CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE AGNELET c. FRANCE, 10 janvier 2013, 61198/08

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 10 janv. 2013, n° 61198/08
Numéro(s) : 61198/08
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I
Papon c. France (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII
Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II
Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -...
Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V
Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003
Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III
Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010-....
Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable)
Identifiant HUDOC : 001-115847
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0110JUD006119808
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE AGNELET c. FRANCE

(Requête no 61198/08)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

01/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Agnelet c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

 Mark Villiger, président,
 Angelika Nußberger,
 Boštjan M. Zupančič,
 Ann Power-Forde,
 André Potocki,
 Helena Jäderblom,
 Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61198/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maurice Agnelet (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me F. Saint Pierre, avocat à Lyon. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence de motivation de l’arrêt rendu par la cour d’assises d’appel.

4.  Le 27 septembre 2011, la requête a été déclarée partiellement irrecevable, à l’exception du grief tiré de l’absence de motivation de l’arrêt rendu par la cour d’assises d’appel, qui a été communiqué au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1938 et il est actuellement détenu.

6.  A la fin du mois d’octobre 1977, Agnès Le Roux (« A.R. »), une femme âgée de vingt-neuf ans, disparut définitivement, dans des conditions et pour des raisons inconnues. A.R. était administrateur et associée, notamment avec sa mère, R.R., de la société du Palais de la Méditerranée, un casino situé à Nice.

1.  Première procédure

7.  Le 13 février 1978, R.R., mère d’A.R., déposa plainte pour séquestration arbitraire. Le 1er mars 1978, une information judiciaire fut ouverte et conduite sous cette qualification. A compter du 4 février 1980, l’instruction fut diligentée pour meurtre et R.R. déposa une nouvelle plainte.

8.  Le 13 août 1983, le requérant, avocat et amant d’A.R., fut inculpé par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nice pour le meurtre de celle-ci. Il fut placé en détention provisoire, puis remis en liberté le 7 octobre 1983.

9.  Le 29 septembre 1985, le procureur de la République prit un réquisitoire de non-lieu.

10.  Le 30 septembre 1985, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu.

11.   Le 23 avril 1986, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma cette ordonnance.

12.  Par un arrêt du 1er février 1988, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par R.R.

2.  Seconde procédure

13.  Les 24 octobre 1994 et 4 novembre 1997, R.R. déposa plainte en se constituant partie civile respectivement pour recel de cadavre à l’encontre du requérant et pour complicité de recel de cadavre à l’encontre de F.L., épouse du requérant, dont elle était séparée.

14.  Le 11 juin 1999, F.L. déclara qu’elle avait fait un faux témoignage, à la demande du requérant, dans sa déposition faite à la police en 1979, en affirmant qu’elle s’était rendue en Suisse avec le requérant les 27 et 28 octobre 1977.

15.  Par un arrêt du 7 décembre 2000, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonna la réouverture de la procédure d’instruction relative à la disparition et au meurtre d’A.R. Elle considéra que la déclaration de F.L. était une charge nouvelle au sens du code de procédure pénale, de nature à fortifier les charges qui, bien qu’existantes, avaient été jugées trop faibles dans le passé.

16.  Le 20 décembre 2000, le juge d’instruction mit le requérant en examen du chef de meurtre et ordonna un contrôle judiciaire.

17.  Le 14 juin 2001, le juge d’instruction organisa une confrontation entre F.L. et le requérant.

18.  Les 21 février 2002, 25 juin 2003 et 18 mars 2004, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejeta les demandes du requérant tendant au prononcé d’un non-lieu.

19.  Par un arrêt du 26 octobre 2005, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix‑en-Provence ordonna la mise en accusation et le renvoi du requérant devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. Dans son arrêt de quatre-vingt-treize pages, elle écarta notamment la contestation de la légalité des procédures d’instruction menées sous la qualification de recel de cadavre au motif que la partie civile se serait livrée à un détournement de procédure, au moyen d’une qualification de complaisance. Par ailleurs, elle considéra que l’absence de découverte du corps de la victime n’établissait pas l’inexistence d’un crime, mais que bien au contraire cette disparition pouvait être un élément de ce crime et qu’en faisant disparaître le corps on pouvait espérer interdire toute recherche utile. Par ailleurs, après avoir noté que le requérant était seul mis en examen du chef d’assassinat, elle estima qu’il convenait d’examiner son attitude à l’égard de la famille de la disparue et de la procédure. La chambre de l’instruction considéra que le requérant était responsable de mensonges, d’omissions et de revirements qui ne pouvaient pas s’expliquer par la crainte inspirée par une garde à vue ou par la peur de faire des déclarations susceptibles de nuire à sa carrière d’avocat. Elle conclut que la procédure avait réuni des charges susceptibles d’établir que le requérant avait donné volontairement la mort à A.R. pour s’approprier une somme de trois millions de francs français.

