CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE MOULIN c. FRANCE, 23 novembre 2010, 37104/06

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE MOULIN c. FRANCE

(Requête no 37104/06)

ARRÊT

STRASBOURG

23 novembre 2010

DÉFINITIF

23/02/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Moulin c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 37104/06) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme France Moulin (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er septembre 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante allègue avoir été maintenue en détention durant cinq jours avant d'être « traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3 de la Convention.

4.  Le 10 janvier 2008, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1962 et réside à Toulouse. Elle est avocate au barreau de Toulouse.

6.  Le 13 avril 2005, alors qu'elle se trouvait au tribunal de grande instance d'Orléans, elle fut arrêtée sur commission rogatoire délivrée par des juges d'instructions près le tribunal de grande instance d'Orléans, dans le cadre d'une procédure suivie principalement pour trafic de stupéfiants et blanchiment des produits de ce trafic. La requérante était apparue au cours de l'enquête, ayant notamment été mise en cause par les déclarations d'un individu mis en examen, en liaison avec une autre personne également mise en examen et amie de la requérante.

7.  A 14 h 35, elle fut placée en garde à vue, « au vu d'une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle [avait] commis ou tenté de commettre la ou les infractions » de « révélation d'informations issues de l'enquête ou instruction en cours », faits prévus par l'article 434-7-2 du code pénal (créé par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, modifié suite à cette affaire par la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005).

8.  Elle fut conduite à Toulouse, aux fins d'une perquisition de son cabinet en sa présence. La perquisition se déroula, en présence des deux juges d'instruction d'Orléans, le 14 avril 2005 de 10 h 05 à 14 h 45. Les juges rédigèrent un procès-verbal pour relater les opérations de manière précise, de l'arrivée au cabinet de la requérante à la fin des opérations.

9.  Le 14 avril 2005, un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Toulouse ordonna la prolongation de la garde à vue, sans avoir entendu la requérante.

10.  Le 15 avril 2005, à 9 h 30, les deux juges d'instruction se rendirent à l'hôtel de police pour « vérifier les conditions d'exécution de [leur] commission rogatoire du 11 avril 2005 et notamment les modalités pratiques de la mesure de garde à vue prise à l'encontre de Madame France Moulin ». Le procès-verbal rédigé à cette occasion ne fait mention ni d'une audition ni d'une simple rencontre avec la requérante.

11.  Il ressort d'un procès-verbal rédigé le 18 avril 2005 que le 15 avril 2005, à 16 h 30, les juges d'instruction se transportèrent devant la porte du domicile privé de la requérante, sur laquelle le scellé apposé par la police sur leurs instructions avait été brisé, et qu'à 16 h 33 ils chargèrent un officier de police judiciaire de le reconstituer.

12.  Le 16 avril 2005, à 4 heures, les deux juges d'instruction quittèrent Toulouse pour regagner Orléans.

13.  La fin de la garde à vue fut notifiée à la requérante le 15 avril 2005 à 14 h 25. Dans le même temps, elle fut également informée par les policiers de ce qu'un mandat d'amener avait été pris à son encontre par les juges d'instruction d'Orléans en charge de l'information suscitée.

14.  La requérante fut présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse, qui ordonna sa conduite en maison d'arrêt en vue de son transfèrement ultérieur devant les juges d'instruction.

15.  Le 18 avril 2005, à 15 h 14, la requérante fut présentée aux juges d'instruction d'Orléans qui procédèrent à son interrogatoire de « première comparution » et la mirent en examen pour révélation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours, blanchiment de produits provenant de trafics de stupéfiants, blanchiment aggravé, sortie illicite de correspondance remise par un détenu à personne habilitée. Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Orléans ordonna sa détention provisoire.

16.  La requérante saisit la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans d'une requête en nullité d'actes.

17.  Par un arrêt du 13 octobre 2005, la chambre de l'instruction rejeta sa demande. Répondant à un moyen de nullité tiré du défaut de désignation de l'avocat de son choix pendant la garde à vue, la chambre de l'instruction se fonda sur un procès-verbal pour relever que, lorsqu'il avait été demandé à la requérante si elle souhaitait faire prévenir un membre de sa famille ou son employeur, elle avait désigné Me I., non comme avocat pour l'assister mais comme employeur, en sa qualité d'associé de Me D. dont elle était la collaboratrice, Me D. étant absent et à l'étranger. Les juges précisèrent que la requérante avait demandé à s'entretenir avec un avocat, désignant Me B., avocat au barreau d'Orléans, et que ce dernier, retenu par l'interrogatoire d'une autre cliente, avait contacté deux confrères, dont son bâtonnier, lequel s'était finalement lui-même déplacé pour rendre visite à la requérante dans le cadre de sa garde à vue. Par ailleurs, la chambre de l'instruction releva que l'interpellation s'était déroulée dans la plus grande discrétion et sans moyen de coercition, qu'une simple palpation avait été réalisée par du personnel féminin pour s'assurer de l'absence d'objets dangereux portés sur elle. Sur un moyen tiré de l'illégalité de la saisie de deux sacs de la requérante au moment de sa garde à vue, les juges précisèrent que la requérante les avait conservés avec elle jusqu'à 21 h 15, qu'elle avait été autorisée à en retirer un billet de cinquante euros pour assurer ses frais de nourriture et qu'ils avaient ensuite été placés sous scellés par les policiers, et ce sans aucune fouille préalable de leur part, l'ouverture et l'inventaire n'ayant été réalisés qu'ultérieurement, après autorisation du juge des libertés et de la détention, par les juges d'instructions en présence du bâtonnier.

18.  La requérante se pourvut en cassation, soulevant notamment des moyens tirés d'une violation des articles 5, 6 §§ 1 et 3 et 8 de la Convention.

19.  Par un arrêt du 1er mars 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, par un arrêt ainsi motivé :

« (...)

Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité, proposé par France Moulin, pris de l'atteinte portée à son libre choix dans la désignation d'un avocat chargé de l'assister pendant la garde à vue, l'arrêt attaqué relève qu'il résulte du procès-verbal de notification de ses droits qu'exerçant celui d'aviser un membre de sa famille ou son employeur, prévu par l'article 63-2 du code de procédure pénale, France Moulin a indiqué le nom d'un avocat associé du cabinet auquel elle collaborait à Toulouse, tandis qu'elle a désigné, pour être présent à l'entretien prévu par l'article 63-4 dudit code, un avocat du barreau d'Orléans ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs et, dès lors qu'il résulte sans ambiguïté des pièces de la procédure que les formalités légales, prévues respectivement aux articles 63-2 et 63-4 du code de procédure pénale, ont été accomplies, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

(...)

Attendu (...) que, d'une part, aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à la notification à une personne, même précédemment gardée à vue, d'un mandat d'amener, qui s'analyse comme l'ordre donné par le magistrat à la force publique de la conduire devant lui et ne s'assimile pas à un ordre de recherche (...) ;

Que, d'autre part, la demanderesse, qui n'a pas contesté devant la chambre de l'instruction la régularité des formalités de notification dudit mandat, ne saurait invoquer la violation des articles 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale, dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure que, transférée de Toulouse à Orléans le lundi 18 avril 2005, elle a été présentée le jour même au juge d'instruction mandant ;

(...)

Attendu qu'en l'état des motifs reproduits au moyen, qui établissent que la palpation de sécurité à laquelle a été soumise France Moulin lors de son placement en garde à vue et les conditions d'appréhension ultérieures, par les officiers de police judiciaire, des sacs qu'elle détenait ne sauraient être assimilables à une perquisition, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer qu'ont été respectés, en l'espèce, les droits de la défense, le secret professionnel attaché à la qualité d'avocat de France Moulin et les dispositions conventionnelles invoquées ;

(...)

Attendu que les juges d'instruction ont effectué, à Toulouse, les 14 et 29 avril 2005, en présence du bâtonnier, une perquisition au cabinet de France Moulin puis une autre à son domicile, au cours desquelles ont été saisis une cassette provenant d'un dictaphone, un téléphone portable et un message adressé à cette avocate par [G.D.], mis en examen pour blanchiment provenant du trafic de stupéfiants et incarcéré, destiné à informer sa concubine sur le moyen de communiquer avec lui par l'intermédiaire d'un autre détenu ; que France Moulin a invoqué l'irrégularité de ces perquisitions et des saisies pratiquées, soutenant qu'en violation des articles 56-1 du code de procédure pénale et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, le bâtonnier n'avait pas été préalablement avisé de l'objet de la perquisition et qu'avaient été consultés par les magistrats, en méconnaissance du secret professionnel, des documents étrangers aux faits instruits ;

Attendu que, pour écarter cette argumentation, l'arrêt attaqué énonce qu'informant sur des faits de révélation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours, susceptibles d'être reprochés à France Moulin, les magistrats instructeurs pouvaient légalement prendre connaissance, en même temps que le bâtonnier, des documents détenus au cabinet ou au domicile, afin de ne saisir que ceux apparaissant en relation directe avec l'infraction poursuivie, susceptibles d'établir la participation éventuelle de France Moulin à cette infraction et étrangers à l'exercice des droits de la défense ; que les juges relèvent que tel a été le cas en l'espèce, le lien entre les objets saisis et l'infraction poursuivie étant établi ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui établissent que les saisies effectuées, en relation directe avec l'infraction objet de la poursuite, étaient destinées à apporter la preuve de la participation éventuelle de France Moulin à cette seule infraction et ont été limitées aux seuls documents nécessaires à la manifestation de la vérité et, dès lors que les textes en vigueur à l'époque des opérations critiquées n'imposaient pas au juge d'instruction l'information préalable du bâtonnier sur l'objet de la perquisition envisagée au cabinet ou au domicile d'un avocat, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

( ...) »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Sur le transfèrement et la présentation au procureur de la République

20.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables à l'époque des faits, se lisent comme suit :

Article 127

« Si la personne recherchée en vertu d'un mandat d'amener est trouvée à plus de 200 km du siège du juge d'instruction qui a délivré le mandat, et qu'il n'est pas possible de la conduire dans le délai de vingt-quatre heures devant ce magistrat, elle est conduite devant le procureur de la République du lieu de l'arrestation. »

Article 128

« Ce magistrat l'interroge sur son identité, reçoit ses déclarations, après l'avoir avertie qu'elle est libre de ne pas en faire, l'interpelle afin de savoir si elle consent à être transférée ou si elle préfère prolonger les effets du mandat d'amener, en attendant, au lieu où elle se trouve, la décision du juge d'instruction saisi de l'affaire. Si la personne déclare s'opposer au transfèrement, elle est conduite dans la maison d'arrêt et avis immédiat est donné au juge d'instruction compétent. L'original ou la copie du procès-verbal de la comparution contenant un signalement complet est transmis sans délai à ce magistrat, avec toutes les indications propres à faciliter la reconnaissance d'identité. (...) »

Article 129

« Le juge d'instruction saisi de l'affaire décide, aussitôt après la réception de ces pièces, s'il y a lieu d'ordonner le transfèrement. »

Article 130

« Lorsqu'il y a lieu à transfèrement dans les conditions prévues par les articles 128 et 129, la personne doit être conduite devant le juge d'instruction qui a délivré le mandat dans les quatre jours de la notification du mandat. (...) »

Article 803-2

« Toute personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue à la demande du procureur de la République comparaît le jour même devant ce magistrat ou, en cas d'ouverture d'une information, devant le juge d'instruction saisi de la procédure. Il en est de même si la personne est déférée devant le juge d'instruction à l'issue d'une garde à vue au cours d'une commission rogatoire, ou si la personne est conduite devant un magistrat en exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt. »

B. Sur le ministère public

1. Droit interne

21.  Les dispositions applicables à l'époque des faits se lisent ainsi :

a) La Constitution du 4 octobre 1958

Article 64

« Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature.

Une loi organique porte statut des magistrats.

Les magistrats du siège sont inamovibles. »

Article 65

« Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet.

La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'Etat, désigné par le Conseil d'Etat, et trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, le conseiller d'Etat et les trois personnalités mentionnées à l'alinéa précédent.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation et pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres.

Elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

Article 66

« Nul ne peut être arbitrairement détenu.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

22.  Le procureur de la République est un magistrat de l'ordre judiciaire qui participe au contrôle du respect des garanties attachées au respect de la liberté individuelle (décision no 93-323 du 5 août 1993 du Conseil constitutionnel). L'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet (décision no 93-326 du 11 août 1993). Dans l'exercice de sa compétence, le législateur doit se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle et, en particulier, il doit respecter le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire et la règle de l'inamovibilité des magistrats du siège, comme l'exige l'article 64 de la Constitution (décision no 32-305 du 21 février 1992).

b) Ordonnance no58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Article 1

« I. - Le corps judiciaire comprend :

1o Les magistrats du siège et du parquet de la Cour de cassation, des cours d'appel et des tribunaux de première instance ainsi que les magistrats du cadre de l'administration centrale du ministère de la justice ;

2o Les magistrats du siège et du parquet placés respectivement auprès du premier président et du procureur général d'une cour d'appel et ayant qualité pour exercer les fonctions du grade auquel ils appartiennent à la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés et dans l'ensemble des tribunaux de première instance du ressort de ladite cour ;

3o Les auditeurs de justice.

II. - Tout magistrat a vocation à être nommé, au cours de sa carrière, à des fonctions du siège et du parquet. »

Article 5

« Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre. »

Article 43

« Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Cette faute s'apprécie pour un membre du parquet ou un magistrat du cadre de l'administration centrale du ministère de la justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. »

Article 48

« Le pouvoir disciplinaire est exercé, à l'égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature et à l'égard des magistrats du parquet ou du cadre de l'administration centrale du ministère de la justice par le garde des sceaux, ministre de la justice.

Il est exercé à l'égard des magistrats en position de détachement ou de disponibilité ou ayant définitivement cessé leurs fonctions par la formation du Conseil supérieur compétente pour les magistrats du siège ou par le garde des sceaux, selon que ces magistrats ont exercé leurs dernières fonctions dans le corps judiciaire au siège ou au parquet et à l'administration centrale du ministère de la justice. »

Article 58-1

« Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisi d'une plainte ou informé de faits paraissant de nature à entraîner des poursuites disciplinaires contre un magistrat du parquet, peut, s'il y a urgence, et sur proposition des chefs hiérarchiques, après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour les magistrats du parquet, interdire au magistrat faisant l'objet d'une enquête l'exercice de ses fonctions jusqu'à décision définitive sur les poursuites disciplinaires. La décision d'interdiction temporaire, prise dans l'intérêt du service, ne peut être rendue publique ; elle ne comporte pas privation du traitement.

Si, à l'expiration d'un délai de deux mois, le Conseil supérieur de la magistrature n'a pas été saisi, l'interdiction temporaire cesse de plein droit de produire ses effets. »

Article 59

« Aucune sanction contre un magistrat du parquet ne peut être prononcée sans l'avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Les dispositions de la présente section sont applicables aux magistrats du cadre de l'administration centrale du ministère de la justice. »

Article 63

« Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur compétente pour la discipline des magistrats du parquet, des faits motivant une poursuite disciplinaire contre un magistrat du parquet.

Le procureur général près la Cour de cassation est également saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adressent les procureurs généraux près les cours d'appel ou les procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d'appel. (...) »

Article 66

« Lorsque le garde des sceaux, ministre de la justice, entend prendre une sanction plus grave que celle proposée par la formation compétente du Conseil supérieur, il saisit cette dernière de son projet de décision motivée. Après avoir entendu les observations du magistrat intéressé, cette formation émet alors un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat intéressé.

La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative. Elle prend effet du jour de cette notification. »

c) Le code de procédure pénale

Article 1

« L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code. »

Article 30

« Le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.

A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique.

Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes. »

Article 31

« Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi. »

Article 32

« Il est représenté auprès de chaque juridiction répressive.

Il assiste aux débats des juridictions de jugement ; toutes les décisions sont prononcées en sa présence.

Il assure l'exécution des décisions de justice. »

Article 33

« Il est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44. Il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice. »

Article 34

« Le procureur général représente en personne ou par ses substituts le ministère public auprès la cour d'appel et auprès de la cour d'assises instituée au siège de la cour d'appel, sans préjudice des dispositions de l'article 105 du code forestier et de l'article 446 du code rural. Il peut, dans les mêmes conditions, représenter le ministère public auprès des autres cours d'assises du ressort de la cour d'appel. »

Article 35

« Le procureur général veille à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort.

A cette fin, il anime et coordonne l'action des procureurs de République ainsi que la conduite de la politique d'action publique par les parquets de son ressort.

Sans préjudice des rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel sur l'activité et la gestion de son parquet ainsi que sur l'application de la loi.

Le procureur général a, dans l'exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique. »

Article 36

« Le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes. »

Article 39

« Le procureur de la République représente en personne ou par ses substituts le ministère public près le tribunal de grande instance, sans préjudice des dispositions de l'article 105 du code forestier et de l'article 446 du code rural.

Il représente également en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d'assises instituée au siège du tribunal.

Il représente de même, en personne ou par ses substituts, le ministère public auprès du tribunal de police ou de la juridiction de proximité dans les conditions fixées par l'article 45 du présent code. »

Article 40

« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »

Article 40-1

« Lorsqu'il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l'article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l'identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l'action publique, le procureur de la République territorialement compétent décide s'il est opportun :

1o Soit d'engager des poursuites ;

2o Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ;

3o Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient. »

2. Généralités sur le droit et la pratique internes

a) Lien hiérarchique

23.  S'agissant des instructions données par le ministre de la Justice et du lien hiérarchique entre ce dernier et les magistrats du parquet, une réponse ministérielle devant l'Assemblée nationale a apporté les précisions suivantes :

« Les dispositions de l'article 36 du code de procédure pénale, qui permettent au garde des sceaux d'enjoindre aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d'engager des poursuites, ne l'autorisent pas à ordonner le classement sans suite d'une procédure. Il n'est pas envisagé de supprimer le lien hiérarchique entre la chancellerie et les magistrats du ministère public, un tel lien étant indispensable pour mettre en œuvre, par l'institution d'un véritable échange avec les juridictions, les orientations de politique criminelle définies par le gouvernement et pour assurer la cohérence de l'action publique sur l'ensemble du territoire national » (réponse ministérielle, 4 septembre 1995, JOAN Q 1995, p. 3 802).

