CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE FAKAILO (SAFOKA) ET AUTRES c. FRANCE, 2 octobre 2014, 2871/11

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Chronologie de l’affaire

Commentaires7

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www.dbfbruxelles.eu · 3 octobre 2014

Saisie d'une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 2 octobre dernier, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif à l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants (Fakailo dit Sakofa e.a. c. France, requête n°2871/11). Les requérants, 5 ressortissants français, ont été placés en garde à vue pendant 48h dans les cellules du commissariat central de Nouméa, puis incarcérés pendant 72h au centre de détention de Nouvelle-Calédonie. Invoquant l'article 3 de la Convention, les requérants alléguaient que leurs …

 

CEDH · 2 octobre 2014

Communiqué de presse sur les affaires 32191/09, 10609/10, 2871/11, 15319/09, 47191/06, 4261/04, 97/11, 48408/12, 36836/09, 25965/03, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 2 oct. 2014, n° 2871/11
Numéro(s) : 2871/11
Type de document : Arrêt
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant ; Traitement inhumain) (Volet matériel)
Identifiant HUDOC : 001-146674
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:1002JUD000287111
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE FAKAILO (SAFOKA) ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 2871/11)

ARRÊT

STRASBOURG

2 octobre 2014

DÉFINITIF

02/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Fakailo (Safoka) et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 septembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2871/11) dirigée contre la République française et dont cinq ressortissants de cet État, MM. Mikaele Fakailo dit Safoka, Gérard Jodar, Sele Lami, Sagato Uveakovi, et Julien Vaiagina, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 décembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants ont été représentés par Me Waquet, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Les requérants allèguent en particulier que les conditions de détention subies lors de leur garde à vue pendant quarante-huit heures à l’hôtel de police de Nouméa ainsi que celles endurées pendant soixante-douze heures au centre de détention Camp Est étaient contraires à l’article 3 de la Convention. Ils se plaignent également d’une atteinte à leurs droits de la défense devant le tribunal correctionnel de Nouméa et invoquent l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

4.  Le 11 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5.  Le requérant Gérard Jodar est décédé en septembre 2013.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Les requérants sont nés respectivement en 1964,1952, 1975, 1972, et 1976 et résident à Dumbéa, et pour le dernier à Païta, en Nouvelle-Calédonie.

7.  Le 28 mai 2009, à la suite de l’occupation du tarmac de l’aéroport de Nouméa par des militants du syndicat USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités), l’intervention des forces de l’ordre fut requise et vingt-huit personnes, dont les cinq requérants, furent interpellées et placées en garde à vue.

8.  À l’occasion de l’entretien avec l’avocat au cours de la garde à vue, celui-ci constata des conditions d’enfermement indignes : impossibilité de s’allonger car les couchages ne mesuraient que 1,45 m sur 0,50 m et étaient dépourvus de matelas et de couvertures ; absence d’eau courante, de lumière et d’aération ; toilettes non isolées ; odeur pestilentielle. Alors qu’il voulut les faire constater par huissier de justice, l’avocat se heurta au refus des autorités judiciaires et de la police. Ses observations à cet égard furent seulement actées à la procédure.

9.  Selon le Gouvernement, les requérants Jodar et Fakailo dit Safoka furent retenus dans des cellules individuelles mesurant respectivement 1,60 m sur 1,44 m et 1,50 m sur 1,45 m, les requérants Vaiagina et Uveakovi furent gardés à vue dans une cellule collective de 3,55 m sur 2,60 m avec six autres personnes impliquées dans la même affaire, et le requérant Lami fut détenu dans une cellule collective de même dimension avec huit autres personnes. Toujours selon le Gouvernement, les cellules du quartier de garde à vue étaient éclairées, au travers d’une porte dont une partie était en « plexiglas » et une autre en grillage métallique, par un système d’éclairage installé dans le couloir les desservant. Enfin, il indique que l’aération s’effectuait au moyen d’un extracteur central dans les deux quartiers de cellule et que les conduits d’aération situés au-dessous de chaque banquette des cellules du quartier de garde à vue présentaient un diamètre de 12 cm.

10.  À l’issue des quarante-huit heures de garde à vue, les vingt-huit mis en cause furent déférés au procureur de la République. Tous furent poursuivis pour entrave à la circulation d’un aéronef et dégradation de bien public mais le procureur décida de scinder la procédure en deux.

11.  Vingt-deux personnes furent convoquées par procès-verbal à l’audience du 16 juin 2009, tandis que pour les six autres, dont les cinq requérants, le procureur fit application des articles 395 et 396 du code de procédure pénale relatifs à la comparution immédiate (paragraphe 24 ci‑dessous), et les présenta devant le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire. Le 30 mai 2009, les requérants furent incarcérés pendant soixante-douze heures au Camp Est, unique centre de détention de Nouvelle-Calédonie, en situation de surpopulation carcérale extrêmement inquiétante (paragraphe 23 ci-dessous) jusqu’à leur comparution devant le tribunal correctionnel fixée au 2 juin 2009.

12.  Lors de l’audience du 2 juin 2009, le tribunal correctionnel ordonna un complément d’information aux fins de dresser un constat de l’état des cellules de garde à vue, la défense ayant soulevé la nullité de l’ensemble des procès-verbaux dressés pendant la garde à vue eu égard au caractère inhumain et dégradant des conditions dans lesquelles cette mesure se serait déroulée. La juridiction ordonna également la remise en liberté sous contrôle judiciaire des prévenus à l’exception de l’un des requérants, M. Vaiagina, maintenu en détention jusqu’au renvoi de l’affaire à l’audience du 16 juin 2009.

