CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE, 16 juin 2011, 19535/08

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Chronologie de l’affaire

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www.revuegeneraledudroit.eu · 16 août 2021

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Pascaud c. France, La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de : Dean Spielmann, président, Elisabet Fura, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre, Ann Power, juges, et de Claudia Westerdiek, greffière de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2011, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. A l'origine de l'affaire se …

 

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Imprimer ... 722 • Le droit de l'Union est, depuis ses débuts, un droit qui a été voulu par les auteurs des traités originaires et par la Cour de justice, comme le droit d'un ordre juridique autonome, droit directement applicable dans les Etats membres et dont la primauté et l'application uniforme sont des éléments considérés comme consubstantiels (selon CJCE, 15 juillet 1964, Costa contre ENEL, Aff. n°C-6/64,Rec. CJCE, p. 1141 : « La Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 16 juin 2011, n° 19535/08
Numéro(s) : 19535/08
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 45, 6 juillet 2010
Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI
Grönmark c. Finlande, no 17038/04, 6 juillet 2010
Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A
Jäggi c. Suisse, no 58757/00, CEDH 2006-X
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI
Mikulic c. Croatie, no 53176/99, CEDH 2002-I
Odièvre c. France [GC], no 42326/98, CEDH 2003-III
Phinikaridou c. Chypre, no 23890/02, § 53, CEDH 2007-XIV (extraits)
Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 8 ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - décision réservée ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-105157
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:0616JUD001953508
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE

(Requête no 19535/08)

ARRÊT

(fond)

STRASBOURG

16 juin 2011

DÉFINITIF

16/09/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Pascaud c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ann Power, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19535/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christian Pascaud (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me B. Favreau, avocat à Bordeaux. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue en particulier être victime d’une violation de l’article 8 de la Convention, au motif qu’il n’a pas pu faire reconnaître judiciairement sa véritable filiation envers son père biologique. Il dénonce également une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14, et des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

4.  Le 28 septembre 2009, le président de la cinquième section a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 8 de la Convention au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5.  Le 6 mai 2010, le requérant a demandé la tenue d’une audience. La Cour a décidé de ne pas faire droit à cette demande.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1960 et réside à Saint-Emilion.

7.  F.L. entretenait une relation avec W.A., fils d’un propriétaire viticole voisin. Le 8 février 1960, F.L. donna naissance à un fils, le requérant, qu’elle reconnut. Quelques temps après, F.L. rencontra C.P.

8.  Le 8 avril 1961, C.P. reconnut les deux enfants de F.L. Le 28 avril 1961, F.L. et C.P. se marièrent. Le requérant fut légitimé par ce mariage.

9.  Le requérant indique que C.P. ne s’est jamais comporté en père vis-à-vis de lui. Il ajoute qu’il fut informé par son entourage, dès qu’il fut en âge de comprendre, que C.P. n’était pas son père biologique et qu’il était de notoriété publique que son véritable père était W.A.

10.  Le 24 mars 1981, C.P. et F.L. divorcèrent.

11.  Le requérant indique que depuis de longues années, il rencontrait W.A. dans la plus grande discrétion et que celui-ci lui avait promis de régulariser la situation au décès de sa mère.

12.  En 1993, W.A., alors viticulteur à Saint-Emilion en Gironde, fut gravement handicapé par un accident cérébral.

13.  Le 19 mai 1994, la mère de W.A. décéda.

14.  Par un acte notarié du 27 août 1998, W.A. déclara instituer la commune de Saint-Emilion pour légataire universel de sa succession, à charge pour elle d’exécuter divers legs à certains individus et à une association.

15.  Par un acte notarié du 4 septembre 1998, W.A. fit donation à la commune de Saint-Emilion de la nue-propriété de son exploitation viticole connue sous le nom de « Château Badette », à charge pour la commune de s’occuper de lui. A l’époque, son exploitation était estimée à plus de 7 600 000 francs français (soit environ 1 158 000 euros) et comprenait une maison d’habitation, des bâtiments d’exploitation et des parcelles de vignes.

