CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE Z.M. c. FRANCE, 14 novembre 2013, 40042/11

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 14 nov. 2013, n° 40042/11
Numéro(s) : 40042/11
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-67 Recueil 1996-IV
Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51 52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI
Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III
Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil 1996 V
Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007
Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 116, 24 février 2005
Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269
Mawaka c. Pays-Bas, no 29031/04, 1er juin 2010
M.M. c. France (déc.), no 49029/10, 11 septembre 2012
Mo. M. c. France, no 18372/10, § 41, 18 avril 2013
Mo. P. c. France (déc.), no 55787/09, § 53, 30 avril 2013
NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, 17 juillet 2008
N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010
Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03, § 38, 24 novembre 2005
Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, CEDH 2008
Sultani c. France, no 45223/05, CEDH 2007 IV (extraits)
Xa. c. France (déc.), no 36457/08, 25 mai 2010
Y.P. et L.P. c. France, no 32476/06, §§ 56-57, 2 septembre 2010
Références à des textes internationaux :
Rapport du Immigration and Refugee Board of Canada, « République démocratique du Congo : information sur le Mouvement de libération du Congo (MLC), y compris ses dirigeants et le traitement réservé à ses membres (2009-2012) » du 16 mars 2012;Déclaration écrite d’Amnesty International au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies;« Country of Origin Information Report » du ministère de l’Intérieur britannique du 9 mars 2012;Rapport de novembre 2012 du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, « Report of a fact finding mission to Kinshasa conducted between 18 and 28 June 2012 »;Rapport de Human Rights Watch, « On va vous écraser, La restriction de l’espace politique en République démocratique du Congo » de 2008
Référence au règlement de la Cour : Article 13
Organisations mentionnées :
  • Cour pénale internationale
  • Human Rights Watch
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Conditionnel) (République démocratique du Congo) ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant
Identifiant HUDOC : 001-128054
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1114JUD004004211
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE Z.M. c. FRANCE

(Requête no 40042/11)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2013

DÉFINITIF

14/02/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Z.M. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40042/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant congolais, M. Z.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation d’identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me S. Kling, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l’éloigner vers la République Démocratique du Congo (RDC) l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il se plaint en outre d’une violation des articles 3 et 13 combinés de la Convention du fait de l’absence d’effet suspensif de son recours devant la cour nationale du droit d’asile (CNDA) dans le cadre de la procédure prioritaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1958 et réside à Orléans.

5. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés en République Démocratique du Congo

6. Le requérant est originaire de la province du Bas-Congo. De religion catholique, il appartient par ailleurs à l’ethnie Bas-Congo, plus précisément au clan Bambona. Avant de fuir la RDC, il habitait dans la commune de N’djili à Kinshasa. Il a suivi des études d’art puis hérita, au décès de son oncle, d’une bijouterie située à Matongue dont il devint le gérant. Le requérant, marié depuis 1987, est père de trois enfants.

7. Le requérant adhéra officiellement en 2005 au Mouvement de Libération du Congo (MLC). Il fréquenta essentiellement la section locale de Tshangu dans la commune de N’djili où il participa à des réunions politiques. En tant que dessinateur, il apporta une contribution spécifique au MLC en réalisant des caricatures politiques, signées de ses initiales, qui servirent pour des tracts ainsi que pour des affiches placardées en ville. Il fréquenta également, bien que de manière moins régulière, les sections locales du MLC de Mont Ngafula, de Lukunga et de Founa, notamment lorsqu’elles avaient besoin de caricatures.

8. Le requérant participa activement, au nom du MLC, à la campagne concernant le référendum du 18 décembre 2005 relatif à l’adoption d’une Constitution de la Troisième République. A cette occasion, il réalisa des caricatures dénonçant le trucage des votes et l’occupation du pays par la communauté internationale. Il organisa également des campagnes publiques tendant à dissuader la population d’aller voter.

9. En 2006, pendant la campagne électorale pour les élections présidentielles, le requérant élabora des caricatures de soutien à Jean‑Pierre Bemba, candidat du MLC. Ces dessins, signés des initiales « MZA » et diffusés sous forme de tracts et par voie d’affichage, visaient à dénoncer la complicité de Joseph Kabila dans le pillage des ressources naturelles de la RDC opéré par la communauté internationale et l’occupant rwandais. Dénonçant les fraudes électorales, il incitait en outre les citoyens à ne pas aller voter et indiquait par ses dessins comment le peuple pouvaitrésister et libérer le pays. Sur ces affiches figuraient notamment les slogans suivants :

« Élections présidentielles 2006, un vote truqué »

« ça... ça... ça veut dire quoi ? Des tas de colis pleins d’enveloppes par chacun ? Quelle politique, quelle intelligence ? Ce n’est plus un vote et aussi on a mis les traitres congolais et les rwandais comme dirigeants »

« Rwandais ougandais burundais pour Kabila »

« Votons Bemba, MLC, 2006 »

10. Au cours de ces activités, le requérant fut surveillé par la « détection militaire des activités anti-partis » (DEMIAP), des agents le filant lors de ses déplacements. Il obtint cette information grâce à ses contacts avec des cadres de la police, établis à l’occasion de son activité professionnelle de bijoutier.

11. Le requérant dit avoir été arrêté le 4 juillet 2006. Le Gouvernement souligne qu’une contradiction existe entre cette date et celle figurant sur l’attestation de membre du MLC fournie par le requérant mentionnant qu’il fut arrêté le 22 août 2006 après le premier tour des élections présidentielles.

