CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE VELYO VELEV c. BULGARIE, 27 mai 2014, 16032/07

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Chronologie de l’affaire

Commentaires6

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 26 janvier 2019

Le 18 décembre 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu une décision d'irrecevabilité Dupin c. France, qui précise le cadre juridique du droit à l'éducation des enfants handicapés. La Cour écarte en effet l'existence d'un droit d'être scolarisé en milieu ordinaire dont serait titulaire un enfant autiste. Elle précise qu'il appartient aux autorités de l'État, éclairées par des expertises médicales, de décider, au cas par cas et dans l'intérêt de l'enfant, des modalités de sa scolarisation. La scolarisation des enfants en situation de handicap La requérante, …

 

www.revuegeneraledudroit.eu · 27 mai 2014

En l'affaire Velyo Velev c. Bulgarie, La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de : Ineta Ziemele, présidente, Päivi Hirvelä, Ledi Bianku, Nona Tsotsoria, Zdravka Kalaydjieva, Paul Mahoney, Faris Vehabović, juges, et de Françoise Elens-Passos, greffière de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mai 2014, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 16032/07) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. …

 

CEDH · 27 mai 2014

Communiqué de presse sur l'affaire 16032/07

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 27 mai 2014, n° 16032/07
Numéro(s) : 16032/07
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2014 (extraits)
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Catan et autres c. la République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 137, CEDH 2012 (extraits)
Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A n° 308, §§ 35-36
Minelli c. Suisse, arrêt du 25 mars 1983, série A n° 62, §§ 27 et 30
Deweer c. Belgique, arrêt du 27 février 1980, série A n° 35, § 56 et 37
Epistatu c. Roumanie, n° 29343/10, § 63, 24 septembre 2013
Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 69, CEDH 2005 IX
Laduna c. Slovaquie, n° 31827/02, §§ 64 et 67, CEDH 2011
Leyla Şahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, §§ 134 et 136, CEDH 2005-XI
Natoli c. Italie, n° 26161/95, décision de la Commission of 18 mai 1998
Nešťák c. Slovaquie, n° 65559/01, § 88, 27 février 2007
Ponomaryovi c. Bulgarie, n° 5335/05, CEDH 2011
Stummer c. Autriche [GC], n° 37452/02, § 99, CEDH 2011
Références à des textes internationaux :
Recommandation n° R 87 (3) du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes;Recommandation n° (89) 12 du Comité des Ministres sur l’éducation en prison;Recommandation n° R (2006) 2 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 2 du Protocole n° 1 - Droit à l'instruction-{général} (article 2 du Protocole n° 1 - Droit à l'instruction) ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-144616
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:0527JUD001603207
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE VELYO VELEV c. BULGARIE

(Requête no 16032/07)

ARRÊT

STRASBOURG

27 mai 2014

DÉFINITIF

27/08/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire Velyo Velev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,

Päivi Hirvelä,

Ledi Bianku,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva,

Paul Mahoney,

Faris Vehabović, juges,

et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16032/07) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Velyo Nikolaev Velev (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mars 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me E. Syarova, avocate à Stara Zagora. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. Kotseva, du ministère de la Justice.

3.  Invoquant l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaignait de n’avoir pas pu poursuivre ses études à la prison de Stara Zagora et, sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, il soutenait avoir été traité comme « récidiviste » avant sa condamnation définitive.

4.  Le 14 décembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1977 et réside à Stara Zagora. Condamné pour une infraction d’escroquerie en 2003, il purgea une peine d’emprisonnement à Stara Zagora du 11 février 2003 au 9 août 2004. Le 1er octobre 2004, soupçonné de détention illégale d’armes à feu, il fut arrêté et placé en détention provisoire du 29 novembre 2004 au 20 avril 2007 à la prison de Stara Zagora, où il aurait été détenu avec des « récidivistes » (paragraphe 20 ci-dessous).

6.  N’ayant jamais achevé ses études secondaires, le requérant demanda à être inscrit au centre d’enseignement de la prison de Stara Zagora. En août 2005, il adressa au directeur de cette prison une demande écrite d’inscription au centre d’enseignement pour l’année scolaire 2005/2006. N’ayant obtenu aucune réponse le 15 septembre 2005, début de l’année scolaire, il écrivit de nouveau au directeur le 29 septembre 2005, ainsi qu’au ministère de l’Éducation et au procureur (en Bulgarie, le procureur est l’autorité compétente pour contrôler la légalité de l’exécution d’une détention provisoire et d’une détention après condamnation). Le requérant reçut une lettre du procureur datée du 6 octobre 2005 selon laquelle l’administration pénitentiaire avait dûment pris en compte la possibilité pour le requérant d’étudier en prison, eu égard à sa condamnation antérieure. Le procureur déclarait en outre que le refus d’accès à l’instruction allégué par le requérant n’avait pas été confirmé. Celui-ci reçut également le 24 octobre 2005 une réponse du ministère de l’Éducation qui indiquait que les personnes privées de leur liberté (лишени от свобода) étaient autorisées à poursuivre leurs études en prison et ne renfermait aucune référence spécifique aux personnes en détention provisoire.