16.  Le même jour, la donation fut acceptée par le conseil municipal de la commune.

17.  Le 24 octobre 2000, agissant sur le fondement des articles 322 et 334-9 du code civil interprétés a contrario, le requérant assigna C.P. devant le tribunal de grande instance de Libourne en vue d’obtenir l’annulation de sa reconnaissance de paternité du 8 avril 1961, de voir constater judiciairement la paternité à l’égard de W.A. et d’obtenir la transcription de cette reconnaissance sur son acte de naissance. Subsidiairement, il demanda que fût constaté l’établissement de la filiation naturelle de W.A. par la possession d’état ou qu’elle fût consacrée en vertu de l’article 338 du code civil.

18.  Le 22 mai 2001, le juge de la mise en état ordonna une expertise génétique afin de déterminer si la paternité de W.A. pouvait être admise, ou au contraire exclue. Pour faire droit à cette demande, le juge prit en compte un certain nombre d’attestations produites par le requérant.

19.  Les 7, 24 juillet et 25 août 2001, W.A. fut convoqué par le laboratoire d’analyses, mais ne s’y rendit pas. Le requérant allègue que W.A. fit l’objet de pressions réitérées et de mesures d’intimidation de la part de la commune de Saint-Emilion.

20.  Le 24 septembre 2001, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Libourne, saisi d’une demande d’un médecin, plaça W.A. sous sauvegarde de justice et, constatant que celui-ci n’avait pas de famille connue, nomma l’adjointe au maire de Saint-Emilion comme mandataire spéciale.

21.  Le 2 octobre 2001, lors d’un entretien avec le maire de la commune de Saint-Christophe-des-Bardes au domicile de W.A., ce dernier lui fit connaître sa décision de reconnaître officiellement son fils, le requérant. Compte tenu de la précédente reconnaissance de paternité du 8 avril 1961, le maire contacta, le 8 octobre 2001, le procureur de la République de Libourne pour l’informer de la difficulté et lui demander des directives. Dans l’attente d’une réponse du procureur, le maire s’abstint de formaliser l’enregistrement de reconnaissance qui lui avait été demandé par W.A.

22.  Le 27 octobre 2001, l’expert désigné par le tribunal procéda à l’examen génétique, après avoir recueilli le consentement écrit de W.A.

23.  Le 12 novembre 2001, l’expert déposa son rapport, dans lequel il concluait à une probabilité de paternité de 99,999 % de W.A. sur le requérant.

24.  Le 26 novembre 2001, le juge des tutelles plaça W.A. sous curatelle renforcée et nomma l’Union départementale des associations familiales comme curateur.

25.  Le 6 décembre 2001, le procureur de la République répondit au courrier du maire de Saint-Christophe-des-Bardes, indiquant qu’il ne lui était pas permis de dresser l’acte de reconnaissance, malgré la réclamation du père biologique, tant que la première paternité n’était pas réduite à néant.

26.  Le 7 mars 2002, W.A. décéda.

27.  Le 30 mai 2002, le tribunal ordonna la radiation de la procédure engagée par le requérant le 24 octobre 2000 en raison du décès de W.A.

28.  Le 8 août 2002, le requérant assigna à nouveau C.P. et la commune de Saint-Emilion, venant aux lieu et place de W.A., en vue d’obtenir l’annulation de la reconnaissance de paternité effectuée par C.P. le 8 avril 1961, la validation de la reconnaissance de paternité faite par W.A. le 2 octobre 2001 et sa transcription sur son acte de naissance, ainsi que la remise en cause corrélative du testament établi par W.A. au bénéfice de la commune.