12. Le requérant expose que des hommes le forcèrent à monter dans un véhicule utilitaire où d’autres personnes arrêtées se trouvaient déjà et lui attachèrent les mains avec du fil de fer. Après que le véhicule se fut arrêté à plusieurs reprises pour appréhender d’autres personnes, le requérant, ainsi que les autres passagers, furent conduits à la prison Kin-Mazière à Gombé, quartier général de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux (DRGS). Il resta trois semaines en détention, dans une cellule collective surpeuplée, sans place pour s’asseoir ni s’allonger, obligé de rester debout ou accroupi. Il fut privé de sommeil, de nourriture et de boissons sans voir, pendant la durée de sa détention, ni juge, ni avocat. Il subit à trois reprises des interrogatoires au cours desquels on lui demanda notamment de dénoncer des opposants politiques. Il eut les chevilles et les mains liées avec du fil de fer. Il fut également brûlé par des cigarettes au bras gauche et fouetté avec des cordelettes sur la nuque.

13. A l’appui de sa version des faits, le requérant produit un certificat médical établi par le service de médecine légale de l’hôpital de Tours, daté du 30 mars 2009, reproduisant des photos de ses cicatrices et selon lequel :

« Plusieurs lésions traumatiques sont visibles :

- une cicatrice de 1,2 cm de diamètre sur la face interne du tiers moyen de l’avant-bras gauche

- trois cicatrices linéaires horizontales de 1,5 cm à 2 cm sur la face antérieure du tiers inférieur de l’avant-bras gauche

- une cicatrice horizontale parcourant la nuque de 23 cm x 2,5 cm

- une cicatrice de 3,5 cm sur la face interne de la cheville gauche

- une cicatrice de 3 cm en regard du tendon achilléen droit (...)

Mr ZM déclare avoir subi plusieurs épisodes de violences physiques dans son pays. À l’examen, plusieurs lésions traumatiques anciennes sont visibles compatibles avec les faits rapportés. (...)

Mr ZM présente également des signes de psychotraumatisme par réminiscence des faits et troubles du sommeil. »

14. Le requérant fut incarcéré en même temps que plusieurs dirigeants de l’ Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Il fournit un avis de recherche émanant du ministère de l’Intérieur, daté du 27 février 2007, indiquant que plusieurs dirigeants de l’UDPS sont recherchés pour « évasion du centre de Santé, non-respect des consignes de mise en liberté provisoire, atteinte à la sûreté de l’Etat, propagation de fausses nouvelles ayant trait à la nationalité du chef de l’Etat ».

15. Le requérant réussit à s’échapper de la prison le 25 juillet 2006, grâce à un soldat, mari d’une de ses clientes à la bijouterie. Il rejoignit sa femme et ses enfants qui se trouvaient dans la commune de Ngaba à Kinshasa. Depuis cette ville, il reprit ses activités de dessinateur et de militant du MLC.

16. Le requérant apprit par son entourage qu’il était toujours activement recherché par la DEMIAP. Son frère fut ainsi interrogé à quatre reprises par les autorités et, la quatrième fois, fut emmené à la prison de Kin-Mazière pour « besoins d’enquête ». Il y fut retenu deux jours durant lesquels il fut interrogé sur les activités du requérant. A la suite de ces événements, le requérant quitta Kinshasa pour se cacher à Matadi dans la province du Bas‑Congo. Sa femme et ses enfants restèrent à Ngaba, dans la famille de celle-ci.

17. Vers la fin de l’année 2007, des élections pour le poste de gouverneur eurent lieu dans la province du Bas-Congo. Pour protester contre les fraudes ayant permis à M. Mbatshi de sortir vainqueur de cette élection, des groupes politiques organisèrent des marches pacifiques dans la ville de Matadi. Pour sa part, le requérant participa au mouvement en réalisant des affiches pour plusieurs partis d’opposition dont le MLC et le Bundu Dia Kongo, groupe politico-religieux. Ces manifestations furent violemment réprimées par l’armée congolaise, responsable de nombreux décès de manifestants.

18. À la suite de cette répression, le requérant et d’autres militants décidèrent d’organiser une nouvelle manifestation de protestation. Elle fut également sévèrement réprimée par la police. Le requérant ne fut pas blessé mais il dénonça les massacres par des dessins signés de ses initiales. Ces derniers représentaient les exactions commises par la police et l’armée : un militaire frappant un manifestant, un homme assassiné et une femme violée. Ces dessins étaient accompagnés des slogans suivants :

« La RDC nous appartient, vous qui êtes dans le gouvernement au pouvoir, cessez de maltraiter, nous qui sommes des propres fils du pays. Assassins ! »

« MPR (Mouvement populaire de la Révolution), MLC, UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), tous ouvrons nos yeux »

« RDC : Pas de liberté d’expression »

« L’est de la RDC occupé par des Rwandais. Kivu : base secrète des Rwandais + mercenaires »

19. Des affiches furent ainsi placardées à Matadi et dans d’autres villages du Bas-Fleuve. Le requérant réalisa également d’autres dessins pour dénoncer la recrudescence des exactions dans plusieurs villages et la découverte en 2008 de fosses communes contenant dix-huit morts dans le village de Mbata Nsiala et trente-six morts au village de Sumbi.

20. Un jour où le requérant participait à une veillée funéraire à Matadi, vers 6 heures du matin, son cousin vint lui signaler que des soldats étaient venus chez sa cousine, où il résidait, pour le chercher. Ces derniers avaient fouillé sa maison et trouvé des tracts et des affiches dessinés par le requérant. Le requérant quitta alors Matadi pendant la nuit et retourna à Kinshasa, dans la commune de Masina. Il y resta quelques jours chez une tante, jusqu’à ce qu’il apprit que la DEMIAP était venue à son ancien domicile, à N’djili, et l’avait perquisitionné. Son frère fut de nouveau interrogé.

21. Dès lors, le requérant se déplaça sans cesse, essayant de préparer son départ. Il logea chez des membres de sa famille ou chez des amis. Son oncle l’aida à quitter le pays en lui procurant un faux passeport.

22. Le requérant quitta la RDC le 21 avril 2008. Après avoir séjourné quelques jours dans un hôtel à Congo-Brazzaville, il arriva en France le 24 avril 2008 à l’aéroport de Roissy.

B. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés en France

23. Le requérant déposa sa première demande d’asile le 3 juin 2008. Sa requête fut rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 9 décembre 2008, au motif que « ses déclarations ne permett[ai]ent pas d’établir la réalité des faits allégués ni de conclure au bien-fondé de ses craintes personnelles de persécution en cas de retour vers son pays ».

24. Cette décision fut confirmée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) le 30 juillet 2010, statuant notamment en ces termes :

« (...) si les croquis présentés attestent des activités artistiques du requérant, ce dernier n’a pas été convaincant dans ses explications relatives aux moyens qui auraient été employés afin de diffuser lesdits dessins à caractère politique ; que sa notoriété n’a pu de la sorte être établie ; que, de plus, il a indiqué qu’après avoir subi deux jours de garde à vue, son frère avait été libéré et ne rencontrait actuellement pas de difficulté ; qu’il ne ressort ainsi pas des propos du requérant qu’il ferait aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires (...) »

25. Entre-temps, le requérant apprit que la police était toujours à sa recherche en RDC. Des perquisitions furent menées à son domicile et plusieurs convocations lui furent adressées, dont une en date du 3 septembre 2010, lui demandant de se rendre, pour « y être entendu sur des faits infractionnels », au cabinet d’un officier du ministère public près le tribunal de grande instance de Matete à Kinshasa, le 9 septembre 2010. Le requérant produit également un avis de recherche, daté du 27 août 2010, émis par le ministère de l’Intérieur de la RDC, direction des renseignements généraux et services spéciaux (DRGS), indiquant que le requérant « artiste dessinateur, combattant de la rue, sympathisant de certains mouvements opposants à citer l’exemple MLC » est recherché pour « évasion de la prison de Kin-Mazière, non-respect des consignes de mise en liberté, atteinte à la sûreté de l’Etat et aux institutions de la République », faits constitutifs de l’infraction de « très haute trahison » sanctionnée par la peine de prison à perpétuité selon le code pénal militaire.

Au vu de ces nouveaux éléments, le requérant déposa une demande de réexamen de sa demande d’asile le 16 août 2010. Le 24 septembre 2010, le requérant fit l’objet d’un refus d’admission au séjour et placé en procédure prioritaire.

26. Le 2 novembre 2010, il lui fut notifié un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, adopté par le préfet du Loiret le 28 octobre 2010. Le requérant apprit à cette occasion que sa demande d’asile avait été rejetée par décision de l’OFPRA du 6 octobre 2010, décision dont le requérant dit ne jamais avoir reçu notification. Selon l’OFPRA,

« [ZM] soutient faire l’objet actuellement de recherches par les autorités de son pays. Il affirme qu’en raison de visites répétées des forces de l’ordre à son domicile, sa famille a dû prendre la fuite en direction de l’Angola. Il verse à l’appui de ses déclarations deux mandats de comparution édités à son endroit en date des 3 et 19 septembre 2010.

Toutefois, ses déclarations écrites laconiques, comme les pièces jointes, qui ne comportent pas toutes les garanties d’authenticité, ne sont pas suffisantes pour confirmer la véracité des faits allégués et établir le bien-fondé de crainte de persécution ou l’existence de menaces graves en cas de retour. »

27. Le requérant forma un recours contre cette décision devant la CNDA. Toutefois, en l’absence de la décision de l’OFPRA, sa requête fut déclarée irrecevable. Ce n’est qu’après avoir envoyé plusieurs demandes par courrier à l’OFPRA que le requérant reçut, le 6 janvier 2011, ladite décision. Le 19 janvier 2011, le requérant adressa un courrier à la CNDA aux fins de former recours contre la décision de l’OFPRA, mais aucune suite ne fut donnée à sa demande.

28. Le 9 juin 2011, le requérant fut placé au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot en application de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire du 28 octobre 2010. Le 11 juin 2011, le juge des libertés et de la détention autorisa la prolongation de sa rétention pour quinze jours, mesure à nouveau prolongée le 25 juin 2011 pour une nouvelle période de quinze jours à compter du 26 juin 2011.

29. Le 16 juin 2011, le requérant sollicita le réexamen de sa demande d’asile depuis le centre de rétention. A l’appui de sa demande, il produisit de nouveaux documents, parmi ceux-ci, sa carte de membre de MLC et une photo de lui portant un tee-shirt indiquant son soutien au MLC. Sa demande fut rejetée par l’OFPRA au motif qu’elle ne contenait pas d’éléments nouveaux par rapport aux précédentes demandes. La décision de rejet fut notifiée au requérant le 17 juin 2011.

30. Le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 30 juin 2011, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers la RDC pour la durée de la procédure devant la Cour.

31. Le 4 juillet 2011, le préfet du Loiret ordonna la levée de la rétention administrative du requérant et adopta un arrêté d’assignation à résidence.

II. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX RELATIFS À LA SITUATION EN RDC

A. Sur le contexte général

32. Joseph Kabila, actuel Président de la RDC, a été élu en 2006, puis réélu en 2011, aux termes de scrutins dont la régularité fut fortement contestée.

33. Le pays connaît, depuis 1996, des conflits à intervalles réguliers, en particulier dans le Nord-Kivu, région située au nord-est de la RDC. De nouveaux affrontements ont éclaté en avril 2012, venant aggraver la crise humanitaire chronique et les graves violations des droits de l’homme perpétrées dans cette région. La carence des autorités de la RDC, incapables de maintenir la sécurité sur leur territoire, laisse la voie libre à l’ingérence de pays voisins et au développement de milices rebelles, dans une région riche en minerais précieux (« Rapport spécial du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs », Conseil de Sécurité des Nations Unies, 27 février 2013, §§ 5 et 6).

B. Sur la répression de l’opposition

34. Depuis l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir, de nombreuses intimidations et exactions ont été perpétrées aussi bien à l’encontre des opposants politiques que des journalistes.

