CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE CENGİZ KILIÇ c. TURQUIE, 6 décembre 2011, 16192/06

  • Enfant·
  • Épouse·
  • Droit de visite·
  • Divorce·
  • Autorité parentale·
  • Père·
  • Situation socio-économique·
  • Mère·
  • Pensions alimentaires·
  • Exécution

Chronologie de l’affaire

Commentaires4

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH · 27 juin 2012

Communiqué de presse sur les affaires 27853/09, 18475/06, 22444/06, 48205/09, 28735/06, 44534/06, 48133/06, 1474/07, 48205/07, 48206/07, …

 

CEDH · 6 décembre 2011

Communiqué de presse sur l'affaire 16192/06

 

CEDH · 6 décembre 2011

.s50C0B1C7 { margin:0pt 0pt 5pt; page-break-after:avoid } .s3AEEAB2 { font-family:Arial; font-size:10pt; font-weight:normal } .sA5D571AC { font-family:Arial; font-size:6.67pt; font-weight:normal; vertical-align:super } .s68AFA200 { border-bottom-color:#000000; border-bottom-style:solid; border-bottom-width:0.75pt; margin:0pt 0pt 18pt; padding-bottom:1pt; page-break-after:avoid; text-align:justify } .sFBBFEE58 { font-family:Arial; font-size:10pt } .s6E50BD9A { margin:0pt } .s38C10080 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-style:italic; font-weight:bold } .s7D2086B4 { font-family:Arial; …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 6 déc. 2011, n° 16192/06
Numéro(s) : 16192/06
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aresti Charalambous c. Chypre, no 43151/04, § 51, 19 juillet 2007
Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37
Bacuzzi c. Italie (déc.), no 43817/04, 24 mai 2011
Berlin c. Luxembourg, no 44978/98, § 64, 15 juillet 2003
Boca c. Belgique, no 50615/99, CEDH 2002-IX
Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 55
Dore c. Portugal, no 775/08, § 45, 1er février 2011
Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie (no 60176/00, § 107, 30 mai 2006
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, CEDH 2000-VII
Granata c. France (no 2), no 51434/99, 15 juillet 2003
Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, CEDH 2000-I
Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290
Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296-C
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI
Maire c. Portugal, no 48206/99, § 76, CEDH 2003-VII
Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007
McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995, §§ 87 et 92, série A no 307-B
Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 127, CEDH 2000-VIII
Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V
Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010-...
Tendik et autres c. Turquie, no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005
W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 65, série A no 121
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 6 ; Violation de l'art. 13+6 ; Partiellement irrecevable ; Préjudice moral - réparation ; Dommage matériel - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-107718
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:1206JUD001619206
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CENGİZ KILIÇ c. TURQUIE

(Requête no 16192/06)

ARRÊT

STRASBOURG

6 décembre 2011

DÉFINITIF

04/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 c) de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Cengiz Kılıç c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

 Françoise Tulkens, présidente,
 Danutė Jočienė,
 Dragoljub Popović,
 Isabelle Berro-Lefèvre,
 András Sajó,
 Işıl Karakaş,
 Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16192/06) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Cengiz Kılıç (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 avril 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me S. Öztürk, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3.  Le 14 octobre 2009, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1970 et réside à Denizli.

5.  Il s’est marié en 1996. Il est le père d’un enfant né le 18 mai 2001.

1.  La première procédure de divorce

6.  Le 23 novembre 2001, le requérant, au motif d’une incompatibilité d’humeur rendant impossible le maintien de la vie commune avec son épouse, introduisit une requête en divorce devant le tribunal de grande instance (« le TGI ») de Şişli et demanda l’attribution en sa faveur de l’autorité parentale sur son fils.

7.  Le 31 décembre 2001, son épouse déclara refuser le divorce. Elle fit valoir l’existence d’une procédure pendante contre son époux, relative aux violences qu’il lui aurait fait subir.

8.  Le 12 avril 2002, le TGI rejeta la demande de divorce du requérant pour incompétence ratione loci.

9.  L’affaire fut renvoyée devant le TGI de Bakırköy, qui tint sa première audience le 1er juillet 2002.

10.  L’audience suivante fut reportée au 13 mars 2003 au motif qu’il fallait établir les situations économiques et sociales des parties.

11.  A l’audience tenue à cette dernière date, deux témoins cités par le requérant furent entendus. Par ailleurs, le tribunal demanda que le dossier de la procédure pénale mentionnée par l’épouse (paragraphe 7 ci-dessus) lui fût transmis. Dans l’attente du dossier en question ainsi que des informations relatives à la situation socio-économique des parties, l’audience suivante fut fixée au 12 juin 2003.

12.  Le 12 avril 2003, l’épouse du requérant, déclarant vivre séparée de son époux depuis vingt-deux mois, demanda une pension alimentaire pour elle et pour son fils.

13.  Le 16 juin 2003, après avoir entendu deux témoins de l’épouse et examiné les dossiers relatifs aux situations socio-économiques des parties, le TGI fit droit à cette demande et prononça l’obligation pour le requérant de verser, tous les mois, la somme de 50 millions de livres turques (TRY) au titre de la pension alimentaire pour son épouse et la même somme pour son fils, avec effet rétroactif à compter du 23 novembre 2001. Le TGI précisa que le dossier pénal attendu n’était pas encore parvenu au greffe. Une lettre fut adressée au tribunal pénal dans le but d’obtenir une copie de ce dossier. L’audience suivante fut fixée au 6 novembre 2003.

14.  Le 18 juillet 2003, à la suite de la création des tribunaux de la famille, l’affaire fut transférée au tribunal de la famille de Bakırköy.

15.  La première audience devant ce tribunal fut tenue le 13 août 2003.

16.  Lors de l’audience suivante, qui eut lieu le 6 novembre 2003, le tribunal décida de solliciter le parquet de Bakırköy afin d’obtenir des renseignements sur la situation socio-économique du requérant et reporta l’audience au 27 février 2004.

17.  A cette dernière date, le tribunal reporta sa décision relative à une demande de l’épouse tendant à l’augmentation du montant de la pension alimentaire, au motif que les renseignements sur la situation socio-économique du requérant ne lui étaient pas parvenus.

18.  Par une lettre datée du 5 mars 2004, le parquet informa le tribunal de la famille que l’affaire pénale dont le dossier avait été requis était pendante devant la Cour de cassation.

19.  Le 29 mars 2004, le requérant forma opposition contre la décision du 16 juin 2003, argüant qu’elle avait été rendue sans aucun examen de sa situation socio-économique. Il précisa à cet égard qu’il était au chômage et à la charge de sa famille.

20.  Le 11 mai 2004, l’avocat du requérant demanda le report de l’audience fixée au 13 mai 2004 du fait de son absence pour des motifs professionnels.

21.  Une audience fut toutefois tenue le 13 mai 2004 en présence du requérant. Le juge des affaires familiales constata que le dossier pénal requis n’était toujours pas parvenu au tribunal et reporta l’audience au 15 juillet 2004.

22.  C’est à cette dernière date que la lettre du parquet datée du 5 mars 2004 (paragraphe 18 ci-dessus) fut versée au dossier devant le tribunal de la famille.

23.  Les audiences suivantes, tenues le 5 novembre 2004 et le 3 février, le 5 avril et le 16 juin 2005, furent toutes reportées dans l’attente du dossier pénal et des informations mentionnées ci-dessus. L’audience suivante fut fixée au 6 octobre 2005 en raison des vacances judiciaires.