29.  Par un jugement du 24 juin 2004, le tribunal de Libourne accueillit partiellement les demandes du requérant. Concernant l’action en contestation de paternité, il déclara nulle la reconnaissance de paternité du 8 avril 1961, après avoir homologué le rapport d’expertise, et dit que C.P. n’était pas le père du requérant. Le tribunal rejeta le reste de ses demandes tendant à établir sa filiation à l’égard de W.A. : il précisa que le requérant était forclos en sa demande de recherche judiciaire de filiation naturelle, le délai de deux ans prévu à l’article 340-4 du code civil pour exercer une telle action n’étant susceptible ni d’être suspendu ni d’être retardé.

30.  Le 15 juillet 2004, le requérant interjeta appel du jugement. Dans ses conclusions, il demanda aux juges d’appel de confirmer la décision du tribunal qui avait déclaré recevable son action en contestation de paternité et avait annulé la reconnaissance de paternité du 8 avril 1961 en déclarant l’expertise judiciaire effectuée opposable à la commune de Saint-Emilion, conformément à l’article 339 du code civil. Il sollicita en revanche la réformation du jugement du tribunal qui l’avait débouté de sa demande tendant à faire établir sa filiation à l’égard de W.A.

31.  Par un arrêt du 26 septembre 2006, la cour d’appel de Bordeaux, déclara l’action recevable, infirma partiellement le jugement et débouta le requérant de toutes ses demandes. La cour considéra, après avoir constaté l’évolution des facultés mentales de W.A. et s’être livré à une analyse graphologique de sa signature, qu’il n’avait pas consenti à l’expertise génétique et qu’il y avait lieu de la déclarer nulle. Concernant la reconnaissance de paternité, elle considéra, comme les juges de première instance, qu’aucune reconnaissance, fût-elle de fait et irrégulière en la forme, n’avait eu lieu, W.A. se limitant à une déclaration d’intention de reconnaître.

32.  Le requérant se pourvut en cassation, en dénonçant le non-respect de l’article 8 de la Convention. A l’appui de son pourvoi, il reprochait notamment aux juges d’appel de n’avoir pas validé l’expertise génétique alors que les deux conditions visées à l’article 16-11 du code civil étaient remplies et qu’il n’était pas relevé que W.A. était sous l’état d’un trouble mental au moment de son consentement. Enfin, il soutenait que, à supposer que W.A. ait refusé l’expertise biologique, en ne tirant aucune conséquence de ce refus, la cour d’appel avait violé l’article 11 du code de procédure civile.

33.  Par une décision du 17 octobre 2007, la Cour de cassation déclara son pourvoi non admis.

34.  Dans une lettre du 21 janvier 2008, le maire de Saint-Emilion indiqua au requérant que ses collègues et lui-même avaient étudié la possibilité de lui verser une indemnisation pouvant s’élever à 10 % du montant de la vente de la propriété dite « Château Badette » en échange de son engagement de cesser définitivement toutes procédures et recours contre la commune.

35.  Dans une lettre du 19 février 2008, en réponse à une demande du requérant, le maire de la commune l’informa que la poursuite de la vente de la propriété était confirmée et que le conseil municipal acceptait le principe du versement d’une somme au requérant.

36.  Dans une lettre du 14 mai 2008, le maire de la commune informa le requérant que les affaires personnelles de W.A., telles que photographies, médailles militaires, correspondances diverses, lui seraient remises et que les autres pièces seraient vendues à la salle des ventes.

37.  A une date non précisée, la commune mit aux enchères la propriété dite « Château Badette ».

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Dispositions du code civil relatives aux actions relatives à la filiation et à l’expertise biologique

38.  La filiation est légalement établie, par l’effet de la loi, la reconnaissance volontaire, la possession d’état constatée par un acte de notoriété ou par décision judiciaire. Les dispositions pertinentes du code civil telles qu’en vigueur au moment des faits sont libellées ainsi :

Article 311-12 (abrogé au 1er juillet 2006)

« Les tribunaux règlent les conflits de filiation pour lesquels la loi n’a pas fixé d’autre principe, en déterminant par tous les moyens de preuve la filiation la plus vraisemblable.

A défaut d’éléments suffisants de conviction, ils ont égard à la possession d’état. »

Article 322

« Nul ne peut réclamer un état contraire à celui que lui donnent son titre de naissance et la possession conforme à ce titre.