35. Le MLC fut créé en 1998 par Jean-Pierre Bemba. Alors qu’il était à l’origine un mouvement armé rebelle, il devint un parti politique officiel en 2006. À la suite d’un mandat d’arrêt délivré à son encontre par les autorités congolaises pour « haute trahison » le 23 mars 2007, Jean-Pierre Bemba quitta la RDC en juin 2007 pour se réfugier au Portugal. Il fut ensuite arrêté en Belgique le 24 mai 2008 en exécution d’un mandat d’arrêt émis la veille par la Cour Pénale Internationale (CPI). Selon un rapport du Immigration and Refugee Board of Canada, « République démocratique du Congo : information sur le Mouvement de libération du Congo (MLC), y compris ses dirigeants et le traitement réservé à ses membres (2009-2012) » du 16 mars 2012 :

« De 2006 à 2011, le Mouvement de libération du Congo (MLC) était le principal mouvement d’opposition de la République démocratique du Congo (RDC) (CongoPlanet.com 3 févr. 2012; Le Monde 2 févr. 2012; Challenges 24 nov. 2011), avec 64 représentants élus (ibid.; International Crisis Group 5 mai 2011, 24). Aux nouvelles élections tenues en novembre 2011, 22 membres du MLC ont été élus au parlement (Le Monde 2 févr. 2012; RDC s.d.). Selon la Commission électorale de la RDC, depuis les élections de 2011, le parti se situe maintenant au cinquième rang quant au plus grand nombre de sièges occupés (ibid.). La majorité des représentants du MLC (13 sièges) se trouvent dans la province de l’Équateur (ibid. 1er févr. 2012).

En 2011, plusieurs sources ont fait état des difficultés auxquelles a fait face le MLC au cours de la période précédant les élections de novembre 2011 (...). Dans un rapport sur le processus électoral, l’International Crisis Group a écrit que le parti était [traduction] « en déclin » et traversait une « crise profonde en raison de l’absence physique de son chef » (5 mai 2011, 6, 24). (...)

Des médias signalent que Marius Gangalé, un chef du MLC, avait été assassiné par balle à Kinshasa en novembre 2011 (RFI 23 nov. 2011; Radio Okapi 23 nov. 2011). Daniel Botethi, vice-président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa et chef du MLC, aurait été tué en juillet 2008 par un groupe armé (É.-U. 25 févr. 2009; Radio Okapi 9 juill. 2008).

D’après un rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales en période pré-électorale, un membre du MLC a été arrêté dans la province du Sud-Kivu en mars 2011, car il détenait un journal contenant un article soulevant des doutes sur la nationalité du président Kabila ; il était toujours en détention au moment où le rapport a été publié en novembre 2011 (Nations Unies nov. 2011, 13). Dans ce rapport, on peut également lire qu’un membre du MLC a été arrêté dans la province de l’Équateur pour avoir organisé une manifestation à l’appui de l’ancien gouverneur de la province, également membre du MLC (ibid.).

En 2009, Amnesty International a signalé que « les forces nationales de sécurité [avaient] procédé à de nombreuses arrestations arbitraires », notamment de militaires et de policiers suspectés d’appartenir au MLC. Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches n’a trouvé aucun autre renseignement sur des actes de violence commis par des membres du MLC ou contre eux entre 2009 et 2012. »

36. Dans une déclaration écrite au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Amnesty International formule les observations suivantes sur le traitement des membres de l’UDPS :

« A Kinshasa, plusieurs membres de groupes d’opposition politique ont été harcelés, menacés et intimidés en raison de leurs activités politiques. Ces trois derniers mois, les autorités locales ont arbitrairement arrêtés plusieurs opposants politiques de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et les ont libérés quelques jours plus tard » (Amnesty International, « République démocratique du Congo : le Conseil des droits de l’homme doit agir pour mieux protéger les civils et mettre fin aux menaces et intimidations visant les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les opposants politiques », 30 août 2012).

37. Concernant la répression de l’opposition par le gouvernement de Joseph Kabila, le « Rapport spécial du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs », Conseil de Sécurité des Nations Unies, daté du 27 février 2013, souligne les éléments suivants :

« Il y a lieu de s’inquiéter des restrictions des libertés politiques et de ce qui semble être une tendance récente de l’exécutif à concentrer les pouvoirs entre ses mains. » (§ 10)

« Les ténors de l’opposition nationale et d’autres observateurs reprochent au Gouvernement congolais d’avoir entrepris systématiquement de consolider son pouvoir, de circonscrire l’espace politique et d’intimider et poursuivre les opposants, issus des partis politiques ou de la société civile. » (§ 34)

38. Sur les risques encourus par les membres de l’opposition renvoyés en RDC, la décision de principe « Country Guidance » du tribunal de l’asile et de l’immigration du Royaume-Uni, MM (UDPS members – Risk on return) Democratic Republic of Congo CG [2007] UKAIT 00023, datée du 13 mars 2007 et reprise dans le document « Country Guideline Determination », mis à jour le 24 juillet 2013, est ainsi libellée :

“108. As to the question of current risk on return to the DRC, the Tribunal in MK (AB and DM Confirmed) Democratic Republic of Congo CG [2006] UKAIT 00001 were concerned with an HJT Research News Reporting Service Item of 27 June 2005 concerning suspension by the Netherlands of the return of asylum seekers to the DRC. The Tribunal concluded that it did not afford a sufficient basis for modifying the conclusions on failed asylum seekers reached in AB and DM (Risk Categories Reviewed - Tutsis added) (Democratic Republic of Congo) CG [2005] UKAIT 00118.

109. The Tribunal in AB and DM indeed broadly confirmed the list of risk categories identified in the earlier Country Guidance decision in VL (Risk – Failed Asylum Seekers (Democratic Republic of Congo)) CG [2004] UKIAT 00007, namely, those with an ethnic, political or military profile in opposition to the government, but found that in view of the increase in anti-Rwandan feeling, Tutsis, or those suspected of being Tutsi, were at risk of being associated with the Rwandans. Further, that the assessment of risk in an individual case, would depend upon a careful analysis of that individuals origins, background and profile.