13.  Le 9 juin 2009, un procès-verbal de constat de l’état des cellules de garde à vue fut dressé par la présidente du tribunal correctionnel :

« Dans le quartier dit de garde à vue [où M. Jodar et Fakailo dit Sakofa étaient gardés individuellement]

7 cellules de garde à vue : cellules nos 1, 3, 4, 5, 6, 7 : 145 x 150 cm, cellule no 2 : 245 x 150 cm.

-  chaque cellule dispose d’un « couchage » en béton, sans matelas, faisant 50 cm de haut (145 x 50 cm). Chaque couchage est perforé sur le côté par un conduit d’environ 12 cm de diamètre devant servir d’aération.

-  aucun éclairage (ni électrique ni naturel) dans les cellules (seule la porte vitrée permet de faire entrer la lumière depuis le couloir central)

Une pièce isolée de toilettes dites « à la turque »

Une pièce isolée pour l’avocat

Le couloir central dispose d’un extracteur d’air au plafond (éclairage par lampes type néon, aucune luminosité naturelle). Tous les murs sont revêtus de peinture jaune défraîchie. Dans les cellules présence de nombreux graffitis ou « tags ».

Dans le quartier dit « IPM »[Ivresse publique manifeste]

4 geôles individuelles

Dimension : 170 x 220 cm

-  chaque cellule dispose d’un « couchage » en béton, sans matelas, faisant 50 cm de haut

-  chaque cellule dispose également d’un WC « à la turque » dans un coin

4 geôles collectives

Dimension : 380 x 295 cm

Chaque cellule dispose d’un « couchage » en béton, sans matelas faisant 50 cm de haut

Chaque cellule dispose d’un WC «  à la turque » non isolé, dans un coin

Nombre de personnes en principe admises par cellule : 6 à 7

Tous les murs sont revêtus de peinture grise, maculés de graffitis et de « tags ». Les geôles sont éclairées par des plafonniers type néon. La lumière naturelle ne filtre pas. Il n’y a pas de présence d’orifice d’aération dans les geôles. »

14.  À l’audience du 16 juin 2009, les requérants invoquèrent plusieurs moyens de nullité de la procédure. Ils soulevèrent notamment la violation de l’article 3 de la Convention eu égard aux conditions dans lesquelles s’était déroulée la mesure de garde à vue, invoquant pour cela de nombreux arrêts de la Cour, mais également un jugement du tribunal correctionnel de Paris qui, en avril 2009, avait annulé des procédures de comparution immédiate en raison des conditions de détention dans le dépôt dit « la souricière » du Palais de justice. Les requérants firent également mention des rapports d’activités du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) selon lesquels les cellules de police doivent être propres et de taille raisonnable, avec un éclairage adéquat de manière à permettre le repos, les personnes contraintes de passer la nuit en détention devant disposer d’un matelas et de couvertures propres. Ils firent valoir que leurs conditions de détention étaient de nature à entacher de nullité les procès-verbaux d’enquête établis entre le 28 et le 30 mai 2009 et la procédure subséquente de comparution en justice.

15.  Par un jugement du 29 juin 2009, après avoir joint les procédures de comparution immédiate et par convocation, le tribunal correctionnel rejeta les exceptions de nullité de la procédure. Il considéra que les conditions d’exécution de la garde à vue subie par les requérants n’étaient pas « gravement » attentatoires à la dignité des personnes humaines ni de nature à entraîner des souffrances mentales ou physiques d’une « intensité particulière ». Il précisa qu’une éventuelle violation de l’article 3 était susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique, en raison du mauvais fonctionnement du service public de la justice, mais qu’elle ne pouvait pas constituer une cause de nullité de la procédure. Le tribunal retint que deux des requérants avaient été admis en cellule individuelle, et que l’avocat n’avait fait consigner aucune protestation sur les conditions matérielles de déroulement de garde à vue. Il releva enfin qu’il n’était pas établi que les conditions prétendument déplorables de garde à vue aient pu retentir sur la sincérité des déclarations des requérants, la plupart d’entre eux s’étant volontairement abstenus de toute explication sur les conseils de leur avocat.

Le tribunal relaxa l’ensemble des prévenus du chef de dégradation de biens publics mais prononça leur culpabilité du chef d’entrave à la circulation d’un aéronef. Les requérants Jodar, Lami, Uveakovi et Fakailo dit Safoka furent condamnés à des peines d’emprisonnement (douze mois pour MM. Jodar et Fakailo dit Safoka, dix mois pour MM. Uveakovi et Vaiagina, et six mois pour M. Lami) assorties d’un mandat de dépôt, et M. Vaiagina fut maintenu en détention.

16.  Le 1er juillet 2009, les requérants firent appel de ce jugement.

17.  Par un arrêt du 15 septembre 2009, la cour d’appel de Nouméa confirma le jugement entrepris sur la culpabilité mais réduisit les peines prononcées. Auparavant, elle rejeta les exceptions de nullité invoquées par les requérants, identiques à celles soulevées devant le tribunal. La cour d’appel estima que les conditions de garde à vue n’avaient pas généré chez les gardés à vue un sentiment d’avilissement, d’humiliation et de détresse intense de nature à entacher d’irrégularité leurs déclarations. Elle releva à cet égard que la plupart des prévenus avaient respecté les consignes de leur avocat de ne pas parler. Elle précisa que « certes les dimensions et l’état des plus médiocre des salles de garde à vue posent interrogation et justifieraient sans doute que des travaux d’amélioration soient mis en œuvre, mais le fait que chacune des cellules dispose d’un WC à la turque, n’implique en rien que les gardés à vue ont été contraints de faire leurs besoins devant les autres. Qu’aucune preuve n’est rapportée sur ce point dans le dossier. » Elle poursuivit en soulignant que « les conditions de garde à vue n’ont nullement revêtu des conditions plus défavorables aux prévenus en cause que celles qu’ont connu tous les gardés à vue qui ont fréquenté ces cellules et tous ceux qui les fréquentent encore actuellement ; qu’il en est de même pour les cellules du centre pénitentiaire de Nouméa ; qu’il n’est donc nullement rapporté la preuve du moindre élément discriminatoire sur ce point, qui ait pu provoquer chez les gardés à vue le moindre trouble psychologique de nature à pouvoir influencer leur déclaration d’une manière quelconque. »