Et réciproquement, nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession conforme à son titre de naissance. »

Article 334-8 (abrogé au 1er juillet 2006)

« La filiation naturelle est légalement établie par reconnaissance volontaire.

La filiation naturelle peut aussi se trouver légalement établie par la possession d’état ou par l’effet d’un jugement. »

Article 334-9 (abrogé au 1er juillet 2006)

« Toute reconnaissance est nulle, toute demande en recherche est irrecevable, quand l’enfant a une filiation légitime déjà établie par la possession d’état. »

Article 338 (abrogé au 1er juillet 2006)

« Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, une reconnaissance rend irrecevable l’établissement d’une autre filiation naturelle qui la contredirait. »

Article 339 (abrogé au 1er juillet 2006)

« La reconnaissance peut être contestée par toutes personnes qui y ont intérêt, même par son auteur.

L’action est aussi ouverte au ministère public, si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable la filiation déclarée. Elle lui est également ouverte lorsque la reconnaissance est effectuée en fraude des règles régissant l’adoption.

Quand il existe une possession d’état conforme à la reconnaissance et qui a duré dix ans au moins depuis celle-ci, aucune contestation n’est plus recevable, si ce n’est de la part de l’autre parent, de l’enfant lui-même ou de ceux qui se prétendent les parents véritables. »

Article 340-4 (abrogé au 1er juillet 2006)

« L’action doit, à peine de déchéance, être exercée dans les deux années qui suivent la naissance.

Toutefois, si le père prétendu et la mère ont vécu pendant la période légale de la conception en état de concubinage impliquant, à défaut de communauté de vie, des relations stables ou continues, l’action peut être exercée jusqu’à l’expiration des deux années qui suivent la cessation du concubinage. Si le père prétendu a participé à l’entretien, à l’éducation ou à l’établissement de l’enfant en qualité de père, l’action peut être exercée jusqu’à l’expiration des deux années qui suivent la cessation de cette contribution.

Si elle n’a pas été exercée pendant la minorité de l’enfant, celui-ci peut encore l’exercer pendant les deux années qui suivent la majorité. »

39.  L’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas l’ordonner (Civ. 1ère, 28 mars 2000, Bull. no 103). Selon le code civil, le recours à l’expertise biologique ne peut être exercé que du vivant de l’intéressé et avec son consentement exprès et préalable. Si l’intéressé refuse de se soumettre à l’expertise génétique, il ne pourra y être contraint. Dans ce cas, le juge peut tirer toutes les conséquences légales de ce refus. Les dispositions pertinentes du code civil telles qu’applicables au moment des faits sont les suivantes :

Article 16-3

« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne.

Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

Article 16-10

« L’étude génétique des caractéristiques d’une personne ne peut être entreprise qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique.

Le consentement de la personne doit être recueilli préalablement à la réalisation de l’étude. »

Article 16-11

« L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique.

En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli.

Lorsque l’identification est effectuée à des fins médicales ou de recherche scientifique, le consentement de la personne doit être au préalable recueilli. »

2. Régimes de protection juridique à l’égard des majeurs

40.  Aux termes de l’article 490 du code civil, toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique. Cet article tel qu’il se lisait au moment des faits est ainsi libellé:

 « Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l’un des régimes de protection prévus aux chapitres suivants.

Les mêmes régimes de protection sont applicables à l’altération des facultés corporelles, si elle empêche l’expression de la volonté.

L’altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie. »

41.  Aux termes de l’article 491 du code précité, le juge des tutelles peut placer sous la sauvegarde de justice le majeur qui, pour l’une des causes prévues à l’article 490, a besoin d’être protégé dans les actes de la vie civile. Selon l’article 491-2 (abrogé au 1er janvier 2009), il conserve l’exercice de ses droits :

« Le majeur placé sous la sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits.