24.  Le 9 août 2005, le requérant demanda au tribunal de statuer en urgence sur la question de la garde de son fils et sollicita l’attribution de celle-ci, argüant de l’irresponsabilité de son épouse quant à la santé de leur enfant.

25.  Lors de l’audience du 6 octobre 2005, il déclara au tribunal être empêché par son épouse de voir son fils, nonobstant la maladie dont ce dernier aurait été atteint et le paiement par lui des frais d’hôpital.

26.  Lors de l’audience du 21 novembre 2005, il sollicita à nouveau la levée de l’ordonnance qui mettait à sa charge le paiement d’une pension alimentaire et déclara s’inquiéter pour la santé de son fils. Il redemanda que l’autorité parentale lui fût attribuée et que le maintien de ses relations personnelles avec son fils fût assuré.

27.  Le 22 novembre 2005, le tribunal fit droit à cette dernière demande et accorda au requérant un droit de visite à exercer chaque premier samedi du mois, de 10 heures à 17 heures.

28.  Par une décision du 13 décembre 2005, notifiée le 1er juin 2006, le tribunal rejeta la demande en divorce du requérant après avoir relevé qu’une condamnation pénale avait été prononcée à l’encontre de l’intéressé sur la base d’un rapport médical pour des faits de violences conjugales. Le tribunal considéra que le requérant était fautif et qu’aucune faute ne pouvait être attribuée à son épouse. Il s’appuya à cet égard sur le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et sur la volonté de ne pas divorcer exprimée par l’épouse.

Devant la Cour, le requérant affirme que, selon le contenu d’un jugement du 16 novembre 2009 émanant du tribunal pénal de Bakırköy, le jugement auquel se référait la décision rendue le 13 décembre 2005 n’était pas définitif à cette date, qu’il a fait l’objet d’un pourvoi en cassation et que le dossier a fini par être classé pour prescription (paragraphe 69 ci-dessous).

29.  Le requérant ne se pourvut pas en cassation contre cette décision, estimant qu’une telle démarche serait une perte de temps.

30.  Le 22 février 2006, précisant vivre séparée du requérant, son épouse saisit le tribunal de la famille de Şişli (« le tribunal ») d’une nouvelle requête visant à l’attribution d’une pension alimentaire d’un montant mensuel de 600 livres turques (TRL).

2.  La seconde procédure de divorce

31.  Le 15 juin 2006, le requérant saisit le tribunal de Şişli d’une seconde requête en divorce, soutenant vivre séparé de son épouse depuis plus de cinq ans. Il demanda également au tribunal de statuer sur un droit de visite à son profit ainsi que sur l’attribution de l’autorité parentale, et de rejeter la demande de pension alimentaire présentée par son épouse.

32.  Le 6 juillet 2006, l’épouse du requérant déposa un mémoire dans lequel elle déclara refuser le divorce et vouloir conserver l’autorité parentale.

33.  Le 21 septembre 2006, le tribunal fit droit à sa demande de pension alimentaire en en fixant le montant mensuel à 175 TRL. Il établit également un droit de visite et d’hébergement au profit du requérant, à exercer chaque dernier week-end du mois, du samedi à 10 heures au dimanche à 15 heures.

34.  Le 28 septembre 2006, le requérant forma opposition contre cette décision et demanda que la procédure fût traitée avec diligence au motif qu’il vivait séparé de son épouse depuis plus de cinq ans.

35.  Le 1er mars 2007, il déclara ne pas avoir les moyens, en tant que chômeur, de payer une pension alimentaire et il se plaignit que son épouse entravât l’exercice de son droit de visite. Il demanda au tribunal d’intervenir pour mettre fin à ces obstacles, et d’élargir le droit de visite et d’hébergement qui lui avait été accordé.

36.  Lors de l’audience du 11 mai 2007, le requérant critiqua avec virulence la manière dont la juge dirigeait l’audience et menaça celle-ci de la tenir responsable s’il « arrivait quelque chose à son fils ». La juge attaquée exprima sa volonté de se déporter de l’affaire. Des poursuites pénales furent intentées contre le requérant pour ces faits. La demande de la juge fut rejetée par une décision intérimaire du 2 juillet 2007.

37.  Entre-temps, le 2 juin 2007, le requérant avait saisi le tribunal d’une requête dans laquelle il indiquait que son droit de visite avait à nouveau été entravé et que son fils avait refusé de venir avec lui. Il demandait au tribunal d’organiser une rencontre avec son fils, en présence d’un psychologue pour enfants, soulignant que l’organisation d’une telle rencontre était importante pour qu’il puisse par la suite exercer son droit de garde pendant les vacances scolaires de juillet. Il ajoutait que, à défaut d’une telle rencontre, ses liens avec son fils risquaient de se distendre. Enfin, il réitérait sa demande d’attribution en sa faveur de l’autorité parentale.

38.  Le 18 juillet 2007, le requérant saisit à nouveau le tribunal d’une demande d’intervention, soutenant que son épouse l’empêchait d’exercer son droit de visite et de parler à son fils par téléphone. Il réitéra sa demande tendant à la suppression de la pension alimentaire qui avait été mise à sa charge, ainsi que sa demande d’attribution de l’autorité parentale.

39.  Le 30 juillet 2007, il réitéra sa demande et réclama l’adoption d’une ordonnance sur la question, qu’il pourrait soumettre à la voie de l’exécution forcée. Le jour même, le tribunal adopta une ordonnance établissant un droit de visite du requérant, à exercer chaque dernier week-end du mois, du samedi à 10 heures au dimanche à 15 heures.

40.  Le 28 septembre 2007, le requérant saisit à nouveau le tribunal, alléguant être à nouveau empêché de voir son enfant. Il soutint que cette situation perdurait depuis presque un an.

41.  Le 19 novembre 2007, le tribunal modifia le droit de visite et d’hébergement de l’intéressé, précisant qu’il pouvait désormais être exercé chaque dernier vendredi du mois, à partir de 18 heures jusqu’au dimanche à 18 heures, ainsi que du premier jour des fêtes religieuses au troisième jour, à 18 heures.

42.  Le 2 janvier 2008, le requérant réitéra que, malgré les diverses ordonnances établissant son droit de visite, il ne parvenait pas à exercer celui-ci et indiqua qu’il n’avait pas vu son fils depuis près d’un an et demi. A cet égard, il se plaignit de l’inertie des instances publiques saisies de la question et demanda à nouveau l’adoption de mesures provisoires pour qu’il pût exercer son droit.

43.  Le 15 février 2008, il demanda que son épouse fît l’objet d’une expertise psychologique et soutint ne pas avoir vu son fils depuis presque deux ans. Il demanda au tribunal d’intervenir pour assurer l’exercice de son droit de visite.

44. Le 13 mars 2008, l’épouse du requérant déposa un mémoire dans lequel elle demandait le rejet de la requête en divorce, la condamnation du requérant au paiement de dommages pour préjudices matériel et moral, l’attribution en sa faveur de l’autorité parentale sur son fils, le versement d’une pension alimentaire pour son fils et une pension pour perte de moyens de subsistance pour elle.