18.  Les requérants se pourvurent en cassation, invoquant plusieurs moyens de cassation, dont un, le premier, en dix branches, tiré de la violation de l’article 3 de la Convention. À cet égard, ils firent valoir que les conditions de leur garde à vue étaient incompatibles avec la dignité de la personne et qu’elles les avaient exposés à une épreuve qui excédait le niveau de souffrance inhérent à une telle mesure, en précisant que le fait de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer n’était pas exclusif d’un sentiment d’humiliation et de détresse. Ils soulignèrent que l’interdiction d’une mesure de contrainte se déroulant dans des conditions contraires à la dignité humaine constituait une règle d’ordre public et que sa violation entraînait nécessairement la nullité de la mesure et des actes dont elle était le support. Ils expliquèrent que leurs conditions de détention avaient entraîné un manque de repos et d’hygiène tel qu’ils n’avaient pas été en mesure de se défendre et de se concerter efficacement avec leur avocat, qui n’avait pas eu accès au dossier au moment des interrogatoires, ni de comparaître dignement, ce qui avait nécessairement porté atteinte aux droits de la défense, au droit à un procès équitable, et à la présomption d’innocence. Dans leur troisième moyen de cassation, ils dénoncèrent la prise en compte par les juges de déclarations recueillies lors de la garde à vue « à un stade où la loi exclut que l’intéressé puisse bénéficier de la gamme d’interventions propres à l’avocat, violant ainsi les droits de la défense et le droit à un procès équitable ». Le quatrième moyen de cassation reprit le premier moyen mais en ce qui concerne les conditions de détention subies au sein de l’établissement pénitentiaire Camp Est.

19.  Par un mémoire spécial, les requérants déposèrent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’assistance de l’avocat au cours de la garde à vue (entretien de trente minutes seulement, pas d’accès au dossier) et aux exigences du droit à un procès équitable.

20.  Par un arrêt du 4 juin 2010, la Cour de cassation déclara la QPC irrecevable « dès lors qu’il résulte tant de l’arrêt de la cour d’appel que du jugement du tribunal correctionnel qu’une exception de nullité relative à l’absence d’assistance effective par un avocat au cours de la garde à vue n’a pas été soulevée devant le juge du fond ».

21.  Le 22 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants. Sur le premier moyen, pris en sa dixième branche, et sur le troisième moyen, elle estima que faute d’avoir été présentée devant les juges du fond, l’exception de nullité prise de ce que les prévenus avaient, lors de leur garde à vue, été interrogés sans l’assistance d’un avocat, et sans que celui-ci ait eu accès au dossier de la procédure, était irrecevable. Sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et sur le quatrième moyen, la cour estima que les juges du fond avaient justifié leur décision en ne retenant pas la violation de l’article 3 de la Convention, violation qui, tout en étant susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne pouvait constituer une cause de nullité de procédure.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22.  Concernant le recours indemnitaire devant les juridictions administratives à la disposition des requérants ne se trouvant plus, lors de l’introduction de leur requête devant la Cour, dans des conditions de détention susceptibles de porter atteinte à leur dignité, il est renvoyé aux affaires Lienhardt c. France ((déc.), no 12139/10, du 13 septembre 2011), Karim Rhazali et autres c. France (no 37568/09, 10 avril 2012) et Canali c. France (no 40119/09, §§ 23 et 24, 25 avril 2013).

23.  Le contrôleur général des lieux de privation de liberté en France a fait paraître des recommandations propres au centre pénitentiaire de Nouméa (Camp Est), publiées au Journal officiel le 6 décembre 2011. Il y dénonce l’état déplorable et la surpopulation de la prison, qui relèvent selon lui d’une « violation grave des droits fondamentaux » des personnes qu’elle héberge. Il a mis en œuvre, pour la première fois, une procédure d’urgence afin de saisir le ministre de la Justice. Une visite surprise effectuée en octobre 2011 par plusieurs contrôleurs avait permis de constater que quatre cent trente-huit personnes étaient détenues pour une capacité de deux cent dix-huit places, la surpopulation atteignant même 300 % dans la maison d’arrêt (quartier destiné aux détenus en détention provisoire ou purgeant de courtes peines) ; il a également été constaté que jusqu’à six détenus cohabitent dans la même cellule insalubre de 12 m2, outre le fait que des matelas sont parfois posés à même le sol « où circulent des rats et des cafards », que la chaleur est « éprouvante » dans la mesure où « les grilles d’aération sont souvent obstruées afin d’empêcher les rats » d’entrer et que « les remontées d’égouts fréquentes empestent l’atmosphère », les cellules disciplinaires et d’isolement étant quant à elles « dans un état répugnant ».