110. The issue of ‘profile’ was a matter that the Tribunal in AB and DM referred to at paragraph 34 of their determination. There continued to be a real risk for those with a political or military profile. Each case was to be judged on its own facts, but it was possible now to provide a little more detail at least about those who fell within the ‘political profile’ sub-category. The Tribunal continued at paragraph 45 as follows:

“We would emphasise first of all that the use of the word ‘profile’ highlights the fact that this category is intended to mark out those whose actual perceived military or political activities or involvements are likely to have brought them to the adverse attention of the Kabila regime. The mere membership of an opposition political party will not demonstrate that a person has such a profile”. (Our emphasis).

111. We would emphasise in that regard, the Tribunal’s reference to those whose actual perceived military or political activities or involvements were ‘likely to have brought them’ or to bring them in the future to the adverse attention of the Kabila regime.”

C. Sur les conditions de détention et l’usage de la torture

39. Selon le « Rapport spécial du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs », Conseil de Sécurité des Nations Unies, 27 févier 2013, § 23 :

« Le système pénitentiaire est caractérisé par des conditions de détention inhumaines, notamment le manque de services de santé et une surpopulation dramatique. »

40. Le Département d’Etat américain, dans son Rapport de 2012 sur les pratiques en matière de droits de l’homme – République démocratique du Congo (19 avril 2013), note les éléments suivants :

« Une loi de 2011 érige la torture en infraction et en juillet le gouvernement a lancé une campagne d’information des forces de l’ordre de l’Etat et de la population sur cette loi. Toutefois, des organisations des droits de l’homme indiquent que les forces de l’ordre de l’Etat continuent de torturer des civils, en particulier des détenus et des prisonniers, et ont recours à d’autres types de traitement cruel, inhumain et dégradant. On signale que les autorités gouvernementales prennent des mesures contre les responsables de ces actes. »

41. Sur les traitements subis par les personnes détenues à la prison de Kin-Mazière, le Rapport de Human Rights Watch, « On va vous écraser, La restriction de l’espace politique en République démocratique du Congo », 2008 est rédigé en ces termes :

« Direction des Renseignements Généraux et Services Spéciaux de la police (DRGS). Il s’agit d’une division de la police spécialisée dans le renseignement et désignée couramment sous le nom de Services Spéciaux. Elle est basée à Kin-Mazière au centre de Kinshasa, où elle dirige un centre de détention. Les Services Spéciaux peuvent légalement arrêter et détenir des civils, et sont connus pour abuser de cette autorité dans des buts politiques. » (p. 14)

« Tortures et mauvais traitements à Kin-Mazière : Human Rights Watch a interrogé 20 personnes qui avaient été détenues par la commission secrète à la prison Kin-Mazière. La plupart avaient été arrêtés en novembre et décembre 2006. Beaucoup ont dit avoir été obligés d’avouer un complot pour renverser le Président Kabila et d’accuser d’autres collègues ou amis. Ils ont fourni des descriptions concordantes des moyens de torture utilisés contre eux, notamment des matraques électriques sur leurs parties génitales et d’autres parties de leurs corps, des passages à tabac, des coups de fouet et des simulacres d’exécutions. L’une des femmes détenues a déclaré qu’elle avait subi un viol collectif. La plupart des détenus originaires de l’Equateur ont été insultés à propos de leurs origines, interrogés sur leur soutien présumé à Bemba et menacés de mort. Certains ont été maintenus enchaînés pendant des jours ou des semaines, pliant tellement sous le poids qu’ils pouvaient à peine bouger. Presqu’aucun d’entre eux n’a bénéficié de soins médicaux. Beaucoup ont expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch qu’ils souffraient toujours des conséquences physiques et psychologiques de la torture. » (p. 43)

D. Sur le sort des demandeurs d’asile déboutés renvoyés vers la RDC

42. Selon le « Country of Origin Information Report » du ministère de l’Intérieur britannique du 9 mars 2012 :

“32.13 A report by Justice First, UK-based Non Government Organisation set up to work with people whose asylum claims had been refused, ‘Unsafe Return, Refoulement of Congolese Asylum Seekers’, compiled by Catherine Ramos, dated 24 November 2011 (JF Report 2011), stated (...):

32.14 (...) ‘This report details the post return experience of 14 involuntary and 3 voluntary returnees removed to the DRC between August 2006 and June 2011... The age range of the 11 men and 6 women is between mid-20s to mid- 40s. 9 children aged between 16 months and 8/9 years of age were removed with their parents. 6/9 children aged 16 months to 7 were removed with their mothers. The father of one child lives in the UK. The returnees are known to the UK supporters they contacted post return.... (...)

32.16 (...) The returnees in this report were perceived or actual political opponents of the current DRC regime. The UKBA Country of Origin Information Report for DRC (2009) refers to the human rights of those who are both ‘real and supposed political opponents of President Joseph Kabila’ being violated. (Amnesty International 2007 Report: Torture and Killings by State Security Agents still endemic). The current Operational Guidance Note guides decision makers to reject low level perceived political opponents as they are considered not to be at risk on return. In UKBA refusal letters Tees Valley returnees were described as low level activists of no interest to the authorities. (...)

Of the report’s returnees: 8/17 are members of the UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social – Union for Democracy and Social Progress), 1 is a member of MNC – Albert Onawhelo (Mouvement National Congolais - Congolese National Movement –Lumumba), 1 is a member of the MLC (Mouvement pour la Liberation du Congo - Movement for the Liberation of Congo).’

32.17 The JF report 2011 also noted with respect of the adult returnees:

‘The following were violations experienced by 15 of the 17 returnees. Periods of imprisonment were between one day and 3 months. Returnees were verbally abused and in some cases were threatened with death. Six men were detained in the ANR (Agence Nationale de Renseignements – National Intelligence Agency) prison, Kin Mazière. One escaped before reaching the prison he was being transported to. One female returnee was held in the ANR prison, Tolérance Zero, one in a cachot (small dugout cells) and one in the vicinity of the airport. Four women were threatened at the airport and one is known to have been threatened with death during her imprisonment.