7.  Dans l’intervalle, le 19 octobre 2005, le requérant avait adressé une autre demande au directeur de la prison, au ministère de l’Éducation et au procureur près la cour d’appel. Le 26 octobre 2005, il saisit le directeur de la prison d’une nouvelle demande d’inscription au centre d’enseignement de la prison pour l’année scolaire 2005/2006. Se référant à la lettre du 24 octobre 2005, il soutenait que le ministère de l’Éducation avait reconnu son droit à l’instruction en prison. Le 7 décembre 2005, il reçut une réponse signée du chef de la direction de l’exécution des peines du ministère de la Justice, qui rejetait sa demande. Cette lettre énonçait notamment :

« Il est établi que [le requérant] n’a pas encore été condamné. Dès sa condamnation, il sera transféré dans un établissement pénitentiaire pour récidivistes.

L’intégration de récidivistes aux programmes de formation et de travail existant dans les établissements pénitentiaires pour non-récidivistes conduirait à méconnaître l’exigence de séparation des différentes catégories de détenus pendant leur détention et pendant leur participation aux programmes d’amendement (...) »

8.  Le 21 décembre 2005, le requérant forma un recours contre le refus de l’inscrire au centre d’enseignement, soutenant qu’il ne pouvait pas être tenu pour « récidiviste » en l’absence d’une seconde peine d’emprisonnement. Dans ses observations écrites, il invoqua explicitement le droit à l’instruction garanti par l’article 53 de la Constitution et par l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi que par l’article 77 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies, selon lequel « des dispositions doivent être prises pour développer l’instruction de tous les détenus capables d’en profiter ». Il affirmait que la loi de 1969 sur l’exécution des peines (paragraphes 15-19 ci‑dessous) imposait aux autorités en ce qui concerne l’accès à l’éducation la même obligation pour les personnes en détention provisoire que pour les détenus condamnés. D’après lui, le refus ne poursuivait aucun but légitime et il était contraire à la loi sur l’éducation et à la Convention des Nations unies concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (publiée au Journal officiel en 1963). Durant l’audience, le requérant indiqua que d’autres personnes dans sa situation étaient autorisées à étudier et que les autorités pénitentiaires n’avaient fourni aucun motif juridique à l’appui de leur refus. Le directeur de la prison admit que des personnes dans la même situation que le requérant avaient auparavant eu accès au centre d’enseignement, mais que cette pratique avait été abandonnée en raison de préoccupations au sujet de l’influence des « récidivistes » sur les « non-récidivistes ». Le requérant s’était vu refuser l’accès à l’instruction au motif qu’il devait être traité comme un « récidiviste » au sens de la loi de 1969 sur l’exécution des peines (paragraphe 20 ci-dessous) et qu’il ne pouvait pas fréquenter le centre d’enseignement car il y aurait été en contact avec des non-récidivistes.

9.  Par un jugement du 24 mars 2006, le tribunal régional de Stara Zagora fit droit au recours du requérant et ordonna au directeur de la prison d’intégrer l’intéressé au programme d’enseignement de la prison. Il estima en particulier que le refus du directeur procédait de l’hypothèse que le requérant était « récidiviste » et que, la prison de Stara Zagora étant un établissement pour « non-récidivistes », l’administration pénitentiaire avait l’obligation d’exclure l’intéressé des programmes impliquant d’autres détenus, qui étaient la plupart des « non-récidivistes ». Le tribunal estima que le requérant ne pouvait pas être tenu pour un « récidiviste », tel que défini par l’article 158 de la loi sur l’exécution des peines car, bien qu’il eût déjà été condamné à une peine d’emprisonnement, la procédure dirigée contre lui était toujours pendante et il n’avait pas encore été reconnu coupable et condamné une seconde fois. Il jugea donc inapplicable la règle exigeant que les « récidivistes » fussent détenus à l’écart des « non‑récidivistes » en prison.

10.  Le directeur de la prison fit appel de ce jugement. Il soutint que, conformément au principe de l’application d’un traitement différencié aux diverses catégories de détenus, le requérant avait été intégré au groupe des personnes en détention provisoire qui, en cas de condamnation, relèveraient de la catégorie des « récidivistes ». De plus, la prison de Stara Zagora était un établissement pour « non-récidivistes » et l’accueil de « récidivistes », y compris de personnes en détention provisoire traitées comme tels, était exceptionnel.

11.  Avant l’examen de l’appel, le 9 août 2006, le requérant demanda au directeur de la prison de l’inscrire au centre d’enseignement pour l’année scolaire qui débutait le 15 septembre 2006. N’ayant pas reçu de réponse à cette demande, il saisit la direction de l’exécution des peines du ministère de la Justice d’une demande similaire le 21 septembre 2006.