24.  Les articles 395 et 396 du code de procédure pénale organisent les conditions de la comparution immédiate des prévenus. En cas d’impossibilité de réunion du tribunal le jour même, le procureur de la République peut faire des réquisitions aux fins de détention provisoire du prévenu. Le juge des libertés et de la détention peut alors placer le prévenu en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal. Lorsque le tribunal est saisi en application des articles 395 et 396 du code de procédure pénale, il faut que le prévenu consente à être jugé séance tenante. Dans le cas contraire, l’article 397-1 s’applique :

« Si le prévenu ne consent pas à être jugé séance tenante ou si l’affaire ne paraît pas en état d’être jugée, le tribunal, après avoir recueilli les observations des parties et de leur avocat, renvoie à une prochaine audience qui doit avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines, sauf renonciation expresse du prévenu, ni supérieur à six semaines.

Lorsque la peine encourue est supérieure à sept ans d’emprisonnement, le prévenu, informé de l’étendue de ses droits, peut demander que l’affaire soit renvoyée à une audience qui devra avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à deux mois, sans être supérieur à quatre mois.

Dans les cas prévus par le présent article, le prévenu ou son avocat peut demander au tribunal d’ordonner tout acte d’information qu’il estime nécessaire à la manifestation de la vérité relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l’intéressé. Le tribunal qui refuse de faire droit à cette demande doit rendre un jugement motivé. »

III.  RAPPORTS PERTINENTS du Comité pour la prévention de la torture et des traitements et peines inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe

25.  Les points 42 à 43 des normes du CPT (CPT/Inf/E (2002) 1 - Rev. 2006) en sa partie I « Détention par la police » sont ainsi libellés :

42.  La détention par la police est en principe d’une durée relativement courte. De ce fait, on ne saurait s’attendre, dans les établissements de police, à des conditions matérielles de détention aussi bonnes que dans d’autres lieux de détention où des personnes peuvent être retenues pour de plus longues périodes. Cependant, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de conditions matérielles élémentaires doivent être réunies.

Toutes les cellules de police devraient être d’une taille raisonnable eu égard au nombre de personnes qu’elles sont censées recevoir et bénéficier d’un éclairage (suffisant pour lire en dehors des périodes de sommeil) et d’une ventilation adéquats ; les cellules devraient, de préférence, bénéficier de la lumière naturelle. De plus, les cellules devraient être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple, un siège fixe ou une banquette fixe) et les personnes obligées de passer la nuit en détention devraient pouvoir disposer d’un matelas et de couvertures propres.

Les personnes détenues par la police devraient être en mesure de satisfaire aux besoins naturels au moment voulu, dans des conditions de propreté et de décence, et devraient disposer de possibilités adéquates pour faire leur toilette. Ces personnes devraient recevoir de quoi manger, aux heures normales, y compris un repas complet au moins chaque jour (c’est-à-dire quelque chose de plus substantiel qu’un sandwich).

43.  La question de savoir ce qu’est la taille raisonnable d’une cellule de police (ou tout autre type d’hébergement pour détenu/prisonnier) est une matière difficile. De nombreux facteurs sont à prendre en compte dans une telle évaluation. Toutefois, les délégations du CPT ont ressenti, en ce domaine, le besoin d’une ligne directrice approximative. Le critère suivant (entendu au sens d’un niveau souhaitable plutôt que d’une norme minimale) est actuellement utilisé dans l’appréciation des cellules de police individuelles, pour un séjour dépassant quelques heures : environ 7 m² avec 2 mètres ou plus entre les murs et 2,50 m entre sol et plafond. »

Le paragraphe 47 du 12e rapport général d’activités du CPT (CPT/Inf (2002) 15) comprend un chapitre intitulé « Quelques développement récents dans les normes du CPT dans le domaine de la détention par la police » ainsi libellé :

« La détention par la police est (ou au moins devrait être) de relativement courte durée. Toutefois, les conditions de détention dans les cellules de police doivent remplir certaines conditions élémentaires. (...)

De nombreux locaux de police visités par les délégations du CPT ne sont pas conformes à ces normes minimales. Ceci est particulièrement préjudiciable aux personnes qui comparaissent ultérieurement devant une autorité judiciaire; bien trop souvent, des personnes sont présentées à un juge après avoir passé un ou plusieurs jours dans des cellules ne répondant pas aux normes requises et très sales, sans avoir pu ni se reposer, ni s’alimenter correctement, ni avoir eu la possibilité de se laver ».

26.  À l’occasion de plusieurs visites, le CPT a réaffirmé que la taille des cellules de police doit être d’environ 7 m2 pour un séjour dépassant quelques heures (rapports relatifs aux visites effectuées par le CPT en Suisse du 10 au 20 octobre 2011 (publié le 25 octobre 2012, § 29), en France du 28 novembre au 10 décembre 2010 (publié le 19 avril 2012, § 31) et aux Pays-Bas du 10 au 21 octobre 2011 (publié le 9 août 2012, § 23). Le rapport concernant la visite aux Pays-Bas est ainsi libellé :

« 23.  At Sprang-Capelle Police Station, the detention facility consisted of six confined and windowless cubicles, immediately adjacent to two interrogation rooms. Each of the cubicles was fitted with solid doors, measured 1.40m x 1.40m (i.e. just less than 2 m²), with a seat (a concrete block) measuring 50 x 50 cm as sole equipment. The police officer in charge informed the delegation that these cubicles could be used “for no more than six hours”. However, the delegation met two minors who alleged that they stayed for some 10 hours in the above-mentioned cubicles, with only a brief interruption of some 20/30 minutes. (...)

One of the minors in question was examined shortly after his arrival at Tilburg Police Station, where he had been transferred from Sprang-Capelle, by a medical member of the delegation and he showed clear signs of acute distress. The CPT considers that placing a minor (or even an adult) in such a cubicle for long periods of time could in many cases trigger serious stress. (...)