20.  Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il soutint notamment que ce dernier ne spécifiait pas les circonstances factuelles de la commission du crime qui lui était reproché, le plaçant ainsi dans l’impossibilité de se défendre utilement.

21.  Le 15 février 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, après avoir rappelé que les juridictions d’instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge d’une personne mise en examen sont constitutifs d’une infraction.

22.  Par un arrêt du 20 décembre 2006, la cour d’assises des Alpes-Maritimes acquitta le requérant. Le ministère public interjeta appel.

23.  Le second procès se déroula devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, du 17 septembre au 11 octobre 2007.

24.  Les questions suivantes furent posées à la cour et au jury :

Questions principales :

 « 1 -  L’accusé Maurice AGNELET est-il coupable d’avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, volontairement donné la mort à [A.R.] ?

2 -  L’accusé Maurice AGNELET avait-il, préalablement à sa commission, formé le dessein de commettre le meurtre ci-dessus spécifié ? »

Questions subsidiaires :

 « 3 -  Est-il constant qu’à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, il a été donné volontairement la mort à [A.R.] ?

4 -  Le meurtre spécifié à la question no3 a-t-il été commis avec préméditation ?

5 -  L’accusé Maurice AGNELET est-il coupable d’avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 2007 [sic], en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, donné des instructions en vue de commettre le meurtre spécifié à la question no3 et qualifié à la question no4 ?

-  L’accusé Maurice AGNELET est-il coupable d’avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 2007 [sic], en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation du meurtre spécifié à la question no3 et qualifié à la question no4 ? »

25.  Il fut répondu « oui à la majorité de dix voix au moins » aux deux questions principales, les questions subsidiaires étant considérées « sans objet ».

26.  Par un arrêt du 11 octobre 2007, la cour d’assises déclara le requérant coupable du meurtre d’A.R. et le condamna à vingt ans de réclusion criminelle. La cour seule décerna un mandat de dépôt criminel contre lui et, statuant dans un arrêt civil distinct, elle condamna également le requérant à verser des dommages-intérêts aux parties civiles.

27.  Le requérant se pourvut en cassation. Il développa plusieurs moyens de cassation, notamment pour se plaindre de ce que le verdict de la cour d’assises n’était pas motivé.

28.  Par un arrêt du 15 octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. S’agissant du moyen tiré de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises, elle estima que les exigences de l’article 6 de la Convention avaient été satisfaites, jugeant « que l’ensemble des réponses reprises tant dans l’arrêt d’acquittement rendu par la cour d’assises du premier degré que dans l’arrêt de condamnation rendu par la cour d’assises d’appel et qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés de ces deux degrés de juridiction ont donné aux questions posées, conformément à l’arrêt de renvoi, tient lieu de motifs aux arrêts de la cour d’assises statuant sur l’action publique ».

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

  1. Code de procédure pénale

29.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale applicables au moment des faits se lisent comme suit :

Article 231

« La cour d’assises a plénitude de juridiction pour juger, en premier ressort ou en appel, les personnes renvoyées devant elle par la décision de mise en accusation.

Elle ne peut connaître d’aucune autre accusation. »

Article 240

« La cour d’assises comprend : la cour proprement dite et le jury. »

Article 243

« La cour proprement dite comprend : le président et les assesseurs. »

Article 254

« Le jury est composé de citoyens désignés conformément aux dispositions des articles suivants. »

Article 317

« A l’audience, la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire.

Si le défenseur choisi ou désigné conformément à l’article 274 ne se présente pas, le président en commet un d’office. »

Article 327

« Le président invite l’accusé et les jurés à écouter avec attention la lecture de la décision de renvoi, ainsi que, lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée.

Il invite le greffier à procéder à cette lecture. »

Article 347

« Le président déclare les débats terminés.

Il ne peut résumer les moyens de l’accusation et de la défense.