12.  Le 26 septembre 2006, la Cour administrative suprême rendit un jugement définitif concernant la plainte du requérant relative à son exclusion du centre d’enseignement. Devant cette juridiction, le procureur (qui intervient dans toutes les procédures devant la Cour suprême) émit l’avis que la décision du tribunal régional de Stara Zagora était correcte et qu’il y avait lieu de rejeter l’appel du directeur de la prison. Il estima en outre que les moyens de cassation n’étaient pas clairs et qu’ils étaient fondés sur une mauvaise interprétation de la loi applicable, contraire à la bonne interprétation donnée par le tribunal de première instance dans la décision attaquée. Dans sa décision, la Cour suprême nota que la loi sur l’exécution des peines, avant d’être modifiée en 2002, imposait l’instruction obligatoire pour tous les détenus âgés de moins de 40 ans. La disposition alors en vigueur n’envisageait l’instruction obligatoire que pour les personnes âgées de moins de 16 ans ; pour celles âgées de 16 ans et plus l’État avait l’obligation de donner accès à l’instruction aux détenus qui souhaitaient en bénéficier. Toutefois, en vertu du droit interne, les détenus condamnés avaient droit à l’instruction seulement en cas de condamnation à une peine de un an ou plus d’emprisonnement, de façon à ce qu’ils aient la possibilité de terminer leur année scolaire (paragraphes 15-19 ci-dessous). La Cour suprême conclut ainsi :

« le droit à l’éducation (obligatoire ou volontaire) est prévu et régi par la législation de la République de Bulgarie seulement pour les personnes privées de leur liberté à la suite d’une condamnation définitive [лишаване от свобода] et non pour les personnes privées de leur liberté en vertu d’une mesure de détention provisoire [задържане под стража] ».

Il s’ensuivait pour la Cour suprême que la question de savoir si les autorités pénitentiaires avaient considéré à tort le requérant comme un « récidiviste » était dépourvue de pertinence.

13.  Renvoyant à ce jugement, le 6 novembre 2006, la direction de l’exécution des peines répondit aux demandes formulées par le requérant le 9 août et le 21 septembre 2006, l’informant qu’il ne serait pas inscrit au centre d’enseignement de la prison pour l’année 2006/2007.

14.  Par la suite, le requérant fut reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement pour l’infraction de détention d’armes à feu. Le 20 avril 2007, il fut transféré de la prison de Stara Zagora à celle de Pazardjik pour y purger sa peine. Le Gouvernement a informé la Cour que le requérant n’a pas demandé à participer aux activités d’enseignement pendant son séjour dans cette prison. Toutefois, dans les observations soumises par lui à la Cour, le requérant a déclaré qu’il n’avait pas présenté de demande au motif qu’il n’y avait pas de centre d’enseignement à la prison de Pazardjik. En outre, il a adressé à la Cour des documents indiquant qu’au moins un détenu considéré comme « récidiviste » avait participé au programme d’enseignement à la prison de Stara Zagora. Le requérant fut libéré de la prison de Pazardjik le 27 juillet 2008.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  L’accès des détenus à l’éducation

15.  Durant la période en question, l’accès des détenus à l’éducation était régi par la loi de 1969 sur l’exécution des peines (en vigueur jusqu’en juin 2009, « la loi de 1969 »), les décrets d’application de la loi de 1969, l’ordonnance no 2 du 19 avril 1999 sur le statut des personnes en détention provisoire (en vigueur jusqu’en 2007, « l’ordonnance »), la loi de 1991 sur l’éducation nationale (« la loi de 1991 »), et les décrets d’application de la loi de 1991. Il y a lieu de noter qu’avant 2002 le statut des personnes en détention provisoire était régi par des ordonnances du ministre de la Justice. En 2002, ces dispositions furent insérées dans la loi de 1969. Il apparaît que l’ordonnance a continué à déployer ses effets jusqu’en 2006, les décrets d’application de la loi de 1969 ayant alors été complétés par des dispositions régissant plus en détail le statut des personnes en détention provisoire.

16.  Avant 2002, l’éducation en prison était obligatoire pour les détenus âgés de moins de 40 ans (article 39 § 1 de la loi de 1969), mais uniquement s’ils avaient été condamnés à une peine de un an ou plus d’emprisonnement (article 47 § 1 du décret d’application de la loi de 1969). L’article 39 § 1 de la loi de 1969 a été abrogé en 2002 mais la disposition du décret d’application est demeurée valide.

17.  Les dispositions pertinentes prévoyaient trois régimes concernant l’accès à l’éducation. Premièrement, les détenus ayant entre 14 et 18 ans, placés dans des « institutions de rééducation » et non dans des prisons, étaient autorisés à suivre des cours. L’éducation était obligatoire pour les détenus âgés de 16 ans ou moins (article 39 § 3 de la loi de 1969 et article 7 § 1 de la loi de 1991). Les détenus condamnés plus âgés pouvaient demander à participer aux programmes d’enseignement et l’administration pénitentiaire était tenue de prévoir de tels programmes (article 39 § 4 de la loi de 1969 et article 75 § 1 du décret d’application de la loi de 1969). Au moment de l’admission d’un détenu dans une institution pénitentiaire, les autorités de la prison étaient tenues d’évaluer les besoins individuels de l’intéressé en matière d’éducation (article 66 a) §§ 1 et 3 de la loi de 1969). Les détenus qui participaient à des activités éducatives et ne travaillaient pas pouvaient voir déduite de leur peine globale la période passée en cours sur la base des mêmes règles que celles applicables aux jours de travail (article 103 § 4 de la loi de 1969).

18.  L’article 128 de la loi de 1969 énonçait qu’en l’absence de dispositions spécifiques, les dispositions de la loi de 1969 concernant les détenus condamnés s’appliquaient aux personnes en détention provisoire. Une disposition similaire figurait dans le décret d’application de la loi de 1969 (article 168).