The CPT recommends that the use of any such cubicles be strictly limited to very brief waiting periods, either immediately prior to the questioning of the suspect or immediately before his transfer to a suitable detention facility. The total time actually spent in these facilities should never exceed 6 hours. Furthermore, the cubicles in question should never be used as overnight accommodation. Moreover, the CPT recommends that any such facilities be fitted with secured translucent doors to avoid as much as possible their oppressive effect and enable direct monitoring of the detained persons ».

EN DROIT

I.  SUR LE DÉCÈS DU REQUÉRANT GÉRARD JODAR

27.  À la suite du décès du requérant Gérard Jodar en septembre 2013, aucun héritier n’a fait part de la volonté de poursuivre la procédure dont ce dernier avait saisi la Cour. Dans ces conditions, et après avoir relevé que les griefs initialement soulevés par Gérard Jodar sont les mêmes que ceux invoqués par les autres requérants, sur lesquels elle exprimera son avis ci‑dessous, la Cour considère qu’il y a lieu de rayer la requête du rôle à l’égard de Gérard Jodar conformément à l’article 37 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

28.  Les requérants allèguent que les conditions de détention au commissariat de police et à la maison d’arrêt du Camp Est de Nouméa sont contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

29.  Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Il souligne que, à la date d’introduction de leur requête, ils ne se trouvaient plus détenus dans des conditions susceptibles de porter atteinte à leur dignité, et disposaient de la possibilité d’exercer un recours indemnitaire devant le juge administratif pour obtenir réparation de leur préjudice subi. Il soutient que la Cour a validé l’effectivité de ce recours dans les décisions Lienhardt et Karim Rhazali et autres précitées.

30.  Les requérants rappellent qu’ils ont saisi la Cour de la question de l’impact procédural (article 6 § 1 de la Convention) des conditions d’enfermement contraires à l’article 3 qu’ils ont connues lors de la garde à vue puis au centre pénitentiaire. Ils indiquent qu’un recours de nature indemnitaire devant le juge administratif n’était pas à épuiser, faute de pouvoir résoudre cette question, dont le juge judiciaire interne a pourtant bien été saisi. Si l’exception de non-épuisement soulevé par le Gouvernement peut avoir un impact sur la demande de satisfaction équitable au titre de l’article 3, elle ne saurait faire échec à l’examen, par la Cour, de la qualification des traitements subis par les requérants au regard de l’article 3 pour ensuite en apprécier l’impact procédural.

31.  Le Gouvernement rétorque que les griefs tirés des articles 3 et 6 § 1 de la Convention ne sont pas liés et demande le rejet du grief tiré de l’article 3, et non de la seule demande de satisfaction afférente, en tant qu’il méconnaît les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention.

32.  La Cour rappelle le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. Elle ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, 12 octobre 2010).

L’article 35 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ceux-ci doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique à l’époque des faits ; dès lors, ils doivent être accessibles, susceptibles d’offrir aux requérants le redressement de leurs griefs et présenter des perspectives raisonnables de succès, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies. De surcroît, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès.

L’article 35 § 1 de la Convention doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (voir, parmi beaucoup d’autres, Canali, précité, § 35-36).

33.  La Cour observe que le Gouvernement, dans l’invocation de son exception d’irrecevabilité, ne distingue pas les conditions de détention subies en garde à vue dans les cellules du commissariat central de police de Nouméa de celles supportées au Camp Est de Nouméa.

34.  Elle observe que les premières ont été soulevées par les requérants devant les autorités judiciaires, à l’occasion de leur comparution immédiate devant le juge du fond, qui a ordonné un supplément d’information afin de constater l’état des cellules du commissariat, puis tout au long de la procédure en plaidant la nullité de celle-ci en raison des conditions de détention dans les locaux de garde à vue. Elle rappelle aussi que si, dans les décisions Lienhardt et Rhazali et autres précitées, elle a jugé le recours indemnitaire devant les juridictions administratives disponible et adéquat pour des requérants ne se trouvant plus détenus dans des conditions susceptibles de porter atteinte à leur dignité, cette décision concernait des individus soit placés en détention provisoire, soit exécutant des peines, et non retenus en garde à vue dans les locaux d’un commissariat de police. À cet égard, le Gouvernement ne fournit aucune jurisprudence illustrant une possible condamnation de l’État à indemniser des personnes gardées à vue au titre de sa responsabilité pour comportement fautif résultant d’un manquement à assurer des conditions de détention compatibles avec le respect de la dignité humaine. Dans ces conditions, la Cour rejette cette partie de l’exception d’irrecevabilité de la requête soulevée par le Gouvernement.

35.  Quant à la détention provisoire subie au Camp Est de Nouméa, la Cour constate qu’elle s’est achevée le 2 juin 2009, soit un an et demi avant l’introduction de la requête. Compte tenu de ce qu’elle a décidé dans les affaires Lienhardt et Rhazali précitée, la Cour estime qu’il était raisonnable d’attendre des requérants qu’ils engagent un recours indemnitaire devant les juridictions administratives pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, elle fait droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement concernant la détention subie au Camp Est.