Il ordonne que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier de la cour d’assises ; toutefois, il conserve en vue de la délibération prévue par les articles 355 et suivants, l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Si, au cours de la délibération, la cour d’assises estime nécessaire l’examen d’une ou plusieurs pièces de la procédure, le président ordonne le transport dans la salle des délibérations du dossier, qui, à ces fins sera rouvert en présence du ministère public et des avocats de l’accusé et de la partie civile. »

Article 348

« Le président donne lecture des questions auxquelles la cour et le jury ont à répondre. Cette lecture n’est pas obligatoire quand les questions sont posées dans les termes de la décision de mise en accusation ou si l’accusé ou son défenseur y renonce. »

Article 350

« S’il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans l’arrêt de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales. »

Article 351

« S’il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président doit poser une ou plusieurs questions subsidiaires. »

Article 353

« Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :

" La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? " »

Article 356

« La cour et le jury délibèrent, puis votent, par bulletins écrits et par scrutins distincts et successifs, sur le fait principal d’abord, et s’il y a lieu, sur les causes d’irresponsabilité pénale, sur chacune des circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des faits constituant une cause légale d’exemption ou de diminution de la peine. »

Article 357

« Chacun des magistrats et des jurés reçoit, à cet effet, un bulletin ouvert, marqué du timbre de la cour d’assises et portant ces mots : "sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est ...".

Il écrit à la suite ou fait écrire secrètement le mot "oui" ou le mot "non" sur une table disposée de manière que personne ne puisse voir le vote inscrit sur le bulletin. Il remet le bulletin écrit et fermé au président, qui le dépose dans une urne destinée à cet usage. »

Article 370

« Après avoir prononcé l’arrêt, le président avertit, s’il y a lieu, l’accusé de la faculté qui lui est accordée, selon les cas, d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation et lui fait connaître le délai d’appel ou de pourvoi. »

B.  Jurisprudence de la Cour de cassation

30.  Pour la Cour de cassation, « c’est un principe fondamental que la cour d’assises doit juger l’accusation telle que les débats la font apparaître et non telle que la procédure écrite l’avait établie » (Cass. crim., 12 mai 1970, Bull. crim. no 158).

31.  S’agissant de la motivation, elle estime qu’il résulte des articles 353 et 357 du code de procédure pénale que les arrêts de condamnation prononcés par les cours d’assises ne peuvent comporter d’autres énonciations relatives à la culpabilité que celles qui, tenant lieu de motivation, sont constituées par l’ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées conformément à l’arrêt de renvoi ; un arrêt qui contient d’autres précisions, par exemple des circonstances factuelles et des éléments de la personnalité de l’accusé, encourt la cassation (Cass. crim., 15 décembre 1999, Bull. crim. no 308).

32.  Dès lors qu’ont été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt de la cour d’assises satisfait aux exigences du procès équitable (Cass. crim., 14 octobre 2009, Bull. crim. no 170).

C.  Décision no 2011 – 113/115 (QPC) du Conseil constitutionnel

33.  Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a décidé que l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises ne méconnaît pas le droit à une procédure juste et équitable. Selon lui, l’obligation de motivation, en matière pénale, constitue une garantie légale de l’exigence constitutionnelle faite au législateur d’empêcher tout pouvoir arbitraire des juridictions en vertu du principe de légalité des délits et des peines. L’absence de motivation peut être justifiée, à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire. Le Conseil constitutionnel considère que la procédure devant la cour d’assises apporte ces garanties en raison : des principes d’oralité (seuls les éléments de preuve produits oralement et débattus contradictoirement devant l’accusé étant pris en compte dans le délibéré) et de continuité des débats (les magistrats et les jurés délibérant ensemble immédiatement après la fin des débats) ; de l’obligation pour la cour d’assises de statuer sur la base d’un acte juridictionnel motivé, à savoir l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction ou l’arrêt de renvoi de la chambre de l’instruction ; de la détermination détaillée des modalités de délibération de la cour d’assises ; de l’obligation pour le président de la cour d’assises et pour celle-ci de veiller à ce que les questions posées à la cour d’assises soient claires, précises et individualisées ; du principe selon lequel la décision rendue est l’expression directe de l’intime conviction des jurés, dès lors que toute décision défavorable à l’accusé ne peut être adoptée qu’avec un vote d’au moins la majorité d’entre eux.

D.  Loi no 2011-939 du 10 août 2011

34.  Cette loi a, d’une part, modifié l’article 327 du code de procédure pénale et, d’autre part, inséré un nouvel article 365-1 :

Article 327

« Le président de la cour d’assises présente, de façon concise, les faits reprochés à l’accusé tels qu’ils résultent de la décision de renvoi.

Il expose les éléments à charge et à décharge concernant l’accusé tels qu’ils sont mentionnés, conformément à l’article 184, dans la décision de renvoi.