24.  Dans l'exercice de sa fonction, le garde des sceaux est notamment assisté par la Direction des affaires criminelles et des grâces : « sous l'autorité du garde des sceaux, elle définit les politiques pénales, anime et coordonne l'exercice de l'action publique. » (site Internet du ministère de la Justice).

25.  Dans son rapport de l'année 2008, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) donne les résultats de l'enquête qu'il a menée auprès des magistrats de l'ordre judiciaire sur le thème « Les magistrats et la déontologie ». Il ressort d'une étude réalisée par un institut de sondage à sa demande que si les magistrats de l'ordre judiciaire sont à 95 % d'accord sur le fait que les juges du siège sont indépendants, ils sont globalement 64 % à penser que les membres du parquet ne le sont pas (Conseil supérieur de la magistrature, rapport d'activité 2008, La Documentation française, pp. 104 et 106). Par ailleurs, seuls 58 % des membres du parquet s'estiment indépendants et uniquement 27 % des juges du siège estiment que leurs collègues du parquet sont indépendants (p. 127).

b) Indivisibilité

26.  Le ministère public se caractérise également par son indivisibilité : les membres d'un même parquet forment un ensemble indivisible ; l'acte accompli par un membre du parquet l'est au nom de tout le parquet, et ils peuvent donc se remplacer ou être remplacés tout au long d'une procédure.

c) Nominations

27.  La procédure de nomination des magistrats diffère selon qu'ils sont du siège ou du parquet. La formation du siège du CSM dispose d'un pouvoir d'initiative pour les nominations du siège de la Cour de cassation, des premiers présidents de cours d'appel et des présidents de tribunaux de grande instance. Par ailleurs, elle rend un avis qui lie le garde des sceaux pour les autres nominations. S'agissant des magistrats du ministère public, la formation du parquet du CSM dispose d'un pouvoir d'avis simple, qui ne lie pas le ministre, pour toutes les nominations à des postes du parquet proposées par le garde des sceaux, à l'exception des postes de procureurs généraux, qui sont nommés en Conseil des ministres.

28.  Dans son rapport d'activité de l'année 2005, le CSM a renouvelé une proposition de réforme du ministère public, déjà formulée dans ses rapports des années 1998, 2001 et 2003-2004. Il a proposé un alignement complet des modalités de désignation des magistrats du siège et du parquet, estimant que tous les procureurs généraux près la Cour de cassation et les cours d'appel, ainsi que tous les procureurs de la République, soient nommés sur sa proposition, les autres magistrats du parquet devant être nommés sur proposition du ministre mais sur avis conforme, donc contraignant, du CSM. Selon ce dernier, une telle réforme assurerait « un bon équilibre entre, d'une part, les implications de cette organisation hiérarchique du parquet et, d'autre part, les exigences et garanties attachées au statut de magistrat qui serait plus sûrement et ostensiblement assuré » ; elle permettrait « d'écarter toute suspicion quant au choix des magistrats appelés à exercer l'action publique », ce qui est « d'autant plus nécessaire aux yeux du CSM qu'on assiste depuis quelques années à un accroissement continu des pouvoirs du parquet ». Corollairement, le CSM a estimé qu'il conviendrait également d'aligner la procédure disciplinaire des magistrats du parquet sur celle des juges du siège (Conseil supérieur de la magistrature, rapport d'activité 2005, La Documentation française, pp. 191-192).

d) Indépendance à l'égard des juridictions et des parties

29.  Le ministère public est indépendant à l'égard des juridictions et des justiciables : la séparation des autorités de poursuite, d'instruction et de jugement conduit à l'interdiction des injonctions ou des critiques des juges du siège à l'égard des membres du ministère public, l'opportunité des poursuites et la mise en mouvement de l'action publique relevant de la compétence des parquets ; les magistrats du ministère public ne peuvent pas être récusés (article 669, al. 2 du code de procédure pénale).

3. Recommandation (2000) 19 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale (6 octobre 2000)

« Garanties reconnues au ministère public pour l'exercice de ses activités

4. Les Etats doivent prendre toutes mesures utiles pour permettre aux membres du ministère public d'accomplir leurs devoirs et responsabilités professionnelles dans des conditions de statut, d'organisation et avec les moyens, notamment budgétaires, appropriés. Ces conditions doivent être déterminées en concertation étroite avec les représentants du ministère public. »

« Rapports entre le ministère public et les pouvoirs exécutif et législatif

11. Les Etats doivent prendre les mesures appropriées pour faire en sorte que les membres du ministère public puissent remplir leur mission sans ingérence injustifiée et sans risquer d'encourir, au-delà du raisonnable, une responsabilité civile, pénale ou autre. Toutefois, le ministère public doit rendre compte, périodiquement et publiquement, de l'ensemble de ses activités, en particulier de la mise en œuvre de ses priorités. »

4. Recommandation 1896 (2010) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (adoptée le 27 janvier 2010)

« 3. Elle encourage le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) à poursuivre son rôle de gardien de la bonne application de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, en ayant notamment à l'esprit l'indépendance des procureurs et au vu des réformes ayant eu lieu dans les Etats membres depuis l'adoption de la recommandation. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

30.  La requérante allègue que, détenue durant cinq jours avant d'être présentée à « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », elle n'a pas été « aussitôt traduite » devant une telle autorité. Elle invoque l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« 3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

31.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

32.  La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  La requérante

33.  La requérante estime que l'addition des délais d'une garde à vue et de défèrement avant d'être présentée à un magistrat du siège constitue une méconnaissance manifeste des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention.

34.  Elle estime en outre que la simple présence d'un magistrat au cours d'une perquisition a pour seul objet de répondre à une exigence légale, la perquisition au cabinet ou au domicile d'un avocat ne pouvant être effectuée que par un magistrat et devant répondre à certaines exigences légales. Une telle présence simultanée au cours de la perquisition n'a aucune autre finalité et ne peut donc être assimilée à une comparution devant un juge. Une telle comparution doit au contraire répondre aux conditions posées par la Cour dans son arrêt Schiesser c. Suisse : d'une part, le magistrat doit entendre personnellement l'individu traduit devant lui ; d'autre part, il a l'obligation d'examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer sur les raisons qui la justifient et, en leur absence, d'ordonner la libération. Tel n'est pas le cas au cours d'une perquisition, pendant laquelle l'intéressé se tient aux côtés du magistrat dont le rôle se limite à contrôler les opérations, et il serait parfaitement absurde de considérer que le simple fait de saluer un juge s'analyse en une comparution personnelle ; une telle situation ne correspond pas aux exigences de l'article 5 § 3 de la Convention (Schiesser c. Suisse , 4 décembre 1979, série A no 34).