Arrested at the airport: 6/15 ; Arrested after leaving the airport building and transferred to Kin Mazière: 2/15 ; Arrested after leaving the British Embassy in Kinshasa 1/15 ; Arrested at home 3/15 ; Threatened with death in Tolérance Zero by officers 1/15 ; Threatened at the airport 4/15 ;

Congolese human rights activists and a lawyer confirmed that detainees are not given access to lawyers during their imprisonment. Returnees reported the following ill treatment in prison: Handcuffed, blindfolded and severely beaten: 1/15; Severely beaten 6/15; Electric shock treatment: 2/15 ; Sexual abuse 2/10 men ; Rape 2/5 women ; Slaps and blows with hand/fist 2/5 women.’ ”

43. Selon les témoignages de membres d’organisations locales de défense des droits de l’homme et de la Monusco, reproduits dans un rapport de novembre 2012 du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni (« Report of a fact finding mission to Kinshasa conducted between 18 and 28 June 2012 »), les ressortissants de la RDC renvoyés dans leur pays sont systématiquement interrogés à leur arrivée à l’aéroport par la direction générale des migrations (DGM). Lorsqu’ils sont identifiés comme des opposants au gouvernement Kabila, ils sont ensuite envoyés au centre de détention de la DGM à Kinshasa et très fréquemment soumis à des traitements inhumains et dégradants.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

44. Le requérant craint, en cas de retour en RDC, d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

45. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Il observe que le requérant n’a pas contesté l’arrêté de reconduite à la frontière du 28 octobre 2010 alors qu’il lui était possible de saisir le juge administratif d’un recours en annulation dans le délai d’un mois suivant sa notification. Le Gouvernement ajoute qu’un tel recours est suspensif, la mesure d’éloignement ne pouvant être exécutée tant que le juge n’a pas statué.

46. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter une action devant la Cour l’obligation d’utiliser auparavant les recours qui sont normalement disponibles dans le système juridique de leur pays et suffisants pour leur permettre d’obtenir le redressement des violations qu’elles allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite, mais il n’impose pas d’user de recours qui sont inadéquats ou ineffectifs (voir Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51‑52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-67 Recueil 1996-IV, Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 116, 24 février 2005, et Sultani c. France, no 45223/05, § 49, CEDH 2007‑IV (extraits)).

47. La Cour souligne en outre que lorsqu’un requérant a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante, il ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (mutatis mutandis, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III, Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03, § 38, 24 novembre 2005, et NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 91, 17 juillet 2008).

48. Ainsi, la Cour a déjà estimé que les étrangers dans la situation du requérant n’étaient pas nécessairement obligés, au titre de l’article 35 § 1 de la Convention, de saisir les juridictions administratives (Y.P. et L.P. c. France, no 32476/06, § 57, 2 septembre 2010). Une telle conclusion s’est imposée dans l’affaire précitée dès lors que les requérants, qui n’étaient pas des candidats au statut de réfugié relevant des clauses d’exclusion de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, avaient formé en vain une demande d’asile auprès de l’OFPRA, puis un recours devant la CRR (Commission de recours des réfugiés, à laquelle a succédé la CNDA), que la situation dans le pays de renvoi n’avait pas changé depuis la décision précitée de la CRR et qu’une demande de réexamen de leur demande d’asile avait également échoué (Y.P. et L.P. c. France, précité, § 56). Dès lors, la Cour a jugé que les requérants avaient donné la possibilité aux instances compétentes en matière d’asile de déterminer s’il existait des risques qu’ils soient exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi dans leur pays d’origine et d’empêcher éventuellement leur éloignement. Dans ce contexte, la Cour a conclu que le recours en annulation contre l’arrêté de reconduite à la frontière adopté à l’encontre des requérants ne présentant pas de chance raisonnable de succès, il ne pouvait être reproché aux requérants de ne pas avoir saisi le juge administratif.

49. Dans la présente affaire, la première demande d’asile du requérant fut rejetée par l’OFPRA le 9 décembre 2008, puis par la CNDA le 30 juillet 2010. De plus, seuls quelques mois se sont écoulés entre le 30 juillet 2010, date de la décision de la CNDA, et le 28 octobre 2010, date de l’adoption de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français, courte période durant laquelle la situation en RDC n’a pas changé pour ce qui est des risques évoqués par le requérant. Ensuite, le requérant apprit, le 2 novembre 2010, au moment où lui fut notifié cet arrêté, que sa demande de réexamen, classée en procédure prioritaire, avait été rejetée par l’OFPRA par décision du 6 octobre 2010. Enfin, alors même que le requérant n’avait pas reçu notification de cette dernière décision de l’OFPRA, ce que le Gouvernement ne conteste pas, il entreprit tout de même de saisir la CNDA d’un recours contre celle-ci, faisant ainsi preuve de diligence.

50. Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que le requérant a épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. En conséquence, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

51. La Cour constate que le grief invoqué par le requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

52. Le requérant avance qu’en raison de son engagement militant et de ses activités de caricaturiste au service de l’opposition, il risque, en cas de renvoi vers la RDC, d’être de nouveau arrêté par les autorités et soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

53. Le requérant souligne que, si ses caricatures ont principalement été utilisées par le MLC, elles ont également servi à l’UDPS, autre parti d’opposition. Il ajoute qu’il a en outre été détenu à la prison de Kin-Mazière en même temps que des membres de l’UDPS, ce dont atteste un avis de recherche du ministère de l’Intérieur de la RDC du 27 février 2007, concernant plusieurs membres dirigeants de l’UDPS. Le requérant note également que la situation politique en RDC reste très instable et que les membres de l’UDPS sont la cible de répression de la part des autorités.