Lorsque la cour d’assises statue en appel, il donne en outre connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et, le cas échéant, de la condamnation prononcée.

Dans sa présentation, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé.

A l’issue de sa présentation, le président donne lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation. »

Article 365-1

« Le président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt.

En cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions.

La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l’article 364.

Lorsqu’en raison de la particulière complexité de l’affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n’est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d’assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

35.  Le requérant se plaint d’avoir été privé de son droit à un procès équitable, compte tenu de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

36.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

37.  Après avoir présenté la procédure criminelle, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité, estimant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il considère que les articles 315 et 352 du code de procédure pénale lui permettaient de contester la formulation des questions en déposant des conclusions écrites et de provoquer un incident contentieux sur lequel la cour d’assises devait statuer par un arrêt incident motivé. Il rappelle que la Cour a déjà considéré, dans les affaires Hakkar et Verrier c. France (respectivement no 43580/04, 7 avril 2009 et no 1958/06, 20 avril 2010), que l’opposition à des questions spéciales et des incidents sur le déroulement d’une audience de cour d’assises doit donner lieu à l’exercice du recours prévu par l’article 315 du code de procédure pénale avant de la saisir. Par conséquent, si le requérant, qui n’a pas souhaité que la liste des questions posées soit complétée, considère que les questions posées étaient laconiques et insuffisantes, à elles-seules, pour motiver ou expliquer les raisons de sa culpabilité, il aurait dû formuler des contestations ou soulever un incident devant la cour d’assises.

38.  Le requérant souligne qu’il ne pouvait élever aucun incident contentieux sur le libellé des questions principales posées au jury à l’issue de son procès et qu’il ne disposait dès lors d’aucun recours interne. C’est au président de la cour d’assises et à lui seul qu’il appartient de poser les questions principales. Les avocats ne peuvent demander que l’ajout de questions dites spéciales ou subsidiaires, et ce à certaines conditions limitatives ; en cas de refus du président, s’ils peuvent saisir la cour (à savoir le président et ses deux assesseurs), celle-ci statue de manière souveraine, sa décision n’étant pas susceptible de recours. La seule hypothèse dans laquelle un accusé dispose du droit d’obtenir que soit posée une question autre que celles du président concerne l’existence d’une « excuse » (de minorité, de légitime défense ou encore d’irresponsabilité pénale). Le requérant précise que la seule possibilité, pour un accusé, de demander que des questions de type factuel soient posées n’est apparue qu’avec la décision du Conseil constitutionnel du 1er avril 2011, postérieure à sa condamnation.

39.  Il estime par ailleurs que les deux arrêts Hakkar et Verrier c. France invoqués par le Gouvernement sont sans rapport avec la présente requête.

40.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Selmouni c. France, [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

41.  Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, notamment, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I, et Selmouni, précité, § 75).

42.  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la Cour de cassation a répondu au moyen du requérant tiré de l’absence de motivation, sans lui opposer ni évoquer le défaut de recours aux possibilités offertes par les articles 315 et 352 du code de procédure pénale.

43.  Par ailleurs, elle constate que les jurisprudences invoquées par le Gouvernement ne sont pas transposables en l’espèce et que le recours invoqué n’est pas susceptible de redresser le grief soulevé devant elle. En effet, comme le relève d’ailleurs le Gouvernement dans ses observations sur le fond, le requérant se plaint de « l’absence de motivation de l’arrêt de condamnation » en invoquant « le principe du procès équitable dont résulte la nécessité de la motivation de toute décision de condamnation que prononce une juridiction pénale ». Le grief du requérant ne concerne donc pas la formulation des questions posées à la cour et au jury, ou encore un incident dans le déroulement des débats, mais le fait que l’arrêt de la cour d’assises, postérieur non seulement à la lecture desdites questions par le président, mais également au délibéré pendant lequel il a été décidé de la culpabilité de l’accusé et de la peine infligée, ne soit pas motivé. Ainsi, la formulation des questions ne constitue pas le cœur du grief en l’espèce : elle ne représente qu’un critère identifié parmi d’autres par la Cour dans sa jurisprudence pour apprécier, dans le cadre de l’examen sur le bien-fondé, le respect de l’article 6 en cas d’absence de motivation de l’arrêt lui-même.