45.  Le 24 avril 2008, le requérant réitéra être entravé dans l’exercice de son droit de visite et précisa que les divers recours qu’il avait introduits à cet égard, tant devant le procureur de la République que devant le juge de l’exécution, étaient demeurés vains. Il sollicita l’attribution en sa faveur de l’autorité parentale.

46.  Les 20 et 27 mai 2008, le requérant réitéra sa demanda d’attribution de l’autorité parentale ou, à défaut, l’aménagement d’un droit de visite supplémentaire à exercer pendant les vacances d’été et d’hiver.

47.  Il soumit au tribunal la transcription d’enregistrements de conversations téléphoniques démontrant que son épouse l’empêchait de voir son fils et que ce dernier, suivant les instructions de sa mère, s’adressait à lui de manière offensante.

48.  Le 29 mai 2008, le tribunal reconnut au requérant un droit de visite supplémentaire à exercer pendant les vacances d’été, du 1er juillet à 10 heures au 31 juillet à 18 heures.

49.  Le vendredi 27 juin 2008, le requérant voulut exercer son droit de visite. Accompagné d’un policier, d’un psychologue et d’un huissier de justice, il put voir son fils pendant une demi-heure devant la porte de son domicile mais celui-ci refusa de partir avec lui. Ses accompagnateurs lui ayant conseillé de persévérer dans ses tentatives pour nouer un contact avec son fils, il se rendit le lendemain au domicile de son épouse pour revoir son enfant. Il affirme avoir subi des coups de la part de la famille de son épouse et porta plainte à cet égard.

50.  Le 30 juin 2008, le requérant saisit à nouveau le tribunal d’une demande tendant à l’adoption de mesures provisoires. Il exposa les faits qui s’étaient déroulés les 27 et 28 juin. Il soutint que, eu égard aux troubles psychologiques dont son épouse souffrirait, c’était à lui que l’autorité parentale devait être attribuée.

51.  Le jour même, l’épouse du requérant déposa une demande de levée du droit de visite du père, soutenant que celui-ci l’avait frappée et qu’il avait tenté d’enlever son fils.

52.  Le 4 juillet 2008, la demande de mesures provisoires du requérant fut rejetée au motif qu’elle avait été présentée postérieurement à la requête de divorce et que, de par sa nature, elle était soumise à une procédure différente.

53.  Le 18 septembre 2008, le tribunal demanda une expertise psychologique des parents et de l’enfant pour déterminer à qui l’autorité parentale pouvait être temporairement attribuée.

54.  Le 28 novembre 2008, le requérant saisit à nouveau le tribunal d’une demande de mesures provisoires afin de pouvoir exercer son droit de visite.

55.  Le 17 décembre 2008, deux rapports d’expertise furent rédigés par deux psychologues différents. Aux termes du premier :

« (...) Conclusions : les entretiens avec les parties ainsi que les résultats des tests pratiqués montrent qu’aucun [des deux parents] ne présente d’obstacle psychopathologique à l’attribution de l’autorité parentale. Il a été constaté que les différentes procédures opposant les parties après leur séparation, les discussions aboutissant parfois à la violence et leur comportement négatif l’un vis-à-vis de l’autre ont influé de façon négative sur les sentiments de l’enfant.

(...) La perte de confiance entre parents influence de manière négative la perception de ses parents par l’enfant, provoque un rapprochement de l’enfant avec le parent avec lequel il vit et un éloignement à l’égard de l’autre parent. Alors que l’enfant développe un attachement à sa mère, avec laquelle il vit, et à son entourage, il manifeste une attitude de rejet profond à l’égard de son père qu’il n’a pas vu depuis longtemps (...) Il apparaît que l’enfant a été influencé par le milieu dans lequel il vit actuellement et par les évènements qui sont survenus entre ses parents et dont il a été témoin. C’est pourquoi il fait montre d’une attitude de rejet à l’égard de son père. Je pense que cette situation va causer l’éloignement affectif de l’enfant par rapport à son père, circonstance de nature à influer de manière négative sur son développement mental (...)

Je considère qu’il ne serait pas opportun de modifier actuellement les conditions de vie, le cadre (maison-chambre-école) d’E.C., qui vit depuis longtemps avec sa mère. Pour ces raisons, je suis convaincu qu’il faut que l’autorité parentale continue à être exercée par la mère (...) et que le tribunal établisse des liens personnels [de l’enfant] avec le père (...) »

Le second rapport d’expertise peut se lire comme suit :

« Constats et conseils : (...) aux termes des tests effectués, même s’il a été établi que E.C. est plus attaché à sa mère, il a [aussi] été établi que celle-ci l’avait éloigné de son père (...)

Lors de l’entretien mené avec E.C., il a été établi que l’enfant avait été influencé négativement par S. Kılıç (...) qui, devant E.C., avait exprimé ses pensées critiques concernant Cengiz Kılıç (...) E.C. a déclaré avoir été frappé par son père mais ne pas se souvenir de cet évènement, que sa mère lui aurait raconté (...) Le fait qu’un parent ou les deux expriment devant l’enfant des opinions hostiles ou extrêmement critiques vis-à-vis de l’autre parent est un comportement négatif, de nature à ouvrir la voie à un traumatisme chez les enfants. Si les enfants qui vivent avec un parent reçoivent de manière claire ou indirecte le message selon lequel le fait d’aimer un parent équivaut à ne pas aimer l’autre, ils vont commencer à remettre en cause leur propre perception et perdre confiance dans leur capacité de jugement. Dans le même temps, ils auront peur qu’en aimant un parent ils soient rejetés par l’autre. (...) Ayant le sentiment d’avoir déjà perdu un parent, ils essaieront de se comporter comme le souhaite l’autre parent pour ne pas le perdre. En raison de l’attitude (...) de la mère, E.C. a déclaré ne pas vouloir aller avec son père. (...)

(...) E.C. vit avec sa mère depuis sa naissance. Modifier le cadre de vie auquel il est habitué aurait une incidence négative sur lui. C’est pourquoi il serait préférable qu’E.C. restât avec sa mère et qu’il pût rendre visite à son père à des périodes définies.

E.C. a besoin de connaître ses deux parents ainsi que leur famille. Bien que [le régime] des relations personnelles entre le père et E.C. ait été défini par le tribunal, le père n’a pu entretenir de telles relations (...) Bien que le père ait tenté de voir ou de récupérer l’enfant en ayant recours à la voie de l’exécution forcée, les relations personnelles n’ont pu être entretenues par cette voie, l’enfant n’ayant pas voulu partir avec son père. De l’entretien mené avec E.C., il ressort que l’enfant n’a pas voulu partir avec son père sous l’effet de l’influence de sa mère (...) L’entretien mené avec Cengiz Kılıç n’a conduit à aucun constat d’une pathologie qui nécessiterait que le père voie l’enfant accompagné d’un psychologue (...) [l]a mère demande que le père récupère l’enfant par recours à la voie de l’exécution et avec l’assistance d’un psychologue, et ce dans le but de faire obstacle à toute relation entre l’enfant et le père (...) Cela a une incidence négative sur l’enfant (...)