36.  S’agissant du grief tiré des conditions de détention indignes au commissariat de police de Nouméa, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

37.  Les requérants dénoncent des conditions de détention inhumaines et dégradantes. Ils font valoir que le manque d’espace personnel des cellules du commissariat était suffisamment cruel pour tomber sous le coup de l’article 3, en tant que traitement inhumain, outre, si besoin était, les effets cumulés de l’absence d’aération, de lumière naturelle, d’eau, de matelas et de couverture. Ils rappellent que les cellules individuelles, occupées par deux d’entre eux mesuraient 145 cm x 150 cm avec un couchage en béton de 145 cm x 50 cm sur lequel il n’était pas possible de s’allonger complètement, et que les cellules collectives (de 8 ou 9 personnes) mesuraient 380 cm x 295 cm avec un couchage collectif en béton de 380 cm x 195 cm et sans toilette isolée. Ils font valoir que les effets de l’enfermement dans de telles cellules s’accentuent douloureusement au fur et à mesure des heures, de la fatigue et de la tension accumulées, et qu’ils aboutissent à une privation du droit au repos. Ils rappellent encore que le procès-verbal de constat mentionne, s’agissant des cellules collectives, l’absence d’orifice d’aération, et que pour les cellules individuelles, les photos permettent de constater que les portes des cellules sont pleines, et que l’extracteur d’air central se situe dans le couloir, c’est-à-dire derrière la porte pleine. Ils concluent à un traitement inhumain par la souffrance qu’il a pu engendrer, et en toute hypothèse, à un traitement dégradant, notamment par la promiscuité et l’humiliation qu’il impose.

38.  Le Gouvernement s’en remet à la description des cellules de garde à vue faites dans le procès-verbal de constat et reconnaît que ces dernières n’étaient pas, à l’époque des faits, conformes aux standards applicables et notamment aux préconisations formulées par le Conseil de l’Europe. Il ne considère pas, pour autant, que les requérants ont subi des mauvais traitements atteignant le seuil de gravité requis par l’article 3. Reprenant les critères d’appréciation d’un tel traitement par la Cour, il fait d’abord valoir que les requérants étaient robustes, d’âge mur et en bonne santé, qu’il n’alléguaient pas l’existence d’effets physiques ou moraux préjudiciables résultant des conditions incriminées et qu’ils avaient pu prévenir leur proche, demander à consulter un médecin et formuler toute demande auprès des fonctionnaires de police. Ensuite, et surtout, le Gouvernement soutient qu’une analyse objective de la jurisprudence de la Cour démontre que la durée de la détention constitue le paramètre cardinal d’appréciation du seuil de gravité. Il cite l’arrêt Georgiev c. Bulgarie (no 47823/99, 15 décembre 2005) dans lequel la Cour n’a pas conclu à une violation de l’article 3, s’agissant d’un détenu mineur dans des conditions similaires de détention à la présente espèce pendant un mois et demi. Il soutient que seuls des facteurs exceptionnels tenant à la gravité des traitements infligés aux requérants ou à leur vulnérabilité peuvent, en cas de brève durée de détention, aboutir à un constat de violation. Il cite l’arrêt Price c. Royaume‑Uni (no 33394/96, CEDH 2001‑VII), qui concernait une personne tétraplégique détenue pendant trois nuits et quatre jours, et l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, CEDH 2011) relatif à la détention de personnes vulnérables que sont les demandeurs d’asile.

En conclusion, après avoir affirmé la détermination des autorités françaises de remédier à la vétusté des locaux des commissariats de police (ceux de Nouméa ont été réaménagés en 2011), le Gouvernement demande à la Cour de rejeter le grief.

2.  Appréciation de la Cour

39.  Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité dont l’appréciation dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, Irlande c. Royaume‑Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

40.  La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation durant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. En recherchant si une forme particulière de traitement est « dégradante » au sens de l’article 3, la Cour examinera si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a, ou non, atteint la personnalité de celui-ci d’une manière incompatible avec l’article 3. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 (voir, récemment Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07, § 100, 18 mars 2014).

41.  La Cour note que d’après les informations figurant dans le procès‑verbal de constat, deux requérants ont été retenus au commissariat de police de Nouméa dans des cellules individuelles d’un peu plus de 2 m2, et les autres dans des cellules collectives d’un peu plus de 11 m2 avec huit à neuf gardés à vue, disposant chacun de moins de 1 m2 d’espace personnel. Il apparaît ainsi que les requérants disposaient d’un espace largement inférieur au standard minimum souhaitable préconisé par le CPT dans ses normes et ses rapports nationaux (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). La Cour note de surcroît que, s’agissant des requérants gardés à vue dans les cellules collectives, ils ne disposaient pas de toilettes isolées. Elle estime que bien que la cour d’appel ait considéré que « le fait que chacune des cellules dispose d’un WC à la turque, n’implique en rien que les gardés à vue ont été contraints de faire leur besoin devant les autres », rien n’indique le contraire puisque les photos des cellules attestent de la présence de toilettes non cloisonnées ne satisfaisant pas aux exigences normales d’hygiène et d’intimité. Il ressort enfin du dossier que les cellules ne disposaient pas, ou de manière insuffisante, d’un système d’aération et qu’elles étaient privées de lumière naturelle.

42.  La Cour observe que le Gouvernement ne conteste pas que les conditions décrites ci-dessus ne répondaient pas aux standards européens. Néanmoins, il estime que les requérants n’ont pas été exposés à des traitements atteignant le seuil de gravité de l’article 3 de la Convention en raison de la brève durée de leur détention.

43.  La Cour ne partage ce point de vue. Elle rappelle que, de par leur nature même, les commissariats de police sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour de très courtes durées (paragraphe 25 ci-dessus ; voir, parmi beaucoup d’autres, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, § 41, 21 juin 2011). Il est vrai que le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées est un facteur important à considérer (voir, pour des exemples de brèves durées de détention, l’arrêt Totolici c. Roumanie, no 26576/10, § 59, 14 janvier 2014 ; voir, également, les affaires Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, § 474, 25 juillet 2013, et, Dan Costache Patriciu c. Roumanie (déc), no 43750/05, 17 janvier 2012 ; voir, aussi, s’agissant de requérants vulnérables, la jurisprudence citée par le Gouvernement, paragraphe 38 ci-dessus, et, par exemple, pour une durée de détention de deux jours, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, § 86, 5 avril 2011, ou de quelques jours, Horshill c. Grèce, no 70427/11, § 48 et suivants, 1er août 2013). Cependant, une durée extrêmement brève de détention n’interdit pas un constat de violation de l’article 3 de la Convention « si les conditions de détention sont à ce point graves qu’elle portent atteinte au sens même de la dignité humaine » (Rahimi, précité, § 86).