Toutefois, les actes qu’il a passés et les engagements qu’il a contractés pourront être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès lors même qu’ils ne pourraient être annulés en vertu de l’article 489.

Les tribunaux prendront, à ce sujet, en considération, la fortune de la personne protégée, la bonne ou mauvaise foi de ceux qui auront traité avec elle, l’utilité ou l’inutilité de l’opération.

L’action en rescision ou en réduction peut être exercée, du vivant de la personne, par tous ceux qui auraient qualité pour demander l’ouverture d’une tutelle, et après sa mort, par ses héritiers. Elle s’éteint par le délai prévu à l’article 1304. »

42.  Aux termes de l’article 508 du même code, le juge des tutelles peut placer un majeur qui, pour l’une des causes prévues à l’article 490, sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle. Le majeur en curatelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des majeurs, requerrait une autorisation du conseil de famille. Il ne peut non plus, sans cette assistance, recevoir des capitaux ni en faire emploi (article 510). Enfin, si le majeur en curatelle a fait seul un acte pour lequel l’assistance du curateur était requise, lui-même ou le curateur peuvent en demander l’annulation.

3. Code de procédure civile

Article 11

« Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.

Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

43.  Le requérant allègue être victime d’une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que prévu par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

 « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur l’applicabilité de l’article 8

44.  Le Gouvernement soutient, à titre principal, que l’impossibilité pour le requérant de faire reconnaître judiciairement sa filiation à l’égard de son père biologique ne peut être regardée comme relevant du champ de l’article 8 de la Convention.

45.  S’il concède qu’au regard de la jurisprudence de la Cour, les procédures concernant la paternité relèvent a priori du champ de l’article 8 (Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 25, CEDH 2006-X), il s’interroge sur la possibilité de transposer ce précédent à l’espèce. Le Gouvernement fait valoir que la Cour distinguerait la détermination des liens biologiques, relevant de la vie privée, du reste des procédures relatives à la paternité. En l’espèce, il considère que la seule portée juridique de l’expertise génétique est en litige, ce qui ne relèverait pas du champ de l’article 8 de la Convention.

46.  Le requérant soutient que l’article 8 de la Convention est applicable à la présente espèce, s’agissant d’une procédure ayant trait à la paternité et au droit de connaître son ascendance. Il fait valoir que sa requête se distingue de l’affaire Haas c. Pays-Bas (no 36983/97, CEDH 2004‑I) dans la mesure où ses intérêts successoraux ne sont qu’indirectement concernés.

47.  La Cour doit déterminer si le droit que fait valoir le requérant entre dans le cadre de la notion de « respect » de la « vie privée et familiale » contenue à l’article 8 de la Convention.

48.  La Cour a rappelé à maintes reprises que les procédures ayant trait à la paternité tombent sous l’empire de l’article 8 (voir, notamment, Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87 et Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 51, CEDH 2002‑I). En l’espèce, la Cour n’est pas appelée à déterminer si la procédure visant le lien de filiation entre le requérant et son père présumé relève de la « vie familiale » au sens de l’article 8, puisqu’en tout état de cause le droit de connaître son ascendance se trouve dans le champ d’application de la notion de « vie privée », qui englobe des aspects importants de l’identité personnelle dont l’identité des géniteurs fait partie (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III, Mikulić, précité, § 53, et Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 25, CEDH 2006‑X).

49.  En l’espèce, le requérant a vainement cherché à établir, par la voie judiciaire, sa filiation avec son père naturel, W.A., et ce, dès avant le décès de ce dernier. Or, comme la Cour vient de le rappeler, il existe une relation directe entre l’établissement de la filiation et la vie privée du requérant. Il s’ensuit que les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8 de la Convention.