Conclusions : dans la mesure où E.C. vit avec sa mère depuis sa naissance, modifier le cadre de vie auquel il est habitué aurait une influence négative sur lui, de sorte que l’autorité parentale doit être attribuée à la mère. Il a été établi que S. Kılıç exprimait devant E.C. ses opinions hostiles et critiques à l’égard de Cengiz Kılıç, de façon à empêcher son fils de nouer des relations avec son père (...) Je pense que si la mère continue à avoir un comportement qui tend à empêcher E.C. de voir son père, il s’agira alors d’un abus de l’autorité parentale. Il faudra alors reconsidérer la décision de l’attribution de l’autorité parentale à la mère. Par ailleurs, je suis d’avis que les relations personnelles entre E.C. et son père doivent être exercées chaque dernier week-end du mois ainsi que pendant un mois lors des vacances d’été. »

56.  Le 23 décembre 2008, le requérant forma opposition contre ces conclusions, estimant qu’il était établi que son épouse entravait toute possibilité de relation avec son fils, et demanda une évaluation médicale de l’état psychologique de son épouse.

57.  Le 19 mars 2009, le tribunal prononça le divorce et l’attribution de l’autorité parentale à la mère. Il organisa un droit de visite et d’hébergement au profit du requérant, à exercer, s’il résidait dans la même ville que l’enfant, chaque premier et troisième vendredi du mois, à partir de 18 heures jusqu’au dimanche à 18 heures ; du deuxième jour des fêtes religieuses à 10 heures au troisième jour à 18 heures ; du début de la première semaine des vacances de demi-saison, du lundi à 10 heures au début de la deuxième semaine à 10 heures ; pendant les vacances d’été, du 1er juillet à 10 heures au 31 juillet à 18 heures. Il précisa que, si l’intéressé ne résidait pas dans la même ville que son fils, son droit de visite et d’hébergement pourrait être exercé chaque dernier vendredi du mois, à partir de 18 heures jusqu’au dimanche à 18 heures, et du premier jour des fêtes religieuses à 18 heures au troisième jour à 18 heures ; du lundi de la première semaine des vacances de demi-saison à 10 heures au début de la deuxième semaine ; pendant les vacances d’été, du 1er juillet à 10 heures au 31 juillet à 18 heures. Le tribunal mit en outre à la charge du requérant le paiement d’une pension alimentaire à son fils et d’une pension au titre de la perte de moyens de subsistance à son ex-épouse.

58.  Une quinzaine d’audiences furent tenues lors de cette procédure à des intervalles de trois mois en moyenne. Elles furent pour la plupart reportées en vue de l’évaluation de la situation socio-économique des parties, dans l’attente du dossier pénal et des documents relatifs au règlement de la pension alimentaire par le requérant, ainsi que du fait des délais liés à l’audition des témoins des deux parties.

59.  Le 20 mai 2009, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement, contestant toutes les conclusions de la juridiction de première instance, hormis le prononcé du divorce.

60. Par un arrêt définitif du 2 novembre 2010 rendu par la Cour de cassation, le jugement de divorce devint définitif.

3.  Procédures pénales

a)  La plainte déposée contre le requérant pour violences conjugales

61.  Entre-temps, en 2001, l’épouse du requérant avait déposé plainte pour violences conjugales.

62.  Le 25 juin 2001, l’institut médicolégal avait établi un rapport relevant que l’épouse de l’intéressé présentait des zones d’hypérémie et avait conclu à une incapacité de travail de trois jours.

63.  Le 17 mars 2003, le tribunal correctionnel de Bakırköy condamna le requérant à sept jours de prison pour violences conjugales. Cette peine fut commuée en peine d’amende et assortie d’un sursis.

64.  Le 20 mars 2003, le requérant se pourvut en cassation contre cette décision.

65.  Le 7 septembre 2005, la Cour de cassation infirma ce jugement compte tenu de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.

66.  Le 31 mai 2006, le tribunal correctionnel, statuant sur renvoi, reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à sept jours de prison, peine commuée en une peine d’amende, elle-même assortie d’un sursis.

67.  Le requérant forma un pourvoi contre ce jugement.

68.  Le 13 octobre 2008, la Cour de cassation infirma ce jugement.

69.  Le 16 novembre 2009, le tribunal correctionnel ordonna l’extinction de l’action pénale pour cause de prescription. Il releva que les faits reprochés au requérant avaient été commis en 2001 et que le délai de prescription pour ce type d’infraction était de sept ans et six mois.

b)  Les plaintes déposées par le requérant

70.  Parallèlement à cette procédure, le requérant avait saisi, le 8 août 2005, le procureur de la République de Şişli d’une plainte contre son épouse, soutenant que celle-ci mettait la vie de leur fils en danger au motif que l’enfant avait été transporté à l’hôpital le 1er août 2005. La plainte fut transmise au procureur de la République de Denizli.

71.  Le 22 mai 2006, le procureur de la République de Denizli adopta une décision de non-lieu à poursuivre.

72.   Le 2 juin 2006, le requérant saisit le procureur de la République de Şişli (« le procureur ») d’une plainte contre son épouse pour non-présentation d’enfant et insultes, et demanda l’adoption de mesures qui lui permettraient de voir son fils.

73.  Le 28 août 2006, le procureur adopta une décision de non-lieu à poursuivre.

74.  Le 28 juillet 2007, le requérant saisit à nouveau le procureur d’une demande tendant à assurer la protection de son fils. Il précisa en outre s’être rendu chez son épouse pour exercer son droit de visite tel que reconnu par décision de justice, mais avoir été confronté au refus de son épouse. Il demanda la levée des entraves à l’exercice de son droit.

75.  Le 25 août 2007, le requérant saisit à nouveau le procureur : il indiqua que, s’étant rendu le 24 août 2007 chez son épouse pour exercer son droit de visite, il s’était heurté au refus de cette dernière ; il serait alors revenu accompagné par des policiers, qui n’auraient pris aucune mesure parce que son épouse leur aurait dit qu’il représentait une menace pour son fils. Il demanda au procureur de prendre toutes les mesures pour que les décisions du juge aux affaires familiales lui reconnaissant un droit de visite fussent exécutées.

76.  Le 3 septembre 2007, le procureur adopta un non-lieu à poursuivre, estimant que l’enfant avait bien reçu la visite de son père.

77.  Le 3 octobre 2007, le requérant porta à nouveau plainte contre son épouse, à laquelle il reprochait différents agissements, notamment la non-présentation d’enfant.

78.  Le 8 novembre 2007, le procureur adopta une décision de non-lieu à poursuivre, relevant que les actes de non-présentation d’enfant, commis par la mère de l’enfant le 25 août et le 29 septembre 2007, ne constituaient pas une infraction au sens de l’article 234 du code pénal mais qu’ils relevaient de l’article 341 du code de l’exécution et des faillites, et donc de la compétence des tribunaux de l’exécution.

79.  Le 27 novembre 2007, le requérant forma opposition contre le non-lieu à poursuivre du 3 septembre 2007, opposition qui fut rejetée le 21 février 2008.

80.  Le 3 avril 2008, il porta à nouveau plainte contre son épouse et certains membres de sa belle-famille, notamment pour diffamation, témoignages mensongers, non-présentation d’enfant et voie de fait.

81.  Le 20 mai 2009, cette plainte fit l’objet d’un non-lieu à poursuivre.

82.  Par deux actes d’accusation du 12 mars et du 20 mai 2009, le procureur de la République inculpa l’épouse du requérant pour menaces et requit sa condamnation.