54. Par ailleurs, le requérant renvoie au rapport d’examen médico-légal attestant des actes de tortures dont il a été victime lors de son arrestation en 2006 et à l’avis du ministère de l’Intérieur de la RDC, daté du 27 août 2010, mentionnant qu’il est recherché pour son évasion de la prison de Kin‑Mazière, pour non-respect des consignes de mise en liberté et atteinte à la sûreté de l’Etat et aux institutions de la République.

55. Le Gouvernement considère que le récit et les preuves apportées par le requérant ne permettent pas d’établir que ce dernier serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 en cas de retour dans son pays.

56. Le Gouvernement observe que l’OFPRA et la CNDA ont, après audition du requérant, rejeté à cinq reprises sa demande d’asile jugeant ses allégations imprécises et confuses, alors que la CNDA a accordé à la même époque le statut de réfugié à plusieurs militants du MLC ayant prouvé leurs liens de proximité avec le leader de ce parti, Jean-Pierre Bemba. Le Gouvernement précise que le témoignage du requérant est, en particulier, très peu étayé quant aux traitements qu’il aurait subis à la prison de Kin‑Mazière. Il ajoute que le requérant n’indique pas que ses caricatures aient été largement diffusées par voie de presse, et ne parvient pas à convaincre de sa notoriété en tant que dessinateur et opposant politique, ni d’être toujours recherché par les autorités.

57. Le Gouvernement souligne en outre que la situation en RDC a changé. Il explique que, depuis l’exil puis l’arrestation de Jean-Pierre Bemba à la suite du mandat d’arrêt délivré à son encontre le 23 mai 2008 par la CPI, les militants du MLC ne font plus l’objet d’une répression systématique de la part des autorités. Le Gouvernement ajoute que, depuis lors, le MLC a une existence officielle, qu’il détient des sièges au Parlement et que certains de ses cadres occupent des fonctions stratégiques. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2011, le MLC, affaibli par l’arrestation de son dirigeant, n’avait pas présenté de candidat. Ses militants ne furent donc pas inquiétés, contrairement à ceux d’autres partis d’opposition susceptibles de concurrencer le parti au pouvoir, tels que l’UNC et l’UDPS.

58. Enfin, le Gouvernement, en réponse aux conclusions du requérant, soutient que ce dernier n’a jamais mentionné son engagement auprès de l’UDPS devant l’OFPRA et la CNDA, ce qui permet de mettre en doute la véracité de ses allégations. Il conteste par ailleurs l’authenticité de l’avis de recherche du 27 février 2007.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

59. Sur le fond, la Cour se réfère aux principes applicables en la matière (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008).

60. En particulier, la Cour considère qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi, précité, § 129). Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269). Elle reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles‑ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007, et N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010). De la même manière, il incombe au requérant de fournir une explication suffisante pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits (Mo. P. c. France (déc.), no 55787/09, § 53, 30 avril 2013).

61. En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

62. Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé (Saadi, précité, § 132).

63. Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil 1996‑V).

b) Application des principes

64. La Cour constate que le requérant allègue l’existence d’un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi vers la RDC, non en raison d’une situation de violence généralisée dans ce pays, mais du fait de sa situation personnelle en tant que militant au sein de l’opposition au gouvernement de Joseph Kabila.

65. Il appartient donc à la Cour de déterminer si le requérant, en sa qualité d’opposant politique, risque d’être exposé à des mauvais traitements.

66. Les rapports internationaux consultés (voir paragraphes 42-43) mentionnent que les ressortissants de la RDC renvoyés dans leur pays sont automatiquement interrogés à leur arrivée à l’aéroport par la DGM. Lorsqu’ils sont identifiés comme des opposants au gouvernement Kabila, que ce soit en raison de leur profil politique, militaire ou ethnique, ils risquent ensuite d’être envoyés au centre de détention de la DGM à Kinshasa ou à la prison de la direction des renseignements généraux et services spéciaux (DRGS) de Kin-Mazière. Les rapports font état de détentions pouvant durer de quelques jours à plusieurs mois durant lesquels les personnes incarcérées sont soumises à des traitements inhumains et dégradants, voire subissent des actes de torture.

67. Au regard de ces constatations, la Cour estime que, pour qu’entre en jeu la protection offerte par l’article 3, le requérant doit démontrer qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il présenterait un intérêt tel pour les autorités congolaises qu’il serait susceptible d’être détenu et interrogé par ces autorités à son retour (voir NA. c. Royaume-Uni, précité, § 133, et Mawaka c. Pays-Bas, no 29031/04, § 45, 1er juin 2010).

68. En l’espèce, le requérant allègue avoir eu des activités militantes en tant que caricaturiste au sein de l’opposition, en particulier pour le MLC et l’UDPS, à partir de 2005 et jusqu’en juin 2008, date à laquelle il se réfugia en France.

69. La Cour note que le Gouvernement conteste les dires du requérant selon lesquels il serait connu des autorités en raison de son engagement en tant que caricaturiste auprès des partis d’opposition et estime trop peu étayées ses allégations quant à ses conditions d’incarcération à la prison de Kin-Mazière.

70. La Cour admet que si le requérant a fourni des dessins signés de ses initiales et dénonçant les exactions commises par le gouvernement en place (voir paragraphes 9 et 18), rien ne permet d’établir avec certitude que ceux‑ci ont été effectivement rendus publics par voie d’affichage ou sous forme de tracts.

71. En revanche, la Cour constate que d’autres éléments viennent corroborer le récit du requérant.

72. En effet, pour ce qui est des traitements subis par le requérant durant sa détention en 2006, le certificat médical produit atteste des nombreuses cicatrices et des séquelles psychologiques dont il souffre, établit que ces cicatrices sont compatibles avec les faits rapportés (voir paragraphe 13) et témoigne de la gravité des sévices infligés.

73. De plus, le requérant fut incarcéré à la prison de Kin-Mazière, centre de détention dirigé par la DRGS, division de la police spécialisée dans le renseignement et chargée d’enquêter sur les activités des opposants au gouvernement Kabila (voir paragraphe 41), ce que le Gouvernement ne conteste pas.