50.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le respect de l’article 8

1) Thèses des parties

51.  Le Gouvernement considère que les décisions internes présentaient en tout état de cause un caractère prévisible, légitime et nécessaire, selon les exigences découlant des dispositions de l’article 8. Il rappelle que les règles liées au consentement requis pour réaliser une expertise génétique figurent au code civil, de même que les conditions relatives à la reconnaissance d’un enfant naturel. Le Gouvernement ajoute que le refus d’annuler la reconnaissance de C.P. et de constater la filiation envers W.A. repose sur le respect du principe de sécurité juridique et du droit des tiers, en particulier celui d’être consentant à une expertise génétique. Enfin, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose les Etats, il souligne que les intérêts en conflit (celui du requérant de voir reconnaître sa paternité biologique et celui de W.A.) ont été pondérés de manière proportionnée par les juridictions internes.

52.  Le requérant expose que son action avait un double objet : d’une part, obtenir l’annulation de la reconnaissance et de la légitimation par mariage transcrites sur son acte de naissance et, d’autre part, constater l’établissement de la filiation naturelle à l’égard de W.A., son père biologique. Invoquant les arrêts Shofman c. Russie et Mizzi c. Malte, il affirme que le droit de remettre en cause une paternité juridique ne correspondant pas à la réalité biologique est incontestable (Shofman c. Russie, no 74826/01, 24 novembre 2005 et Mizzi c. Malte, no 26111/02, CEDH 2006‑I (extraits)). Le requérant souligne qu’il n’a pas pu rendre la situation juridique conforme à la réalité biologique, telle qu’elle a été établie par l’expertise ADN prouvant la paternité de W.A. à 99,99 %.  Selon lui, cette impossibilité ainsi que le délai de prescription prévu par la loi étaient disproportionnés eu égard au but poursuivi. Il précise que W.A. avait consenti à l’expertise génétique, ordonnée par une décision de justice à l’encontre de laquelle celui-ci n’a exercé aucun recours ; et, que, la limitation du droit d’obtenir une expertise à un consentement exprès et préalable du père biologique présumé constituerait en elle-même une violation de l’article 8 de la Convention.

53.  Le requérant affirme que la seule motivation opposée au refus d’admettre la filiation biologique du requérant a été le fait qu’il avait déjà été reconnu, légitimé, et qu’il avait la possession d’état d’enfant de C.P. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (Mikulić, précité, et Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie, no 60176/00, 30 mai 2006), il estime que l’incapacité des juridictions françaises à trancher rapidement la question de la paternité l’a maintenu dans un état d’incertitude prolongé quant à son identité personnelle, en violation de l’article 8 de la Convention.

54.  Enfin, le requérant soutient qu’il n’y avait pas d’intérêt de tiers à protéger car, de son vivant, W.A. souhaitait procéder à sa reconnaissance, laquelle a finalement été entravée suite aux pressions exercées par la commune de Saint-Emilion. Il ajoute que la protection de la sécurité juridique ne peut suffire à elle seule pour le priver du droit de connaître son ascendance (Jäggi, précité, § 43).

2) Appréciation de la Cour

55.  La Cour rappelle que l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. A cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Pour déterminer si une telle obligation existe, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (Mikulić, précité, §§ 57-58, et Odièvre, précité, § 40).

56.  La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges en matière de paternité au niveau national, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (Mikulić, précité, § 59, et Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A). Elle appréciera donc si l’Etat défendeur, en traitant l’action du requérant, a agi en méconnaissance de son obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention.

57.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant souhaitant établir la véritable identité de son géniteur, a engagé une action judiciaire et sollicité une expertise génétique. Estimant la demande du requérant légitime, les tribunaux ont ordonné cette expertise, qui a établi la probabilité de paternité de W.A. sur le requérant à 99,999 %. La Cour observe qu’en dépit de cette preuve génétique, le requérant n’a pu, par la voie judiciaire, ni contester son lien de filiation avec C.P., ni établir sa filiation biologique à l’égard de W.A. Cette décision a sans aucun doute affecté le requérant dans sa vie privée et constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention.

58.  Le Gouvernement justifie le refus d’annuler la reconnaissance de C.P. et de reconnaître sa filiation envers son père biologique présumé par la nécessité de protéger la sécurité juridique et d’assurer le respect du droit des tiers, en particulier celui d’être consentant à une expertise génétique.