35.  S'agissant de l'intervention du procureur de la République adjoint de Toulouse, la requérante estime qu'elle ne peut pallier l'absence de tout contrôle juridictionnel sur sa détention en l'espèce. Le représentant du ministère public français ne peut être assimilé à « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », comme la Cour l'a indiqué dans son arrêt Schiesser précité, et surtout confirmé dans l'affaire Huber c. Suisse (23 octobre 1990, série A no 188) et dans sa jurisprudence depuis trente ans. La requérante relève notamment qu'il y a une chance pour le magistrat de devenir organe de poursuite et que son impartialité peut paraître sujette à caution, même en l'absence de cumul effectif de pareilles fonctions (Brincat c. Italie, 26 novembre 1992, série A no 249-A). Elle estime en outre qu'il est curieux de soutenir, comme le fait le Gouvernement, que le procureur est un magistrat indépendant alors que les membres du parquet sont sous l'autorité hiérarchique du garde des sceaux et sont les représentants du pouvoir exécutif.

36.  De plus, elle estime que l'unité du corps judiciaire, le recrutement des magistrats, les possibles évolutions de leurs carrières ou encore leur mode de rémunération ne peuvent être autant de critères de l'exercice des fonctions judiciaires au sens de la Convention. Précisément, au critère fonctionnel élaboré par la Cour, le Gouvernement oppose un critère purement formel radicalement inopérant pour modifier la jurisprudence de la Cour. Le parquet, partie au procès, engage les poursuites et reste sous la dépendance du pouvoir exécutif.

37.  Par voie de conséquence, la requérante estime que sa présentation au procureur adjoint de Toulouse n'est pas assimilable à une comparution devant un magistrat au sens de l'article 5 § 3 de la Convention.

38.  Concernant la condition « aussitôt traduite » posée par l'article 5 § 3, elle considère que le délai de quatre jours censuré dans l'arrêt Brogan et rappelé dans l'arrêt McKay (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, série A no 145-B, et McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, CEDH 2006-X) a été dépassé en ce qui la concerne, puisque ni la perquisition ni la présentation au procureur adjoint ne répondaient à cette exigence, entraînant une violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

b)  Le Gouvernement

39.  Le Gouvernement, après avoir rappelé le déroulement des faits et fait référence à la jurisprudence de la Cour, en particulier les arrêts Brogan et autres et McKay précités, indique que la requérante a été retenue sur plusieurs fondements successifs : la garde à vue, puis le mandat d'amener et, enfin, la décision de placement en détention provisoire du juge des libertés et de la détention. Il souhaite distinguer la période de garde à vue, qui a duré quarante-huit heures, du délai de présentation aux juges d'instruction de trois jours : pris séparément, ces deux délais sont inférieurs au délai de quatre jours de l'affaire Brogan et autres (A. C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999). En tout état de cause, le Gouvernement estime que l'article 5 § 3 de la Convention a été respecté puisque la requérante a été « aussitôt », en l'espèce vingt heures après son interpellation, au début de la perquisition de son cabinet, « présentée » aux juges d'instruction. Le transport des juges d'instruction au commissariat de Toulouse est donc rappelé à titre surabondant par le Gouvernement.

40.  Il ajoute que, de surcroît, la requérante a été présentée au procureur de Toulouse le 15 avril 2005 à 15 h 30. Il estime qu'elle a ainsi rencontré un magistrat indépendant appartenant à l'ordre judiciaire et ainsi gardien, au sens de la Constitution, des « libertés individuelles ». La rédaction de l'article 5 § 3 n'exige pas que le « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » soit un juge du siège.

41.  S'agissant des garanties offertes par les membres du ministère public, il précise que le principe de l'unité du corps judiciaire, posé par la Constitution et confirmé par le Conseil constitutionnel, est incontestable. Tous les magistrats sont recrutés par un concours national unique, peuvent ensuite exercer indifféremment au siège ou au parquet durant leur carrière, et leur statut échappe à celui des fonctionnaires afin d'être compatible avec l'indépendance judiciaire.

42.  Quant au ministre de la Justice, s'il peut adresser des instructions sur une affaire particulière, à certaines conditions et sans que cela puisse avoir pour objet une quelconque privation de liberté, il n'est pas intervenu en l'espèce, laissant le magistrat du parquet totalement indépendant.

43.  Partant, la requérante ayant accepté le transfèrement sans solliciter des juges d'instruction d'Orléans qu'ils examinent à nouveau leur décision, elle ne saurait se plaindre de la décision du procureur, lequel ne pouvait exercer des poursuites qu'à Toulouse, et du délai subséquent de présentation aux juges d'instruction d'Orléans.

44.  Le Gouvernement estime enfin que les deux juges d'instruction n'étaient pas en mesure de l'entendre immédiatement après la perquisition ou de la faire transférer immédiatement à Orléans : la requérante a été examinée par un médecin le 14 avril 2005 ; il a été procédé à son audition par les policiers le 14 avril en fin d'après-midi et, le lendemain, en fin de matinée ; les juges d'instruction ont dû prendre note des observations formulées par le bâtonnier sur les conditions de la perquisition et s'occuper de la question du bris des scellés apposés sur le domicile de la requérante le 15 avril, avant de regagner Orléans le samedi 16 avril à quatre heures du matin.

45.  Le Gouvernement en conclut que la requérante ne pouvait pas leur être présentée le samedi 16 ou le dimanche 17 avril 2005, les deux juges d'instruction et leur greffier ayant eu besoin de repos.