19.  La nouvelle loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention provisoire (« la loi de 2009 ») renferme des dispositions similaires. Elle énonce que l’intégration des détenus condamnés âgés de moins de 16 ans aux programmes d’éducation est obligatoire (article 162 § 1 de la loi de 2009). L’administration peut prévoir des programmes éducatifs pour les détenus plus âgés (article 162 § 2). L’intégration des personnes en détention provisoire aux programmes éducatifs est « encouragée » (article 252 § 2). Enfin, la période passée en cours doit être déduite de la peine globale sur la base des règles applicables aux jours de travail (article 178 § 4).

B.  Les récidivistes

20.  À l’époque des faits, l’article 158 § 1 de la loi de 1969 énonçait qu’aux fins de la loi il fallait entendre par « récidivistes » :

« a)  des personnes ayant été condamnées deux fois ou plus à une peine d’emprisonnement pour des infractions intentionnelles qui n’exigeaient pas une peine cumulée (...), si elles avaient effectivement purgé une peine d’emprisonnement ;

b)  des personnes ayant été condamnées pour une infraction qualifiée de récidive dangereuse. »

L’article 12 de la loi de 1969 exigeait que les « récidivistes » purgent leur peine dans des institutions distinctes. D’après l’article 8 a) § 3, « les activités d’amendement prévues pour les différentes catégories de détenus [étaient] mises en œuvre séparément ». Les « récidivistes » au sens de la loi ne pouvaient être transférés dans d’autres prisons que dans des circonstances exceptionnelles, s’ils s’étaient amendés et s’il n’existait aucun danger qu’ils exercent une influence négative sur les autres détenus (article 12 § 2 de la loi de 1969). Les personnes en détention provisoire qui avaient déjà été condamnées à une peine d’emprisonnement et qui ne s’étaient pas amendées étaient séparées des autres personnes en détention provisoire (article 130б §§ 1 et 5 de la loi de 1969). La loi de 2009 contient des dispositions similaires.

II.  LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

A.  Les Règles pénitentiaires européennes

21.  Les Règles pénitentiaires européennes sont des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les États sont encouragés à s’inspirer de ces Règles dans l’élaboration de leur législation et de leur politique et à en assurer une large diffusion auprès de leurs autorités judiciaires ainsi qu’auprès du personnel pénitentiaire et des détenus.

1.  Les Règles pénitentiaires européennes de 1987 (Recommandation no R 87 (3)

22.  Les Règles pénitentiaires européennes de 1987 furent adoptées par le Comité des Ministres le 12 février 1987. Elles renferment notamment les dispositions suivantes en ce qui concerne les personnes en détention provisoire :

« 11.1.  Pour la répartition des détenus dans les établissements ou le choix d’un régime applicable, il est tenu compte notamment de leur situation judiciaire ou légale (prévenu ou condamné, condamné primaire ou récidiviste, courte peine ou longue peine), des exigences particulières de leur traitement, de leurs besoins médicaux, de leur sexe et âge.

(...)

3.  En principe, les prévenus et les condamnés doivent être détenus séparément, sauf s’ils acceptent de cohabiter ou de participer ensemble à des activités profitables à tous.

(...)

91.  Sans préjudice des dispositions légales relatives à la protection de la liberté individuelle et suivant la procédure applicable aux prévenus, ces derniers, qui jouissent d’une présomption d’innocence jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie, doivent (...) être traités sans autres restrictions que celles imposées par la procédure pénale et la sécurité de l’établissement.

(...)

96.  Tout prévenu doit, dans la mesure du possible, avoir la possibilité de travailler, mais sans y être obligé. S’il travaille, il doit être rémunéré comme les autres détenus. S’il existe des programmes d’études et de formation professionnelle, il doit être encouragé à en bénéficier. »

2.  Recommandation no 89/12 sur l’éducation en prison

23.  Le 13 octobre 1989, le Comité des Ministres adopta une Recommandation sur l’éducation en prison. Son préambule se lit ainsi :

« Considérant que le droit à l’éducation est fondamental ;

Considérant l’importance de l’éducation pour le développement individuel et communautaire ;

Conscient notamment du fait qu’une proportion élevée de détenus n’ont connu que très peu d’expériences éducatives fructueuses et qu’ils ont pour cette raison de nombreux besoins en matière d’éducation ;

Considérant que l’éducation en prison contribue à rendre les prisons plus humaines et à améliorer les conditions de détention ;

Considérant que l’éducation en prison est un moyen important de faciliter le retour du détenu dans la société ;

Reconnaissant que dans l’application pratique de certains droits ou mesures, en accord avec les recommandations suivantes, des distinctions peuvent se justifier entre les détenus condamnés et les détenus en détention préventive ;

Tenant compte de la Recommandation no R (87) 3 sur les règles pénitentiaires européennes et de la Recommandation no R (81) 17 sur les politiques de l’éducation des adultes ».

La recommandation se poursuit notamment ainsi :

« 1.  Tous les détenus doivent avoir accès à l’éducation, qui devrait englober l’instruction de base, la formation professionnelle, les activités créatrices et culturelles, l’éducation physique et les sports, l’éducation sociale et la possibilité de fréquenter une bibliothèque ;

(...)