59.  La Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des Etats contractants. Il existe à cet égard différentes manières d’assurer le respect de la vie privée et la nature de l’obligation de l’Etat dépend de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Odièvre, précité, § 46). Or l’ampleur de cette marge d’appréciation de l’Etat dépend non seulement du ou des droits concernés mais également, pour chaque droit, de la nature même de ce qui est en cause. La Cour considère que le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée. Dans pareil cas, un examen d’autant plus approfondi s’impose pour peser les intérêts en présence.

60.  La Cour doit rechercher si, en l’espèce, un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit du requérant à connaître son ascendance et, de l’autre, le droit des tiers à ne pas être soumis à des tests ADN et l’intérêt général à la protection de la sécurité juridique.

61.  Concernant l’intérêt général, il convient de noter que W.A., aujourd’hui décédé, n’avait pas de famille connue selon les autorités et qu’il avait légué la majorité de ses biens à la commune de Saint-Emilion (paragraphes 14-15 et 20 ci-dessus). La Cour admet que le refus d’annuler la reconnaissance de C.P. et de reconnaître sa filiation envers son père biologique présumé pouvait se justifier par la nécessité de respecter les droits de ce dernier (voir, notamment, Phinikaridou c. Chypre, no 23890/02, § 53, CEDH 2007‑XIV (extraits), Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 45, 6 juillet 2010, et Grönmark c. Finlande, no 17038/04, § 48, 6 juillet 2010).

62.  A cet égard, la Cour rappelle que si les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle, elle garde en même temps à l’esprit la nécessité de protéger les tiers, ce qui peut exclure la possibilité de contraindre ceux-ci à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, notamment à des tests ADN (Mikulić, précité, § 64).

63.  En l’espèce, la Cour constate que c’est précisément en tenant compte des droits et intérêts personnels de W.A. que la cour d’appel a refusé de reconnaître la véritable filiation biologique du requérant. Elle a en effet constaté la nullité de l’expertise génétique pour un motif d’ordre procédural, à savoir que W.A. n’y aurait pas expressément consenti. Les juges sont parvenus à cette conclusion en recherchant principalement si, comme le prétendait la commune de Saint-Emilion, le requérant avait essayé d’abuser de la faiblesse de W.A. et si celui-ci avait toutes ses facultés mentales lorsque son consentement écrit a été recueilli par l’expert. La Cour relève que pour débouter le requérant de ses prétentions, la cour d’appel n’a, à aucun moment, pris en considération le droit du requérant à connaître son ascendance et à voir établie sa véritable filiation.

64.  Or, la Cour estime que la protection des intérêts du père présumé ne saurait constituer à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant de ses droits au regard de l’article 8 de la Convention.

65.  En effet, en annulant post-mortem l’expertise génétique et en refusant de reconnaître et d’établir la paternité biologique du requérant, la cour d’appel a donné plus de poids aux droits et intérêts du père présumé qu’au droit du requérant à connaître ses origines et à les voir reconnues, droit qui ne cesse nullement avec l’âge, bien au contraire (Jäggi, précité, § 40).

66.  La Cour observe par ailleurs que la mesure de sauvegarde de justice ne privait nullement W.A. du droit de consentir personnellement à un prélèvement ADN (paragraphe 41 ci-dessus) et que celui-ci avait exprimé auprès des autorités la volonté de reconnaître le requérant (paragraphes 21 et 25 ci-dessus). Elle note également que ni la réalisation ni la fiabilité de l’expertise génétique qui concluait à une probabilité de paternité de 99,999 % de W.A. sur le requérant n’ont jamais été contestées devant les juridictions internes.