44.  L’exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

45.  Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

46.  Le requérant explique que la décision du Conseil constitutionnel du 1er avril 2011, postérieure à sa condamnation, n’a pas réglé les problèmes rencontrés par les magistrats et les avocats au cours des procès d’assises, faute de règles claires et bien admises. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a fait élaborer une réforme dans une certaine urgence, en intégrant l’obligation de motivation des arrêts d’assises dans le projet de loi qui concernait l’introduction de jurés devant les tribunaux correctionnels. Cette loi no 2011-939 du 10 août 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, n’a toutefois pas modifié les articles du code de procédure pénale relatifs aux questions posées au jury et les avocats ne disposent donc toujours pas de la possibilité de faire poser au jury des questions complémentaires sur les éléments factuels de l’accusation.

47.  Il considère que cette évolution législative démontre a posteriori l’insuffisance des questions posées au jury d’assises, leurs libellés ne permettant pas à la défense d’argumenter de manière suffisamment précise. De même, il estime manifeste que l’arrêt de condamnation n’a pas permis à quiconque d’en comprendre les raisons, même au regard des deux questions et de l’arrêt de mise en accusation (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010-....). Si ce dernier expose de manière détaillée le contexte de la disparition d’A.R. et ses relations avec le requérant, il ne précise aucune des circonstances cardinales de toute accusation en matière pénale : où, quand et comment le crime aurait-il eu lieu ? Ce sont les réponses à ces questions qui lui auraient permis de comprendre le verdict, d’autant qu’aucune motivation ne vient expliquer la différence d’appréciation avec la première cour d’assises qui l’avait acquitté. Il souligne qu’à l’hypothèse du meurtre d’A.R. s’opposaient deux autres thèses, fondées sur des circonstances de fait précises et établies : la disparition volontaire de la victime suivie de son suicide, ou son assassinat par la mafia, au cours de ce qu’il est convenu d’appeler « la guerre des casinos » qui s’est déroulée sur la Côte d’Azur en 1977. Il précise d’ailleurs avoir fait une demande de révision en raison de nouveaux témoignages selon lesquels A.R. aurait été assassinée par la mafia marseillaise, à la suite de la vente de ses actions du casino du Palais de la Méditerranée dans des conditions qui n’avaient pas permis à cette mafia de prendre le contrôle effectif du casino alors qu’elle en contrôlait d’autres.

48.  Partant, il estime que le verdict de condamnation ne permet d’en comprendre ni les raisons ni les éléments de preuve sur lesquels se serait fondée la cour d’assises d’appel pour infirmer le précédent verdict d’acquittement qu’avait au contraire prononcé la cour d’assises de Nice moins d’un an auparavant. Il souligne que la cour d’assises d’appel s’est bornée à répondre « oui » à la question de savoir s’il était coupable.

49.  Le Gouvernement estime, à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt de la chambre Taxquet c. Belgique du 13 janvier 2009, que la procédure criminelle suivie en l’espèce répondait aux exigences conventionnelles. Il indique tout d’abord que l’obligation de motiver les décisions de justice, qui ne figure pas dans la Convention, doit être considérée comme l’une des composantes du procès pris dans son ensemble et auquel il faut se référer. Partant, la Cour ne remet pas en cause l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises en droit français : ce constat d’une chambre dans la décision Papon c. France du 15 novembre 2001 (no 54210/00, § 26, CEDH 2001-XII) a donc été confirmé par la Grande Chambre dans l’arrêt Taxquet (précité, §§ 90 et 93). La motivation ne constitue pas le seul moyen de comprendre la décision, dès lors que la décision de la cour d’assises sur la culpabilité est le fruit d’un raisonnement que l’intéressé peut comprendre et reconstruire grâce à un ensemble de garanties entourant le déroulement du procès (Taxquet, précité, § 92).

50.  Le Gouvernement ajoute que, pour tous les accusés, la lecture est faite non seulement de l’ordonnance de mise en accusation ou de l’arrêt de la chambre de l’instruction, mais également, devant les cours d’assises d’appel, des questions posées à la première cour d’assises, de ses réponses et de sa décision.

51.  Il précise que les charges, exposées oralement, sont ensuite discutées contradictoirement. Au cours des débats d’assises, chaque élément de preuve est discuté et l’accusé est assisté d’un avocat, dont le rôle est aussi d’informer et de conseiller ses clients.

52.  Le Gouvernement insiste en outre sur le fait que les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions : le dossier de la procédure ne leur étant pas accessible, ils ne se prononcent que sur les éléments contradictoirement débattus. Il relève qu’à la différence du système belge, dans lequel les jurés délibèrent seuls, le système français fait jouer un rôle important aux magistrats professionnels tout au long de la procédure et durant le délibéré.

