002, les juridictions compétentes estimant qu'il y avait un risque que l'intéressé s'enfuie en cas de mise en liberté du fait de la peine criminelle encourue, du manque de garantie de représentation et au motif que le requérant était en fuite lors de son interpellation.

Ce sont là des circonstances de nature à caractériser un danger de fuite. Toutefois, alors que le risque de fuite décroît nécessairement avec le temps (voir Neumeister c. Autriche, arrêt du 27 juin 1968, série A no 8, p. 39, § 10), les autorités judiciaires ont omis de spécifier en quoi il y avait lieu de considérer qu'en l'espèce un tel risque persistait après presque trois années de détention, étant rappelé que le requérant n'avait aucun antécédent judiciaire et que nombre des co-accusés avaient été remis en liberté (voir supra § 9). La Cour rappelle également que le danger de fuite ne peut s'apprécier sur la seule base de la gravité de la peine (voir Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, p.37, § 98). La Cour constate avec le Gouvernement que les décisions litigieuses font référence à l'insuffisance d'un contrôle judiciaire, et admet en conséquence que la question de savoir si l'intéressé était susceptible de fournir des garanties adéquates de représentation en cas d'élargissement a été examinée. Toutefois, elle ne peut que noter la pauvreté de la motivation desdites décisions sur la mise en place d'un contrôle judiciaire du requérant, lequel était un ressortissant français et avait de fortes attaches personnelles avec la France (voir Gombert et Gochgarian c. France, nos 39779/98 et 39781/98, § 48, 13 février 2001).

iv.  La nécessité de préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction

46.  Ce motif, repris dans toutes les décisions critiquées, apparaît tantôt en raison uniquement de la gravité de l'infraction (ordonnance du 13 novembre 1999), tantôt cumulativement au côté du préjudice causé et des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise, ou encore en raison des conséquences sur l'opinion publique nationale (ordonnance du 20 février 2002) et internationale (ordonnance du 13 septembre 2002).

La Cour reconnaît que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Dans des circonstances exceptionnelles, cet élément peut donc entrer en ligne de compte au regard de la Convention, en tout cas dans la mesure où le droit interne reconnaît la notion de trouble à l'ordre public provoqué par une infraction. Cependant, on ne saurait l'estimer pertinent et suffisant que s'il repose sur des faits de nature à montrer que l'élargissement du détenu troublerait l'ordre public. En outre, la détention ne demeure légitime que si l'ordre public reste effectivement menacé ; sa continuation ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (I.A. c. France, précité, § 104).

La Cour admet que l'impératif de l'ordre public a pu constituer en l'espèce, en matière de lutte anti-terroriste, un facteur pertinent pour maintenir le requérant en détention, mais il a nécessairement décru au fil du temps. Elle note par ailleurs que ce motif a fluctué dans ses éléments constitutifs, sans raisons évidentes, et n'a donc pas été invoqué de manière constante. Elle relève surtout que les juridictions nationales se bornèrent à faire abstraitement référence aux éléments sus énoncés sans préciser en quoi l'élargissement du requérant, en tant que tel, aurait eu pour effet de le troubler. En tout état de cause, ce motif ne peut justifier à lui seul une aussi longue détention provisoire.

c)Conclusion

47.  Pour être conforme à la Convention, la longueur de la privation de liberté subie par le requérant eût dû reposer sur des justifications des plus convaincantes. Or il ressort des développements précédents que la pertinence initiale des motifs retenus par les juridictions d'instruction à l'appui de leurs décisions relatives au maintien de l'intéressé en détention ne résiste pas à l'épreuve du temps.

48.  Bref, par sa durée excessive, la détention litigieuse du requérant a enfreint l'article 5 § 3 de la Convention.

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

49.  Le requérant dénonce la longueur de la procédure pénale diligentée contre lui. Il estime en outre que son maintien en détention pendant une période déraisonnable a violé son droit à la présomption d'innocence. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, qui se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...).

2.  Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Sur la recevabilité du grief

50.  En ce qui concerne la première branche du grief, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. Elle rappelle que tout grief tiré de la durée d'une procédure judiciaire, introduit devant elle après le 20 septembre 1999 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d'un recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, est en principe irrecevable, quel que soit l'état de la procédure au plan interne (Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, CEDH 2002-VIII).

En l'espèce, le requérant a saisi la Cour le 11 juillet 2002 sans avoir préalablement exercé ce recours. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

51.  S'agissant de la seconde branche du grief, la Cour rappelle que l'article 6 § 2 de la Convention exige notamment que l'autorité judiciaire ne présente pas une personne comme coupable d'une infraction, tant que la culpabilité de cette personne ne se trouve pas définitivement établie par la juridiction compétente (Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, par. 35). Elle rappelle aussi qu'une distinction doit être faite entre les décisions qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d'innocence, tandis que les deuxièmes ont été à plusieurs reprises considérées comme conformes à l'esprit de l'article 6 de la Convention (voir, parmi d'autres, Leutscher c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 436, § 31). En effet, les juridictions qui statuent sur les demandes de mise en liberté ne peuvent le faire qu'en examinant les éléments du dossier, et doivent motiver leurs décisions par des éléments de fait et de droit. En se prononçant sur un éventuel maintien en détention provisoire, les juridictions apprécient sommairement les données disponibles pour déterminer si de prime abord les soupçons de la police ont quelque consistance. On ne saurait assimiler des soupçons à un constat formel de culpabilité.

En l'espèce, la Cour constate que les juridictions internes ont rejeté les demandes de mise en liberté ou prolongé la détention du requérant en se fondant sur des considérations de fait et de droit, décrivant ainsi un « état de suspicion » et ne pouvant être assimilées à un constat de culpabilité. La Cour ne relevant aucune apparence de violation du droit du requérant au respect de la présomption d'innocence, il s'ensuit que cette partie de la requête est en tout état de cause manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention (voir, en ce sens, Gosselin c. France, (déc), no 66224/01, 6 avril 2004).

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

52.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

53.  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.

54.  Le Gouvernement constate qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le grief invoqué et le préjudice allégué, et estime le montant demandé excessif. Il conclut au rejet de la demande du requérant.

55.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain du fait de la durée déraisonnable de sa détention provisoire. Elle considère qu'il y a lieu dès lors de lui allouer 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

56.  Le requérant demande également 250 EUR pour les frais divers encourus devant la Cour (photocopies, documentation, courrier, etc.).

57.  Le Gouvernement constate que le montant réclamé n'est accompagné d'aucun justificatif.

58.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour estime que le requérant a nécessairement engagé des frais et dépens pour la procédure devant la Cour. Elle décide en conséquence de lui allouer la somme de 250 EUR à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable en ce qui concerne l'article 5 § 3 de la Convention, et le restant de la requête irrecevable;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;

3.  Dit,

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros) pour dommage moral et frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 septembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. NaismithA.B. Baka
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de l'organisation judiciaire
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GERARD BERNARD c. FRANCE, 26 septembre 2006, 27678/02