74. En conséquence, la Cour estime avéré le passé politique du requérant et constate que sa détention apparaît directement liée à son activité militante au sein de l’opposition.

75. Quant à l’existence d’un risque actuel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant en RDC, le Gouvernement soutient que le contexte politique a changé en RDC et que les militants du MLC ne sont plus menacés. La Cour observe toutefois que cette organisation fait toujours partie de l’opposition parlementaire. Si la répression systématique des membres du MLC n’a plus cours, les rapports internationaux indiquent toutefois que certains membres du MLC ont été inquiétés jusqu’en 2011 (voir paragraphe 35).

76. Surtout, la Cour relève que le requérant allègue avoir également milité pour d’autres partis d’opposition, tels que l’UDPS, ce que met en doute le Gouvernement. La Cour observe que les dessins du requérant, en particulier ceux réalisés en 2007, comportent des slogans au nom de plusieurs partis d’opposition, dont l’UDPS (voir paragraphe 18). Or les sympathisants de ce parti font aujourd’hui l’objet d’une répression d’une particulière gravité, ceux-ci étant régulièrement soumis à des menaces, intimidations et arrestations arbitraires (voir paragraphe 36).

77. En tout état de cause, le requérant fournit un avis de recherche, dont l’authenticité n’est pas remise en cause par le Gouvernement, daté du 27 août 2010 à son nom et le désignant comme « artiste dessinateur, combattant de la rue, sympathisant de certains mouvements opposants à citer l’exemple MLC » et mentionnant qu’il est recherché pour « évasion de la prison de Kin-Mazière, non-respect des consignes de mise en liberté, atteinte à la sûreté de l’Etat et aux institutions de la République », faits constitutifs de l’infraction de « très haute trahison » sanctionnée par la peine de prison à perpétuité selon le code pénal militaire. Le requérant produit en outre une convocation en date du 3 septembre 2010, lui demandant de se rendre au tribunal de grande instance de Matete à Kinshasa (voir paragraphe 25).

78. La Cour constate que le Gouvernement cite dans ses observations la décision de l’OFPRA du 6 octobre 2010 selon laquelle cette dernière convocation ne comporterait pas « toutes les garanties d’authenticité » (voir paragraphe 26). La Cour observe cependant que l’OFPRA n’apporte aucune justification à l’appui de cette conclusion. Par conséquent, la Cour ne saurait se fonder sur l’appréciation faite par l’OFPRA dans la mesure où elle ne dispose, à cet égard, d’aucun élément explicatif (voir, mutatis mutandis, Mo. M. c. France, no 18372/10, § 41, 18 avril 2013).

79. Ainsi, la Cour estime, au vu du profil du requérant, et notamment de ses liens avec l’opposition, de son incarcération à la prison de Kin-Mazière, du certificat médical explicite corroborant son récit, de l’avis de recherche et de la convocation datés de 2010 émis à son encontre en raison de son engagement militant et indiquant qu’il est poursuivi pour des crimes passibles d’une peine de prison à perpétuité, qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il présente un intérêt tel pour les autorités congolaises qu’il serait susceptible d’être détenu et interrogé par ces autorités à son retour (a contrario voir Xa c. France (déc.), no 36457/08, 25 mai 2010, Mawaka, précité, § 67, M.M. c. France (déc.), no 49029/10, 11 septembre 2012). Il existe donc, dans les circonstances particulières de l’espèce, un risque réel qu’il soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités congolaises en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.

80. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’un renvoi du requérant vers la RDC emporterait violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

81. Le requérant dénonce une violation des articles 3 et 13 de la Convention en raison du traitement de sa demande de réexamen de demande d’asile selon la procédure prioritaire et, en particulier, du fait de l’absence de caractère suspensif de son recours devant la CNDA. La seconde de ces dispositions se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

82. La Cour a déjà estimé que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas le requérant d’un examen circonstancié de sa situation dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale (Sultani, précité, §§ 64-65).

83. Or, la Cour note que le requérant a bénéficié d’un premier examen complet et suspensif de sa demande d’asile dans le cadre de la procédure non prioritaire. Ce premier examen a permis à l’OFPRA, puis à la CNDA, d’examiner l’ensemble des arguments du requérant, s’opposant selon lui à son retour vers la RDC. Le requérant a ensuite formé deux demandes de réexamen devant l’OFPRA qui, bien que classées en procédure prioritaire, revêtaient également un caractère suspensif.

84. Ces différents recours lui ayant permis de faire examiner son grief tiré de l’article 3 de la Convention, la Cour estime que les exigences de l’article 13 sont satisfaites en l’espèce.

85. Partant, le grief fondé sur les articles 3 et 13 combinés est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

87. Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi.

88. Le Gouvernement estime que le requérant n’établit pas la réalité du préjudice matériel et moral allégué.

89. La Cour considère qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers la RDC constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant. Quant au préjudice matériel, la Cour observe que le requérant n’apporte aucune justification susceptible d’établir sa réalité ou son lien avec la violation alléguée et rejette cette demande.

B. Frais et dépens

90. Le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

91. Le Gouvernement avance que le requérant n’a fourni aucune facture permettant d’attester des montants payés.

92. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Or contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, la Cour observe que le représentant du requérant a bien fourni des notes d’honoraires d’un montant de 2 000 EUR correspondant aux frais d’entretien, d’étude du dossier ainsi qu’à l’élaboration et à la rédaction des observations devant la Cour.

93. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme qu’il demande, à savoir 2 000 EUR, moins les 850 EUR déjà perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire, soit 1 150 EUR.

C. Intérêts moratoires

94. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

95. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

96. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 30 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, et irrecevable le restant de la requête ;

2. Dit que, dans l’éventualité de la mise à exécution de la décision de renvoyer le requérant vers la RDC, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 150 EUR (mille cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Dit que le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers la RDC constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour dommage moral ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus ;

6. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Stephen PhillipsMark Villiger
Greffier adjointPrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE Z.M. c. FRANCE, 14 novembre 2013, 40042/11