53.  Enfin, le Gouvernement rappelle que, depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie, ce qui faisait défaut dans l’affaire Taxquet (précitée, § 99).

54.  S’agissant de la situation spécifique du requérant, le Gouvernement estime notamment que l’arrêt de mise en accusation, qui détermine la saisine de la Cour et les questions principales sur lesquelles les jurés doivent statuer, est particulièrement motivé. La chambre de l’instruction s’est attachée à établir les éléments justifiant la saisine de la juridiction criminelle : après avoir décrit de façon détaillée les faits reprochés et les investigations, elle expose l’ensemble des charges qui pouvaient être retenues contre le requérant. Le requérant, qui a bénéficié de l’assistance d’avocats tout au long de l’instruction, avait connaissance de ces éléments puisqu’il s’est pourvu en cassation pour contester cet arrêt. Le Gouvernement ajoute qu’ont également été lus à l’audience de la cour d’assises, outre cet arrêt de mise en accusation, l’arrêt de la cour d’assises de première instance, ainsi que les questions et les réponses du jury. Le requérant était assisté de ses conseils, qui ont à plusieurs reprises déposé des conclusions sur lesquelles il a été statué. Il a notamment pu, au cours de l’audience, librement se défendre et discuter chacun des éléments de preuve produits.

55.  S’agissant des questions principales posées au jury par le président, au nombre de deux, elles étaient suffisamment précises et pertinentes pour servir de fondement à la décision de condamnation, et ce d’autant qu’à la différence de l’affaire Taxquet c. Belgique le requérant comparaissait seul.

2.  Appréciation de la Cour

a.  Principes généraux

56.  La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

63.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

64.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que l’affaire était très complexe.

65.  Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il ressort expressément de cet arrêt que le meurtre n’était pas formellement établi et que, partant, le lieu, le moment et les modalités du crime supposé restaient inconnus, le requérant ayant par ailleurs toujours nié les faits. Concernant les constatations factuelles reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Force est cependant de constater qu’elles laissaient nécessairement subsister de nombreuses incertitudes, en raison du fait que l’explication de la disparition d’A.R. ne pouvait reposer que sur des hypothèses.

66.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation.

67.  La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, le requérant ayant été condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle, après avoir préalablement bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, puis d’un acquittement.

68.  En l’espèce, les questions subsidiaires ayant été déclarées sans objet, seulement deux questions ont été posées au jury : la première sur le fait d’avoir ou non volontairement donné la mort à A.R. et, la seconde, en cas de réponse positive, sur une éventuelle préméditation.

69.  La Cour ne peut que constater, dans les circonstances très complexes de l’espèce, que ces deux questions étaient non circonstanciées et laconiques. La Cour note en effet, d’une part, que le requérant avait été acquitté en première instance et, d’autre part, que les raisons et les modalités de la disparition d’A.R., y compris la thèse de l’assassinat, ne reposaient que sur des hypothèses, faute de preuves formelles, qu’il s’agisse par exemple de la découverte du corps ou d’éléments matériels établissant formellement les circonstances de lieu, de temps, ainsi que le mode opératoire de l’assassinat reproché au requérant. Partant, les questions ne comportaient de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96).

70.  Certes, le ministère public a interjeté appel, ce qui a permis, comme le souligne le Gouvernement, un réexamen de l’arrêt rendu en première instance (paragraphe 53 ci-dessus). Cependant, outre le fait que ce dernier n’était pas non plus motivé, l’appel a entraîné la constitution d’une nouvelle cour d’assises, autrement composée, chargée de recommencer l’examen du dossier et d’apprécier à nouveau les éléments de fait et de droit dans le cadre de nouveaux débats. Il s’ensuit que le requérant ne pouvait retirer de la procédure en première instance aucune information pertinente quant aux raisons de sa condamnation en appel par des jurés et des magistrats professionnels différents, et ce d’autant plus qu’il avait d’abord été acquitté.

71.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

72.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

73.  En l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

75.  Le requérant, qui estime avoir subi un préjudice moral considérable, ne présente cependant aucune demande de satisfaction équitable, souhaitant d’abord voir reconnaître son innocence lors d’un nouveau procès. En outre, son avocat indique assurer sa défense gratuitement.

76.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au requérant au titre de l’article 41 de la Convention, tout en rappelant qu’il dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ayant inséré dans le Code de procédure pénale un titre III relatif au « réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme ».

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Mark Villiger
 Greffière Président



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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE AGNELET c. FRANCE, 10 janvier 2013, 61198/08