83.  Le 22 mai 2009, le tribunal correctionnel accepta ces chefs d’inculpation.

84.  Selon les dernières informations contenues dans le dossier, la procédure demeure pendante.

85.  Le 28 juin, le 2 juillet et le 24 septembre 2008, le requérant saisit le procureur d’une plainte contre son épouse et la famille de celle-ci, soutenant être empêché de voir son fils depuis deux ans, et ajoutant que, la dernière fois qu’il s’était rendu à son domicile pour le voir, il avait été agressé par la famille de son épouse.

86.  Le 12 mars 2009, le procureur de la République de Şişli inculpa l’épouse du requérant pour menaces contre son époux. Le dossier ne contient pas d’information quant à la suite de la procédure.

4.  Mise en œuvre de la voie de l’exécution forcée

87.  Entre-temps, le 30 juillet 2007, le requérant avait saisi la direction de l’exécution de Şişli d’une demande tendant à la mise à exécution de la décision du tribunal de la famille du 21 septembre 2006 établissant son droit de visite et d’hébergement. En réponse, la direction établit une injonction de faire à l’endroit de l’épouse de l’intéressé, à exécuter dans les sept jours sous peine de sanction.

88.  Le 29 septembre 2007, le requérant, précisant être sans emploi, déclara ne pas être en mesure d’acquitter les 150 TRL réclamées au titre des frais d’exécution et demanda leur imputation à la partie adverse.

89.  Le 1er octobre 2007, il réitéra ne pas être en mesure d’acquitter les frais d’une demande de mesures provisoires déposée aux fins de lui garantir au plus vite la possibilité de faire valoir son droit de visite et d’hébergement.

90.  Le 3 décembre 2007, il saisit le juge de l’exécution d’une demande de mesures provisoires afin d’être assuré au plus vite de la possibilité de renouer des relations personnelles avec son fils.

91.  Le 13 mars 2008, le tribunal pénal de l’exécution de Şişli acquitta l’épouse du requérant quant à l’infraction d’entrave à l’exécution prévue à l’article 341 du code de l’exécution (paragraphe 78 ci-dessus), estimant que, pour que cette infraction fût constituée, il eût fallu qu’elle refusât que l’enfant vît son père dans les sept jours suivant la notification de l’injonction de faire. Le tribunal estima que tel n’avait pas été le cas, précisant que la mère ne s’était pas opposée à ce que le père pût voir son enfant mais qu’elle avait demandé la présence lors de la rencontre d’un psychologue et de fonctionnaires du service de l’exécution.

92.  Le 30 avril 2008, le requérant forma opposition contre cette décision.

93.  Le 12 mai 2008, la cour d’assises d’Istanbul rejeta l’opposition.

94.  Le 4 juin 2008, le requérant saisit la direction de l’exécution d’une nouvelle requête dans laquelle il déclarait s’être rendu au domicile de son épouse, assisté d’un psychologue et d’un fonctionnaire du service de l’exécution, mais être reparti sans son fils, celui-ci ayant, selon l’intéressé, déclaré au psychologue ne pas vouloir l’accompagner. Il soutint que le psychologue n’avait pas joué son rôle et demanda à nouveau au service de l’exécution de lui permettre d’exercer son droit.

95.  Le 5 juin 2008, le requérant saisit à nouveau le juge de l’exécution d’une plainte contre son épouse pour non-présentation d’enfant.

96.  Le 6 juin 2008, le tribunal de l’exécution, se référant à la décision du 13 mars 2008 (paragraphe 91 ci-dessus), rejeta sa demande. Il précisa que les frais d’exécution ne pouvaient être imputés à la partie débitrice (redevable de l’exécution).

97.  Le 16 juin 2008, le requérant se pourvut en cassation contre cette décision et réitéra sa demande aux fins du respect de son droit de nouer des liens avec son fils. Il reprocha aux autorités de l’Etat de se montrer insensibles aux questions de rapports personnels entre les enfants et leurs parents, soutenant que ces questions ne devaient pas être traitées par les directions des exécutions mais suivies par les juridictions qui avaient rendu les décisions établissant les droits de garde et de visite. Il estima inadmissible que l’exécution d’une décision de justice dépendît du paiement d’une somme d’argent. Il souligna que ce fait causait une inégalité devant la loi entre les justiciables riches et les justiciables pauvres.

98.  Le 27 juin 2008, la direction de l’exécution dressa un procès-verbal aux termes duquel, le jour même, le requérant, assisté d’un psychologue et de policiers, s’était rendu au domicile de son épouse pour prendre son fils. L’enfant ayant déclaré ne pas vouloir l’accompagner, le psychologue aurait estimé qu’il ne fallait pas l’y contraindre.

99.  Le 1er juillet 2008, un nouveau procès-verbal fut dressé aux termes duquel, à cette date, le requérant, assisté de policiers et d’un agent des services sociaux, s’était rendu au domicile de son épouse pour voir son fils. Celui-ci ayant déclaré ne pas vouloir voir son père et ne pas l’aimer, l’agent des services sociaux aurait estimé inopportun de contraindre l’enfant à voir son père.

100.  Le 4 juillet 2008, le requérant saisit à nouveau la direction de l’exécution. Il précisa vouloir exercer le droit de garde que lui aurait conféré le tribunal de la famille du 1er au 31 juillet 2008.

101.  Le 29 juillet 2008, il saisit à nouveau le juge de l’exécution d’une demande tendant à l’adoption en urgence d’une mesure provisoire qui lui assurerait la possibilité de voir son fils. Il souligna que, eu égard au temps déjà écoulé sans possibilité de voir son fils, ses liens avec ce dernier risquaient d’être définitivement rompus. Il demanda également la condamnation de son épouse pour entrave à l’exercice de son droit de visite.

102.  Le 20 novembre 2008, le tribunal pénal de l’exécution estima que l’épouse mise en cause n’avait eu aucun comportement pouvant s’entendre comme un refus à l’exercice du droit de visite de son mari.

103.  Le 26 novembre 2008, le requérant forma opposition contre cette décision. Le 16 décembre 2008, la cour d’assises d’Istanbul rejeta l’opposition.

104.  Entre-temps, le 1er décembre 2008, la Cour de cassation, se référant au montant des frais d’exécution, avait rejeté le recours introduit par le requérant le 16 juin 2008 (paragraphe 97 ci-dessus) sans examen au fond eu égard à « l’insuffisance de la valeur en litige ».

105.  Le 2 janvier 2009, le requérant saisit à nouveau le juge pénal de l’exécution d’une demande tendant à l’adoption de mesures provisoires d’urgence à même de garantir le maintien de ses relations avec son fils et d’éviter que ses liens avec ce dernier, qu’il n’aurait pu voir depuis près de deux ans, ne se distendent de manière irréversible. Il demanda également la condamnation de son épouse à qui il reprochait de ne pas s’être conformée aux jugements lui reconnaissant un droit de visite et d’hébergement.

106.  Le 20 mars 2009, sa demande fut rejetée.

107.  Le 3 juin 2009, il forma opposition contre ce rejet.

108.  Le 16 juin 2009, la cour d’assises rejeta l’opposition.

109.  Le 1er juillet 2009, la direction de l’exécution établit un procès-verbal, dont il ressort que le requérant s’était rendu en compagnie d’un psychologue au domicile de son ex-épouse pour exercer son droit de garde pendant les vacances d’été mais que l’enfant avait refusé de partir avec lui. D’après le procès-verbal, le psychologue présent avait relevé que la réaction de l’enfant avait été influencée par sa mère et il avait reproché à celle-ci de n’avoir pas préparé son fils à son départ.