44.  La Cour estime que tel est le cas en l’espèce, eu égard à la taille des cellules dans lesquelles les requérants ont été placés en garde à vue. Elle relève que leur superficie, allant d’un peu plus de 2 m2 pour les cellules individuelles à moins de 1 m2 par détenu pour les cellules collectives, n’était pas adaptée pour une période de détention de quarante-huit heures. Elle se réfère à cet égard aux recommandations du CPT selon lesquelles ce genre de cellule ne devrait pas être utilisé pour des périodes de détention excédant quelques heures - ce qui exclut d’y passer une nuit - et devrait être aménagé de manière à éviter le plus possible la sensation d’oppression et d’enfermement (paragraphe 26 ci-dessus). Elle note d’ailleurs que les cellules ne bénéficiaient pas d’un éclairage adéquat, et que l’aération était quasi inexistante (paragraphe 13 ci-dessus), ce qui n’a pu que générer une atmosphère encore plus étouffante, rendant la détention des requérants, nonobstant sa durée, contraire à la dignité humaine.

45.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention en cause ont causé aux intéressés des souffrances aussi bien physiques que mentales ainsi qu’un sentiment de profonde atteinte à leur dignité humaine, et qu’elles doivent s’analyser en un traitement inhumain et dégradant infligé en violation de l’article 3 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

46.  Les requérant soutiennent qu’eu égard aux conditions de détention en garde à vue, puis au Camp Est, ils n’ont pas pu exercer leurs droits de la défense devant le tribunal correctionnel de Nouméa d’une manière compatible avec l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (....)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pourvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; ».

47.  Selon les requérants, le procureur ne devrait pas choisir la voie de la comparution immédiate dans une situation connue de conditions de détention problématiques, et le juge devrait refuser que des prévenus lui soient présentés par cette voie. Ils soutiennent que le procureur, en charge du contrôle de la garde à vue selon les articles 41 et 63 du code de procédure pénale, aurait dû en amont, par lui-même, dès lors que des observations actées à la procédure avaient été faites par leur avocat pour dénoncer les conditions d’enfermement, se rendre sur les lieux et choisir la voie de la procédure par convocation. Selon eux, ce vice de la procédure à la base affecte la régularité et le caractère équitable de toute la procédure subséquente. Ils constatent que les auditions ont été effectuées durant la garde à vue et qu’elles ont été validées. Ils font aussi valoir que, au moment de l’audience en appel, du fait du mandat de dépôt délivré à leur encontre par le jugement du tribunal, ils étaient tous détenus au centre pénitentiaire de Nouméa dans des conditions indignes.

48.  Le Gouvernement considère que le grief doit être examiné à la lumière de la procédure considérée dans son ensemble. Il souligne qu’à différentes occasions, les requérants ont été entendus dans des conditions ne portant aucune atteinte à leurs droits de la défense ni à l’équité du procès en général. En particulier, s’agissant de leur comparution devant le juge du fond le 2 juin 2009, assistés de leur conseil, ils n’ont pas consenti à être jugés au fond et le tribunal a renvoyé l’examen du dossier à l’audience du 16 juin suivant. Les requérants, dont la plupart n’ont pas été maintenus en détention, ont ainsi pu disposer du temps nécessaire à l’exercice de leur défense. Le Gouvernement estime dès lors que la circonstance de leur état de fatigue, qu’il ne conteste pas, n’a pas eu d’incidence sur l’équité du procès. Après avoir enfin rappelé que le tribunal s’est montré attentif aux intérêts des requérants en ordonnant un supplément d’information, et qu’aucun des griefs soulevés par les requérants n’est applicable aux conditions dans lesquels ceux-ci ont été jugés et condamnés par la cour d’appel de Nouméa, le Gouvernement demande le rejet du grief pour défaut manifeste de fondement.

49.  La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 b) de l’article 6 représentent des éléments de la notion générale de procès équitable consacrée par le paragraphe 1. La Cour estime qu’il est approprié d’examiner le grief à la lumière du paragraphe 1 de l’article 6, en le combinant au besoin avec ses autres paragraphes (Makhfi c. France, no 59335/00, § 32, 19 octobre 2004). Elle rappelle également que le but de la Convention « consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ; la remarque vaut spécialement pour [les droits] de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique » (ibidem).

50.  La Cour rappelle également qu’elle a déjà estimé qu’un état de fatigue excessif peut placer des accusés dans un état de moindre résistance physique et morale à un moment où ils ont besoin de tous leurs moyens pour se défendre, lors de l’ouverture d’une audience, et ne pas répondre aux exigences d’un procès équitable (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne (6 décembre 1988, § 70, série A no 146 ; Makhfi, précité, § 40 ; Zinchenko c. Ukraine, no 63763/11, § 79, 13 mars 2014).