2. Appréciation de la Cour

46.  La Cour rappelle que, dans son arrêt Medvedyev et autres c. France ([GC], no 3394/03, CEDH 2010-...), elle s'est exprimée comme suit :

« 117.  La Cour rappelle que l'article 5 de la Convention figure parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux qui protègent la sécurité physique des personnes et que trois grands principes en particulier ressortent de la jurisprudence de la Cour : les exceptions, dont la liste est exhaustive, appellent une interprétation étroite et ne se prêtent pas à l'importante série de justifications prévues par d'autres dispositions (les articles 8 à 11 de la Convention en particulier) ; la régularité de la détention sur laquelle l'accent est mis de façon répétée du point de vue tant de la procédure que du fond, et qui implique une adhésion scrupuleuse à la prééminence du droit ; et, enfin, l'importance de la rapidité ou de la célérité des contrôles juridictionnels requis en vertu de l'article 5 §§ 3 et 4 (McKay précité, § 30).

118.  La Cour rappelle également l'importance des garanties de l'article 5 § 3 pour la personne arrêtée. Cet article vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt physiquement conduite devant une autorité judiciaire. Ce contrôle judiciaire rapide et automatique assure aussi une protection appréciable contre les comportements arbitraires, les détentions au secret et les mauvais traitements (voir, par exemple, les arrêts Brogan et autres, précité, § 58, Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, 26 mai 1993, série A no 258-B, p. 55, §§ 62‑63, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 49, CEDH 1999-III, Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 66, CEDH 2000-VIII, et Öcalan c. Turquie, no 46221/99 , § 103, CEDH 2005-IV).

119.  L'article 5 § 3, en tant qu'il s'inscrit dans ce cadre de garanties, vise structurellement deux aspects distincts : les premières heures après une arrestation, moment où une personne se retrouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition. Ces deux volets confèrent des droits distincts et n'ont apparemment aucun lien logique ou temporel (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 49, 29 avril 1999).

120.  Pour ce qui est du premier volet, seul en cause en l'espèce, la jurisprudence de la Cour établit qu'il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d'avoir commis une infraction. Un tel contrôle doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale de détention, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité des pouvoirs qui leur sont conférés et qui doivent s'exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites. Le contrôle juridictionnel doit répondre aux exigences suivantes (McKay précité, § 32) :

i.  Promptitude

121.  Le contrôle juridictionnel lors de la première comparution de la personne arrêtée doit avant tout être rapide car il a pour but de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle. La stricte limite de temps imposée par cette exigence ne laisse guère de souplesse dans l'interprétation, sinon on mutilerait, au détriment de l'individu, une garantie procédurale offerte par cet article et on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui (Brogan et autres, précité, § 62, la Cour ayant jugé dans cette affaire que des périodes de détention de quatre jours et six heures sans comparution devant un juge emportaient violation de l'article 5 § 3, même dans le contexte spécial d'enquêtes sur des infractions terroristes).

ii.  Caractère automatique du contrôle

122.  Le contrôle doit être automatique et ne peut être rendu tributaire d'une demande formée par la personne détenue. A cet égard, la garantie offerte est distincte de celle prévue par l'article 5 § 4 qui donne à la personne détenue le droit de demander sa libération. Le caractère automatique du contrôle est nécessaire pour atteindre le but de ce paragraphe, étant donné qu'une personne soumise à des mauvais traitements pourrait se trouver dans l'impossibilité de saisir le juge d'une demande de contrôle de la légalité de sa détention ; il pourrait en aller de même pour d'autres catégories vulnérables de personnes arrêtées, telles celles atteintes d'une déficience mentale ou celles qui ne parlent pas la langue du magistrat (Aquilina, précité).

iii.  Les caractéristiques et pouvoirs du magistrat

123.  Le paragraphe 1 c) forme un tout avec le paragraphe 3 et l'expression « autorité judiciaire compétente » du paragraphe 1 c) constitue un synonyme abrégé de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » du paragraphe 3 (voir, notamment, Lawless c. Irlande, 1er juillet 1978, série A, no 3, et Schiesser, précité, § 29).

124.  Le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d'ordonner l'élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l'arrestation et de la détention (voir, parmi beaucoup d'autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 146 et 149). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l'affaire Schiesser précitée (§ 31) :

« (...) [A] cela s'ajoutent, d'après l'article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l'obligation d'entendre personnellement l'individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d'examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l'existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d'ordonner l'élargissement (Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, § 199) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47).

125.  Le contrôle automatique initial portant sur l'arrestation et la détention doit donc permettre d'examiner les questions de régularité et celle de savoir s'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction, c'est-à-dire si la détention se trouve englobée par les exceptions autorisées énumérées à l'article 5 § 1 c). S'il n'en est pas ainsi, ou si la détention est illégale, le magistrat doit avoir le pouvoir d'ordonner la libération (McKay précité, § 40). »

47.  En l'espèce, il apparaît que la requérante a rencontré les juges d'instruction chargés de l'information au cours de la perquisition effectuée à son cabinet. Il ressort toutefois du procès-verbal de perquisition, document détaillé produit par le Gouvernement et rédigé par les juges, que ces derniers se sont strictement contentés de procéder aux opérations de perquisition et de saisie, à l'exclusion de toute autre mesure, en particulier concernant l'audition de la requérante et l'examen de la légalité de sa détention (paragraphe 8 ci-dessus).

48.  La Cour note que les juges d'instruction n'ont pas davantage procédé à une telle audition en se rendant à l'hôtel de police le 15 avril 2005 (paragraphe 10 ci-dessus), le procès-verbal semblant au contraire indiquer qu'ils ne se sont adressés qu'aux seuls policiers chargés de la garde à vue.

49.  Elle considère qu'il est d'ailleurs pour le moins contradictoire pour le Gouvernement d'invoquer le respect de l'article 5 § 3 en raison de la « présentation » de la requérante aux juges d'instruction à l'occasion de la perquisition, pour ensuite prétendre que les deux juges d'instruction ne pouvaient pas l'entendre immédiatement après la perquisition ou la faire transférer immédiatement à Orléans. Sur ce dernier argument, la Cour considère que le besoin de repos des juges et de leur greffier invoqué par le Gouvernement ne saurait justifier une atteinte aux exigences de l'article 5 § 3.