110.  Par un jugement du 15 avril 2010, l’ex-épouse du requérant fut condamnée à une peine dite « de pression » (tazyik hapsi) de six mois d’emprisonnement, en vertu de l’article 341 du code de l’exécution et des faillites.

111.  Ce jugement fut infirmé par un jugement définitif du 31 mai 2011 et l’ex-épouse du requérant acquittée.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

112.  Aux termes de l’article 166 in fine du nouveau code civil, entré en vigueur le 8 décembre 2001, quel que soit le motif d’une demande de divorce, à la suite d’une décision définitive du rejet par le tribunal de cette demande, si, dans les trois années à partir de cette décision, les époux n’ont pas réussi à rétablir une vie commune, il est considéré que la fondation de l’union maritale est ébranlée et le divorce est prononcé à la demande de l’un des époux.

113.  Le code pénal

Article 234

Enlèvement et rétention illicite d’enfant

Est condamné à une peine d’emprisonnement allant de trois mois à un an le père ou la mère ne détenant pas l’autorité parentale ou tout proche de famille jusqu’au quatrième degré qui, sans recourir à la violence ou à la menace, enlève l’enfant de moins de seize ans à la personne qui détient l’autorité parentale, le tutorat ou la garde de celui-ci, ou qui retient l’enfant. (...)

114.  Le code de l’exécution et des faillites

Article 341

Toute personne qui omet de faire le nécessaire requis par une décision ou une ordonnance rendue en matière de remise de l’enfant ou qui fait obstacle à une telle remise est condamnée à une peine de pression pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement à la suite de la plainte de la personne en faveur de laquelle la décision a été rendue. Si la personne ainsi condamnée se conforme à la décision après la mise en exécution de la peine, elle est relaxée.

III.  AUTRES DISPOSITIONS PERTINENTES

115.  La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no Rec (98)1 sur la médiation familiale, adoptée le 21 janvier 1998, se réfère au nombre croissant de litiges familiaux, particulièrement ceux qui résultent d’une séparation ou d’un divorce. Notant les conséquences préjudiciables des conflits pour les familles, le texte recommande aux Etats membres d’instituer ou de promouvoir la médiation familiale, ou, le cas échéant, de renforcer la médiation existante. Selon l’alinéa 7 de la Recommandation, le recours à la médiation familiale peut « améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire le conflit entre les parties en présence, produire des accords à l’amiable, assurer la continuité des liens personnels entre les parents et les enfants, réduire les coûts financiers et sociaux de la séparation et du divorce pour les parties elles-mêmes et pour les Etats » (voir également la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no Rec (2002)10 sur la médiation civile, adoptée le 18 septembre 2002, ainsi que les « Lignes directrices visant à améliorer la mise en œuvre des Recommandations existantes concernant la médiation familiale en matière civile de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice », CEPEJ (2007)14).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13

116.  Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale pour avoir été contraint de rester marié alors qu’il aurait vécu séparé depuis de nombreuses années de son épouse. Il se plaint par ailleurs de manquements des autorités internes, à qui il reproche de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour lui permettre de maintenir ses relations avec son fils ni levé les entraves à l’exercice de son droit de visite, et ce nonobstant les décisions de justice lui reconnaissant ce droit. A cet égard, alléguant que ses plaintes et réclamations concernant l’impossibilité de voir son fils n’ont pas été prises au sérieux par les instances nationales, il se plaint d’une absence de voies de recours effectives.

Il invoque les articles 8 et 13 de la Convention, qui sont ainsi libellés dans leurs passages pertinents en l’espèce :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

117.  Le Gouvernement combat cette thèse.

1.  Grief tiré de la contrainte imposée au requérant de rester marié pendant une durée non justifiée

118.  La Cour observe d’emblée que le grief portant sur le droit au respect de la vie privée n’a aucunement été étayé par le requérant. Quant au respect de la vie familiale, force est de constater que le requérant ne fait nullement allusion à une famille existante au sujet de laquelle il pourrait revendiquer le droit au respect de la vie familiale au titre de l’article 8 (Aresti Charalambous c. Chypre, no 43151/04, § 51, 19 juillet 2007, et Berlin c. Luxembourg, no 44978/98, § 64, 15 juillet 2003 ; Bacuzzi c. Italie (déc.), no 43817/04, 24 mai 2011).

Cette partie de la requête doit donc être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en vertu de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2.  Grief tiré de l’impossibilité pour le requérant de maintenir des relations avec son fils

A.  Sur la recevabilité

119.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

120.  Le Gouvernement observe que le requérant a demandé la protection juridique de son droit à une vie familiale et que, à cette fin, il a fait usage de son droit d’intenter des actions en justice. La plupart de ses actions ayant été considérées par les juridictions nationales comme étant mal fondées, le Gouvernement est d’avis qu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit au respect de la vie familiale du requérant au sens de l’article 8 § 1 de la Convention. Il considère en effet que le requérant a choisi la voie judiciaire pour régler ses problèmes avec son épouse et son fils alors qu’il aurait pu, selon le Gouvernement, opter pour un compromis.

121.  Le requérant réitère ses doléances.

122.  La Cour rappelle que, si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Elle rappelle en outre que la frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise, même si les principes applicables sont comparables. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290).

123.  S’agissant de l’obligation pour l’Etat d’arrêter des mesures positives, la Cour rappelle que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010‑..., Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I, et Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 127, CEDH 2000-VIII).

124.  La Cour réitère également le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Dans cette logique, elle rappelle qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps. Elle peut aussi avoir égard, sur le terrain de l’article 8, au mode et à la durée du processus décisionnel (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 65, série A no 121, McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995, §§ 87 et 92, série A no 307-B, et Dore c. Portugal, no 775/08, § 45, 1er février 2011).

125.  Dans ce contexte, la Cour a noté que l’adéquation d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. En effet, les procédures relatives à l’attribution de l’autorité parentale, y compris l’exécution des décisions rendues à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux (Ignaccolo-Zenide, précité, § 102 ; voir aussi Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V).

126.  Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles dans le cadre de la procédure qui avait pour objet l’exercice du droit de garde et de visite et qui visait à la réunion du requérant avec son fils.

127.  La Cour observe que, selon les documents contenus dans le dossier, tout au long des deux procédures de divorce, notamment entre octobre 2005 et décembre 2008, le requérant a formulé, pas moins de dix fois, des demandes tendant à assurer le maintien de ses relations personnelles avec son fils ou informant le tribunal que son droit de visite avait été entravé par la mère de l’enfant.

En outre, elle relève que le requérant est resté sans contact, ou en contact très limité, avec son enfant pendant des périodes allant jusqu’à deux ans.

128.  Elle note également que l’expertise psychologique des parents et de l’enfant n’a été demandée qu’en septembre 2008 et que les rapports correspondants ont été rendus en décembre 2008, à savoir plus de sept ans après la séparation du couple et la première demande en divorce introduite par le requérant, assortie d’une demande d’octroi de l’autorité parentale.

129.  Elle note à cet égard que, selon les rapports des experts (paragraphe 55 ci-dessus), l’écoulement d’un laps de temps sans contact adéquat entre le requérant et son fils a joué un rôle déterminant dans l’attitude de rejet que ce dernier a manifesté vis-à-vis de son père.