4.  Tous ceux qui sont appelés à participer à l’administration du système pénitentiaire et à la gestion des établissements de détention devraient faciliter et encourager l’éducation dans toute la mesure du possible ;

(...)

6.  Tous les efforts devraient être entrepris pour encourager le détenu à participer activement à tous les aspects de l’éducation ;

(...)

17.  Il faudrait mettre à la disposition des prisons les crédits, l’équipement et le personnel enseignant nécessaires pour permettre aux détenus de recevoir une éducation appropriée. »

3.  Recommandation no R (2006) 2 sur les Règles pénitentiaires européennes

24.  Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta une nouvelle version des Règles pénitentiaires européennes, considérant que la Recommandation no R(87)3 sur les règles pénitentiaires européennes devait « être révisée et mise à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements qui étaient survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe ». Les Règles de 2006 renferment les principes fondamentaux suivants :

Principes fondamentaux

1.  Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.

2.  Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.

3.  Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.

4.  Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.

5.  La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison.

6.  Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté.

(...)

Champ d’application

(...)

10.2  En principe, les personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire et privées de liberté à la suite d’une condamnation ne peuvent être détenues que dans des prisons, à savoir des établissements réservés aux détenus relevant de ces deux catégories.

Répartition et locaux de détention

(...)

18.8  La décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer :

a. les prévenus des détenus condamnés ;

b. les détenus de sexe masculin des détenus de sexe féminin ; et

c. les jeunes détenus adultes des détenus plus âgés.

18.9  Il peut être dérogé aux dispositions du paragraphe 8 en matière de séparation des détenus afin de permettre à ces derniers de participer ensemble à des activités organisées. Cependant les groupes visés doivent toujours être séparés la nuit, à moins que les intéressés ne consentent à cohabiter et que les autorités pénitentiaires estiment que cette mesure s’inscrit dans l’intérêt de tous les détenus concernés.

(...)

Éducation

28.1  Toute prison doit s’efforcer de donner accès à tous les détenus à des programmes d’enseignement qui soient aussi complets que possible et qui répondent à leurs besoins individuels tout en tenant compte de leurs aspirations.

28.2  Priorité doit être donnée aux détenus qui ne savent pas lire ou compter et à ceux qui n’ont pas d’instruction élémentaire ou de formation professionnelle.

28.3  Une attention particulière doit être portée à l’éducation des jeunes détenus et de ceux ayant des besoins particuliers.

28.4  L’instruction doit, du point de vue des régimes carcéraux, être considérée au même titre que le travail et les détenus ne doivent pas être pénalisés, que ce soit financièrement ou d’une autre manière, par leur participation à des activités éducatives.

28.5  Chaque établissement doit disposer d’une bibliothèque destinée à tous les détenus, disposant d’un fonds satisfaisant de ressources variées, à la fois récréatives et éducatives, de livres et d’autres supports.

28.6  Partout où cela est possible, la bibliothèque de la prison devrait être organisée avec le concours des bibliothèques publiques.

28.7  Dans la mesure du possible, l’instruction des détenus :

a.  doit être intégrée au système d’éducation et de formation professionnelle publique, afin que les intéressés puissent poursuivre aisément leur éducation et formation professionnelle après leur sortie de prison ; et

b.  doit être dispensée sous l’égide d’établissements d’enseignement externes.

(...)

Prévenus

(...)

Approche applicable aux prévenus

95.1  Le régime carcéral des prévenus ne doit pas être influencé par la possibilité que les intéressés soient un jour reconnus coupables d’une infraction pénale.

95.2  Les règles répertoriées dans cette partie énoncent des garanties supplémentaires au profit des prévenus.

95.3  Dans leurs rapports avec les prévenus, les autorités doivent être guidées par les règles applicables à l’ensemble des détenus et permettre aux prévenus de participer aux activités prévues par lesdites règles.

(...)

Accès au régime des détenus condamnés

101.  Si un prévenu demande à suivre le régime des détenus condamnés, les autorités pénitentiaires doivent satisfaire sa demande, dans la mesure du possible. »

EN DROIT

(...)

II.  SUR LE FOND

A.  Sur la violation alléguée de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention

26.  Invoquant l’article 13 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaignait de n’avoir pas eu accès au centre d’enseignement de la prison de Stara Zagora. La Cour estime que ce grief appelle un examen sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

1.  Les thèses des parties

27.  Le requérant soutient que la législation interne n’interdisait pas expressément aux personnes en détention provisoire de participer aux programmes éducatifs de la prison, de sorte que, d’après lui, il aurait dû être traité de la même manière que les détenus condamnés et aurait dû avoir accès à l’éducation. Il estime en particulier que les dispositions relatives à l’accès des détenus condamnés aux possibilités d’enseignement auraient dû être appliquées à tous les détenus. Il considère que les autorités internes ont procédé à une interprétation erronée des dispositions pertinentes et l’ont donc traité de façon discriminatoire, ont restreint ses droits plus qu’il n’était nécessaire aux fins de sa détention et l’ont privé automatiquement et arbitrairement de son droit à l’instruction.