51.  En l’espèce, eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue ci‑dessus s’agissant des conditions de détention subies lors de la garde à vue (paragraphe 45 ci-dessus), et compte tenu des constats du contrôleur général des lieux de privation de liberté relatifs au centre pénitentiaire de Nouméa (paragraphe 23 ci-dessus), où les requérants ont passé respectivement quarante-huit heures et soixante-douze heures avant l’audience du 2 juin 2009, la Cour convient que ces derniers se trouvaient dans un état de fatigue intense lorsqu’ils ont comparu devant le tribunal correctionnel de Nouméa. Néanmoins, elle observe que cette juridiction, statuant en comparution immédiate, a décidé par jugement du 2 juin 2009, après que les requérants eurent refusé d’être jugé séance tenante, de remettre en liberté quatre d’entre eux et de les placer sous contrôle judiciaire. Elle a également ordonné un supplément d’information concernant l’état des cellules du commissariat de police de Nouméa et renvoyé le jugement de l’affaire à l’audience du 16 juin suivant. Ainsi, faisant application de l’article 397-1 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessus), et après avoir recueilli les observations des requérants et de leur avocat, le tribunal a, d’une part, pris acte de leur refus d’être jugé immédiatement et, d’autre part, estimé que l’affaire n’était pas en état d’être jugée, pour renvoyer celle-ci à une audience ultérieure. Dans ces conditions, et après avoir relevé que les observations des requérants ne contiennent aucune information démontrant que l’un d’entre eux, M. Vaiagina, resté en détention provisoire, n’aurait pas bénéficié du renvoi de l’affaire par le tribunal correctionnel le 2 juin 2009, et rappelé, comme le Gouvernement le fait, que le grief soulevé par les requérants concernait uniquement les droits de la défense devant le tribunal correctionnel, la Cour considère que les circonstances de l’espèce ont répondu aux exigences d’un procès équitable et notamment de respect des droits de la défense.

Il s’ensuit que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3(a) et 4 de la Convention.

IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

52.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été interrogés, lors de leur garde à vue, sans l’assistance d’un avocat et sans que celui-ci ait eu accès au dossier. Ils font également valoir qu’ils n’ont pas, du fait de cette absence d’assistance immédiate, été informés de leur droit de garder le silence. Par la suite, une fois informés de ce droit, les juridictions l’auraient considéré comme un élément à charge dans l’appréciation des faits et comme un élément de nature à relativiser l’appréciation du caractère inhumain ou dégradant des conditions de garde à vue.

53.  La Cour observe que le moyen de cassation fondé sur la violation du droit à un procès équitable en raison de l’absence d’assistance d’un avocat lors de la garde à vue et de l’impossibilité pour lui d’avoir accès au dossier au moment des interrogatoires de police a été rejeté par la Cour de cassation comme étant irrecevable car nouveau, faute d’avoir été soulevé devant les juridictions du fond auparavant (paragraphe 21 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que les requérants n’ont pas soulevé leur grief dans les formes prescrites par le droit interne (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 38, série A no 200) et qu’ils n’ont dès lors pas épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que le grief doit être rejeté par application des articles 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

55.  Les requérants réclament chacun 10 000 euros (EUR) en réparation du préjudice moral subi pour les conditions d’enfermement qu’ils ont subi et pour avoir été présentés et avoir comparu sur le champ devant le juge pénal dans un état d’humiliation et de fatigue inacceptable. M. Vaiagina réclame une indemnisation supplémentaire de 10 000 EUR en raison de sa détention plus longue au Camp Est.

56.  Le Gouvernement estime qu’une somme de 1 500 EUR pourrait être allouée à chacun des requérant en cas de constat de violation des articles 3 et 6 de la Convention. À l’inverse, si la Cour ne devait retenir que la violation de l’un ou l’autre de ces articles, le seul constat de violation serait une réparation suffisante, car les requérants reconnaissent eux-mêmes que leur demande de satisfaction équitable en lien avec l’article 3 se heurte au fait qu’ils n’ont pas entamé d’action en responsabilité de l’État devant les juridictions internes (paragraphe 30 ci-dessus).

57.  La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de leurs conditions de détention en garde à vue et qu’ils ont le droit à une indemnité. Statuant en équité, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 6 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

58.  Les requérants demandent également 17 151 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes (dont 5 000 pour ceux engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour de cassation) et 4 001,45 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Ils produisent une note d’honoraires d’un avocat du barreau de Nouméa du 17 juin 2009 d’un montant de 1 260 000 francs Pacifique (soit 10 559 EUR) sur laquelle il est inscrit « payé », une note d’honoraire du même avocat du 19 avril 2011 d’un montant de 262 500 francs Pacifique (1 592 EUR), une note d’honoraire adressée au syndicat USTKE de 5 000 EUR pour la procédure devant la Cour de cassation et une autre note de 4 001,45 EUR adressée à un autre syndicat (CNTP) pour les frais exposés devant la Cour.

59.  Le Gouvernement estime que les requérants sont éligibles au remboursement des frais retracés dans la note d’honoraire payée le 17 juin 2009 pour un montant de 10 559 EUR. En revanche, il estime que rien n’indique que le reste des sommes réclamées ait été versé par les requérants, ni le montant de 1 592 EUR, ni les sommes inscrites sur les notes d’honoraires adressées aux syndicats.

60.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 10 559 EUR pour leur demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale. Elle rejette les autres demandes pour les raisons indiquées par le Gouvernement.

C.  Intérêts moratoires

61.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Décide, à l’unanimité, de rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne M. Gérard Jodar ;

2.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré des conditions de détention au commissariat de police de Nouméa et irrecevable pour le surplus ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

4.  Dit, par cinq voix contre deux,

a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) à M.  Mikaele Fakailo dit Safoka, ainsi qu’à MM. Sele Lami, Sagato Uveakovi et Julien Vaiagina, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par chacun d’entre eux, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 559 EUR (dix mille cinq cent cinquante-neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE FAKAILO (SAFOKA) ET AUTRES c. FRANCE, 2 octobre 2014, 2871/11