130.  Tout en admettant que les situations d’inexécution rencontrées en matière d’autorité parentale et de droits de visite et de garde sont particulièrement difficiles à régler par la voie judiciaire, la Cour note l’absence, dans le dossier, d’éléments indiquant que le juge des affaires familiales se serait efforcé de concilier les parties dans leurs demandes respectives ou qu’il aurait pris des mesures visant à faciliter l’exécution volontaire de décisions de justice.

Force est de constater que le droit commun de l’exécution, tel qu’appliqué en l’espèce, ne convient guère pour résoudre le type d’inexécution rencontré en matière de droit à la vie familiale.

131.  S’agissant de mesures susceptibles de permettre le rétablissement du lien familial entre le requérant et son fils, la Cour rappelle que, si des mesures coercitives à l’égard des enfants ne sont pas souhaitables dans ce domaine délicat, le recours à des sanctions ne doit pas être écarté en cas de comportement manifestement illégal du parent avec lequel vit l’enfant (voir, notamment, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 76, CEDH 2003‑VII). Or, en l’espèce, les juridictions nationales semblent avoir fait l’économie de telles mesures vis-à-vis de la mère de l’enfant, à l’exception d’une injonction (paragraphe 87 ci-dessus).

132.  La Cour rappelle par ailleurs que l’obligation de l’Etat d’arrêter des mesures positives propres à réunir un parent à son enfant n’est pas absolue. Toutefois, la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007), souvent l’unique solution pacifique, adéquate et tenant compte de l’état psychologique de l’enfant.

Elle relève à cet égard l’absence de voie de médiation civile dans le système judiciaire national, dont l’existence aurait été souhaitable en tant qu’aide à une telle coopération à l’ensemble des parties au litige.

133.  A cet égard, la Cour se réfère à la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no Rec (98)1 sur la médiation familiale (paragraphe 113 ci-dessus), aux termes de laquelle le recours à la médiation familiale peut « améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire le conflit entre les parties en présence, produire des accords à l’amiable, assurer la continuité des liens personnels entre les parents et les enfants, réduire les coûts financiers et sociaux de la séparation et du divorce pour les parties elles-mêmes et pour les Etats ».

134.  La Cour estime que l’Etat défendeur, en ne prenant pas toutes les mesures pratiques que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui dans les circonstances de la cause, a manqué à ses obligations qui découlent pour lui des dispositions de l’article 8 de la Convention.

135.  Eu égard à ce qui précède (paragraphes 127-134 ci-dessus), la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

Elle estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

136.  Le requérant se plaint également de la durée des deux procédures de divorce ainsi que d’une absence de recours effectif en droit interne qui lui aurait permis de faire valoir son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ainsi libellés dans leurs passages pertinents en l’espèce :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

137.  Le Gouvernement combat cette thèse. Il soutient que les autorités internes ne peuvent être tenues pour responsables de la durée des procédures en cause, laquelle est, selon lui, due aux circonstances de l’espèce et au comportement des parties.

Il souligne en particulier que l’ex-épouse du requérant a continuellement refusé de divorcer, et ce encore le 13 mars 2008. Il rappelle que le tribunal interne a toutefois prononcé le divorce le 19 mars 2009.

A.  Sur la recevabilité

138.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.  Sur le fond

139.  La Cour note que le grief porte sur deux procédures de divorce (paragraphes 6, 31 et 134 ci-dessus). La première de ces procédures a duré quatre ans et un mois devant une seule instance, et la seconde quatre ans et cinq mois devant deux instances.

140.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

141.  La Cour observe que les procédures en cause ne comportaient pas de complexité particulière, hormis le fait que les parties étaient en désaccord sur tous les points, à savoir le divorce lui-même, l’attribution de l’autorité parentale et le paiement d’une pension alimentaire.

142.  S’agissant de la première procédure ayant pris fin le 13 décembre 2005, la Cour note que les audiences étaient séparées par des intervalles de trois à neuf mois.

143.  La Cour observe que, à l’exception de l’audition de quatre témoins cités par les deux parties, les seuls actes de procédure ont consisté en la demande et l’attente de deux informations et documents : celui relatif à la situation socio-économique des deux parties et celui concernant la procédure pénale pendante contre le requérant. L’attente en question a duré du 13 mars 2003 au 13 décembre 2005, à savoir deux ans et neuf mois.

144.  La Cour note ensuite que, dans le cadre de cette procédure, le tribunal a rendu deux ordonnances en référé, la première concernant la demande de pension alimentaire déposée par l’épouse et la seconde relative au droit de visite du requérant. Cette dernière n’est intervenue que le 22 novembre 2005, à savoir quatre ans après l’introduction de la procédure.

145.  S’agissant de la seconde procédure, la Cour observe que les positions respectives des parties n’ont pas changé par rapport au divorce, à l’attribution de l’autorité parentale et à la question de la pension alimentaire. Des ordonnances ont été rendues pour des modifications des droits de visite et d’hébergement ainsi que du montant de la pension alimentaire.

146.  Les audiences ont été pour la plupart reportées dans l’attente de l’évaluation de la situation socio-économique des parties, du dossier pénal et des documents relatifs au règlement de la pension alimentaire par le requérant, ainsi qu’en raison des délais liés à l’audition des témoins des deux parties.

147.  La Cour observe que les rapports entre les parties ainsi que le comportement du requérant vis-à-vis du tribunal (paragraphe 36 ci-dessus) se sont détériorés lors de cette seconde procédure, ce qui n’a certainement pas facilité la tâche aux juridictions internes. Elle note par ailleurs que plusieurs procédures – pénales ou d’exécution forcée – se sont imbriquées dans le litige principal qui opposait les parties et qui faisait l’objet de la procédure de divorce (paragraphes 61-111 ci-dessus), et qu’elles ont parfois ralenti celle-ci.

148.  La Cour ne saurait toutefois en déduire que le comportement des parties était la cause principale de l’allongement de la durée de la procédure. Quant au comportement du requérant en particulier, il ne ressort pas du dossier qu’il ait provoqué des retards notables. La Cour note qu’il a, au contraire, à plusieurs reprises, demandé au tribunal d’agir avec célérité, en argüant de l’impossibilité pour lui de maintenir des relations personnelles avec son fils dans les conditions d’une procédure pendante depuis de longues années.

149.  De plus, il ne ressort ni des observations des parties ni des pièces du dossier que le tribunal ait, au cours de la procédure, fixé aux parties des délais pour conclure et échanger leurs pièces. La Cour souligne que le seul élément nouveau par rapport à la première procédure de divorce, à savoir une expertise psychologique des parents et de l’enfant, n’a été ordonné que le 18 septembre 2008, à savoir deux ans et trois mois après l’introduction de la demande de divorce.

Quant au jugement de première instance, il a été prononcé près de trois ans après l’introduction de la procédure.

150.  Il convient de rappeler que l’article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d’autres, Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, § 55) et, notamment, garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, Frydlender précité, § 45).

151.  La Cour considère que, même s’il s’agit de deux procédures distinctes (paragraphe 137 ci-dessus) dont les durées sont évaluées séparément sur le terrain de l’article 6 § 1, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de tenir néanmoins compte du fait que ces deux procédures non seulement se sont succédé – la seconde ayant été engagée quelques mois après la clôture de la première –, mais qu’elles avaient en outre le même objet et les mêmes parties.