28.  Le requérant conteste en outre le motif invoqué par les autorités pénitentiaires et par le Gouvernement dans ses observations, à savoir qu’en tant que personne susceptible d’être condamnée comme « récidiviste » il se justifiait de l’exclure du centre d’enseignement dans l’intérêt des « non‑récidivistes » qui y suivaient les cours. Il déclare que durant sa détention à Stara Zagora des détenus condamnés considérés comme « récidivistes » ont participé aux cours du centre d’enseignement. À son sens, cela démontre que le principe consistant à séparer les « récidivistes » des autres détenus n’a pas été respecté. En outre, le requérant soutient que son exclusion du centre d’enseignement au motif que, en tant que détenu non condamné, il avait une chance d’être acquitté et qu’il aurait dû dans ce cas arrêter ses cours avant la fin de l’année scolaire était illogique. Il indique qu’il a finalement passé près de deux années scolaires complètes en détention provisoire à la prison de Stara Zagora. Il ajoute que si les autorités pénitentiaires avaient eu des doutes concernant la durée de sa détention provisoire, elles auraient pu interroger le parquet. Il argue que jusqu’à sa condamnation il avait droit à la présomption d’innocence et qu’il n’aurait pas dû être privé de son droit à l’instruction durant cette période. Enfin, il déclare qu’une fois condamné et transféré à la prison de Pazardjik, il n’a pas pu poursuivre son instruction, faute de centre d’enseignement dans cette prison.

29.  Le Gouvernement soutient que d’après la jurisprudence de la Cour c’est aux autorités internes qu’il appartient de réglementer et de prévoir les possibilités d’enseignement dans leur pays. Selon lui, la décision des autorités pénitentiaires d’exclure le requérant du centre d’enseignement de la prison était raisonnable, eu égard à la nécessité d’appliquer des normes et conditions différentes aux diverses catégories de détenus. Le requérant aurait été détenu à titre exceptionnel à la prison de Stara Zagora, une prison en milieu ouvert prévue principalement pour des détenus condamnés « non récidivistes » et, à l’époque, on n’aurait pas su exactement combien de temps il y serait détenu. Premièrement, le Gouvernement argue qu’il n’était pas approprié que le requérant, qui se trouvait en détention provisoire, suivît des cours avec des détenus condamnés. Il ajoute qu’en vertu des dispositions de la loi sur l’exécution des peines, telle qu’applicable à l’époque des faits, les personnes en détention provisoire n’étaient pas autorisées à s’inscrire au centre d’enseignement de la prison, à moins qu’il fût certain qu’elles demeureraient détenues pendant une année scolaire au moins. Deuxièmement, il juge normal que les dispositions sur les détenus « récidivistes » fussent appliquées au requérant, qui se trouvait en détention provisoire et risquait d’être condamné comme « récidiviste » à la suite de sa condamnation (paragraphe 20 ci-dessus). Le Gouvernement explique que si on ne procédait pas ainsi les autorités pénitentiaires ne seraient pas en mesure de protéger pleinement les détenus « non récidivistes » de contacts avec des « récidivistes ». En outre, d’après lui, un assouplissement des règles applicables aux « récidivistes » affaiblirait l’effet dissuasif de l’emprisonnement. Selon le Gouvernement, si le requérant avait été ultérieurement acquitté, il aurait été immédiatement libéré et son exclusion du centre d’enseignement de la prison n’aurait plus eu aucun effet sur lui. Enfin, le Gouvernement indique qu’à la suite de son transfert à la prison de Pazardjik, le requérant n’a pas demandé à participer aux activités éducatives organisées dans cet établissement.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

30.  La Cour souligne tout d’abord que, d’une manière générale, les détenus continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté, lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention. Par exemple, les détenus ne peuvent être soumis à des mauvais traitements ou à des peines ou conditions inhumaines ou dégradantes, interdits par l’article 3 ; ils continuent de jouir du droit au respect de la vie familiale, du droit à la liberté d’expression, du droit de pratiquer leur religion, du droit d’avoir un accès effectif à un avocat ou à un tribunal aux fins de l’article 6, du droit au respect de la correspondance et du droit de se marier. Toute restriction à ces autres droits doit être justifiée, même si pareille justification peut tout à fait reposer sur les considérations de sécurité, notamment la prévention du crime et la défense de l’ordre, qui découlent inévitablement des circonstances de l’emprisonnement (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 69, CEDH 2005‑IX, et les arrêts qui y sont cités ; voir également Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 99, CEDH 2011). Dans l’arrêt Hirst, précité, au paragraphe 70, la Cour a poursuivi ainsi : « [i]l n’est (...) nullement question qu’un détenu soit déchu de ses droits garantis par la Convention du simple fait qu’il se trouve incarcéré à la suite d’une condamnation ». Ce principe s’applique a fortiori à une personne qui, comme le requérant durant la période en question, n’a pas été condamnée et doit donc être présumée innocente (voir, par exemple, Laduna c. Slovaquie, no 31827/02, §§ 64 et 67, CEDH 2011).

31.  En ce qui concerne le droit à l’éducation, si l’article 2 du Protocole no 1 ne peut s’interpréter en ce sens qu’il obligerait les États contractants à créer ou subventionner des établissements d’enseignement particuliers, un État qui a créé de tels établissements a l’obligation d’offrir un accès effectif à ces établissements. En d’autres termes, l’accès à des institutions d’enseignement existant à un moment donné fait partie intégrante du droit consacré par la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1 (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, pp. 7‑8, §§ 3-4, série A no 6, Ponomaryovi c. Bulgarie, no 5335/05, § 49, CEDH 2011, et Catan et autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 137, CEDH 2012). Cette disposition vaut pour les niveaux primaire, secondaire et supérieur de l’enseignement (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, §§ 134 et 136, CEDH 2005‑XI).