50.  Enfin, la Cour relève qu'en tout état de cause les juges d'instruction d'Orléans intervenaient en dehors de leur ressort de compétence territoriale, la garde à vue s'étant déroulée dans celui de la cour d'appel de Toulouse, ce qui excluait leur compétence pour se prononcer sur la légalité de la détention de la requérante. Pour cette raison, la garde à vue a été prolongée par un juge d'instruction de Toulouse, lequel n'a cependant pas non plus entendu la requérante pour examiner le bien-fondé de sa détention (paragraphe 9 ci-dessus).

51.  Il s'ensuit que pendant la période qui s'est écoulée entre son placement en garde à vue le 13 avril 2005 à 14 h 35 (paragraphe 7 ci-dessus) et sa présentation aux deux juges d'instruction d'Orléans le 18 avril 2005 à 15 h 14 (paragraphe 15 ci-dessus), pour l'interrogatoire de « première comparution », la requérante n'a pas été entendue personnellement par les juges d'instruction en vue d'un examen par ces derniers des circonstances qui militent pour ou contre la détention, afin qu'ils se prononcent selon des critères juridiques sur l'existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d'ordonner l'élargissement, autrement dit sur le bien-fondé de la détention.

52.  La Cour précise au demeurant que cette période de plus de cinq jours ne saurait être traitée en plusieurs périodes distinctes comme le prétend le Gouvernement. En effet, la détention de la requérante se fondait, dès son interpellation et jusqu'au 18 avril, sur « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle [avait] commis ou tenté de commettre » une ou des infractions au sens de l'article 5 § 1 c) de la Convention, ce qui n'était pas le cas de l'intéressée dans l'affaire A.C. (précitée) invoquée par le Gouvernement et qui concernait une audition par la police en qualité de témoin, dans le cadre d'un régime juridique différent et relevant de l'article 5 § 1 b) de la Convention. Elle rappelle d'ailleurs que l'article 5 § 3 vise structurellement deux aspects distincts : les premières heures après une arrestation, moment où une personne se retrouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition ; ces deux volets confèrent des droits distincts et n'ont apparemment aucun lien logique ou temporel (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 49, 29 avril 1999, et Medvedyev et autres, précité, § 119) ; en l'espèce, la période litigieuse de cinq jours relève bien du premier aspect, à savoir des heures et des journées qui ont suivi l'arrestation du 13 avril 2005 au cours desquelles la requérante se trouvait aux mains des autorités ; le second aspect, relatif à la période avant procès, concerne la détention provisoire ordonnée le 18 avril 2005 et n'est pas en cause en l'espèce.

53.  De l'avis de la Cour, il convient donc d'examiner la question de savoir si la requérante aurait néanmoins été « aussitôt » traduite devant un autre « juge ou (...) magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », conformément aux dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention.

54.  Sur ce point, elle relève que la requérante a été présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, après la fin de sa garde à vue, en raison de l'existence d'un mandat d'amener délivré par les juges d'instruction d'Orléans. Le procureur adjoint a finalement ordonné sa conduite en maison d'arrêt, en vue de son transfèrement ultérieur devant les juges (paragraphe 14 ci-dessus).

55.  Il appartient donc à la Cour d'examiner la question de savoir si le procureur adjoint, membre du ministère public, remplissait les conditions requises pour être qualifié, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention et au regard des principes qui se dégagent de sa jurisprudence (paragraphe 46 ci-dessus), en particulier s'agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

56.  La Cour constate tout d'abord que si l'ensemble des magistrats de l'ordre judiciaire représente l'autorité judiciaire citée à l'article 66 de la Constitution, il ressort du droit interne que les magistrats du siège sont soumis à un régime différent de celui prévu pour les membres du ministère public. Ces derniers dépendent tous d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, ministre de la Justice, qui est membre du gouvernement, et donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles en vertu de l'article 64 de la Constitution. Ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice. En vertu de l'article 33 du code de procédure pénale, le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44 du même code, même s'il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice.

57.  La Cour n'ignore pas que le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public fait l'objet d'un débat au plan interne (voir, notamment, paragraphes 25 et 28 ci-dessus). Toutefois, il ne lui appartient pas de prendre position dans ce débat qui relève des autorités nationales : la Cour n'est en effet appelée à se prononcer que sous le seul angle des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention, et des notions autonomes développées par sa jurisprudence au regard desdites dispositions. Dans ce cadre, la Cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5 § 3 (Schiesser, précité, § 31, et, entre autres, De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 49, série A no 77, ou plus récemment Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 238, CEDH 2003‑VI (extraits)).

58.  Par ailleurs, la Cour constate que la loi confie l'exercice de l'action publique au ministère public, ce qui ressort notamment des articles 1er et 31 du code de procédure pénale. Indivisible (paragraphe 26 ci-dessus), le parquet est représenté auprès de chaque juridiction répressive de première instance et d'appel en vertu des articles 32 et 34 du code précité. Or la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale (voir, en dernier lieu, Medvedyev et autres, précité, § 124 ; paragraphe 46 ci-dessus). Il importe peu qu'en l'espèce le procureur adjoint exerçait ses fonctions dans un ressort territorial différent de celui des deux juges d'instruction, la Cour ayant déjà jugé que le fait pour le procureur d'un district, après avoir prolongé une privation de liberté, d'avoir ensuite transféré le dossier dans un autre parquet, n'emportait pas sa conviction et ne justifiait pas qu'elle s'écarte de sa jurisprudence consacrée par l'arrêt Huber c. Suisse précité (Brincat, précité, § 20).

59.  Dès lors, la Cour estime que le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, les garanties d'indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

60.  En conséquence, la Cour constate que la requérante n'a été présentée à un « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », en l'espèce les juges d'instruction d'Orléans, en vue de l'examen du bien-fondé de sa détention, que le 18 avril 2005 à 15 h 14, soit plus de cinq jours après son arrestation et son placement en garde à vue.

61.  Or la Cour rappelle que, dans l'arrêt Brogan, elle a jugé qu'une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l'article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme, ce qui n'était au demeurant pas le cas en l'espèce (Brogan et autres, précité, § 62, et Medvedyev et autres, précité, § 129).