67.  Enfin, la Cour constate qu’après avoir invalidé l’expertise génétique, la cour d’appel a jugé que la filiation naturelle du requérant ne pouvait être établie par reconnaissance de filiation, aveu de paternité ou possession d’état. Celui-ci ne disposait donc plus d’aucun moyen pour établir sa paternité biologique. Le droit interne ne lui offrait pas non plus la possibilité de demander une nouvelle expertise ADN sur la dépouille du père présumé (paragraphe 39 ci-dessus). Le défunt n’ayant pas de son vivant expressément donné son consentement selon la cour d’appel, il lui aurait fallu recueillir l’accord de sa famille. Or, W.A. n’en avait aucune (paragraphe 20 ci-dessus).

68.  A la lumière de ce qui précède, la Cour a des difficultés à admettre que les juridictions nationales aient laissé des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique en se fondant sur l’absence de consentement de W.A., alors même que les résultats de l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du requérant (mutadis mutandis, Grönmark, précité, § 56). C’est d’autant moins admissible que, à son décès, W.A. n’avait plus aucune famille connue. Elle en conclut que dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence (voir notamment la première phrase du paragraphe 61 ci-dessus) et que le requérant a subi une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée.

69.  Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

70.  Le requérant dénonce une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. En tant qu’enfant naturel légitimé, il serait victime d’une discrimination par rapport à l’enfant légitime et l’enfant naturel, car il ne disposait pas des mêmes droits pour contester sa filiation.

71.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tout requérant devant avoir donné aux juridictions internes l’occasion d’éviter ou de redresser les violations alléguées contre lui. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI).

72.  En l’espèce, la Cour constate qu’aucun des moyens soumis à la Cour de cassation ne mentionne la discrimination dont le requérant prétend être victime. Dans ces conditions, cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 PRIS ISOLÉMENT ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

73.  Le requérant se plaint également de ce que le refus de reconnaître sa filiation aurait eu une incidence sur son droit au respect de ses biens. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, considéré isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention.

74.  La Cour relève que le requérant n’a pas formulé devant la Cour de cassation, même en substance, les griefs qu’il tire des dispositions précitées. Dans ces conditions, ce grief doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

75.  Le requérant soutient, au regard des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif et utile, ayant été placé dans l’impossibilité juridique de contester sa paternité et de faire établir sa filiation envers son père biologique.

76.  La Cour estime que ce grief relève en réalité du seul article 13 de la Convention, sous l’angle duquel il sera examiné.

77.  Elle rappelle que l’ « effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, elle constate que le requérant a disposé d’un recours effectif, dans le cadre duquel il a pu formuler ses griefs.

78.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

79.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

80.  Le requérant réclame 2 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, soit la moitié de l’actif successoral de W.A., auquel il aurait pu prétendre s’il avait été reconnu comme son fils. Il sollicite également 30 000 EUR au titre du préjudice moral subi.

81.  Le Gouvernement considère ces sommes manifestement excessives et sans lien avec les violations alléguées. A cet égard, il conclut que le seul constat éventuel de la violation constituerait une satisfaction équitable.

82.  S’agissant du préjudice matériel, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce et eu égard notamment à l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. Il y a donc lieu de la réserver en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et l’intéressé (article 75 §§ 1 et 4 du règlement).

83.  En revanche, elle admet que le requérant a subi un dommage moral qu’un simple constat de violation de la Convention ne suffit pas à compenser et, statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu de lui octroyer 10 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

84.  Le requérant demande 24 593,19 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 13 156 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

85.  Le Gouvernement estime ce montant excessif et propose d’allouer au requérant 5 000 EUR au titre des frais et dépens.

86.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour considère que le montant global des frais et dépens dont justifie le requérant est disproportionné, et estime raisonnable de lui accorder la somme de 10 000 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

87.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit qu’en ce qui concerne la somme à octroyer au requérant pour tout dommage matériel résultant de la violation constatée, la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état et, en conséquence,

a)  la réserve en entier ;

b)  invite le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les six mois à compter de la date de communication du présent arrêt, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir ;

c)  réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la Cour le soin de la fixer au besoin ;


4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juin 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekDean Spielmann
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE, 16 juin 2011, 19535/08