32.  La Cour reconnaît toutefois que, pour important qu’il soit, le droit à l’éducation n’est pas absolu mais peut donner lieu à des limitations. Celles‑ci sont implicitement admises tant qu’il n’y a pas d’atteinte à la substance du droit ; en effet, le droit d’accès « appelle de par sa nature même une réglementation par l’État ». Afin de s’assurer que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité, la Cour doit se convaincre que celles-ci sont prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime. Toutefois, à la différence des articles 8 à 11 de la Convention, l’article 2 du Protocole no 1 ne lie pas la Cour par une énumération exhaustive des « buts légitimes ». En outre, une limitation ne se concilie avec ladite clause que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation dans le domaine de l’instruction (Catan et autres, précité, § 140, et les arrêts qui y sont cités).

33.  Il est vrai que l’enseignement est un « service complexe » à organiser et onéreux à gérer tandis que les ressources que les autorités peuvent y consacrer sont nécessairement limitées. Il est vrai également que lorsqu’il décide de la manière de réglementer l’accès à l’instruction, l’État doit ménager un équilibre entre, d’une part, les besoins éducatifs des personnes relevant de sa juridiction et, d’autre part, sa capacité limitée à y répondre. Cependant, la Cour ne peut faire abstraction du fait que, à la différence de certaines autres prestations assurées par les services publics, l’instruction est un droit directement protégé par la Convention. De plus, l’enseignement est un type très particulier de service public, qui ne profite pas seulement à ses usagers directs mais qui sert aussi d’autres buts sociétaux. En fait, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que « [d]ans une société démocratique, le droit à l’instruction [est] indispensable à la réalisation des droits de l’homme [et] occupe une place (...) fondamentale (...) » (voir, mutatis mutandis, Ponomaryovi, précité, § 55).

b)  Application des principes susmentionnés aux faits de l’espèce

34.  Bien que la Cour soit consciente des recommandations du Comité des Ministres selon lesquelles des possibilités d’éducation doivent être offertes à tous les détenus (paragraphes 21-24 ci-dessus), elle rappelle que l’article 2 du Protocole no 1 n’impose pas aux États contractants l’obligation de prévoir de telles possibilités pour les détenus lorsqu’elles n’existent pas encore (Natoli c. Italie, no 26161/95, décision de la Commission du 18 mai 1998, non publiée, et Epistatu c. Roumanie, no 29343/10, § 63, 24 septembre 2013). Toutefois, le grief du requérant en l’espèce porte sur le refus de l’autoriser à accéder à une institution d’enseignement préexistante, à savoir le centre d’enseignement de la prison de Stara Zagora. Ainsi qu’il a été noté ci-dessus, le droit d’accès à des établissements d’enseignement préexistants relève de l’article 2 du Protocole no 1. Toute restriction à ce droit doit donc être prévisible et poursuivre un but légitime auquel elle serait proportionnée (paragraphe 32 ci-dessus). Si l’article 2 du Protocole no 1 n’impose pas une obligation positive de prévoir un enseignement en prison en toutes circonstances, lorsqu’une telle possibilité existe, elle ne doit pas être soumise à des restrictions arbitraires et déraisonnables.

35.  La Cour juge douteux que la restriction imposée au droit du requérant fût suffisamment prévisible aux fins de l’article 2 du Protocole no 1. Le cadre législatif pertinent prévoyait que les détenus condamnés âgés de 16 ans ou plus avaient le droit, à leur demande, d’être intégrés aux programmes d’enseignement et que, en l’absence de règles claires s’y opposant, les dispositions concernant les détenus condamnés devaient s’appliquer également aux personnes en détention provisoire. La seule disposition expresse relative au droit à l’instruction des personnes en détention provisoire prévoit que les autorités pénitentiaires doivent « encourager » la participation de cette catégorie de détenus aux programmes d’enseignement proposés en prison (paragraphes 15-19 ci‑dessus).

36.  Le manque de clarté du cadre réglementaire ressort du fait que, durant la procédure interne et devant la Cour, les autorités nationales ont invoqué diverses raisons pour refuser la demande du requérant tendant à son inscription au centre d’enseignement. Cette demande a été rejetée par la direction de l’exécution des peines du ministère de la Justice aux motifs que, « une fois condamné », le requérant serait transféré dans une prison pour « récidivistes » et que dans l’intervalle il serait contraire à l’exigence légale de séparation des « récidivistes » et des « non-récidivistes » que l’intéressé fût autorisé à participer aux cours du centre d’enseignement avec des « non-récidivistes » (paragraphe 7 ci-dessus). Par la suite, le directeur de la prison a également refusé la demande de l’intéressé pour des motifs analogues (paragraphe 8 ci-dessus). Lorsque le requérant a fait appel de la décision des autorités pénitentiaires de l’exclure du centre d’enseignement, le tribunal régional de Stara Zagora a conclu qu’il ne pouvait pas être qualifié de « récidiviste » et a ordonné au directeur de la prison de l’admettre au centre d’enseignement. Sur appel du directeur de la prison, la Cour administrative suprême a cassé le jugement du tribunal régional au motif que le requérant n’était pas autorisé à participer au programme d’enseignement de la prison puisque, d’après la législation pertinente, le droit à l’instruction n’était applicable qu’aux personnes privées de leur liberté à la suite d’une condamnation définitive et non aux personnes se trouvant en détention provisoire (paragraphe 12 ci-dessus).