Dans les circonstances concrètes de la cause et eu égard à l’enjeu du litige, qui, outre le divorce des parents, comportait des conséquences sur les relations du requérant avec son enfant, la Cour estime que la durée des deux procédures en cause ne peut passer pour raisonnable.

152.  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (comparer avec Boca c. Belgique, no 50615/99, CEDH 2002‑IX, et Granata c. France (no 2), no 51434/99, 15 juillet 2003).

153.  Pour ce qui concerne le grief du requérant tiré de l’article 13, la Cour rappelle que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI). Elle rappelle avoir déjà eu l’occasion d’examiner un tel grief et avoir constaté que l’ordre juridique turc n’offrait pas aux justiciables un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, leur permettant de se plaindre de la durée excessive des procédures. Renvoyant à ses arrêts Tendik et autres c. Turquie (no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005) et Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie (no 60176/00, § 107, 30 mai 2006), elle observe que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant amener la Cour à s’écarter de la conclusion adoptée dans ces précédents arrêts.

154.  Par conséquent, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

155.  Le requérant se plaint également d’un défaut d’équité de la procédure en divorce, alléguant notamment qu’il a été injustement condamné à payer une pension alimentaire.

La Cour observe d’emblée que le requérant se plaint en substance de la solution adoptée par les juridictions internes. Or il n’appartient pas à la Cour de contrôler elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction à adopter telle décision plutôt que telle autre (Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296‑C). De même, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction. En l’espèce, au vu des pièces du dossier, le requérant apparaît avoir été en mesure de présenter ses arguments et de contester les conclusions des experts. Les motifs sur lesquels les juridictions ont fondé leurs décisions ne révèlent en outre aucune apparence d’arbitraire. Ce grief doit donc être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en vertu de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Le requérant invoque par ailleurs les articles 3, 10 et 14 de la Convention et les Protocoles nos 7 et 12.

La Cour observe que les Protocoles nos 7 et 12 n’ayant pas été ratifiés par la Turquie, ces griefs doivent être rejetés pour incompatibilité ratione personae.

Le restant des griefs n’est aucunement étayé.

Partant, la Cour rejette l’ensemble de ces griefs pour défaut manifeste de fondement, en vertu de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

156.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

157.  Le requérant réclame au total 89 697 livres turques (TRL) pour dommage matériel, somme qu’il détaille comme suit : il annexe en premier lieu les quittances de paiement de la pension alimentaire versée à son ex-épouse, d’un montant de 14 697 TRL. Il avance en outre que, ayant été occupé, pendant presque neuf ans, à poursuivre les diverses procédures qui font l’objet de la requête, il n’a pas pu trouver un emploi ; à cet égard, il réclame 50 000 TRL. Il évoque en outre la perte du mobilier, selon lui possession commune avec son ex-épouse lorsqu’ils étaient mariés, et réclame 20 000 TRL à ce titre.

Le requérant demande ensuite pour lui-même 100 000 TRL pour dommage moral. Il évoque en outre le dommage moral qu’aurait subi son fils, qu’il évalue à 25 000 TRL, ainsi que les dommages matériel et moral qu’auraient subis ses parents, qu’il évalue à 50 000 TRL.

158.  Le Gouvernement estime ces demandes non fondées et excessives.

159.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. Elle rejette par ailleurs toute demande introduite au titre de dommage moral au nom de personnes n’ayant pas qualité de requérant dans la présente requête. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 17 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

160.  Le requérant demande également 8 613 TRL pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il annexe les documents suivants à l’appui de sa demande : les billets des voyages effectués depuis son lieu d’habitation à Istanbul afin de suivre les diverses procédures en cause, des frais d’affranchissement d’un montant de 272 TRL, des factures de frais de justice, d’expert et de psychologue d’un montant total de 1 140 TRL, des frais d’avocat d’un montant de 1 949 TRL et des frais de traduction d’un montant de 286 TRL. Il évalue par ailleurs à 750 TRL les photocopies d’environ 5 000 pages de documents qu’il dit avoir envoyées aux tribunaux internes et à la Cour.

161.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

162.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession, de sa jurisprudence ainsi que de la somme de 850 EUR déjà réglée au titre de l’assistance judiciaire, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

163.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8 (vie familiale), 6 § 1 (durée de la procédure) et 13 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 ;

6.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 17 000 EUR (dix-sept mille euros), à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, ainsi que 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 Stanley Naismith Françoise Tulkens
 Greffier Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée partiellement dissidente du juge Popović.

F.T.
S.H.N.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE

DU JUGE POPOVIĆ

Comme la majorité de mes collègues, j’ai voté en faveur de la violation de l’article 8 de même qu’en faveur de la violation de l’article 6 de la Convention dans cette affaire. Cependant, je ne partage pas l’opinion de la majorité en ce qui concerne le point 6 du dispositif de l’arrêt.

A mon avis, la majorité a, en statuant sur le fond du grief tiré de l’article 8 de la Convention, omis de tenir compte du fait que le requérant avait lui-même contribué à la gravité de la situation et à la complexité de ses relations avec la mère de son enfant. En effet, comme mentionné au paragraphe 66 de l’arrêt, le requérant a été reconnu coupable de violences conjugales envers la mère de son enfant et condamné de ce chef devant le tribunal correctionnel. Que cette procédure se soit terminée par l’extinction de l’action pénale importe peu, car le fait même que le requérant a été jugé coupable démontre clairement qu’il a sa part de responsabilité dans la gravité de la situation dans laquelle il s’est trouvé et qui constitue le cœur de l’affaire.

De plus, j’observe, au vu des données présentées dans l’arrêt, que le requérant ne s’est jamais conformé aux décisions rendues par la justice nationale qui le condamnaient au versement d’une pension alimentaire à son ex-épouse, la mère de son enfant. Il est clair que la réaction de celle-ci, consistant à refuser au requérant d’avoir des contacts avec son fils, ne peut pas être considérée comme une réponse légitime au comportement susmentionné. Pour autant, on ne peut pas nier que le requérant, par ce comportement, a lui aussi contribué à aggraver sa situation familiale.

C’est pourquoi j’estime que la somme allouée au requérant à ce titre n’aurait pas dû dépasser 3 000 euros (EUR), soit le minimum accordé par la Cour dans des affaires similaires.

En ce qui concerne la violation de l’article 6 de la Convention, je tiens à souligner que le raisonnement suivi par la majorité dans cette affaire pour apprécier l’ampleur de la violation demeure imprécis. A mon avis, la majorité ne s’est pas clairement exprimée dans le paragraphe 149 de l’arrêt sur la base factuelle qui l’a conduite à conclure à la violation de l’article 6 de la Convention dans cette affaire. A mes yeux, la deuxième procédure de divorce, contrairement à la première, ne pose pas de problème sous l’angle de sa durée. Les deux procédures doivent donc être clairement distinguées sur ce point. J’estime ainsi que seule la durée de la première procédure de divorce ne peut passer pour raisonnable.

Pour cette raison, une somme ne dépassant pas 2 400 EUR aurait dû, à mon avis, être suffisante pour réparer la violation de l’article 6 de la Convention en l’espèce.

J’estime ainsi que la somme totale allouée au requérant aurait dû s’élever à 5 400 EUR.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code civil
  2. CODE PENAL
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE CENGİZ KILIÇ c. TURQUIE, 6 décembre 2011, 16192/06