62.  Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLES 6 §§ 1 et 3 DE LA CONVENTION

63.  La requérante se plaint d'une violation de son droit à l'assistance d'un avocat de son choix durant sa garde à vue. Elle invoque l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

Article 6 §§ 1 et 3 c)

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

c)  se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ; (...) »

64.  La requérante se plaint de ce que, alors qu'elle était en garde à vue, elle aurait vainement indiqué aux policiers vouloir s'entretenir avec Me I., qu'elle aurait désigné pour la représenter.

65.  La Cour relève cependant qu'il ressort de l'arrêt de la chambre de l'instruction d'Orléans du 13 octobre 2005, lequel se fonde sur un procès-verbal établi durant la garde à vue litigieuse, que lorsqu'il lui a été demandé si elle souhaitait faire prévenir un membre de sa famille ou son employeur, la requérante a désigné Me I. non comme avocat pour l'assister mais comme employeur, en sa qualité d'associé de Me D. dont elle était la collaboratrice, Me D. étant absent et à l'étranger. La question de savoir si Me I. pouvait être juridiquement qualifié d'employeur est sans pertinence en l'espèce et le fait qu'il soit par la suite devenu l'avocat de la requérante est inopérant, et ce d'autant que la Cour constate qu'il ressort de la procédure de garde à vue que la requérante, après avoir demandé à s'entretenir avec un avocat, a désigné Me B., avocat au barreau d'Orléans, à cette fin. N'ayant pu donner suite à cette désignation, étant retenu par l'interrogatoire d'une autre cliente, ce dernier a contacté deux confrères, dont son bâtonnier, lequel s'est finalement lui-même déplacé pour assister la requérante dans le cadre de sa garde à vue (paragraphe 17 ci-dessus).

66.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 §§ 1 ET 3, ET 8 DE LA CONVENTION

67.  La requérante dénonce le déroulement de la perquisition à son cabinet, ainsi qu'une palpation et la saisie d'effets personnels, à savoir deux sacs, effectuées lors de son arrestation. Elle invoque les articles 6 §§ 1 et 3, et 8 de la Convention. Ce dernier dispose :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

68.  La Cour constate d'emblée que la perquisition effectuée au domicile professionnel de la requérante constitue une ingérence de l'Etat dans le droit au respect de la vie privée et du domicile du requérant (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30, série A no 251-B, Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV, André et autre c. France, no 18603/03, §§ 36-37, CEDH 2008-..., et Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05, 21 janvier 2010).

69.  La Cour observe par ailleurs que l'ingérence avait une base légale et qu'elle poursuivait un but légitime, à savoir celui de la défense de l'ordre public et de la prévention des infractions pénales. La requérante ne le conteste d'ailleurs pas.

70.  Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l'article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » (Crémieux c. France, 25 février 1993, § 38, série A no 256-B, Roemen et Schmit, précité, § 68, et André et autre, précité, § 40).

71.  Elle rappelle également que des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client (André et autre, précité, § 41). Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n'interdit pas d'imposer aux avocats un certain nombre d'obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l'existence d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction. Reste qu'il est alors impératif d'encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l'administration de la justice et leur qualité d'intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d'auxiliaires de justice (André et autre, précité, § 42).

72.  En l'espèce, la Cour note qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner la requérante d'avoir commis ou tenté de commettre, en sa qualité d'avocate, une ou plusieurs infractions. Lors de la notification de la garde à vue, elle était soupçonnée de faits de révélation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours.

73.  Par ailleurs, la perquisition s'est accompagnée d'une garantie spéciale de procédure, puisqu'elle fut exécutée en présence du bâtonnier de l'Ordre des avocats, et que les observations formulées par celui-ci ont pu être ensuite discutées devant le juge des libertés et de la détention.

74.  La Cour relève en outre qu'il ressort de l'arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2006 que les saisies effectuées étaient en relation directe avec l'infraction objet de la poursuite, étaient destinées à apporter la preuve de la participation éventuelle de la requérante à cette seule infraction et étaient limitées aux seuls documents nécessaires à la manifestation de la vérité (paragraphe 19 ci-dessus).

75.  La Cour estime dès lors que la perquisition au domicile professionnel de la requérante n'était pas, dans les circonstances particulières de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé et elle ne relève aucune apparence de violation des dispositions de l'article 8 de la Convention.

76.  S'agissant de la palpation réalisée lors de l'arrestation, il ne s'agissait en réalité que d'une mesure de sécurité, uniquement destinée à détecter la présence éventuelle d'objets dangereux. En tout état de cause, la requérante n'étaye pas suffisamment son grief pour justifier que la Cour s'interroge sur la nécessité et la proportionnalité de cette mesure en l'espèce. Quant à la saisie des deux sacs lors de l'arrestation, la Cour note que la requérante les a en réalité conservés avec elle jusqu'à 21 h 15, et ce sans qu'ils aient fait l'objet d'une fouille par les fonctionnaires de police, qu'elle a été autorisée à en retirer un billet de cinquante euros pour assurer ses frais de nourriture et que lesdits sacs ont ensuite été placés sous scellés par les policiers, toujours sans fouille préalable. Ce n'est qu'ultérieurement qu'ils ont été ouverts et inventoriés, par les juges d'instruction et en présence du bâtonnier, après autorisation du juge des libertés et de la détention.

77.  S'agissant de l'article 6 §§ 1 et 3, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par ces dispositions.

78.  Il s'ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

79.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

80.  La requérante réclame, compte tenu de la durée de sa détention, du retentissement médiatique de l'affaire et de ses conséquences sur son état de santé, 30 000 euros (« EUR ») au titre du préjudice moral.

81.  Le Gouvernement estime que cette demande est sans lien avec la violation alléguée.

82.  La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer à la requérante 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

83.  La requérante demande également 9 568 EUR pour les frais et dépens. Elle produit une demande de provision d'honoraires de ce montant, établie par son conseil pour l'instruction et l'introduction de la requête devant la Cour.

84.  Le Gouvernement estime que cette demande est excessive et qu'une somme de 4 000 EUR serait, en équité, suffisante à ce titre.

85.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d'allouer la somme de 7 500 EUR à la requérante.

C.  Intérêts moratoires

86.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, ainsi que 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la requérante ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 novembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsPeer Lorenzen
Greffier adjointPrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE MOULIN c. FRANCE, 23 novembre 2010, 37104/06