37.  En outre, durant la procédure devant la Cour, le Gouvernement a avancé trois motifs pour justifier le refus opposé au requérant. Premièrement, il a soutenu qu’il n’aurait pas été approprié que le requérant, en tant que personne en détention provisoire, suivît avec des détenus condamnés des cours au centre d’enseignement. Deuxièmement, d’après lui, il aurait été inopportun que le requérant, en tant que personne en détention provisoire détenue pour une période indéterminée, intégrât le centre d’enseignement dont les cours étaient destinés aux détenus condamnés purgeant des peines d’emprisonnement de douze mois ou plus. Troisièmement, le requérant étant passible d’une condamnation en tant que « récidiviste », selon le Gouvernement, il n’aurait pas été dans l’intérêt de détenus condamnés « non-récidivistes » inscrits au centre d’enseignement qu’il fût autorisé à y suivre des cours.

38.  Pour la Cour, il y a lieu de noter que le Gouvernement n’a fourni à l’appui de ses arguments aucun élément indiquant les conditions applicables à la prison de Stara Zagora. La nécessité de protéger le requérant en le tenant à l’écart des détenus condamnés en raison de son statut de personne en détention provisoire n’a pas été invoquée par les autorités pénitentiaires lorsqu’elles ont rejeté les demandes en question. En outre, il ressort clairement des nombreuses demandes du requérant tendant à son inscription au centre d’enseignement qu’il n’était nullement opposé à une participation au programme d’enseignement avec des détenus condamnés. Rien dans les éléments présentés à la Cour n’indique que les personnes en détention provisoire se seraient exposées à un quelconque risque dans l’environnement contrôlé et supervisé d’une salle de cours ou que, au sein de la prison de Stara Zagora, les personnes en détention provisoire étaient séparées des détenus condamnés ou « récidivistes » et que, le cas échéant, cette séparation s’appliquait à tous les aspects du régime de la prison.

39.  Deuxièmement, le Gouvernement a invoqué la durée indéterminée de la détention provisoire et l’exigence du droit national selon laquelle les détenus doivent purger des peines de un an ou plus pour être autorisés à s’inscrire dans les centres d’enseignement des prisons. Cependant, le Gouvernement n’a pas expliqué pourquoi il s’agissait là d’une condition nécessaire à l’admission dans un centre d’enseignement en prison. En ce qui concerne plus particulièrement les personnes en détention provisoire, comme le requérant, la Cour estime que l’incertitude initiale de la durée de la détention provisoire ne devrait pas être utilisée comme justification pour priver ces personnes d’accès à des possibilités d’instruction, hormis peut‑être dans les cas où il est clair pour une raison ou une autre que la détention sera de courte durée. En outre, la Cour note que le Gouvernement ne lui a pas fourni d’information sur les ressources disponibles au centre d’enseignement qui soit de nature à justifier, par exemple, une politique consistant à consacrer essentiellement aux prisonniers purgeant les peines les plus longues des ressources qui seraient restreintes.

40.  Enfin, en ce qui concerne le troisième motif invoqué par le Gouvernement, à savoir la nécessité de tenir le requérant à l’écart des autres détenus au motif qu’il risquait d’être condamné comme « récidiviste », la Cour estime qu’il ne s’agit pas d’un motif légitime, puisque durant la période en question le requérant n’avait pas encore été condamné et avait droit à la présomption d’innocence.

41.  Par conséquent, la Cour estime que les motifs avancés par le Gouvernement ne sont pas convaincants, notamment parce qu’ils ne sont étayés par aucun élément relatif aux modalités exactes d’accès à l’instruction au centre d’enseignement de la prison de Stara Zagora. Par ailleurs, il y a lieu de tenir compte de l’intérêt incontesté du requérant à terminer ses études secondaires. L’importance de l’instruction en prison, que ce soit pour le détenu ou l’environnement pénitentiaire et la société dans son ensemble, a été reconnue par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans ses recommandations sur l’éducation en prison et dans les Règles pénitentiaires européennes (paragraphes 21-24 ci-dessus).

42.  En l’espèce, la Cour considère que le Gouvernement n’a ni avancé de justification concrète tenant par exemple au manque de ressources du centre d’enseignement ni fourni d’explication claire quant aux motifs juridiques du refus d’inscrire le requérant au centre d’enseignement de la prison. Partant, sur la base des éléments dont elle dispose, elle conclut que le refus d’admettre le requérant au centre d’enseignement de la prison de Stara Zagora n’était pas suffisamment prévisible et qu’il n’a pas poursuivi un but légitime auquel il aurait été proportionné. Dès lors, elle dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 dans la présente affaire.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention ;

(...)

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 27 mai 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosIneta Ziemele
GreffièrePrésidente

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE VELYO VELEV c. BULGARIE, 27 mai 2014, 16032/07